16- "L'émotion de revenir sur les lieux de sa naissance." 2/3
– C'est une limace géante ! cria Saï d'une voix perçante, vibrante de terreur.
Son cri rompit l'atmosphère surnaturelle qui régnait dans la grotte, comme si l'heure n'était plus aux murmures respectueux. Paniquée, la jeune fille bondit se réfugier derrière Eliz.
– Qu'est-ce que c'est que cette horreur ? ne put s'empêcher de dire Razilda, les yeux agrandis d'effroi.
– Yerón, tu emmènes Saï et vous remontez sur le promontoire, ordonna Eliz d'une voix qui ne laissait pas place à la discussion. Impressionnant, je n'en avais encore jamais vus, des comme ça !
Malgré son épouvante devant cette apparition monstrueuse, le jeune homme n'hésita pas et attrapa le bras de Saï.
– Viens, dit-il seulement en l'entraînant.
Au jugé, ils se mirent à courir vers leur point d'arrivée dans la grotte.
– Mais... les limaces ne sont pas carnivores, n'est-ce pas ? Elle ne va pas forcément nous attaquer, ne put s'empêcher de dire Saï en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule.
– Je ne pense pas qu'elle ait atteint cette taille en broutant de l'herbe, se contenta de répondre Yerón en tendant la lanterne à bout de bras dans l'espoir de reconnaître la paroi par laquelle ils étaient arrivés.
– Nous tournons en rond, gémit Saï au bout d'un moment en trébuchant tous les deux pas, nous n'avons pas mis autant de temps à traverser à l'aller.
Ses yeux fouillaient l'obscurité avec angoisse, espérant reconnaître la corde de Razilda.
Pendant ce temps, les deux femmes restées en arrière se retrouvaient plongées dans l'obscurité.
– Et là, tu dois commencer à trouver que l'idée est moins bonne, non ? commenta Razilda alors que la masse énorme avançait vers elles à la lueur fantomatique de la lame de Griffe et des veines de maënite qui pulsaient dans la paroi rocheuse.
Deux énormes tentacules ornaient son front et deux autres oscillaient de chaque côté de sa bouche.
– Il faut leur laisser le temps de se mettre en sécurité, répondit brièvement Eliz, armant son bras.
– Nous sommes plus rapides que cette créature, argumenta encore Razilda qui luttait contre l'envie de la laisser se débrouiller seule dans le noir. En ce qui me concerne, en tous cas.
– Pas pour grimper à la corde. Mais vas-y, rejoins-les, je m'en sortirai bien toute seule.
Sans attendre de réponse, Eliz reporta son attention sur la bête massive qui s'approchait.
– Qu'en penses-tu, Griffe ? Par où on attaque un machin pareil ?
Étant parvenue à localiser précisément les intrus grâce au bruit qu'ils émettaient, la limace ouvrit une bouche démesurée et lança l'avant de son corps vers ses proies avec une vivacité surprenante. Eliz se jeta sur le côté et abattit son épée sur le flanc gélatineux de la bête. Le coup porta avec un bruit mou et l'animal se tordit. Il tendit les quatre tentacules vers la source de la douleur, balayant l'air violemment. Eliz se baissa mais ne put les esquiver tous. L'un des tentacules la percuta en pleines côtes. La force de l'impact l'envoya rouler au sol, le souffle coupé.
Razilda laissa échapper un soupir agacé. Ce combat commençait mal. Lorsque l'un des tentacules passa à sa portée en tâtant l'air, elle se fendit adroitement et le zébra de sa rapière. L'appendice se recroquevilla et cessa son manège, échaudé.
Eliz s'était vite relevée et, profitant de la distraction, attaqua l'arrière de la bête. Griffe Écarlate s'abattit sans relâche dans les chairs molles de l'animal. La guerrière se déplaçait sans cesse pour rester positionnée dans le dos de la limace alors que celle-ci tentait de se retourner pour faire cesser la douleur. Mais à force de faire se déplacer la créature sur place, le sol commençait à devenir de plus en plus glissant de bave. Eliz dérapa et dut mettre un genou en terre pour se rattraper. Razilda, dont le style de combat était davantage axé sur le déplacement que le sien, éprouvait encore plus de difficulté à rester debout sur ses jambes, et larder de sa rapière le mur visqueux qu'était leur adversaire n'était pas vraiment satisfaisant pour elle.
Celle-ci finit par être lassée du ridicule de la situation. Elle extirpa son arme du corps du monstre. Dégoulinant d'un épais liquide visqueux, sa lame fit un écœurant bruit de succion. C'en fut trop pour la santé mentale de l'espionne.
– Ça suffit, replions-nous, lança-t-elle excédée.
Tout en esquivant un coup de tentacule, la jultèque glissa vers Eliz et la poussa pour l'éloigner de la limace.
– Par-là, ajouta-t-elle.
Comme pour lui donner raison, un point lumineux apparut devant elles, en hauteur comme un fanal flottant dans les ténèbres. Les échos d'un appel leur parvinrent.
Les deux femmes se mirent à courir dans sa direction, glissant et dérapant dans la bave de limace. Eliz ne put réprimer un gloussement de rire en évitant de justesse la chute. Razilda lui jeta un regard incrédule. Elle était visiblement aussi consciente qu'elle-même du ridicule de leur situation mais elle ne semblait pas en être affectée de la même manière.
– En fait, tu avais juste envie d'affronter ce genre de bestiole, dit-elle avec irritation.
Étonnamment, ce fut Griffe qui répondit.
– Évidemment, c'est ma raison d'être ! dit celle-ci d'une voix exaltée.
Au bruit derrière elles, elles savaient que la créature n'avait pas renoncé à son dîner et elles redoublèrent de vitesse. Guidées par la lumière, elles arrivèrent assez vite au bas de la paroi qui leur avait servi de point d'entrée. Yerón et Saï les attendaient en haut. La corde avait été remontée mais le jeune homme ne leur laissa pas le temps de se poser des questions. Sitôt au pied de la falaise, elles furent soulevées et transportées jusqu'en haut avant d'avoir pu revenir de leur surprise. Elles prirent pied sur le promontoire, avec un soulagement évident.
– Eh bien, le « combat contre la limace géante » ne restera pas dans les mémoires comme un haut fait mythique, déclara Eliz en reprenant son souffle, les mains sur les cuisses.
– Surtout qu'il n'y avait aucun spectateur, fit remarquer Saï, les bras chargés du rouleau de corde.
– Et que les participants eux-mêmes n'en ont pas vu grand-chose, conclut Eliz en riant.
Sur ces mots, ils s'engouffrèrent dans le tunnel, bien décidés à ne pas trop tenter la limace monstrueuse à s'essayer à l'escalade.
Ils remontèrent en courant la galerie qui n'avait pas vu autant d'activité depuis fort longtemps. Arrivés au croisement, ils tournèrent à gauche sans hésitation sous la direction de Razilda. Leur rythme se ralentit alors, ils avaient visiblement laissé la menace derrière eux, mais nul n'osa proposer une pause pour reprendre leur souffle. Soudain Razilda s'arrêta net. Un éboulement leur barrait la route. Eliz jura et Saï jeta un regard angoissé dans leur dos.
– Je sens un courant d'air, dit Razilda, la main posée sur les rochers. Il doit s'agir d'une entrée condamnée.
Yerón s'avança après avoir confié la lanterne à Saï.
– Cette fois je m'en occupe, dit-il avec autorité, il y a peu de risques d'éboulement, restez seulement derrière moi.
Le jeune homme étendit les mains et exerça une poussée légère sur les énormes blocs de roches qui avaient été roulés là. Ils frémirent et bougèrent, de la terre et des graviers commencèrent à tomber par les interstices qui s'ouvraient entre eux. Yerón poussa plus fort tout en retenant les plus gros blocs pour ne pas les laisser rouler il ne savait où.
La lumière du jour commençait à apparaître à travers l'ouverture accompagnée d'un air frais chargé d'humidité. Avec délicatesse, Yerón repoussa les quartiers de roches les plus gros sur les bords et laissa retomber au sol les graviers et les cailloux plus petits.
– La voie est libre ! annonça-t-il finalement.
L'averse s'était calmée, mais la pluie tombait toujours en gouttelettes fines. Dans la lumière déclinante du jour, ils constatèrent l'état pitoyable dans lequel ils étaient. Tous maculés de croûtes de boue séchée, les vêtements déchirés par endroit, les compagnons étaient d'une saleté repoussante. Saï arborait en outre une longue balafre sur l'arcade sourcilière de laquelle un filet de sang maintenant sec avait coulé et ses mains étaient couvertes d'écorchures. Eliz et Razilda, quant à elles, découvrirent avec dégoût que la bave de limace était extrêmement épaisse et visqueuse et que la décoller de leurs vêtements ne serait pas une mince affaire.
***
Les ruines des installations minières s'étendaient au bas de la butte. Le premier bâtiment était en si mauvais état qu'il ne pouvait servir d'abri qu'en dernier recours. Malgré ses murs éboulés, le second présentait suffisamment de restes de toitures et de plafonds pour protéger des éléments, aussi c'était là que Kaolan avait trouvé refuge. Vu la violence de l'averse, il n'était pour l'instant rien qu'il pouvait faire pour retrouver ses compagnons.
Il n'avait pas longtemps hésité à allumer un feu, et avait rassemblé avec diligence le matériel nécessaire. Trouver du bois sec tenait de la gageure, mais le jeune homme-félin avait déniché de la mousse sèche qui poussait en tapis sur les murs de son abri. Avec cela, nul doute qu'il serait capable de faire prendre un feu. Aussitôt qu'une flamme claire apparut en récompense de ses efforts, Kaolan eut la surprise de voir arriver Tempête, moins trempé qu'il l'aurait imaginé. Le petit animal présenta ses ailes à la flamme avec un plaisir gourmand et commença à raconter ses aventures à Kaolan en pépiant avec excitation. L'homme-félin acquiesçait gravement chaque fois que cela semblait nécessaire. Puis le griffon vint se rouler en boule entre ses jambes et s'endormit vite dans la chaleur des flammes. Kaolan regarda sa respiration tranquille et se sentit soudain quelque peu rassuré. Si Saï était blessée ou en difficulté, l'animal ne serait pas si paisible. Ses compagnons referaient sans doute surface d'ici peu. En attendant, il pouvait tenter de rendre le campement plus accueillant. Des brassées de fougères étalées sur le sol, une réserve de bois mise à sécher près du feu, voilà les premières améliorations auxquelles il pouvait penser.
Ceci fait, Kaolan revint s'installer près du feu, et la somnolence le prit rapidement.
Des bruits le tirèrent de sa torpeur en sursaut. Il sortit aussitôt ses armes, prêt à bondir.
Les premières silhouettes dépenaillées apparurent en trébuchant dans les pierres éboulées et il reconnut aussitôt ses compagnons. Sa posture se détendit, sur son visage passa fugitivement l'étonnement de les voir dans cet état.
– Ça a eu l'air pénible, se contenta-t-il de remarquer.
Et à cet instant, aucune torture n'aurait pu lui faire avouer à quel point il était soulagé de les voir réapparaître. Qu'aurait-il fait sinon, seul sur cette île inconnue ? En rangeant ses armes, il prit soudain conscience qu'il devait d'ailleurs y réfléchir. Au cas où Eliz rencontrerait un destin funeste, le groupe se débanderait, il en était sûr. Il devait à tout prix trouver une solution de secours... ou tout faire pour éviter que cela ne se produisît.
Les explorateurs des profondeurs se rapprochèrent du feu avec une hâte avide. Réveillé en sursaut, Tempête vint faire la fête à Saï avant de se rouler en boule contre elle pour se rendormir.
Pendant qu'Eliz faisait un compte-rendu détaillé de leur aventure souterraine à Kaolan qui n'avait rien demandé, les autres extirpèrent des habits de rechange de leur sac et allèrent sans tarder se changer chacun son tour derrière un pan de mur propice.
La nuit se déroula donc dans un confort tout relatif dans l'abri le plus décent qu'ils aient trouvé depuis leur départ de l'aéronef. Le sol était humide, l'atmosphère alourdie de la fumée âcre du bois mouillé, mais les murs protégeaient néanmoins leurs tentes des éléments.
Le lendemain, lorsqu'ils repartirent dans les pâles lueurs de l'aube, la pluie avait cessé et les bois étaient noyés dans le brouillard. Ils avançaient dans un silence surnaturel tandis que des écharpes de brume s'enroulaient autour de leurs jambes comme pour les y retenir.
Consciente qu'elle ne devait pas se mettre le groupe à dos, Razilda dut prendre sur elle pour alimenter une conversation légère, choisissant d'interroger Yerón et Saï sur la vie qu'ils menaient sur leur île. Poussés par l'ennui et la monotonie du trajet, les deux jeunes gens ne se firent pas prier pour parler d'eux.
Ils durent encore passer une nuit dans la forêt humide. Ce ne fut que le surlendemain matin que les arbres commencèrent à se clairsemer. S'ils voulaient continuer en direction de Riven, rester sous le couvert de la forêt était impossible. Retourner se frotter à la civilisation allait être nécessaire.
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