15- "Je l'avais enfin trouvée !" 2/2


Les compagnons échangèrent des regards interrogatifs.

– Commençons par la Cérémonie de Transmission, proposa Eliz. C'est simple et précis.

Les autres hochèrent la tête et Hermeline s'avança au pied du bureau.

– Je m'en charge, dit-elle d'une voix assurée. Je désirerais consulter des documents décrivant la Cérémonie de Transmission de Soleil Triomphant, l'épée des monarques rivenz.

Le Bibliothécaire acquiesça.

– Voilà qui est fort simple. Vous trouverez les us et coutumes rivenz : Allée B, Cadran 2. Un index est affiché sur place pour les précisions complémentaires.

Perdue, Hermeline se retourna pour contempler le dédale d'étagères qui les entouraient.

– N'ayez pas d'inquiétude, garantit le Bibliothécaire. Tout est indiqué. Les allées rayonnent depuis le pilier central et les cadrans sont les noms donnés à chaque étage circulaire. Vous ne pouvez ni vous tromper ni vous perdre.

Hermeline s'inclina pour le remercier et, d'un pas faussement assuré, partit en quête de l'allée B.

Lorsque le regard du Bibliothécaire se reposa sur ses visiteurs, Saï trépignait d'impatience.

– C'est mon tour ? Dites, je peux ? supplia-t-elle.

Ses amis l'encouragèrent en souriant et elle se tourna vers le vieil homme.

– J'aimerais beaucoup voir les documents que vous avez sur les griffons de Derusto'th, demanda-t-elle.

« Si j'ai le droit, ne put-elle s'empêcher d'ajouter.

– Bien sûr, vous trouverez ce que vous désirez : Allée D, Cadran 9. Et même si votre compagnon à plumes est directement concerné, je vous prierai de veiller à ce qu'il ne dégrade rien.

Saï promit et entraîna Tempête qui paraissait particulièrement peu à l'aise dans ce nouvel environnement. Ses serres et ses griffes cliquetaient légèrement sur les carreaux alors que tous deux s'éloignaient.

– J'aimerais faire des recherches sur Sulnya'th, dit alors Razilda à son tour. Des recherches très générales, vu que nous ne savons rien de cette île.

Lorsque le Bibliothécaire lui eut indiqué où trouver la section réservée à Sulnya'th, la Jultèque se tourna vers Eliz.

– Veux-tu venir chercher avec moi ? lui proposa-t-elle. Plus nous en saurons sur eux, mieux ce sera.

– C'est une très bonne idée, dit Eliz, mais j'envisageai de me dévouer pour procéder à l'échange de connaissances. Je ne suis certes pas la plus érudite d'entre nous, pourtant je pense avoir des histoires intéressantes à raconter.

– Vraiment ? s'étonna Razilda. À quoi songeais-tu ?

Eliz sourit largement et mit les poings sur ses hanches, très fière de son idée.

– À la bataille de Schelligen, par exemple ! C'est tout récent, et je suis persuadée qu'aucun document ne la relate déjà.

– Bien pensé, appuya Yerón tandis que Razilda s'éloignait seule dans les travées. Alors il ne reste que Kaolan et moi. Kaolan, tu veux te lancer ?

L'homme-félin poussa un soupir et s'avança, serrant nerveusement ses mains l'une contre l'autre.

– Je suis désolé, commença-t-il. Je ne sais pas trop comment l'expliquer. Je cherche une chose qui a été partagée entre tous les peuples, et dont nous n'avons pas bénéficié.

Il se tut et regarda le Bibliothécaire avec confiance. Celui-ci, sourcils froncés, se caressait la barbe d'un air perplexe.

– Voilà qui me semble bien cryptique, regretta-t-il. N'avez-vous aucun détail supplémentaire qui pourrait m'aiguiller ?

Kaolan triturait désespérément son bracelet de cuir.

– Mon peuple est en danger. Notre forêt se réduit de façon inquiétante. Peut-être s'agit-il d'une chose qui permettra de nous protéger, ou de nous défendre ?

– Reculez un peu, s'il vous plaît, demanda alors le gardien des lieux. Je vais tenter de vous trouver quelque chose.

Kaolan s'exécuta sans comprendre. Un grincement soudain brisa le silence. Avec un cliquetis régulier, le bureau derrière lequel le Bibliothécaire se tenait s'éleva sous les yeux ébahis des visiteurs. Il s'immobilisa brièvement et l'homme ouvrit plusieurs tiroirs dans son dos. Il en sortit ce qui ressemblait à des petites fiches, puis le bureau se remit en mouvement. Après de longues minutes de ce manège, le Bibliothécaire fit redescendre l'engin au niveau de ses hôtes. Il en descendit les quelques marches, tenant entre ses mains un paquet de fiches qu'il tendit à Kaolan.

– Tenez, dit-il. J'ai essayé de me montrer exhaustif. Vous trouverez là des ouvrages sur votre peuple, mais je crains qu'ils manquent cruellement d'objectivité. Je vous ai également mis des études comparatives entre les modes de vie des différentes îles, ainsi que des traités de tactiques militaires et d'armements. Les sections où les trouver sont inscrites en face des titres.

Éberlué, Kaolan feuilleta les fiches d'un air perdu. Le Bibliothécaire voulut l'encourager.

– Bien sûr, un document plus pertinent que les autres peut vous mener vers d'autres que je n'ai pas mentionnés. N'hésitez pas à suivre toutes les pistes, les index existent dans ce but. Abusez-en.

– D'accord... merci, balbutia Kaolan, écrasé par la tâche.

– J'essaierai de venir t'aider, lui souffla Eliz alors qu'il s'éloignait.

– À nous deux, jeune homme, dit alors le Bibliothécaire à Yerón en retournant à sa place en hauteur. D'après ce que je comprends, c'est vous qui êtes à l'origine de cette expédition. J'imagine que vos attentes sont assez élevées. Vous m'aviez dit chercher des informations sur la vie et les voyages de Kadwyn l'Aventureux, c'est bien cela ?

– Oui, confirma Yerón. Je voudrais particulièrement à savoir s'il s'est rendu sur Sulnya'th et son activité à son retour. Si vous avez besoin de précisions supplémentaires, je serais très curieux de tout document mentionnant conjointement les noms de Bastian Hammerstein, Jessera d'Airain, Charif Al Dîn ou Senka Nikedo.

– Oh, c'est très bien, le félicita le Bibliothécaire. Avec cela, je ne reviendrai pas les mains vides, je vous le garantis.

Il mit aussitôt en branle le mécanisme qui animait son bureau et s'envola à nouveau vers les hauteurs. Lorsqu'il en redescendit, de longues minutes et de nombreux cliquetis plus tard, ses yeux brillaient d'excitation.

– Comme pour votre ami, je vous laisse l'assortiment de fiches que j'ai sélectionnées. Pensez à les ramener.

Il se frotta les mains et ajouta avec un sourire rayonnant :

– La teneur de vos recherches vous donne accès à des archives très particulières que je n'ai jamais eu l'occasion de sortir et j'ai grand-hâte de vous les fournir. Mais vous allez avoir besoin de vos compagnons pour accéder à ce contenu, aussi, commencez par consulter les documents que je vous ai indiqués.

– Des archives particulières ? demanda Yerón avidement. Comment cela ? Pourquoi ne puis-je en prendre connaissance seul ?

– Tous les documents de la Bibliothèque ne sont pas nécessairement des écrits, répondit mystérieusement le vieil homme. Je vous en dirai plus lorsque vous aurez tous fini vos premières recherches.

Yerón comprit qu'insister serait vain. Il arrangea rapidement les fiches en sa possession par ordre de priorité et, le cœur battant, se lança vers les rayonnages pleins à craquer, prêt à s'y perdre avec délectation.

Avant de s'éloigner, il aperçut du coin de l'œil, le Bibliothécaire, chargé de rouleaux de parchemin, plumes et encrier, rejoindre Eliz qui avait pris ses aises dans les coussins autour de la table basse.

– Chère dame, commença-t-il en installant son matériel, votre promesse de récit de bataille a éveillé ma curiosité. Je vous écoute.

***

Yerón remontait l'allée F. Comme l'avait dit le Bibliothécaire, il était impossible de se tromper. La lettre F apparaissait à intervalle régulier dans la mosaïque qui en pavait le sol. Il gravit les marches qui le menèrent au premier cadran et se trouva aussitôt happé dans une forêt de hautes bibliothèques qui le toisaient de toute leur taille. Alors que la chair de poule envahit ses bras, il huma avec délice les odeurs de papier, de bois et de vieux cuir qui l'entouraient, prémices de découvertes excitantes. Il dut franchir ainsi encore quatre cadrans avant d'arriver à destination.

Grâce aux lanternes accrochées un peu partout, il régnait dans la Bibliothèque une luminosité douce, idéale pour la lecture. Ignorant l'index affiché à l'entrée du cadran, Yerón s'enfonça entre les rayonnages à pas lents. Il lisait les titres des ouvrages exposés, caressant parfois une reliure d'un doigt timide. Puis, il s'arracha à la fascination, se retroussa les manches et se mit à la recherche des livres mentionnés sur ses fiches. Peu à peu, ceux-ci s'entassèrent sur la table d'étude prévue à cet effet et le jeune homme s'y plongea à la lueur de la sphère lumineuse posée devant lui.

Les minutes s'égrainèrent sans qu'il en eût conscience. De temps à autre, il se levait pour ranger certains ouvrages et en choisir d'autres. Les voyages de Kadwyn l'Aventureux se déroulaient sous ses yeux. Les sources étaient nombreuses et Yerón put facilement en établir la chronologie. Détail qu'il ignorait, d'après les récits, Kadwyn possédait visiblement des pouvoirs non négligeables qui lui avaient souvent sauvé la mise durant ses aventures.

Yerón s'aperçut avec agacement qu'à mesure qu'il avançait vers son ultime voyage, les mentions se faisaient plus rares. Comme si Kadwyn avait peu à peu perdu de sa crédibilité. À plusieurs reprises, il lut de différents auteurs que sa dernière entreprise était insensée et qu'il n'en reviendrait pas. Pourtant, nulle part, il ne trouva les détails de Kadwyn lui-même. Son journal ne faisait pas partie des ouvrages consultables. C'était à en devenir fou !

Lorsqu'il fut sûr de n'avoir négligé aucun document mentionnant Kadwyn, il se décida à changer de cadran. En évaluant le trajet qu'il allait devoir parcourir pour lire les autres écrits répertoriés sur ses fiches, son cœur flancha. Mais il n'allait pas laisser ce détail entraver sa recherche. Après tout, ce n'était rien par rapport à la distance qu'il avait déjà franchie depuis qu'il avait quitté Pwynyth.

Après plusieurs heures passées à quadriller les allées de la Bibliothèque, Yerón fut enfin récompensé de son acharnement.

Dans une étagère réservée à des copies de documents officiels pwynys obtenus on ne savait comment, le jeune homme dénicha le manifeste du bateau que Kadwyn avait affrété pour sa traversée vers une île lointaine. La destination était marquée comme inconnue, toutefois le cap et la distance évaluée pour le périple correspondaient parfaitement à l'emplacement présumé de Sulnya'th. À son grand ravissement, les dates de départ et de retour étaient également mentionnées. Enfin, il allait pouvoir faire des recoupements avec les événements qui jalonnaient les vies des autres érudits.

Il constata assez vite que les activités scientifiques de chacun des intellectuels du convent de Kadwyn s'arrêtaient à peu près la même année que celle du supposé voyage vers Sulnya'th. C'était particulièrement évident dans le cas de Charif Al Dîn, l'astronome jezzeran, vu l'abondance d'écrits qu'il avait produits sur ses observations du ciel, ses calculs et ses prévisions d'événements célestes. La folie qui l'avait frappé à la fin de sa vie était connue de tous, et le jeune homme était désormais en mesure de dire que celle-ci suivait de près le retour de Kadwyn à Pwynyth. Quoique avec moins d'exactitude, la même remarque s'appliquait aux autres érudits. Aucun des précis de minéralogie de Bastian Hammerstein n'était postérieur à cette date. Pas plus que les traités d'agronomie de Senka Nikedo. En tant que mécène, Jessera d'Airain était un peu plus difficile à tracer. Mais les mentions à son nom et les remerciements de ses contemporains scientifiques s'arrêtaient également à la même période.

Assis à l'une des tables d'études, Yerón relisait fébrilement les notes qu'il avait griffonnées sur un rouleau de parchemin pour récapituler ce qu'il avait appris.

Les érudits se connaissaient, ils se citaient régulièrement entre eux dans leurs ouvrages respectifs et se retrouvaient de temps à autre.

Ils avaient tous cessé leurs activités au même moment, autour de la date où Kadwyn était revenu d'une île qui devait probablement être Sulnya'th. Trois d'entre eux au moins, avaient perdu la raison.

Et après ?

Yerón tapa du plat des mains sur la table et se leva vivement, agacé. Tout concordait, et c'était un soulagement, pourtant il n'avait rien de nouveau à se mettre sous la dent. Aucune mention, nulle part, de ce qui avait été dit lors de leur ultime réunion. Yerón était convaincu qu'il s'agissait du cœur du mystère et que Kadwyn avait très certainement fait une découverte capitale qu'il avait voulu partager avec ses confrères érudits. Mais laquelle ?

Il consulta à nouveau ses fiches, puis l'index du cadran. Quelle piste pouvait-il encore suivre ?

– Yerón ? s'étonna soudain une voix dans son dos.

Habitué au silence et aux monologues intérieurs depuis bien trop longtemps, le jeune homme sursauta violemment. Il se retourna, une main comprimant les battements affolés de son cœur, pour découvrir Kaolan qui avançait vers lui entre les rayonnages. Il tenait un livre contre sa poitrine.

– Je n'avais pas vu que tu étais là, dit-il tranquillement. Ça tombe bien, je viens de trouver quelque chose qui peut t'intéresser.

Il n'eut pas besoin d'en dire plus. En un clin d'œil, le jeune Pwynys se matérialisa à ses côtés.

– Quoi donc ? demanda-t-il avidement.

– Je cherchais pour moi, expliqua Kaolan en s'écartant d'un pas. Ce qui a été partagé entre les peuples et dont nous n'avons pas bénéficié. Et j'ai trouvé ça, mais c'est difficile à lire. Ça parle d'un groupe de gens, d'îles différentes qui ont fait un voyage ensemble. Je pensais que peut-être... c'était ceux que tu cherchais. Tu sais, les compagnons de Kadwyn. Je ne me souviens plus de leurs noms.

Il posa le livre sur la table. Sa couverture de cuir était cornée et élimée, des feuillets jaunis et craquelés en dépassaient. Yerón fronça les sourcils. Cet ouvrage paraissait bien plus ancien que tous ceux qu'il avait consultés aujourd'hui, ou alors il était passé entre des mains bien peu soigneuses.

Lorsque Kaolan l'ouvrit, le jeune homme ne put retenir une exclamation de surprise. Le livre était entièrement manuscrit ! Cela faisait plus de deux cents ans maintenant que plus personne ne recopiait des livres à la main. L'imprimerie permettait de faire bien mieux, bien plus rapidement.

Yerón s'assit et Kaolan l'imita.

– Qu'est-ce que tu as trouvé ? murmura le Pwynys avec curiosité en attirant le document vers lui.

– C'est ce que tu cherches ? l'interrogea Kaolan.

Yerón en lut le titre. « Chronique officielle des faits notables s'étant déroulés à la cour de S.A. Judith Ire Soltanhart. » Ne voyant pas le lien que Kaolan avait pu repérer avec ses recherches, il commença à déchiffrer le passage que celui-ci lui désigna. Il finit par secouer la tête sans quitter les pages des yeux.

– Je ne pense pas que ça ait un rapport. Ces événements datent de quasiment six siècles. C'est antérieur de l'époque de Kadwyn d'au moins trois-cent-cinquante ans. Pourtant, c'est très intrigant. Qui étaient ces gens ? Ils étaient six, hommes et femmes issus de chacune des îles connues... Choisis par leur dirigeant. Mais pour quoi faire ? Il n'y avait effectivement pas de représentant de ton peuple... Pas plus que dans le convent de Kadwyn, d'ailleurs... Un être mystérieux « envoyé par les dieux pour éclairer les Hommes » les a réunis à la cour de Judith Ire avant de les conduire vers le nord... Lorsqu'ils arrivèrent aux pieds des Plateaux d'Anserün, leur escorte a dû faire demi-tour... « La suite du voyage serait souterraine, mais seuls les élus pouvaient continuer. » Et... oho... personne ne les a jamais revus. Carrément. Et le chroniqueur qui passe à autre chose, comme si de rien n'était !

– Ce prétendu envoyé des dieux les a simplement attirés dans un piège, commenta Kaolan.

Yerón s'appuya sur le dossier de sa chaise pour réfléchir.

– Je ne vois pas comment cela pourrait avoir un rapport avec ce que tu cherches, finit-il par dire en se grattant le menton. Ces « élus » ont probablement trouvé la mort dans leur expédition souterraine. Ils ne sont pas revenus avec un potentiel trésor ou des connaissances dont ils auraient fait bénéficier leur île. Dans le doute, je vais tout de même noter les détails, on ne sait jamais.

Le jeune homme prit une feuille vierge, trempa sa plume dans l'encrier et y copia avec application la date de l'événement, le nom des participants et les étapes de leur voyage. Lorsque l'encre fut sèche, il roula les parchemins qu'il avait remplis et se leva.

La fatigue de toute une journée tomba soudain sur ses épaules.

– Je suis épuisé, remarqua-t-il en soupirant, et pourtant, c'est curieux, mais je n'ai pas faim du tout. Il est temps de faire une pause et de retrouver les autres, qu'en penses-tu ?

Kaolan acquiesça et, après avoir rangé à leur place les livres encore en leur possession, ils mirent le cap vers le pilier central.

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Beaucoup d'informations dans ce chapitre, j'espère que ce n'est pas trop indigeste. Mais c'est important pour la suite ^^ !


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