16- "Tous ces livres que je n'ai pas eu le temps de consulter..." 3/3


À cette implication, les deux Rivenz se regardèrent, les yeux agrandis. Yerón réagit aussitôt.

– Qu'est-ce que cela veut dire ? interrogea-t-il fébrilement. Eliz ? Hermeline ? Vous nous aviez dit que les Armes de Loyauté ne se transmettent pas à l'intérieur d'une famille. Que deviennent les armes à la mort de leur porteur ?

– Elles sont rendues au Palais, expliqua Hermeline. Puis elles sont conservées dans un complexe spécial.

– Où est-il ? Nous devons absolument aller interroger cette Améthyste !

– Je l'ignore, soupira amèrement Hermeline, cela fait visiblement partie des informations qui ne m'ont pas encore été communiquées.

Yerón se tourna vers le Bibliothécaire.

– S'il vous plaît ? Puis-je effectuer cette recherche ?

– Bien sûr, venez ! répondit simplement celui-ci en se levant.

– Attendez un instant, les arrêta Eliz d'une main en l'air. N'importe lequel d'entre nous pourra faire cette recherche tout à l'heure. Pour l'instant, je pense que nous devrions vraiment mettre en commun nos idées et nos ressentis tant que c'est encore frais dans nos têtes.

Le Bibliothécaire retourna vers ses multiples bureaux pour leur laisser un peu d'intimité pendant leur réflexion. Yerón ne pouvait qu'être d'accord avec Eliz. Même s'il n'avait pas l'habitude du travail de groupe, il savait que ses amis pouvaient avoir des idées qui ne lui seraient jamais venues à l'esprit.

– Par exemple, continua Eliz, tu nous as bien dit que ton maître faisait des recherches sur l'origine des pouvoirs pwynys, n'est-ce pas ? Et en se fiant aux bases de sa documentation, on se retrouve à toucher du doigt quelque chose qui serait plutôt à l'origine des pouvoirs sulnites. Y a que moi qui ai envie de faire le lien ?

Yerón garda le silence, le front plissé. Évidemment que la corrélation était tentante, toutefois les implications étaient tellement énormes qu'ils n'osaient pas franchir le pas.

Saï, par contre, n'avait aucune inhibition à ce sujet.

– Tu veux dire qu'il pourrait y avoir ces espèces de puits avec cette énergie bizarre sur toutes les îles ? s'écria-t-elle. Et que ce serait l'origine de vos pouvoirs ? Et...

Ses yeux s'élargirent soudain.

– Et des œufs de griffon ? Et du métal sur Riven'th ? ajouta-t-elle surexcitée.

Elle jeta un regard de pitié à Razilda.

– Dans ce cas-là, les hommes-félins ne seraient pas les seuls à avoir été laissés pour compte, dit-elle encore.

Yerón se tenait la tête à deux mains.

– Nous sommes tellement proches, se lamenta-t-il. Je suis sûr que la vérité est là, étalée devant nous et qu'il nous suffit d'établir les bonnes connexions !

– Les bonnes connexions, c'est ton boulot, dit Eliz avec un sourire en lui tapotant le bras. Nous, on ne peut que raconter tout ce qui nous passe par la tête pour te donner de l'inspiration.

Hermeline intervint soudain et se pencha vers le jeune homme, les yeux brillants :

– Yerón, tu te rends compte que si cette théorie est la bonne, tu as fini ! Tu as la réponse à tes questions et à celles de ton maître ! Et même à celles d'Aethel la Sage !

– Oui, c'est vrai, dit-il en se frottant la nuque avec embarras. C'est un peu vertigineux. Mais il y a encore des vérifications à faire, de l'exploration, des expériences peut-être...

Le silence retomba tandis que chacun réfléchissait.

– Il faudrait être sûr, dit soudain Kaolan. Si vos pouvoirs ont tous la même source, alors il s'agit certainement de ce que je recherche pour mon peuple. Mais comment y accéder ? Je ne sais plus par quel bout attraper le problème.

Razilda se mit à fouiller dans la pile de parchemins que Yerón avait recopiés. Elle en sortit le résumé de l'expédition disparue dans les entrailles de Riven'th.

– Je me demande si ceci ne pourrait pas servir de base, dit-elle d'un ton pensif.

– Comment ? s'étonna Eliz. Les chances que cela ait un rapport avec la quête de Kaolan sont infimes.

– Pas si sûr, continua Razilda, en retournant la feuille entre ses doigts. Nous avons deux occurrences de rassemblement de personnalités originaires de chacune des îles dont les hommes-félins sont exclus. Cette expédition, et l'assemblée de Kadwyn. Or, ce genre de rassemblement est rare, exceptionnel, même. Je n'ai jamais entendu parler d'autre événement de ce style.

– C'est vrai, moi non plus, appuya Hermeline.

– Je ne sais pas si c'est une coïncidence, mais je pense que ça mériterait d'être creusé.

– On pourrait peut-être faire des recherches sur les participants alors ? proposa Saï. Dans tous les cas, je suis curieuse de connaître la signification de cette histoire.

Son regard s'égara vers la cohue de rayonnages dans lesquels il faudrait se perdre à nouveau et son enthousiasme vacilla.

– Mais peut-être pas tout de suite, non ? dit-elle, presque suppliante. Je crois que ce dont j'ai besoin maintenant c'est de...

Elle s'interrompit et se gratta le crâne avec un rire gêné.

– C'est de faire la sieste ? proposa Eliz. Parce que si c'est le cas, je suis tout à fait d'accord avec toi. Je me sens aussi fourbue que si j'avais passé la journée à l'entraînement. Pourtant, nous ne devons pas être levés depuis bien longtemps.

– Je vote aussi pour une sieste, appuya Yerón en levant la main. Je n'arrive plus à réfléchir correctement. Je pense qu'un bon somme pourrait m'aider à trier toutes ces informations.

Le jeune homme pressa ses doigts contre son front pour assourdir la douleur qui y pulsait depuis qu'il avait quitté les vêtements de Kadwyn. Razilda se leva.

– J'en suis, c'est encore un sacré chantier là-dedans, dit-elle en se tapotant la tempe. Je n'apprécie pas trop de ne pas savoir si mes pensées viennent de moi ou d'un autre.

Kaolan parut soulagé.

– Je croyais être le seul dans ce cas, dit-il. J'ai l'impression d'avoir mangé un truc pas frais. J'aimerais bien le digérer avant de passer à autre chose.

Avec une telle communion de pensées, la suite du programme était évidente. Les cinq compagnons ayant participé à l'assemblée de Kadwyn se dirigèrent vers les chambres, en quête d'un repos que leurs corps, durement éprouvés par l'expérience, réclamaient à grands cris. Hermeline resta seule, après les avoir assurés qu'elle ne manquerait pas d'occupation. Elle relut les diverses notes qui avaient été prises et mit un peu d'ordre dans les parchemins avant de s'affaler, pensive, sur les gros coussins cylindriques. Une idée était en train de s'imposer à elle, et elle en pesait la pertinence. Après de longues minutes de ruminement, elle parut prendre une décision. Elle se leva pour tout préparer en attendant le retour de ses compagnons.

Moins d'une petite heure plus tard, Hermeline vit revenir ses amis les uns après les autres, bâillant et ébouriffés, mais l'œil plus vif que quand ils l'avaient quittée. Lorsqu'ils furent tous là, elle frappa brusquement des deux mains sur la table.

– Attendez un peu, avant de retourner vous perdre dans les dédales de la bibliothèque, dit-elle. J'aimerais profiter de ce que nous soyons ici, tranquillement installés au calme pour...

Elle promena son regard sur ses compagnons. Cherchait-elle de l'assurance, ou bien ménageait-elle simplement ses effets ?

– ... pour exécuter la Cérémonie de Transmission, acheva-t-elle.

– Quoi ? s'offusqua Eliz. Là, maintenant ? Sans public, sans un minimum de protocole ?

– Et pourquoi pas ? répondit Hermeline en haussant les épaules. Différer ne nous apportera rien. Je dois porter Soleil Triomphant pour rallier la noblesse à la Résistance. On ne peut pas attendre de récupérer le Palais Royal pour faire les choses dans les règles. Vous serez tous mes témoins et ce sera largement suffisant. Si vous voulez du gratin, j'ai déjà demandé au Bibliothécaire d'y assister. Ce n'est pas tous les jours qu'on a un demi-dieu sous la main.

« Tenez, attrapez ça, et apprenez-le, c'est le texte à lire pendant la Cérémonie, ajouta-t-elle.

La princesse envoya un rouleau de parchemin à Razilda, assise juste à côté d'elle. Prise de court, celle-ci réagit trop tard et il échoua par terre. Elle grimaça et ramassa l'objet pendant que la princesse s'éloignait.

La Cérémonie de Transmission était généralement partie intégrante du couronnement du nouveau souverain de Riven'th. Soleil Triomphant était un symbole de la royauté au moins aussi important que la couronne en elle-même. Mais les temps troublés appellent l'exception.

La princesse Hermeline Soltanhart serait la première à bénéficier de la version abrégée de la Cérémonie. Elle était toutefois si peu friande de cérémonial que tel aurait été son choix si on le lui avait proposé.

Soleil Triomphant trônait déjà sur la table, dans son fourreau chamarré de pierreries et le Bibliothécaire, qui ne s'était pas fait prier pour assister à la cérémonie, était assis un peu en retrait. L'encrier ouvert et la plume à la main, il était prêt à consigner ce fait sans précédent.

Hermeline se tenait debout, très droite et le visage grave. Elle était encadrée par Eliz et Razilda, tout aussi solennelles. De l'autre côté de la table, Saï avait pris place sur les coussins entre Yerón et Kaolan. La petite paysanne derujin n'en revenait toujours pas de pouvoir assister à une telle cérémonie. Celle-ci se serait-elle déroulée selon les us et coutumes au palais royal de Riven, qu'elle aurait eu du mal à ne pas se lever à chaque instant pour clamer au noble public « C'est mon amie ! », « On est parties à l'aventure ensemble ! ». Elle entoura ses genoux de ses bras et ouvrit grand les yeux pour ne pas en perdre une miette.

Du regard, Hermeline vérifia encore une fois tous les détails, puis elle adressa un hochement de tête à Eliz.

Craignant d'oublier son texte, la Rivenz ne perdit pas de temps, et avança d'un pas pour se saisir respectueusement du Soleil Triomphant, en veillant bien à ne toucher ni la garde ni la poignée.

– Voici Soleil Triomphant, l'épée des souverains de Riven'th, annonça-t-elle d'une voix forte. Qui vient clamer son droit à la porter ?

Elle appuya le fourreau sur son avant-bras et présenta la poignée à Hermeline.

– Je suis Hermeline Soltanhart, fille d'Alarick VIII, mon sang est celui des reines et des rois de Riven'th. En ce jour, je viens clamer mon droit sur l'épée de mes ancêtres.

– En es-tu digne ? demanda Razilda.

– Elle est mon héritage, répondit Hermeline. Ce n'est qu'en la portant avec honneur et droiture que je pourrais prouver la noblesse de mon cœur.

– Acceptes-tu de te lier à cette arme et de la laisser lire en toi ? reprit Razilda.

– Je l'accepte.

– Si elle te rejette, accepteras-tu sa décision ? Accepteras-tu de renoncer au trône ?

– Je l'accepterai, répéta Hermeline, un léger tremblement dans la voix.

Saï sourcilla. Comment ça ? La Cérémonie de Transmission pouvait-elle échouer ? Pourquoi personne ne l'avait-il prévenu de ce détail ?

– Alors, devant cette assemblée, ne recule pas et prouve ta valeur, dit Eliz en présentant Soleil Triomphant.

Hermeline prit une profonde respiration. Saï la vit se tourner vers eux, cherchant involontairement leur soutien. Elle lui adressa des signes d'encouragement très peu protocolaires. Le masque guindé de la princesse s'assouplit légèrement et celle-ci pivota vers Eliz. La guerrière se permit un hochement de tête et un sourire motivant. De sa place, Saï devinait sans peine qu'elle était aussi anxieuse que la princesse elle-même.

Hermeline étendit la main et saisit la poignée de l'épée. Elle serra les dents alors qu'une vague de douleur crispait son visage. Mais elle ne lâcha pas et tira rapidement l'arme hors de son fourreau. Elle la tint verticalement, droite devant elle, offerte à la vue du public. Puis elle posa l'index de sa main gauche sur le fil de l'arme. En un geste vif, elle se coupa le doigt sur le tranchant effilé. Le sang perla et un mince filet écarlate coula sur la lame.

Le poing serré contre sa bouche, le cœur battant, Saï attendait, sans avoir la moindre idée de ce qu'elle attendait. Soudain, le sang disparut, comme absorbé par la lame chatoyante de Soleil Triomphant. Celle-ci flamboya un bref instant et le visage d'Hermeline se détendit. La douleur avait disparu.

La voix sans âge de Soleil Triomphant s'éleva alors, résonnant dans la bibliothèque d'un écho mystique.

– Hermeline Soltanhart, te voilà ma nouvelle porteuse. Je te servirai tant que tu serviras ton peuple. Que l'honneur guide toujours ton bras.

Soleil Triomphant n'était pas bavarde, et Hermeline ne ressentait aucun besoin de faire un discours, aussi la cérémonie se termina-t-elle sur ces derniers mots. La princesse effectua quelques passes avec sa lame ancestrale tandis qu'Eliz se frottait le nez pour masquer son émotion.

– Elle est devenue moins lourde, constata la princesse avec soulagement. Je craignais de ne pas avoir la force de la manier.

Puis elle la rengaina et fixa le fourreau sur sa ceinture avec une fierté évidente. Une étape symbolique avait été franchie, et même s'il restait encore beaucoup à faire, elle se sentait apaisée, comme justifiée dans ses prétentions.

– C'est bon, on peut y retourner maintenant ? interrogea soudain Yerón.

Malgré la solennité de la cérémonie à laquelle il venait d'assister, il était loin d'avoir oublié où il se trouvait, et il n'avait qu'une envie, celle de retourner enfouir son nez dans les livres.

Après un bref conciliabule, les compagnons s'éparpillèrent à nouveau dans les allées de la bibliothèque où ils passèrent le reste de la journée à compulser les anciens ouvrages.

Ils se retrouvèrent pour faire le point au pilier central quelques heures plus tard.

– J'ai fini par trouver l'emplacement de stockage des Armes de Loyauté, annonça Hermeline, la première à prendre la parole. Je vais devoir me pencher sur le sujet, surtout si nous y allons. Je ne suis pas sûre d'apprécier ce que j'ai lu.

Visiblement très las, Yerón enchaîna en s'asseyant lourdement :

– « Source d'énergie magique », « Puits », « Crevasses », toutes ces recherches n'ont rien donné.

– Moi, j'ai appris plein de trucs sur les Disparus de Riven'th, dit Saï à son tour. J'ai décidé de les appeler comme ça, ça sonne bien, non ? Plein de trucs sur leur vie d'avant. Mais ça n'explique pas grand-chose sur leur disparition. Tenez, par exemple, le représentant jezzeran était un grand prêtre de Soltan. Étonnant, non ? Je pensais que ce serait un prêtre de Burkan, le dieu volcan. Vous vous souvenez ? Jabril n'évoquait que lui. Mais le prêtre n'en parle jamais.

– La représentante de Jultéca'th était une noble dignitaire, celle de Sulnya'th une doctoresse renommée et celle de Pwynyth' une artisane reconnue, une souffleuse de verre, continua Kaolan, alignant les faits avec beaucoup moins d'enthousiasme que Saï. Ça ne nous avance pas beaucoup.

Tous deux chargèrent Yerón des notes dont ils avaient studieusement couvert plusieurs parchemins.

– Que désirez-vous faire, maintenant ? interrogea Eliz. Avons-nous fait le tour ? Yerón a visiblement bien progressé sur le sujet qui le préoccupe. Mais qu'en est-il de nous ? Saï va devenir une pointure en ce qui concerne l'élevage de griffons et la vie il y a six-cents ans, mais Kaolan n'a rien trouvé de suffisamment précis. Razilda et moi allons être incollables sur l'histoire et la géographie sulnite sans que cela nous avance le moins du monde.

– Tu ne pouvais quand même pas t'attendre à trouver un mode d'emploi sur la façon de gagner la guerre, fit judicieusement remarquer Saï.

– J'avoue que ça m'aurait bien arrangée, déplora Eliz avec une moue. J'aurai adoré apprendre qu'il suffirait de frapper un Sulnite sur la troisième côte pour qu'il disparaisse en fumée, par exemple.

– Cela n'a pas d'importance, nous gagnerons la guerre par des moyens plus conventionnels, assura Razilda.

– Donc plus de recherches en vue ? insista Eliz. Plus de questions évidentes auxquelles il faudrait moins de trois jours pour trouver une réponse ? Pouvons-nous envisager de repartir ?

Elle observa ses compagnons l'un après l'autre, attendant leur réaction. Le conflit s'affichait en toutes lettres sur les traits de Yerón. Elle imaginait aisément le déchirement que pouvait éprouver le jeune homme à l'idée de quitter ce lieu de connaissance, mais la vie devait reprendre son cours. À moins que... Eliz sentit son estomac se nouer.

– Yerón, tu voudrais... tu voudrais qu'on te laisse ici ? hasarda-t-elle.

Le jeune homme sursauta et rougit, comme si la guerrière venait de dévoiler à tout le monde un de ses honteux secrets. Il repoussa ses cheveux en arrière pour se donner une contenance. Saï tourna vers lui un regard angoissé.

– Je ne peux pas nier y avoir déjà pensé, avoua Yerón en se mordillant un ongle. C'est tentant, mais mener des recherches en se coupant du monde n'aurait pas de sens.

« Et puis je connais le chemin, maintenant, ajouta-t-il avec un rire qui sonnait faux. Et les horaires. Je pourrais toujours revenir.

Personne d'autre ne s'éleva contre leur prochain départ. Aussi celui-ci fut-il fixé au lendemain après une bonne nuit de sommeil. Malgré leur désir de revenir au monde réel, nul n'avait hâte d'affronter à nouveau le froid mordant, la bise et la neige qui les attendaient dehors.

Le matin, lorsque toutes leurs affaires furent emballées avec soin, en particulier les nombreux parchemins de notes qu'ils avaient prises au cours de ces deux jours, ils retrouvèrent le Bibliothécaire devant le pilier central pour lui faire leurs adieux.

– Mes amis, je vous remercie pour ces journées qui m'ont été très instructives, dit-il pompeusement. J'espère de tout cœur que cette petite parenthèse en ces lieux vous a permis de trouver les réponses aux questions qui vous tourmentaient.

Les compagnons le remercièrent chaleureusement pour son aide et son amabilité. L'expression du demi-dieu redevint brièvement mélancolique et il leur assura qu'il avait si peu de visiteurs que c'était bien le moins qu'il put faire.

Ils s'engagèrent sur le grand escalier en spirale qui s'élevait jusqu'au sommet de la grotte. Bon dernier, Yerón s'élança à regret sur la première marche et se retourna soudain vers le Bibliothécaire.

– N'allez-vous donc nous donner aucune consigne ? demanda-t-il, presque agacé. Ne devons-nous pas garder le secret sur l'emplacement de la Bibliothèque ?

– Aucunement, répondit le vieil homme avec un sourire espiègle. J'ai bien trop peu de visiteurs pour désirer formuler une telle demande. Il vous incombera de gérer les informations que vous voudrez bien donner. Préférerez-vous révéler au monde le fonctionnement intégral de la Bibliothèque, et que tout un chacun puisse s'y rendre ? Ou bien opterez-vous pour la distillation d'informations opaques et cryptées que seuls les plus intelligents sauront décoder ? À moins que vous ne préfériez garder le silence absolu sur cette étape de votre aventure, pour vous sentir privilégiés ou pour protéger le contenu de la Bibliothèque de la malveillance ? C'est votre choix.

Yerón était stupéfait d'une telle désinvolture.

– Mais c'est une énorme responsabilité, se récria-t-il. Comment faire le meilleur choix ?

– Il n'y a pas de bon ou de mauvais choix, répliqua le Bibliothécaire. Seulement des conséquences plus ou moins désirables. Chaque choix apporte son lot de positif et de négatif.

– Mais alors, si la Bibliothèque est si difficile à trouver... intervint Razilda.

– Ce fut le choix de vos prédécesseurs, expliqua le Bibliothécaire. Par égoïsme, ou crainte, nul ne peut le savoir. Ne surestimez pas non plus l'intérêt des êtres humains pour la connaissance. Croyez-vous vraiment que beaucoup d'entre eux seraient prêts à effectuer un tel voyage, même en étant sûrs de la destination ? Je ne le crois pas.

Hermeline s'appuya sur la rambarde, un sourire joueur sur les lèvres.

– Et si, dès mon retour sur le trône, j'envoyais un contingent armé mettre le feu ici, ou s'emparer de vos précieux ouvrages ? suggéra-t-elle, narquoise.

Nullement amusé par cette idée, le Bibliothécaire se redressa de toute sa taille.

– Dans ce cas-là, Votre Altesse, dit-il d'un ton pincé, je n'aimerais pas être à leur place lorsque je déplacerai l'entrée vers une autre île quand ils se trouveront dans le passage. Ce doit être extrêmement douloureux.

Hermeline sourit et agita la main.

– Détendez-vous, je ne le ferai pas, mais votre laisser-aller m'inquiète un peu, je l'avoue. Si vous avez des moyens de défense, alors je suis rassurée.

La princesse gravit encore quelques marches avant de se retourner à nouveau.

– Par contre, envoyer un contingent d'érudits pour une session d'études... me paraît une idée à garder, dit-elle.

Le Bibliothécaire s'inclina légèrement.

– Vous avez dix ans pour concrétiser cette idée, ou bien le voyage vous coûtera bien plus cher, répondit-il avec un sourire.

Tandis que chaque marche l'éloignait un peu plus, Yerón promenait son regard sur les piliers élégants, les lanternes toujours allumées et le dédale des bibliothèques en dessous de lui, gravant chaque détail dans sa mémoire. Y reviendrait-il un jour ? En cet instant, c'était son vœu le plus cher.

La voix sonore du Bibliothécaire retentit soudain, en dessous d'eux, l'arrachant à sa mélancolie.

– J'ai effectivement une dernière consigne, cria-t-il. Si vous pouviez soigneusement refermer la trappe derrière vous, je vous en serais reconnaissant. Un rhume est si vite attrapé !


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top