XXXVII. 26 février 1941 - l'aide

Une main se plaqua sur sa bouche. Carl ouvrit subitement les yeux, repoussant la menace. Il s'agita mais un "chuuut" l'incita à se calmer. Sa vue s'adapta à la lumière faible, percevant les contours d'une figure le surplombant. Des mèches blondes effleurèrent sa joue. Cassiopeia.

Quand elle fut certaine qu'il l'ait reconnue, elle ôta sa main et se redressa. Carl se releva avec agitation, ne s'étant pas remis de ce réveil brusque. Sa subite apparition faisait naître des milliers d'émotions en lui.

-Toi ! parvint-il à prononcer.

Il se força à trier ses pensées, sélectionnant les plus utiles. Une partie de son cerveau somnolait encore.

-Grindelwald est furieux, dit-il, sa respiration encore rapide. S'il te sait sous son toit, il te brisera la nuque.

Il ne comprenait pas ce qu'elle faisait là. Il la croyait avec les Russes, il la pensait traîtresse. C'était ce que tout le monde opinait d'elle. Quand l'attaque du Ministère Bulgare était parvenu jusqu'ici, Grindelwald l'avait maudite. Carl avait été chargé de la retrouver, vivante si possible. Il attendait certainement l'explication de sa traîtrise.

-C'est pour ça qu'il ne faut pas que je reste ici. Habille-toi et sors.

-Avec toi ?

Il avait voulu se montrer sarcastique, mais la crainte était évidente. Elle le fixa durant de longues secondes.

-Je ne vais pas te tuer, si c'est ce qui t'inquiètes.

Ça ne le rassurait guère, mais il obéit tout de même. Elle avait l'air sincère. Lentement, il se leva du lit, se recouvrit d'une cape noire portant le blason de la famille royale Danoise et suivit la sorcière dans les sombres couloirs du château de Nurmengard. Personne ne leur bloqua le passage. Les lieux étaient aussi silencieux que si personne n'y avait vécu depuis des années.

Dehors, le froid glacial gonfla les pans de sa cape. Il frissonna, marmonnant quelques jurons sur l'heure si matinale. La lune était ronde, observatrice. La nuit dans ce pays là était dangereuse. Il n'aimait pas ça, pas du tout.

La main de Cassiopeia attrapa brusquement la sienne. Son corps fut aspiré par une force invisible et, la seconde d'après, ils aterrirent dans une chambre d'auberge délabrée avec quelques chandelles allumées sur une simple table. Il n'y avait pas de décoration, les draps semblaient sales. Un lieu parfait pour une tentative d'assassinat.

-Si je voulais m'en prendre à toi, je l'aurais déjà fait.

Il détestait qu'elle lise dans ses pensées. Cassiopeia se trouvait à présent derrière les chandelles. Son ombre se projetait sur le sol couvert de poussière.

-Pourquoi m'as-tu emmené ici, alors ?

-C'est dur de l'admettre, mais j'ai besoin d'aide.

Le fait de demander un appui semblait blesser son égo. Un fin sourire étira le bout de ses lèvres.

-Ça te fait rire ? attaqua-t-elle, offensée.

La fierté des Black dans toute sa splendeur.

-Non, pas du tout, mentit-il.

Il s'avança et posa ses mains à plat sur la suface lisse de la table. Ses yeux scrutèrent attentivement la jeune femme. Son expression était aussi froide qu'un bloc de glace, mais sa poitrine se soulevait dans un rythme effréné. Il admirait son talent à cacher ses émotions.

-Tu es une traîtresse.

-On m'a obligée à l'être.

-Quelle piètre excuse, se moqua-t-il. Je ne l'avais jamais entendu celle-là.

-Carl, s'il te plaît, écoute ce que j'ai à dire.

-Comment puis-je croire tout ce qui sort de ta bouche ? Tu maîtrises l'art de la manipulation mieux que personne.

Ses sourcils se froncèrent furtivement. Se méfier était devenu la première règle à respecter en ces temps. Cassiopeia pouvait très bien agir sur le compte des Russes, même s'il ne comprenait toujours pas pourquoi elle s'était rangée de leur côté.

-Je veux juste de l'aide, souffla-t-elle.

La sincérité ne pouvait pas être prouvée, contrairement au mensonge. Alors elle osa lui montrer son désespoir. Elle abandonna son expression glaciale et se découvrit telle qu'elle était, misérable, démunie. La regarder lui fit mal. C'était comme plonger dans un gouffre noir.

-Ok.

Pour lui, ce fut suffisant.

-Perseus et moi avons été trahis, commença-t-elle. Les Andronikov nous ont capturé. Je ne sais pas qui est derrière tout ça, ni pourquoi il semble me viser, mais toutes les informations qui circulent semblent flotter jusqu'aux oreilles des Russes.

-C'est pour ça que tu suspectais les jumelles.

Elle hocha la tête.

-Quelqu'un leur a dit pour la Bulgarie, quelqu'un leur a dit pour le meurtre planifié des Vladic, pour l'espionnage de Perseus.

-Comment sais-tu que ce n'est pas moi ?

Il trouva sa question idiote dès l'instant où il la posa.

-Ouais, parce que tu as fouillé dans mon esprit, fit-il avec un rire sans joie.

Elle baissa les yeux. Il se demanda ce qu'elle savait, à présent. Si elle avait deviné la raison de sa présence auprès de Grindelwald. Si elle était au courant pour son exil, et du pourquoi de sa condition. Cela l'énerva. Elle n'avait aucun droit de voler les pensées des autres.

-Je sais que tu as été exilé, mais pas pourquoi, le rassura-t-elle dans un murmure.

Piètre consolation.

-Tu fais la même chose avec Lestrange ? Pendant que tu lui fais des cachoteries, il te livre le moindre de ses...

-Non. Je ne me suis jamais introduite dans les pensées de Perseus, et je ne lui ai jamais menti.

Elle s'avança, le visage grave.

-Il est le seul en qui j'ai confiance.

C'est alors qu'un détail le frappa. Il n'était pas là. Perseus n'était pas rentré à Nurmengard, et elle venait de lui avouer qu'il avait été enlevé par les Andronikov. Puis elle s'était introduite en Bulgarie pour tuer les Aurors anglais et... oh non.

-Ils détiennent Perseus. Il est leur moyen de pression.

Elle hocha douloureusement la tête.

-Et devine où ils l'ont emmené ?

-Le Danemark, devina-t-il par intuition.

Connaissant son frère, il se serait fait un plaisir d'avoir un prisionnier. Posséder Perseus affirmerait son pouvoir sur la royauté sang-pur. Sur leur mère. Carl ferma ses poings. À en voir l'expression de Cassiopeia, il avait visé juste.

-J'étais chargée de vider le Ministère Bulgare et de tuer ceux qui étaient à sa tête. Ma cousine, Callidora et son mari. C'était soit ça, soit ils le mutilaient.

Elle inspira avec difficulté puis tourna les talons pour saisir une boîte argentée sur une étagère. La déposant sur la table, elle l'ouvrit. Carl eut la nausée. Deux doigts. Coupés laborieusement, au couteau certainement. Elle avait choisi de sauver sa cousine en échange de la souffrance de Perseus. Un dilemme dans lequel il ne s'imaginait pas être entraîné.

-La prochaine fois que je fais un faux pas, ce sera un bras qu'ils lui prendront.

Deux doigts restaient acceptable, un bras devenait handicapant.

-Je sais qu'il préférerait se jeter du haut d'une tour plutôt que de vivre le restant de sa vie avec un bras en moins, déglutit-elle, le regard rivé sur la boîte.

N'importe quel homme avec un minimum d'égo préférerait la première option.

-Comment sais-tu qu'il ne s'agit pas des doigts d'un autre homme ?

-Il y avait sa chevalière avec.

Elle montra l'anneau autour de son propre index. Le corbeau de profil des Lestrange y était gravé.

-Tu la portes, remarqua-t-il.

-C'est la seule chose que j'ai de lui

Carl n'avait jamais aimé. Il n'avait jamais connu le grand amour, juste des baisers insignifiants avec des filles insignifiantes. Mais en observant une femme aussi puissante que Cassiopeia être détruite par l'absence de son amant, il se disait que l'abstention d'aimer n'était pas si mal.

-Comment puis-je t'aider ?

-En m'aidant à le récupérer. Tu connais le Château Royal mieux que personne. Tu sais où se trouvent les cachots. Tu pourrais m'y conduire.

-Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans le mot "exil" ?

Elle se tut. Il s'en voulu d'avoir été aussi sec, mais elle devait comprendre qu'il ne pouvait pas l'aider. Et qu'il en était désolé.

-Je sais que tu peux entrer au Danemark, reprit-elle, un peu plus faiblement. Grindelwald avait prévu que t'y envoyer.

-Dans plusieurs mois, oui. Il y a une part du territoire qui est à moi, et où personne ne peut rien me faire. Mais dès l'instant où je poserai le pied sur le territoire de mon frère, ils n'hésiteront pas à me tuer.

-Ils ne peuvent pas te tuer. Tu es un prince.

-Prince ou pas, je suis un assassin.

Aussitôt, il regretta ses mots. Il était allé trop loin. Elle allait poser des questions. Et il n'était pas prêt à y répondre. Cependant, elle ne dit rien. Peut-être parce qu'elle savait déjà.

-Pourquoi devais-tu te rendre au Danemark ?

Encore une question à laquelle il n'aimait pas répondre. Surtout pas à elle.

-Je ne suis pas censé te le dire, grogna-t-il.

-Parce que ça me concerne ?

-Tu peux arrêter de lire dans mon esprit ?

-Je n'ai rien fait. Mais je suppose que ça veut dire oui.

Maligne. Très maligne. Finalement, le lui dire ne causera rien de mal. Il finit par s'en convaincre et déclara :

-Je devais aller récupérer des oeufs de dragon.

Ses yeux s'arrondirent. La surprise l'avait prise de court.

-Pourquoi faire ?

-Pourquoi crois-tu que Grindelwald a insisté pour que tu apprennes à te battre quand tu utilisais la Mortemencia ? Il ne veut pas que tu contrôles des humains, il veut que tu contrôles des animaux. Des animaux très dangereux.

-Quand il disait qu'il voulait brûler le monde, c'était littéral.

Il n'avait jamais pensé à ça, mais à présent, les paroles de Grindelwald prenaient sens.

-Une fois tu as demandé l'utilité que j'avais. Tu as ta réponse.

-Il t'a promis le trône en retour ?

Son regard fuya le sien.

-C'est naïf, je sais.

-Un peu.

Sa sincérité eut le mérite de le faire sourire.

-Combien d'oeufs dois-tu ramener ? demanda-t-elle.

-Cinq. Les jumelles sont censés en rapporter trois de plus de l'Espagne.

C'étaient pour cela qu'elles étaient parties se battre là-bas. En fait, non. Elles n'étaient pas parties se battre. Elles tentaient juste d'extraire des mains du Gouvernement espagnol les oeufs qu'ils gardaient jalousement. Ils savaient l'usage qu'allait en faire Grindelwald. Le monde entier espéraient que ces oeufs n'écloreraient jamais.

-Les oeufs du Danemark se trouvent sur mon territoire. Je n'étais jamais censé me rentre au Château.

-Si nous sommes assez discrets, ils ne remarqueront rien.

-Je ne suis pas sûr que...

-S'il te plaît, Carl.

Son nom avait une sonorité différente sorti de sa bouche. Il se demanda si elle usait de son naturel pouvoir de séduction ou si c'était juste sa manière de parler.

-Si mon frère me capture, je suis un homme mort.

-Il ne lèvera pas la main sur toi. N'oublie pas de quoi je suis capable.

Oh non. Ceci, il ne risquait pas de l'oublier. Elle contourna la table et s'approcha de lui. Un instant, il redouta ce qu'elle s'apprêtait à faire. Mais avant qu'il ne songe à se défendre, elle l'enlaça. Son parfum lui monta au nez, le rendant pantelant. Cassiopeia Black l'enlaçait.

Il devait sûrement rêver.

-Merci, murmura-t-elle.

Il voulut dire "de rien", mais les mots se boquèrent dans sa gorge. Finalement, elle se détacha. Elle paraissait tout aussi surprise de son geste.

-Je dois retourner au Palace. On m'attends pour de nouveaux ordres.

-Je ne pensais pas que tu serais le genre à te sacrifier par amour.

Elle esquissa un sourire triste.

-Moi non plus.

Quand elle atteint la porte, une dernière question fusa dans son esprit.

-Si Grindelwald te demande de brûler le monde, le feras-tu ?

Parce que c'était probable que ça arrive. Avec des créatures telles que les dragons, tous les devins étaient capables de prédire la fin du monde. Mais pour quelle raison le faire ? Dans quel intérêt ? Devenir dirigeant de terres de cendres ? Affirmer son pouvoir sur des cadavres ?

-Bonne question, dit-elle.

Pas un mot de plus.

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