XXIV. 25 novembre 1940 - le prince
Cassiopeia frissonna sous sa cape. Un vent glacé balaya ses cheveux blonds en arrière. L'hiver se faisait nettement ressentir, plus encore qu'en Angleterre. Une couche de neige soupoudrait même la montagne.
Le château de Nurmengard se dressait sur une colline, donnant l'impression d'être la pointe de la montagne. Grindelwald menait le groupe dans l'escalier de pierre délabré. Des herbes sauvages, fines par la température glaciale, se frayaient un chemin dans les failles, menaçant de faire écrouler quelques marches. Marcher dessus et se savoir à des kilomètres au dessus du vide ne la rassura guère.
Son pieds glissa au moment ou cette pensée fusa son esprit. Des pierres se détachèrent et cognèrent l'énorme paroi, se jetant impunément dans le vide. L'écho répéta leur chute. Le bras de Perseus entoura brusquement sa taille, la ramenant contre lui. Elle continuait de regarder l'énorme cavité qui lui faisait face.
-Ça va ? s'inquiéta-t-il.
Sa respiration était difficile à reprendre. Ce n'était peut-être pas cet ascension qui lui faisait peur. C'était peut-être la guerre, en fin de compte. Se savoir si loin de sa famille afin de se battre, et ne pas savoir si elle allait revenir ou non. Elle avait déjà eu du mal à dire adieu à Walburga, essayant d'expliquer avec des mots simples qu'elle risquait de mourir là-bas. Partir loin d'elle lui avait fendu le coeur. Puis Dorea avait fait une crise quand elle lui avait annoncé qu'elle serait absente pour son mariage.
Ce n'était pas comme si elle avait le choix.
-Je vais bien.
Elle retira son bras et continua à monter. Les jumelles et Grindelwald étaient déjà en avance sur eux, elle ne souhaitait pas prendre plus de retard.
Après dix minutes de pénible marche, le château de Nurmengard se dressa enfin dans toute sa hauteur, accueillant froidement les nouveaux arrivants. Les deux imposants battants servant d'entrée étaient déjà ouverts. Au dessus de l'arc de pierre, il y était gravé "Pour le plus grand bien".
Grindelwald les attendait, appuyé contre le bois de la porte. Il l'observa contempler sa devise, un petit sourire posé dans le coin de sa lèvre. Perseus jeta un coup d'oeil rapide sans y porter beaucoup d'intérêt. Il était plus préoccupé par ses propres valises et celles de Cassiopeia qu'il faisait léviter. Les jumelles étaient déjà rentrées.
-C'est vous qui avez construit ce bâtiment, n'est-ce pas ?
-En effet.
Elle s'en doutait. Elle avait entendu parler de ce château et de sa récente construction. L'austérité dont faisait preuve le bâtiment ne relevait pas d'une grande architecture, mais elle transmettait le juste nécessaire : la crainte. Les murs étaient gris, ternes mais épais et agressifs. Les fenêtres n'étaient pas grandes, mais hautes, comme des meurtrières. L'objectif de ce château n'était pas d'être beau, mais de les protéger.
-Pourquoi l'Autriche ? se surprit-elle à demander.
-Je suis né ici. Ma famille était autrichienne.
-Qu'en est-il de votre famille à présent ?
Il garda le silence et se dirigea vers la porte, ignorant sa question. Cassiopeia ne sut comment l'interpréter. Peut-être était-ce trop sensible pour lui. Peut-être les détestait-il tellement qu'il refusait d'en parler. Sa réponse resta en suspens et elle lui emboîta le pas.
L'intérieur était encore plus austère. Les murs nus dégageaient une froideur plus glaçante que la température ambiante. Les couloirs étaient étroits et la luminosité faible. Malgré cet absence de raffinement, Cassiopeia s'y sentit en sécurité. Dressé sur une colline aussi escarpée, personne ne viendrait les attaquer. Elle pouvait ressentir les sorts de protection qui entouraient les lieux.
Cependant, tout bien-être s'évanouit quand elle posa un pied dans ce qui servait de salon. Elle percuta deux yeux bleus aussi froids que le dehors. Un nez retroussé, un menton dédaigneusement relevé, tout ce qu'elle avait toujours haïe. Une colère subite éclata dans sa poitrine.
Elle avait rêvé des millions de fois la revoir pour pouvoir lui trancher la gorge.
Visiblement, son jour était venu.
-Sale cruelle, menteuse, hypocrite ! hurla-t-elle.
Elle se serait jetée sur elle si Perseus ne l'avait pas retenu. Malgré ses tentatives pour se dégager, il était plus fort qu'elle. Ses deux bras l'emprisonnaient fermement, l'empêchant de réaliser sa promesse. Ne comprenait-il pas que Vinda Rosier avait plus d'utilité morte ? Il s'était lui-même dressé contre elle en libérant Callidora, pourquoi ne la laissait-il pas trancher sa gorge si délicate ?
-Tu n'es pas mieux, prononça-t-elle avec son odieux accent français et un ton de supériorité.
Écraser sa jolie petite tête contre les murs de pierre, voilà ce qui lui démanger de faire.
-Les filles, voyons, s'interposa Grindelwald. Nous sommes tous dans le même camp, il n'y a pas d'ennemi ici.
-Je ne serai jamais dans le même camp que ce monstre ! se défendit-elle en essayant encore de lutter contre l'emprise de Perseus.
-Un monstre, rit-elle doucement. N'exagères-tu pas un peu ?
Elle pourrait la tuer par l'esprit. Lui tordre son cerveau, le contorsionner dans tous les sens possibles. Oui, elle pourrait. C'était même tentant.
-Non, trancha le mage noir.
Elle penserait à protéger ses pensées la prochaine fois.
-Je suis au courant des rivalités entre vos familles. Mais vous êtes ici pour une cause commune. Toutes les deux.
-Vous vous êtes bien gardés de nous dire qui nous attendait ici, n'est-ce pas ? cracha-t-elle.
-Comme je l'ai dit, j'étais au courant de vos rivalités.
Intelligent de sa part, très intelligent. Et voilà qu'elle s'était faite prise au piège comme une idiote. Vivre sous le même toit qu'une Rosier était un manque de respect pour sa famille, pour Callidora. Ses poumons brûlaient. Son esprit menaçait d'exploser. Elle voulait la détruire. La brûler vive. La tuer.
-J'espère qu'il n'y aura aucune rivalité avec moi, en tout cas, prononça une voix étrangèrent.
Cassiopeia avait été tellement aveuglée par sa rage qu'elle ne s'était pas apperçue des autres présences. À part les jumelles qui contemplaient Vinda d'un oeil mauvais, un jeune garçon s'avança vers elle, les mains dans les poches. Ses cheveux ébènes étaient ramenés derrière ses oreilles, lui donnant un air faussement innocent. Une cape rouge étaient posée sur ses épaules ; une fourrure la complémentait ainsi qu'une épaisse chaîne en argent qui joignait les deux bords. Un emblème ornait le tissu. Elle ne sut le reconnaître.
-Je vous présente Carl Nielsen, fit Grindelwald avec un peu plus de contentement, Prince du Danemark.
-Le Danemark nous a considéré comme son ennemi, fit remarquer Perseus.
Cassiopeia sentit son emprise relâcher. Elle se fit violence pour se désinteresser totalement de Vinda. Le prince l'intriguait suffisamment.
-Mon beau-frère, oui. Pas moi.
-Et Sa Majesté nous sera-t-elle d'une quelconque utilité ? ironisa-t-elle.
-Je possède quelque chose qui pourrait fort être utile, oui.
Elle haussa un sourcil, en rien convaincue.
-Mais ce sera pour plus tard, le coupa Grindelwald. Voici Cassiopeia Black, Perseus Lestrange, issus des plus puissantes familles sang-pur d'Angleterre. Doliona et Hyades Duchesses, de l'aristocratie française.
-Enchanté, salua-t-il avec un sourire éclatant.
Il était charmant, vraiment très charmant. Mais il ne respirait définitivement pas la confiance. Et Perseus sembla penser la même chose, puisqu'il resta sur ses positions, une main posée possessivement sur sa hanche.
-Monsieur Nielsen, et si vous accompagniez nos nouveaux résidents vers leur chambre ? proposa Grindelwald.
-Avec plaisir.
Cassiopeia fut la première à sortir de la pièce, pressée d'installer de la distance entre elle et Vinda. Elle espérait que sa présence ici ne soit pas permanente. Ou elle s'arrangerait elle-même pour un départ imprévu. Il y avait toujours une solution à tout.
L'étage était un peu plus spacieux que le rez de chaussée. Les appartements des jumelles et d'elle et Perseus se rejoignaient en une pièce commune. Cassiopeia fut rassurée du fait qu'ici, Vinda ne mettrait pas les pieds. Elle apprit que Carl aussi y aurait accès, puisqu'il occupait la troisième et dernière chambre du premier étage. Le soulagement qu'elle ressentit s'envola.
-Vous ne m'aimez pas, n'est-ce pas ? remarqua-t-il après que les jumelles aient refermé la porte de leur chambre.
-Non.
La pièce commune possédait une cheminée, puis une tapisserie rouge brodée. Un canapé en velours était disposé face à l'âtre. Il n'y avait pas grand chose d'autre. Tout comme la demeure dans son ensemble, les salles se montraient assez austères.
-Pourquoi ?
-Parce que, techniquement, vous êtes notre ennemi, fit-elle en le regardant dans les yeux.
Perseus lui jeta un coup d'oeil à la dérobée puis s'engouffra dans leur chambre, les valises à sa suite.
-Mon beau-frère et moi avons des idées bien distinctes. Ce n'est pas en mettant les gens dans le même paquet que vous allez vous faire des alliés.
-Nous avons assez d'alliés pour nous permettre une chance de gagner. Nous n'avons pas besoin d'un Prince.
Elle insista bien sur le dernier mot, laissant transparaître une petite note ironique.
-Je sens que vous allez prendre plaisir à me rappeler mon titre.
-Ce n'est pas tous les jours que l'on entretient une conversation avec un membre de la royauté.
Elle réalisa une petite révérence, histoire de bien clore la discussion. Il étouffa un petit rire, les mains toujours enfoncées dans les poches de son pantalon.
-Si vous avez besoin d'aide pour votre installation, je suis juste à côté.
Il partit d'un côté, elle s'en alla de l'autre. Dans la chambre, Perseus déballait leurs affaires, dépliant soigneusement ses costumes. Elle referma la porte et inspecta la pièce. Un lit deux places, deux fenêtres, deux armoires. La simplicité même.
-Si je croise une fois Vinda dans les couloirs, je jure de la tuer, échappa-t-elle en s'affalant sur le lit.
Il grinça si fort qu'elle eut peur qu'il ne se casse. Perseus fixa l'objet avec suspicion, paralysé dans son geste.
-Évite de te jeter dessus la prochaine fois.
C'était mieux, surtout si elle ne voulait pas se retrouver par terre juste après. Elle se redressa sur ses coudes, observant ses moindres faits et gestes. Il paraissait assez absorbée par son lissage de vêtements pour ne pas prêter attention à elle.
-Je te déconseille de t'en prendre à Vinda, déclara-t-il finalement, après deux bonnes minutes de silence. Elle est le bras droit de Grindelwald.
-Je pensais qu'il l'avait renvoyée, grimaça-t-il.
-Apparemment pas.
Il s'empara de ses pantalons et les déposa sur une étagère de l'armoire.
-Perseus ?
-Quoi ?
Atterrissant sur ses pieds, elle s'approcha assez près de lui pour pouvoir déposer ses mains à plat sur son torse, l'empêchant ainsi de refaire un allé retour entre la valise et l'armoire.
-Tu es distant.
Ses mains remontèrent son cou et il frissonna à son contact. Les murs semblèrent se refermer sur eux. Leur souffle se mêla, s'entrechoqua.
-Il est charmant. Charismatique. Riche.
-Perseus, non. Pas ça.
Ses doigts recouvrirent sa bouche. Il la regarda avec une incompréhension suppliante, dans l'attente de mots qu'il espérait entendre. Cassiopeia lui donnerait tout ce qu'il désirait. Absolument tout.
-Je t'interdit d'être jaloux. Carl est un prince arrogant avec qui je n'ai parlé qu'une seule fois, et crois-moi, je n'ai pas l'intention de mener notre relation plus loin que simples compagnons de guerre. Tu es tout pour moi, tu m'entends ? Absolument tout. Et je me fiche de la pauvreté de ce château, de son manque de décoration, de la froideur de ce pays, parce que tu es là. Et ça me suffit amplement.
Elle retira ses doigts et l'embrassa. La neige aurait facilement fondu sous la tendresse de ce geste. Il répondit à son baiser avec plus de force. Sa langue caressa l'intérieur de ses lèvres, ses mains s'aventurèrent sous sa cape, tout autour de sa taille. Il la poussa sur le lit. Un grincement sinistre s'éleva des planches qui soutenaient le matelas. Ce détail fit glousser Cassiopeia.
-On a dit de plus se jeter dessus.
Il avala ses mots dans un énième baiser, cherchant toujours plus profond. Cassiopeia gémit sous la pression, totalement abandonnée à ses bras. Les battements de son coeur s'accélérèrent et le bas de son ventre pétilla quand il glissa une main sous sa jupe.
-Et si nous inaugurons ce lit grincheux ?
-Oh, rien ne me ferais plus plaisir.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top