13- "L'aventure aérienne, c'est encore mieux !" 1/2

« L'aventure, c'est bien.L'aventure aérienne, c'est encore mieux ! »
Saï Kaneda, exploratrice en herbe.


Eliz se réveilla fraîche et dispose, si ce n'était un vague arrière-goût qui lui empâtait la bouche. Elle jeta un œil au paquet en forme de Saï, enfoui sous les couvertures du lit voisin. Elle fut surprise de la voir si profondément endormie. La connaissant, elle aurait cru la voir impatiente et excitée par la perspective du départ. La guerrière se leva et s'habilla. Voyant que son amie ne bougeait toujours pas, elle finit par lancer d'une voix forte :

– Debout, petite marmotte ! Un grand voyage nous attend, tu ne t'en souviens pas ?

Un grommellement de protestation fut la seule réponse qui lui parvint.

– Je te préviens, j'ouvre les volets ! menaça-t-elle. Tiens, je n'avais pas remarqué qu'il était en si mauvais état, celui-là.

Eliz esquiva aisément un oreiller lancé sur elle d'une main approximative.

– Mais enfin, je ne comprends pas. Que t'arrive-t-il ? Tu n'as pas hâte de partir ?

Saï se redressa enfin et la foudroya du regard.

– C'est bon, je me lève, grogna-t-elle. Ce n'est quand même pas tout le monde qui a dormi aussi bien que toi cette nuit.

– Aha, c'est l'excitation qui t'a empêchée de dormir, sourit Eliz d'un air entendu, s'attirant par là-même un second regard meurtrier.

– Je vais aller voir si les garçons sont prêts, annonça la rivenz, une fois prête. Je te laisse le temps de finir de te préparer.

Elle sortit pour aller toquer à la porte de leur chambre. Un long moment s'écoula avant que celle-ci ne s'ouvre sur Yerón, qui n'avait pas franchement l'air de meilleure humeur que Saï. Il arqua un sourcil en la toisant de manière fort irritante.

– Comment vas-tu ce matin ? As-tu bien dormi ? s'enquit-il, sarcastique.

– Je trouve que tout le monde se soucie un peu trop de la manière dont j'ai passé la nuit... grogna Eliz qui commençait à sentir que quelque chose clochait.

Kaolan sortit de la chambre, l'expression indéchiffrable.

– Sûrement parce que tout le monde sait qu'il ne faut pas accepter à boire de la part d'inconnus, dit-il en passant à côté d'elle.

Et il la laissa plantée là.

– Hein ? Quoi ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

Confondue, elle emboîta le pas à l'homme-félin.

Ce ne fut qu'une fois tous réunis dans la grande salle pour un rapide petit déjeuner qu'ils consentirent à sortir Eliz de son ignorance. Elle fut horrifiée par les événements de la nuit, mais ne put rien faire d'autre que s'excuser frénétiquement auprès de Saï, qui, magnanime, et plutôt fière de sa prestation de la veille, accepta de lui pardonner.

Il ne leur fallut pas longtemps pour être prêts. Chacun s'occupa de ses affaires personnelles et ils se retrouvèrent dans la salle commune pour régler l'aubergiste. Ce fut en voyant les larges monarques jultèques quitter sa bourse qu'Eliz songea qu'elle devait changer son argent en monnaie rivenz avant de partir. Qui sait comment elle trouverait son pays à son retour ?

Après un bref détour par la Guilde des Marchands sur le port, ils se rendirent chez Maître Ornwell, plus que prêts à dire adieu à Jultéca'th, aux charmes de laquelle ils étaient restés insensibles.

Saï ouvrait la marche à pas rapides, impatiente de ce nouveau départ. Quand ils arrivèrent devant la maison de l'inventeur, elle se mit à courir.

– J'aperçois quelque chose derrière ! s'exclama-t-elle. Oh, b'jour m'dame Razilda, pardon !

Elle la dépassa en zigzaguant et traversa le jardin en courant, comme si elle était chez elle.

Elle poussa un cri d'enthousiasme lorsqu'elle découvrit la machine à l'arrière du hangar. Surplombé d'un énorme ballon, le vaisseau était retenu au sol par de grosses amarres qui vibraient sous la tension. Il semblait vouloir s'élancer vers le ciel sans attendre.

Saï fut vite rejointe par le reste de la troupe à laquelle s'était ajoutée Razilda.

– Êtes-vous prêts à partir ? s'enquit-elle pour la forme. Ornwell et sa fille sont déjà dans la machine.

Comme répondant à son appel, le père et la fille pointèrent soudain leur tête par-dessus le bastingage.

– Embarquez vite ! appela Ornwell. Tout est prêt pour le décollage !

Les passagers s'exécutèrent avec des niveaux d'enthousiasme très variés. Lorsqu'ils furent tous sur le pont, l'inventeur posta Eliz, Razilda, Yerón et sa fille aux quatre coins du vaisseau tandis que lui-même prenait place dans la cabine de pilotage. A son signal, tous larguèrent les amarres qui les retenaient au sol.

– Accrochez-vous ! prévint-il.

Mais l'appareil s'éleva avec douceur. Quelques hourras saluèrent le décollage.

Surexcitée, Saï était accrochée au bastingage, ne perdant pas une miette du paysage qui s'éloignait sous eux. A ses côtés, Lyssa partageait son enthousiasme, pointant du doigt les monuments de Jultéca qui rétrécissaient à vue d'œil. Plus réservées, Eliz et Razilda observaient l'appareil et sa trajectoire d'un œil critique. La rivenz avait beau être soulagée de retourner enfin sur son île, le moyen employé lui semblait bien trop improbable pour la satisfaire vraiment. La voix dramatique de Griffe la tira de ses pensées.

– Je te préviens, tu n'as pas intérêt à me détacher de ta ceinture. Si ce machin fait naufrage, je ne veux pas passer l'éternité au fond de l'eau. Tu es ma seule planche de salut !

Eliz grimaça devant l'inquiétude de son épée, pas si éloignée de la sienne et se contenta de caresser le fourreau du plat de la main.

Quant à Razilda, malgré son air impassible, elle remettait pour la première fois sérieusement en cause le bien-fondé de sa présence à bord. Malgré son excitation initiale, elle commençait à douter. Plus elle y réfléchissait et plus elle trouvait que cette mission se rapprochait davantage d'une mise au placard que d'une tâche délicate confiée à un agent compétent. Et pourtant, elle savait qu'elle n'avait pas démérité. Sa disgrâce venait-elle simplement du fait d'avoir été approchée par les conjurés, ou bien...

Ses réflexions furent interrompues par des vagues de terreur. L'homme-félin en était la source. Agrippé au mât central qui menait au ballon, il gardait les paupières énergiquement fermées et marmonnait des paroles que la jultèque ne comprit pas. Razilda détourna les yeux, elle ne pouvait lui apporter aucun réconfort. Elle reporta son attention sur Yerón. Le jeune homme, quoique se tenant à distance raisonnable du bord, ne semblait pas effrayé. Il regardait autour de lui avec curiosité, tantôt l'aéronef en lui-même, tantôt le paysage qui défilait sous eux. Ce que la jultèque ne percevait pas, c'étaient les efforts du jeune homme pour se convaincre qu'avoir été malade pendant à peu près toute la traversée entre Pwynyth' et Jultéca'th ne signifiait pas nécessairement qu'il passerait également ce voyage plié en deux sur le bastingage.

Petit à petit, Jultéca s'éloignait. Avant midi, sa côte avait disparu à l'horizon, et il n'y avait plus que la mer sous eux, qui s'étendait à perte de vue.

La routine ne s'installa pas aisément à bord. Ornwell n'avait pas l'âme d'un capitaine et il était incapable de distribuer des tâches au reste de l'équipage, qu'il considérait d'ailleurs davantage comme des passagers, voire comme des cobayes... Chacun s'occupait comme il pouvait, tâchant de se rendre utile dans la mesure de ses capacités. Mais l'ennui gagnait du terrain.

Le matin du troisième jour, lorsque Saï se réveilla, elle sentit que l'excitation de la nouveauté commençait à la quitter. Elle percevait l'inconfort de la nuit sur toutes les parties de son corps. La couchette était étroite et dure, malgré les couvertures qu'elle y avait amoncelées. Sa tête avait dû cogner le cadre lors d'une embardée de l'aéronef au vu de l'élancement qu'elle sentait au sommet de son front.

En tâtant précautionneusement son bleu, elle constata que Lyssa n'était plus dans l'étroite cabine qu'elles partageaient. La jeune fille se rendit à la pièce qui tenait lieu de cuisine et de garde-manger. Elle s'y coupa deux tranches de pain dur et songea qu'elle pourrait en refaire dans l'après-midi. Cela ferait sûrement plaisir à tout le monde. Saï sourit, satisfaite de s'être trouvé une tâche utile à leur petite communauté. Elle mit à chauffer un pot d'eau pour se préparer du thé, ou ce qui en tenait lieu dans les réserves. Maître Ornwell avait conçu une étrange cuisinière qui détournait une partie de la vapeur utilisée par les moteurs pour cuire et réchauffer les aliments. Elle était surprise que l'inventeur ait pu penser à un détail aussi trivial que la préparation des repas quand il avait conçu son appareil. Elle y soupçonnait fortement l'influence de sa fille.

Son petit-déjeuner expédié, Saï sortit sur le pont. L'air marin lui fit du bien après l'atmosphère renfermée de la cale. Des éclats de voix venaient de la cabine de pilotage. Curieuse, la jeune fille s'approcha. Eliz était aux commandes de l'appareil, à ses côtés, Razilda semblait alterner remarques déplacées et conseils irritants. Eliz s'échauffait peu à peu mais la jultèque paraissait totalement imperméable à ses rebuffades.

Dès le premier jour, Maître Ornwell avait proposé d'apprendre le maniement de l'aéronef aux deux aînés du groupe. Il était impensable que seuls sa fille et lui-même se relayassent jour et nuit pour piloter l'engin. L'inventeur avait suggéré qu'une fois les deux premiers élèves au point, ils pourraient initier Yerón à leur tour. Ulcérée, Saï était intervenue en rappelant qu'elle en était, elle aussi, tout à fait capable. Les regards dubitatifs qui avaient suivi n'avaient pas été très bons pour sa confiance en elle. Elle espérait néanmoins qu'elle aurait la chance de piloter l'aéronef avant la fin du voyage.

Alors que la jeune fille pouffait intérieurement de la querelle vide de sens entre Razilda et Eliz, son regard fut attiré par un spectacle qui lui glaça le sang. Tempête arpentait le bastingage d'un pas conquérant. Il s'arrêta, huma l'air et déploya ses ailes blanches qu'il agita vigoureusement. Puis il reprit ses déambulations.

– Tempête ! Descends ! C'est dangereux ! cria Saï en accourant vers lui.

Elle tendit les bras pour l'attraper, mais il bondit vivement un peu plus loin. Il avait maintenant atteint la taille d'un gros chien et la jeune fille ne pouvait plus le transporter dans ses bras ou dans un sac. L'animal avait, par là-même, gagné de plus en plus d'autonomie.

Alerté par les cris, Yerón s'approcha.

– Que se passe-t-il ? s'enquit-il avec inquiétude.

– Un bébé griffon ne devrait pas faire quelque chose d'aussi dangereux, déclara Saï catégorique.

– Mais les griffons savent voler, n'est-ce pas ?

Les yeux de Saï s'agrandirent d'horreur.

– Il est trop petit pour ça ! Tu ne te rends pas compte ! Ça ne fait que deux mois qu'il est sorti de son œuf !

– Je ne connais pas le rythme de développement des griffons, mais il m'a l'air tout à fait prêt à prendre son envol. Ne t'inquiète pas, Maman, ça ira tout seul.

Rassurant, le jeune homme lui tapota l'épaule. Saï accepta de se laisser réconforter mais elle n'en glissait pas moins des regards inquiets à Tempête qui continuait à se pavaner le long de l'aéronef.

– Il est vraiment magnifique, dit Yerón sincèrement. Je n'avais jamais quitté mon île et c'est le premier griffon que je vois.

– Encore heureux, déclara Saï, si tu en avais déjà vu, ça voudrait dire que Derusto'th et Pwynyth' seraient rentrées en guerre. Les griffons ne quittent jamais notre île, ils sont à la fois notre armée de défense et notre police. Jamais on ne s'en servirait comme messager, ou comme simple moyen de transport.

– Mais aussi majestueuse soit-elle, une escadrille de griffons ne ferait pas long feu si elle tentait d'envahir Pwynyth', s'esclaffa Yerón.

– Hé ! Nous avons des armes secrètes, figure-toi ! s'offusqua Saï qui n'en savait rien.

– Imagine-toi débarquer sur Pwynyth' en conquérant, et que chaque soldat et même chaque citoyen, soit capable d'utiliser contre toi un pouvoir aléatoire que tu ne peux pas anticiper. Avoue que cela te rendrait la tâche difficile.

Saï se frappa le front de la main Évidemment, elle n'avait pas réfléchi. Pwynyth' était l'île où n'importe qui pouvait avoir des pouvoirs magiques. Ses habitants avaient une sacrée chance !

– Parle-moi de la magie sur ton île, s'il te plaît, demanda-t-elle les yeux soudain brillants de plaisir anticipé.

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