15- "La vengeance est très surcotée." 3/3
Le soleil déclinait rapidement et les contreforts du plateau d'Anserün disparaissaient dans les ombres grandissantes. Une étroite fissure divisait la pierre en cet endroit. Yerón, Saï et Kaolan découvrirent qu'elle était presque totalement obstruée. Ils se tenaient sur un ancien éboulis composé d'énormes blocs de roches recouverts de mousse qui avait réalisé l'essentiel du travail. Les soldats sulnites avaient presque terminé l'obturation en venant y placer les plus gros des cailloux qu'ils avaient trouvés dans le périmètre. Il ne restait qu'un étroit passage, haut de quelques paumes au sommet de la faille. Yerón demanda à ses amis de reculer et défit sans peine le travail des Sulnites. Les rochers roulèrent avec fracas et tombèrent au bas de l'éboulis, écrasant de maigres buissons sur leur route.
Saï leva la tête, cherchant inconsciemment des yeux le point minuscule qui disparaissait dans le ciel sombre. Un fugace sentiment d'abandon étreignit son cœur.
– Avec la nuit qui tombe, c'est pas vraiment le moment idéal pour se lancer dans une nouvelle exploration, fit-elle remarquer, plus pour détourner ses pensées de l'aéronef et ses occupants que par réelle inquiétude.
– Attendre le matin ne rendra pas les souterrains moins sombres, répondit Yerón avec un bon sens des plus agaçants.
– J'y vais, annonça Kaolan.
Il avança prudemment. À cette hauteur, la faille était étroite et ne laissait l'espace que pour le passage d'une seule personne. Sa main se posa contre la roche et il plongea le regard dans les ténèbres qui régnaient à l'intérieur.
– Nous allons devoir descendre l'éboulis avant d'atteindre le niveau du sol, expliqua-t-il. Sortez vos lanternes.
Et sans se retourner pour voir si ses amis s'exécutaient, il s'engouffra dans la passe.
Il fut aussitôt happé par le silence. Le vent dans les branches, les derniers cris des oiseaux, le bruissement des insectes, tout s'éteignit. Avec précaution, il entreprit la descente de l'amas de rochers qui obstruait les deux tiers de la faille. Des pierres roulaient sous ses pieds et rebondissaient jusqu'en bas, entraînant dans leur chute des coulées de graviers et de terre.
Les ténèbres se peignirent soudain d'orangé et Kaolan sut que ses amis le suivaient. La progression était aisée, à condition de surveiller où l'on posait ses pieds et ils rejoignirent vite l'étroit sentier creusé entre les parois de pierre.
– C'est ici que les Disparus ont... disparu, souffla Saï impressionnée en promenant sur les murs la lumière projetée par sa lanterne.
– Cela ne nous arrivera pas, dit fermement Yerón qui l'imitait.
Sans un mot, Kaolan prit la tête de la colonne. La clarté fournie par ses compagnons était amplement suffisante pour qu'il vît parfaitement les détails du boyau dans lequel ils s'apprêtaient à s'engager. C'était un passage étroit, dont la rudesse trahissait l'origine naturelle.
Après une demi-heure de progressions dans les entrailles de pierre, le tunnel que les jeunes gens suivaient s'était à peine élargi, les forçant à continuer de cheminer l'un derrière l'autre. La lueur des lanternes projetait leur ombre déformée sur la roche inégale qui les entourait. Kaolan se retournait de temps à autre, sourcils froncés et oreilles dressées.
– Attention, ça descend franchement ! prévint-il soudain.
Il avait raison, et le passage devenait aussi de plus en plus glissant. Une main posée contre la paroi humide, Saï ralentit le pas, bien décidée à ne pas être celle qui s'étalerait la première. Tempête fermait la marche, derrière Yerón, et le cliquetis régulier de ses serres rassurait un peu la jeune fille. Dire qu'elle avait trouvé leurs pérégrinations dans la mine abandonnée angoissantes. Les tunnels y étaient plus larges, et au moins, on avait l'impression d'avancer. Un bruit de glissade et un cri retentirent derrière elle pour s'arrêter aussitôt. Lorsqu'elle se retourna, ce fut pour voir Yerón qui progressait négligemment, les pieds suspendus à trois pouces au-dessus du sol.
– Tu triches, lui fit-elle remarquer.
– Tu aurais peut-être préféré que je t'entraîne dans ma chute ?
Le ton du jeune homme ne lui plut pas.
– Tu veux vraiment savoir ce que j'aurais préféré ? Qu'on soit tous ensemble dans cette galère !
– Moi aussi, figure-toi, j'aurais préféré ça, rétorqua-t-il d'une voix tendue. Mais ce n'est pas le cas, donc inutile d'épiloguer là-dessus.
Saï se renfrogna et reprit sa progression. Elle aurait cru le jeune homme plus excité à l'idée de découvrir la source de tous les pouvoirs. L'ambiance écrasante des souterrains avait dû dissiper son enthousiasme aussi aisément que la flamme de son courage à elle. Ils étaient tous sur les nerfs.
À mesure qu'ils s'enfonçaient, la paroi autour d'eux se complexifiait. Stalactites et stalagmites se détachaient des ombres à leur approche. Des concrétions suintaient sur les murs de roche, dessinant des silhouettes difformes à la lueur des lanternes. Plus ils descendaient, et plus le brun sombre des parois laissait la place à des coulées de rouge, des traînées d'ocre et parfois, dans un repli, à des poignées de paillettes cobalt qui étincelaient sur leur passage. Saï aurait aimé s'émerveiller de ce spectacle, toutefois les échos déformés qui rebondissaient sur les parois l'affolaient plus qu'elle n'aurait osé l'avouer. La tension lui fut brusquement insupportable, et elle tenta de l'alléger par le seul moyen qu'elle connaissait.
– Je ne sais pas vous, mais, je suis sûre que chez moi, personne ne croirait que j'ai pu me fourrer dans un pétrin pareil, dit-elle un peu trop fort pour couvrir les bruits parasites qui l'effrayaient. Qu'est-ce que j'entendrais si je leur racontais toutes nos aventures ! « Tu prends tes désirs pour des réalités, ma pauvre. », « Une fille ne devrait pas courir le monde comme ça, c'est inconvenant. », « Arrête de raconter n'importe quoi et va nourrir les poules. »
Chaque citation fut prononcée différemment en une imitation des membres de sa famille. Yerón ne voulut tout d'abord pas renoncer à la maussaderie causée par leur récente altercation. Toutefois, il ne put résister bien longtemps et finit par s'esclaffer.
– Je peux te dire que mes parents me croiraient sans hésiter. J'aurais plutôt droit à des remarques du genre « Tu vois, tu t'es encore mis en danger pour rien. » ou « Viens plutôt nous aider à gérer la mine au lieu de perdre ton temps avec ces recherches dangereuses ». Mais Kerentis adorerait entendre le récit de toutes nos aventures, j'en suis sûr.
Et il l'écouterait, bouche bée, et les yeux brillants d'admiration. Une brusque nostalgie des conversations bien au chaud dans leur taverne préférée submergea le jeune homme.
– Et toi, Kaolan ? enchaîna Saï pour englober leur ami dans la discussion. Ton clan est sûrement à fond derrière toi, mais tu nous as jamais parlé de tes parents ou de si tu avais des frères et sœurs.
Surpris de cet intérêt soudain, Kaolan s'arrêta et tourna vers Saï un visage déconcerté.
– Mes parents ? Tu sais, nous sommes autant élevés par tout le clan que par nos parents, chez nous.
Il reprit son avancée.
– Ils seraient fiers de moi, j'imagine, ajouta-t-il après un temps de silence. Pour répondre à ton autre question, j'ai deux frères et deux sœurs. Mon frère aîné est allé rejoindre sa compagne dans un autre clan, ça fait un moment qu'on n'a plus eu de nouvelles. La petite Taline est la seule qui a les deux mêmes parents que moi.
N'entendant pas les commentaires auxquels il s'attendait, Kaolan se retourna pour voir le visage de Saï plissé dans une réflexion intense à la lueur de sa lanterne brandie.
– Notre notion de famille est peu moins rigide que la vôtre, à ce que j'ai compris, expliqua-t-il avec un sourire amusé.
– C'est pas la seule notion qui est moins rigide, ricana Yerón à l'arrière.
Machinalement, Saï voulut s'indigner, et défendre son peuple. Sitôt la bouche ouverte, elle y renonça.
– J'aimerais dire le contraire, mais vous avez complètement raison, soupira-t-elle. C'est bien pour ça que je suis ici.
Le tunnel qu'ils suivaient ne descendait plus, désormais. Saï ne savait pas si elle devait s'en féliciter. Cela signifiait-il qu'ils allaient bientôt arriver quelque part ? Quel que fût ce quelque part ?
– On est bloqué, annonça soudain Kaolan, ruinant tous les espoirs de la jeune fille.
– Comment ça, bloqué ?
Le passage s'était légèrement élargi et elle put avancer aux côtés de l'éclaireur. Le boyau qu'ils suivaient paraissait déboucher dans un espace plus grand, cependant, celui-ci était obstrué par un incroyable chaos de roches. La lueur de la lanterne de Saï révéla une énorme stalactite qui avait dû se détacher du plafond de l'autre côté, pour se briser là et se coincer en biais dans le tunnel. Des siècles de gravats s'étaient accumulés par-dessus, rendant le passage impossible. Kaolan et Saï se tournèrent spontanément vers Yerón.
– À moi de jouer ? demanda-t-il avec un sourire suffisant.
Il tendit sa lanterne à Kaolan avant de se retrousser les manches. L'idée de servir essentiellement de terrassier lors de leur avancée ne semblait pas l'importuner. Les mains étendues devant lui, il commença par chasser les plus petits cailloux de leur logement séculaire pour fragiliser l'ensemble. Il repoussa ensuite chaque bloc vers l'avant, avec soin et précision, pour ne blesser personne. Il y parvint sans trop de peine, ce qui signifiait que ce n'était pas des tonnes de rochers qui s'était effondrées sur leur route. Le passage n'était probablement obstrué que sur quelques pas. Lorsque le travail le plus évident fut fait, Yerón hésita. Il ne voyait pas la totalité de l'éboulis et il dut se résigner à pousser à l'aveuglette, en espérant ne pas aggraver les choses.
Malgré le grondement des pierres qui roulaient, déboulaient et s'écroulaient, Kaolan restait aux aguets. Plusieurs fois, il retourna en arrière d'une vingtaine de pas et revint le visage soucieux. Saï s'inquiéta de son manège.
– Tu as entendu quelque chose ? demanda-t-elle enfin.
Il haussa les épaules, mal à l'aise.
– Peut-être, c'est difficile à dire avec tous ces échos. J'ai cru entendre des bruits qui ne venaient pas de nous, plusieurs fois.
Saï frémit et se rapprocha de lui.
– Un... un Ravageur, tu crois ?
Kaolan secoua la tête.
– Si un Ravageur parvenait à passer par le même chemin que nous, il ne serait pas très gros, dit-il rassurant.
– Il ne serait peut-être pas très gros, mais il pourrait être très long, contra Saï en frissonnant de plus belle à l'idée du monstre qui venait de sortir tout droit de son imagination.
– Attention, reculez ! cria soudain Yerón en bondissant en arrière.
Un vacarme épouvantable retentit et un épais nuage de poussière s'engouffra dans le tunnel où ils se tenaient. Kaolan réagit instantanément. D'une main, il plaqua Saï contre sa poitrine et tourna le dos à l'éboulis en protégeant son visage de son coude. Yerón recula en toussant convulsivement. Les ailes dressées en rempart devant lui, Tempête l'avait préservé des plus grosses projections.
– Tu m'étouffes ! gémit alors Saï en se dégageant de l'étreinte de Kaolan.
Lorsque la poussière en suspension envahit son nez et ses poumons, elle regretta aussitôt de ne plus étouffer contre lui.
– Ex... Excuse-moi ! s'affola le jeune homme-félin en écartant les bras, j'aurais dû... je n'ai pas...
– Non, tu as bien fait ! se hâta de dire Saï entre deux quintes de toux. Je te remercie vraiment, je...
– C'est bon ? Vous avez fini ? interrompit Yerón, les yeux au ciel. La voie est dégagée, on peut passer.
Le nuage de poussière retomba doucement et les trois jeunes gens avancèrent avec précaution dans les gravats. Lorsque Yerón l'avait fait basculer, l'énorme stalactite s'était brisée en plusieurs tronçons et ils durent grimper dessus pour reprendre leur progression.
Ils débouchèrent dans une grotte et restèrent bouche bée. Ses dimensions étaient difficiles à appréhender à travers la forêt de pics qui s'étendait devant eux. Le plafond était hérissé de stalactites de toutes les longueurs. Parfois, l'une d'entre elles rejoignait une des stalagmites qui composaient un véritable dédale au sol, et formait un pilier majestueux. Insistant, le ploc régulier d'une goutte d'eau se réverbérait dans toute la caverne.
Saï respira mieux, libérée du poids que les couloirs étroits faisaient peser sur sa poitrine. En échange, une insidieuse humidité pénétra ses vêtements jusqu'à la moelle de ses os. Elle grelotta et drapa vainement ses bras autour de son corps.
– Restez bien derrière moi, ordonna Kaolan.
Saï ne se fit pas prier pour se rapprocher encore. Enfin capable de marcher à ses côtés, Tempête colla contre elle son flanc tiède et velouté. Elle sourit et posa sur son encolure une main reconnaissante.
Les ombres reculaient devant eux, laissant apparaître des bouquets de cristaux scintillants dans des flaques dissimulées derrière des rangées de stalagmites tourmentées.
– Attention à la tête ! prévint encore Kaolan.
Il se baissa pour éviter le tranchant d'une draperie de pierre qui descendait dangereusement bas. Saï l'imita sans pouvoir détacher les yeux de la finesse translucide de la concrétion.
– Tu as vu ça, Yerón ? demanda-t-elle émerveillée. Yerón ?
Derrière elle, il n'y avait plus trace du jeune homme.
– Yerón ! glapit-elle, paniquée.
Kaolan se retourna et étouffa un juron entre ses dents. Tous deux se mirent à appeler leur ami à grands cris. Lorsqu'ils se turent, ils entendirent des cris en réponse. Déformés par les échos, ils furent incapables d'en identifier l'origine.
– Qu'est-ce qu'on va faire ? gémit Saï.
Ils dressèrent l'oreille, et dans le silence oppressant que seul le bruit de leur respiration venait troubler, une nouvelle clameur leur parvint, lointaine et informe. Saï et Kaolan échangèrent un coup d'œil inquiet et crièrent de plus belle.
– Voile ta lanterne, intima Kaolan.
Saï s'exécuta. Lorsque les ténèbres se refermèrent sur eux, elle s'accrocha énergiquement au bras du jeune homme pour garder un repère. Une faible lueur attira leur regard, plus loin sur leur gauche. Elle disparut un instant avant de réapparaître ailleurs.
– Cet idiot s'éloigne de nous, bougonna Kaolan. Viens !
Il lui attrapa vigoureusement la main et l'entraîna en arrière sur le chemin qu'ils venaient de parcourir.
– Yerón, Yerón ! appelaient-ils avec acharnement.
Saï agitait la lanterne au bout de son bras, espérant que leur ami put s'en servir pour se guider.
– Ici ! cria-t-elle soudain, pointant un passage entre les colonnes de roche. Il a pu bifurquer sans s'en apercevoir !
Kaolan hocha brièvement la tête et s'engagea dans le nouveau passage. En tout point identique à celui qu'ils venaient de quitter, il hérissait ses doigts de pierre suintante vers les intrus. Un fracas lointain retentit à nouveau dans leur dos.
– Ça, c'est pas Yerón, souffla Saï, la voix blanche.
– On dirait que nous ne sommes plus les seuls dans ces souterrains.
Saï déglutit péniblement, mais n'en accéléra pas moins leur course.
– Il faut retrouver Yerón avant que ça nous tombe dessus, dit-elle.
Toute à son anxiété, la jeune fille buta contre une stalagmite miniature dissimulée dans l'ombre. Kaolan la retint de justesse. Tempête courait sur leurs talons, incapable de voler dans la grotte encombrée de rangs serrés de pics et de colonnes de pierre. Ils voilèrent à nouveau leur lanterne pour repérer la lumière de celle de Yerón, puis reprirent leur course. Kaolan les fit bifurquer entre une rangée de colonnes qui ressemblaient à des bougies à moitié fondues.
– On va se perdre, objecta Saï.
– C'est impossible, on ne sait pas où on va, répondit Kaolan, serrant toujours sa main dans la sienne. Aucun chemin n'est meilleur qu'un autre.
Enfin, ils distinguèrent devant eux une silhouette affaissée près d'une lanterne. Fous d'inquiétude, ils se jetèrent vers elle.
– Yerón !
Le jeune homme tourna vers eux un visage confus.
– D'où venez-vous ? Vous n'étiez pas devant moi ? Et pourquoi hurlez-vous comme ça ?
Il était accroupi devant une mare aux contours indistincts. La lumière rasante de sa lanterne révélait le scintillement d'une myriade de cristaux blancs qui affleuraient sous la surface.
– C'est magnifique, n'est-ce pas ? murmura-t-il.
– Bien sûr que c'est magnifique ! s'insurgea Saï. Mais c'est pas le problème ! On a couru partout pour te retrouver ! Pourquoi tu es parti tout seul ?
– Tu exagères, j'ai juste un peu traîné en arrière pour admirer toutes les merveilles de cette grotte. Et la première fois que vous avez appelé, je vous ai dit que j'étais pas loin.
Kaolan et Saï échangèrent un regard incrédule.
– Je t'assure que tu t'es vraiment perdu, tu es parti sur une autre voie, insista Kaolan.
Les yeux de Yerón s'élargirent de peur rétrospective en comprenant que ses amis ne se moquaient pas de lui. Il ramassa sa lanterne et se releva, soudain bien moins enclin à l'émerveillement.
– Faut pas traîner, quelque chose nous suit, ajouta encore Saï. On a entendu du bruit qui venait de derrière. On doit rester sur nos gardes.
Effrayés, l'oreille aux aguets, tous les quatre n'en reprirent pas moins leur exploration. Ils arrivèrent contre la paroi de la grotte, une centaine de pas plus loin. En cet endroit, deux stalactites démesurées semblaient avoir à demi fusionné avec la roche, y dessinant comme une arche. Yerón passa la main sur la pierre lisse, striée de rouge et de jaune.
– Tant de couleurs et de nuances cachées dans les ténèbres, murmura-t-il.
Ils longèrent la paroi, espérant y trouver l'ouverture d'un tunnel qui les emmènerait plus loin. En vain. Ils furent bientôt contraints de s'enfoncer à nouveau dans le dédale de piliers qui occupait la grotte.
– Y a rien du tout, ici, finit par remarquer Saï, exprimant tout haut ce que ses compagnons n'osaient encore dire. On s'est bien fait avoir.
– C'est effectivement ce que je commence à croire, dit Yerón avec réticence. Je ne comprends pas, toutes les informations avaient l'air de si bien s'imbriquer...
– En plus, à force de tourner en rond, on est complètement perdus, continua Saï. L'un de vous sait-il encore la direction par laquelle on est arrivée ?
Kaolan étendit sans hésiter une main sur sa gauche.
– Par là, à peu près, dit-il.
Et ce fut précisément dans cette direction qu'une succession de bruits sourds se fit entendre, suivie de cris insistants déformés par les échos. Cette fois, le vacarme semblait bien plus proche. Les trois compagnons se collèrent instinctivement les uns des autres en frissonnant.
– Cachons-nous là derrière, ordonna Kaolan en entraînant ses amis vers un rideau de petites colonnes dont certaines s'étaient brisées.
– Tempête, tu prends toute la place ! protesta Saï en poussant le griffon au fond du recoin.
Les jeunes gens se baissèrent pour se dissimuler derrière les rochers et obscurcirent leurs lanternes de façon à ne laisser passer qu'un mince filet de lumière. Aucun d'eux n'avait envie de se retrouver dans le noir complet. Des bruits réguliers se faisaient maintenant entendre, rebondissant à l'infini sur les parois de la caverne. Était-ce des bruits de course ? C'était difficile à identifier. Kaolan sortit de son fourreau l'une de ses lames courbes. De l'autre main, il tâtonna sur sa droite et serra brièvement les doigts de Saï dont il percevait la respiration affolée.
– Ça approche, murmura-t-il en se ramassant sur lui-même.
Yerón se tenait prêt, lui aussi. Il avait déterminé les débris qui pouvaient être utilisés comme projectiles et les concrétions les plus fragiles qui pouvaient être arrachées des parois. De longues minutes s'écoulèrent. Leurs poursuivants ne se souciaient visiblement plus de discrétion. Le cœur tambourinant dans sa poitrine, Saï écarquillait grand les yeux dans la pénombre. Une lueur apparut soudain, à moitié obstruée par les stalactites. Elle espéra qu'au milieu du labyrinthe de roches qui les entouraient, leurs chances de les retrouver resteraient faibles.
– Attendez un peu ! murmura brusquement Kaolan. C'est nous qu'on appelle !
Le front plissé et l'oreille tendue, il se redressa lentement. Saï l'attrapa par le poignet pour le tirer à nouveau à couvert.
– C'est un piège ! Reste caché !
– Un piège ? Qui pourrait connaître nos noms et notre présence ici ?
Kaolan se dégagea délicatement de la poigne de Saï et contourna la rangée de colonnes rocheuses qui constituaient leur abri.
– Reviens, c'est trop risqué ! le rappela Yerón.
Cependant, Kaolan les ignora tous les deux, bien conscient qu'ils étaient loin d'entendre toutes les subtilités qui parvenaient à ses oreilles. Il s'avança dans le passage. Cachée derrière les rochers, Saï trépignait sans savoir que faire.
– Kaolan, fais pas l'idiot, siffla-t-elle entre ses dents.
Elle sentait Yerón tout aussi tendu qu'elle à ses côtés. Lui au moins pourrait intervenir efficacement.
Une masse se détacha soudain des ténèbres et se jeta sur le jeune homme-félin.
– Kaolan ! cria la masse avec soulagement.
– Eliz ?
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