=== Épilogue ===


Razilda frappa un coup rapide à la porte et entra sans attendre de réponse. Eliz était installée à son bureau au milieu de plusieurs piles de papiers plus ou moins bien triés. Elle leva la tête et sourit à sa compagne avant de se replonger dans son travail. À travers la fenêtre qui illuminait la pièce, la mer scintillait au loin.

Razilda fit le tour du bureau et déposa un baiser sur les cheveux d'Eliz. Elle se pencha par-dessus son épaule et jeta un coup d'œil sur les documents qui accaparaient son attention.

– Le vieux Goldschmidt ne s'est toujours pas débarrassé des brigands qui infestent ses terres ? s'exclama-t-elle en riant.

Eliz tourna la tête vers elle et soupira avec résignation, frottant ses tempes douloureuses.

– Pourtant, tu lui avais déjà envoyé des troupes, n'est-ce pas ?

– Visiblement, il n'a pas su quoi en faire, grommela Eliz avec mauvaise humeur.

– Cette histoire ne sera pas réglée, tant que tu ne te seras pas envoyée toi-même, constata Razilda.

– C'est effectivement ce que j'envisageais. Ses terres ne sont pas loin et ça me changera un peu de toute cette paperasse.

Eliz s'appuya lourdement sur le dossier de son fauteuil et bascula la tête en arrière vers Razilda. Celle-ci lui posa une main sur l'épaule en signe de soutien et Eliz entrelaça ses doigts avec les siens.

– Je te manquais juste, ou tu voulais me voir pour quelque chose en particulier ? demanda-t-elle doucement.

De sa main libre, Razilda plaqua sur le bureau déjà largement encombré, plusieurs feuilles de papier couvertes de son écriture élégante.

– J'ai rédigé les invitations pour nos amis, annonça-t-elle. Je me suis dit que tu aimerais y jeter un œil et signer avant que je les envoie.

Eliz les lut et hocha plusieurs fois la tête.

– C'est parfait, dit-elle avec affection. Il y a tellement longtemps que nous nous sommes vus.

– La dernière fois, c'était il y a deux ans, pour la prise de poste de Yerón à l'Université de Pwynys, rappela Razilda.

Eliz décala son fauteuil pour faire face à sa compagne. Elle leva la tête vers elle, un léger sourire aux lèvres :

– Deux ans... il s'en est passé des choses depuis. Nos amis doivent absolument rencontrer notre petite Cassandra. Tu crois qu'ils seront surpris ?

Razilda rit franchement.

– J'en suis persuadée ! Saï va s'en étrangler, c'est obligé !

Elle récupéra les lettres et les plia avant de les cacheter sur un coin du bureau.

– Je vais aller les déposer au port, dit-elle encore. Je ne rentrerai qu'en fin d'après-midi, j'ai un informateur à voir.

– Toujours ton enquête sur le Maître de la Guilde des Orfèvres ?

Razilda acquiesça avec un sourire mauvais et referma théâtralement son poing dans le vide.

– Je finirai bien par prouver ses malversations, je suis plus retorse que lui.

– Fais attention à toi ! lui lança Eliz alors que la porte du bureau se refermait sur elle.

– Ne t'inquiète pas, tu sais bien que je suis là pour la protéger ! lança la voix d'Améthyste.

– Améthyste a toujours l'air de penser qu'elle est la seule responsable de l'adresse au combat de Razilda, railla Griffe dont le fourreau était appuyé sur le côté du bureau.

– Parce que ce n'est pas ton cas ? rit Eliz en se remémorant un millier de remarques de la part de son arme.

Elle se carra dans son fauteuil et son regard se perdit un instant sur la porte. Machinalement, elle fit tourner l'anneau d'argent qu'elle portait à l'annulaire et un sourire satisfait étira ses lèvres.

***

Sous les hauts plafonds du hall de la Grande Université de Pwynys, les étudiants riaient, parlaient fort et s'interpellaient bruyamment.

– Tu as qui cette année ?

– Oh la la, pas de chance, ma pauvre !

– Poussez-vous, je suis en retaaard !

– Oh, regardez, c'est lui !

Cette dernière phrase fut reprise par plusieurs bouches, et un frisson agita les couloirs.

Yerón descendait le grand escalier. Des rouleaux de parchemin coincés sous son bras, il feignit d'ignorer les remous que son apparition avait causés. C'était la même chose à chaque début d'année. Les nouveaux étudiants curieux le regardaient toujours passer avec un ébahissement respectueux. Dans quelques jours, certains commenceraient à s'enhardir à l'aborder pour lui poser une multitude de questions. Et au bout d'un mois, ils ne le considéreraient plus que comme un professeur comme les autres. Enfin, un peu meilleur que les autres, espérait-il.

Être la célébrité de l'Université ne le dérangeait pas vraiment, au contraire. La plupart du temps, son prestige lui permettait d'obtenir plus facilement ce que ses collègues bataillaient parfois à avoir. Du matériel pour ses cours, des crédits pour un voyage d'études, ou même la simple attention de ses élèves.

Le poste qu'il occupait avait été créé spécialement pour lui. Après qu'il eût relaté en détail ses découvertes à l'Assemblée des Sages, et que celle-ci fût parvenue à surmonter son incrédulité première, ils avaient convenu ensemble des connaissances qui pouvaient être diffusées et de celles qui valaient mieux garder secrètes. Il leur avait fallu un an de plus pour décider d'enseigner les subtilités de Tilmaën à l'Université. Yerón avait accepté le poste sans hésitation et avait constaté qu'il adorait transmettre son savoir. Il disposait d'une myriade d'anecdotes pour émailler ses cours, et ses étudiants en étaient friands.

Yerón enfouit une main dans sa poche et tâta la missive qui s'y trouvait. Il ne put retenir un sourire. L'invitation d'Eliz et Razilda le ravissait. Sa vie actuelle le comblait, cependant ses amis lui manquaient toujours un peu. Il passa une main sur la légère barbe blonde qu'il se laissait pousser. Auraient-ils des remarques sur sa nouvelle apparence ? Même si c'était le cas, il avait hâte de les entendre.

Le jeune homme poussa la porte de l'amphithéâtre dans lequel il donnait son premier cours du matin.

– Bonjour à tous, annonça-t-il d'une voix forte pour couvrir le brouhaha des discussions. Je suis Yerón l'Éclairé et je serai votre professeur pour ce cours d'Initiation à Tilmaën, le Principe qui régit notre Monde.

Les étudiants trépignèrent de joie et le tonnerre résonna sur les gradins.

***

Saï se laissa glisser du dos de Tempête et ôta son casque. Elle secoua ses longs cheveux noirs qui tombèrent en cascade sur ses épaules et s'essuya le front du revers de la main. Dans la cour du fortin, un jeune garçon courut vers elle. C'était leur dernière recrue. Ils étaient désormais six dans le groupe qui s'était formé autour d'elle.

– Saï ! appela-t-il. Est-ce que ta mission s'est bien passée ?

L'interpellée rit en se frottant l'arrière du crâne.

– Le docteur était un peu réticent à monter en croupe, je te le cache pas. Mais on est arrivé à temps. La mère et le bébé se portent bien.

Le visage du jeune garçon s'illumina.

– Tant mieux !

Il se mit soudain à fouiller dans sa ceinture et en sortit une lettre froissée.

– Tiens, j'ai récupéré du courrier pour toi !

Saï s'en empara avec impatience. Elle reconnut le sceau et le rompit avec empressement pour lire la missive. Un cri de joie lui échappa.

– Eliz et Razilda nous invitent à Riven ! s'écria-t-elle. Je dois aller avertir Kaolan tout de suite. Préviens les autres que je repars !

Elle remit aussitôt son casque et grimpa sur le dos de Tempête. Le griffon prit son envol d'un bond puissant. En regardant l'édifice qui s'éloignait sous elle, Saï songea furtivement que c'était la première fois qu'ils s'étaient établis aussi longtemps en un lieu sans devoir s'enfuir. Elle estima qu'il s'agissait d'une victoire. Même s'ils devaient œuvrer en cachette, les services qu'ils rendaient à la population leur gagnaient peu à peu l'opinion publique. Certains Cavaliers Célestes étaient même secrètement de leur côté, fatigués qu'ils étaient du poids des traditions. Trilyu en faisait bien sûr partie. Elle ne comptait plus le nombre de fois qu'il l'avait prévenue d'une intervention de Cavaliers à leur recherche ou qu'il leur avait fourni du vieux matériel dont plus personne ne voulait.

La forêt était déjà en vue. Avec une adresse qui témoignait d'une longue habitude, Tempête plongea vers la clairière qui servait de lieu de rendez-vous à Saï et Kaolan. Puisque les joyaux offerts par Tilmaën empêchaient les êtres humains de pénétrer sur le territoire des hommes-félins, les deux jeunes gens avaient dû se montrer créatifs pour continuer à se voir.

Saï se souviendrait toujours du moment où Kaolan avait incrusté l'émeraude dans le tronc du chêne immense qui s'élevait au centre de son village. La première et la dernière fois qu'elle avait pu le voir de ses propres yeux. Les huttes dans les arbres, les passerelles et les échelles de corde qui les reliaient entre elles, tout l'avait émerveillé. Malgré l'hostilité dans les regards du peuple-félin réuni qui la dévisageait elle et Tempête, elle était demeurée aux côtés de Kaolan. Il avait enfoncé le joyau dans l'écorce aussi facilement que dans du beurre. Et elle était restée incrustée là, étincelant de tous ses feux. Un frisson avait parcouru Saï et elle avait aussitôt ressenti le besoin inexplicable de quitter les lieux. Avec Tempête, elle avait encore accompagné son ami dans les quatre autres clans qui occupaient l'île où il avait solennellement répété la même cérémonie.

Depuis, elle avait tenté de retrouver le village de Kaolan, espérant follement que, peut-être, une exception aurait pu être faite pour elle. En vain. Aux yeux de l'émeraude protectrice, elle n'était qu'une humaine comme les autres.

Saï démonta et se dirigea vers un jeune hêtre. Elle escalada les premières branches pour tâtonner dans le trou qui s'ouvrait sur son tronc. Elle dénoua la corde qui y était fixée et tira dessus énergiquement. Ce faisant, elle fit grimper jusqu'au sommet de l'arbre le fanion jaune qu'ils y avaient accroché. Si Kaolan était disponible, il ne tarderait pas à venir la rejoindre. En attendant, elle s'assit au pied de l'arbre et s'appuya contre le flanc de Tempête. Une petite sieste ne serait pas de refus.

Un léger coup d'aile la réveilla. Saï se releva en hâte, juste à temps pour voir Kaolan atterrir devant elle depuis l'arbre le plus proche. Il gratta d'abord la tête de Tempête avant de venir enlacer la taille de Saï.

– Tout va bien ? s'enquit-il avec sollicitude. Ta venue n'était pas prévue si tôt.

– Tout va mieux que bien ! répondit Saï, rayonnante. Nous sommes invités à Riven.

Elle lui tendit la lettre et trépigna d'impatience pendant qu'il la lisait.

– Je pense souvent à nos amis, avoua Kaolan. Ils me manquent vraiment.

– Nous embarquerons le mois prochain, conclut Saï. J'ai tellement hâte de retrouver tout le monde.


FIN

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Eh bien voilà, nous sommes arrivés au bout de cette histoire ! J'espère qu'elle vous a plu (enfin, si vous êtes arrivés jusqu'ici, je suppose que oui...) !

Un énorme merci pour avoir partagé cette aventure, et n'hésitez pas à me suivre pour être au courant de mes futurs projets !


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