12- "Avec quel aplomb elle m'a menti !" 2/2
Le repas était prêt. Au grand étonnement de Saï, et au grand embarras d'Eliz, Hermeline commença sans façon à servir le contenu de la marmite dans les écuelles tendues par ses compagnons.
– Rappelez-vous que Saï, Kaolan et moi avons perdu toutes nos affaires dans l'incendie de la grange, dit-elle alors. Dans la carrière, nous sommes arrivés à nous débrouiller mais sur la route, ce ne sera plus possible. Nous avons besoin de vêtements chauds si nous continuons vers le nord. Et probablement de matériel pour traverser les montagnes.
Eliz acquiesça. Ils pourraient s'arrêter au prochain bourg et envoyer certains d'entre eux y faire des achats. Le niveau de leurs provisions devait, de toute façon, être complété. Le départ de la carrière s'était fait dans la précipitation et chacun s'était servi sans discernement dans les cuisines. Ils devaient être préparés au mieux pour le périple qu'ils allaient entreprendre.
Lorsque la marmite fut vidée de son contenu, tous rangèrent leurs affaires et effacèrent soigneusement les traces de leur passage. Saï réveilla Tempête qui somnolait auprès de l'emplacement du feu, ne s'étant pas encore aperçu de son extinction. Puis la jeune fille monta à cheval avec un pincement au cœur. Cette halte détendue avec ses amis serait peut-être la dernière de la sorte. Qui sait ce qui les attendait à partir de là ? Malgré cette crainte, l'excitation de la nouveauté était toujours là. Rendez-vous compte ! Ils se rendaient à la Grande Bibliothèque Mythique et Universelle ! Rien que ça ! Qui aurait pu croire qu'une petite paysanne derujin telle qu'elle-même aurait un jour la chance d'y mettre les pieds ? Certainement pas elle.
Alors que le groupe se mettait en route, Saï leva la tête. Au-dessus d'eux, le ciel était chargé de nuages que le vent étirait en longues écharpes cotonneuses. Il faisait froid et elle frissonna.
Au petit trot, Eliz prit la tête de la colonne. Toute la journée, elle se montra d'une prudence extrême. Jamais ils ne suivirent plus large que des chemins de terre qui serpentaient entre les champs. À plusieurs reprises, elle fit brusquement bifurquer son groupe pour traverser des pâturages, désertés en cette saison.
Au bout de quelques heures, Saï grelottait. Le froid s'était aisément insinué à travers ses vêtements et elle ne sentait quasiment plus ses doigts, crispés autour du cuir des rênes. Elle finit par se retourner et fouilla dans les fontes de sa monture pour en extirper une couverture dans laquelle elle s'enveloppa avec soulagement. Hermeline qui chevauchait à ses côtés et dont les lèvres commençaient à se teinter de bleu, l'imita rapidement. La chaleur revenant dans son corps sembla la pousser à prendre une décision. La princesse se redressa.
– Il faut que j'aille parler à Razilda, dit-elle soudain, le visage grave.
Elle talonna sa monture pour rattraper la Jultèque qui chevauchait seule devant elles.
– Razilda ! appela-t-elle lorsqu'elle arriva à son niveau.
Celle-ci devait être plongée dans ses pensées car Saï la vit sursauter à cet appel. Curieuse, la jeune fille fit allonger le pas à sa monture pour entendre ce qui se disait.
– Je ne vous ai pas remercié d'avoir ramené Soleil Triomphant, commença Hermeline de sa voix d'héritière du trône. Je voulais que vous sachiez que je ne pensais pas cet exploit possible, et que je vous en suis vraiment reconnaissante.
Razilda accepta son remerciement en hochant gravement la tête.
– Je n 'étais pas seule, dit-elle simplement.
– Encore une chose, ajouta Hermeline avec brusquerie. Je suis désolée d'avoir été un peu... vindicative à votre égard. Je m'en excuse. Et je suis heureuse de vous avoir avec nous. Voilà, c'est tout.
Et sans attendre de réponse, la princesse fit ralentir son cheval pour retourner aux côtés de Saï qui prit un air absent, faisant mine de n'avoir rien entendu. Pourtant, une bouffée d'affection pour la jeune princesse l'envahit. Une telle démarche demandait plus de courage qu'il n'y paraissait, surtout pour quelqu'un de son rang. Saï sentait confusément que ce genre d'attitude pouvait lui gagner une fidélité sans bornes de ses sujets et faire d'elle une formidable souveraine.
***
Ils voyagèrent ainsi pendant quatre jours. Quatre jours durant lesquels ils dormirent sous les étoiles et ne croisèrent âme qui vive. Quatre jours au bout desquels, poussée par la nécessité, à savoir : le froid et la baisse de leur réserve de nourriture, Eliz décida de mettre le cap vers la ville la plus proche.
Comme elle l'expliqua à ses compagnons, Hasselbrück était une bourgade prospère, à cheval sur l'Elm, un des principaux affluents du Reikstrom. En son centre, un unique pont monumental permettait de traverser la rivière. Lourdement flanqué de tours et d'échauguettes, il avait servi de péage à l'époque où l'Elm marquait la frontière entre deux seigneuries puissantes qui exerçaient un contrôle strict sur tout échange entre elles et taxaient impitoyablement les marchandises qui entraient sur leur territoire.
Eliz caressait l'espoir de traverser l'Elm à Hasselbrück. Cela leur permettrait de faire d'une pierre deux coups, et d'éviter d'avoir à chercher un pont ou un gué plus loin.
Après des discussions qui n'eurent lieu que pour la forme, Saï et Yerón furent choisis pour se rendre jusqu'à la ville. Leurs quatre autres compagnons s'installèrent à couvert dans un petit bois à l'écart de la route pour attendre leur retour.
L'idée de retrouver la ville avait tout pour plaire aux deux jeunes gens dont la capacité d'émerveillement devant la beauté de la campagne rivenz commençait à s'émousser. Mais sans Eliz, ils se sentaient soudain très vulnérables. Et le milliers de recommandations qu'elle leur avait faites avant leur départ, n'avaient guère contribué à les rassurer. Ils avaient laissé leurs montures aux bons soins de leurs amis, espérant se faire moins remarquer à pied.
Lorsque les deux jeunes gens rejoignirent la route pavée, large et bien entretenue, ils découvrirent une vue charmante sur le bourg. Le ruban argenté de l'Elm s'étendait sur leur gauche traçant un sillon dans une herbe si drue et d'un vert si vif, qu'on aurait pu la croire posée là par le pinceau d'un peintre un peu trop amateur de paysages idylliques. En arrière-plan, ils pouvaient déjà deviner les silhouettes arrondies des Dômes qu'ils allaient devoir traverser. Il faisait beau ce jour-là, malgré le soleil paresseux de ce matin d'hiver et ils n'étaient pas seuls sur la route. Quelques voyageurs et des chariots lourdement chargés progressaient eux aussi vers la grande porte qui s'ouvrait dans l'enceinte basse de pierre ocre d'Hasselbrück.
En se rapprochant, ils virent clairement les uniformes des soldats qui gardaient l'entrée. Leur tunique était bleue. Il ne s'agissait sans doute pas de Sulnites. Pourtant, cela ne signifiait pas qu'ils étaient tirés d'affaire pour autant, et Saï jeta un regard inquiet vers Yerón en réajustant le foulard qui cachait ses cheveux. Le jeune homme lui adressa un signe de tête encourageant et lui présenta son bras qu'elle prit sans hésiter. Jouer au couple était toujours une valeur sûre.
Quand ils arrivèrent aux portes, une carriole était arrêtée en plein milieu, bloquant presque la totalité du passage. Deux soldats avaient soulevé la bâche qui en protégeait le contenu et en inspectaient soigneusement l'intérieur. Saï hâta soudain le pas, espérant passer pendant que l'attention des gardes était occupée ailleurs. Mais Yerón la retint et ralentit jusqu'à s'arrêter complètement. La jeune fille se crispa, et baissa la tête. Avait-il perdu l'esprit ? Faisant le tour de la charrette, un troisième soldat vit le couple qui obstruait le passage.
– Qu'est-ce que vous faites là, allez, circulez ! leur ordonna-t-il avec impatience. Vous voyez bien que vous êtes au milieu !
– Nous attendons notre tour, nous n'avons pas été fouillés, dit Yerón d'un ton soumis.
Le soldat leva les yeux au ciel, excédé.
– Vous prétendez nous apprendre notre boulot, vous aussi ? Merci, mais nous savons ce que nous faisons ! Maintenant, dégagez de là avant que je vous fasse subir le genre de fouille dont vous vous souviendrez !
Les deux jeunes gens déguerpirent sans demander leur reste. Dès qu'ils furent assez loin, Saï souffla :
– Tu es fou ! Qu'est-ce qui se serait passé s'ils avaient voulu nous contrôler ?
– Je les sentais pressés, et j'avais vu qu'ils n'arrêtaient pas tout le monde. Je craignais d'attirer l'attention sur nous en nous dépêchant de passer. Disons que j'ai pris un risque calculé.
– Mais quand même un risque, grommela Saï avec ressentiment.
Les deux jeunes gens remontèrent les ruelles au hasard, se dirigeant approximativement vers le centre du bourg. Peu à peu, les rumeurs de la foule atteignirent leurs oreilles et ils pressèrent le pas.
Rien ne les avait préparés à ce qu'il découvrirent au tournant de la rue. La lumière du soleil qui se déversait sur la grande place les éblouit. Partout où se posait le regard, des tissus bariolés battaient au vent, protégeant des étals de toutes sortes. Pains croustillants, jambons rebondis, bijoux colorés... Le mélange des formes, des odeurs et des couleurs avait de quoi faire tourner la tête. Quelques artisans, cordonniers, tanneurs, couturiers, installés à leur établi, travaillaient à la demande et faisaient valoir leur savoir-faire. Rendant la foule plus impressionnante qu'elle ne l'était réellement, des charrettes et des animaux de bât encombraient le passage devant les commerces les plus populaires. Certains étaient visiblement là pour acheter en gros.
Au centre de la place, une grande tour s'élevait. Chacune de ses quatre faces était ornée d'une horloge décorée d'une mosaïque aux couleurs vives. Saï et Yerón venaient de découvrir le marché quasi-permanent d'Hasselbrück.
– Oh, sacré nom... si je m'attendais à ça, murmura Saï, submergée.
– Exactement ce qu'il nous faut, sourit Yerón. Du choix et l'anonymat de la foule.
– Je propose qu'on commence par les vêtements chauds, dit alors Saï, en pointant un étalage qui disparut à leurs yeux dès qu'ils furent happés dans le flot des acheteurs.
– Tu crois qu'il faut prendre quelque chose pour Kaolan ? s'inquiéta soudain Saï en se cramponnant au bras de Yerón pour ne pas le perdre. Il n'a jamais l'air d'avoir froid avec toute sa fourrure, mais tout de même...
– Ah, c'est un peu tard pour se poser la question... Il n'a peut être besoin de rien pour l'instant mais n'oublions pas que c'est vers les montagnes que nous nous dirigeons. Nous allons certainement devoir marcher dans la neige. Il vaut sûrement mieux lui prendre de quoi se protéger.
Les deux jeunes gens achetèrent des capes fourrées, des jambières épaisses et des gants. Saï revêtit aussitôt une des capes, avec un soupir de satisfaction. Ainsi équipée, la jeune fille voulut, avant de s'attaquer à l'achat de provisions, trouver un apothicaire. La trousse de soins que sa mère lui avait laissée avait été avalée dans l'incendie de la grange de Mr Wolfang, et elle voulait s'en reconstituer une nouvelle. Maintenant, avec le précieux savoir-faire qu'elle avait récolté auprès du guérisseur de la Résistance, elle se sentait beaucoup plus sûre d'elle. Elle était persuadée que ses capacités seraient, malheureusement, assez vite nécessaires au groupe, et que nul autre qu'elle ne pouvait s'en charger. En outre, elle devait avouer que la blessure de Yerón la tracassait. Elle s'était sentie bien démunie de ne pouvoir utiliser que de l'eau pour soigner le jeune homme.
Ce fut un peu à l'écart, sur les bords de la place, qu'ils finirent enfin par trouver la boutique qu'ils cherchaient. Saï entra bravement dans la pénombre de la petite échoppe. Sur tous les murs, des étagères s'élevaient en rangs serrés, débordant de flacons, de sachets et de guirlandes de plantes séchées. L'atmosphère était lourde d'un mélange d'odeurs entêtantes. Au fond de la pièce, derrière un comptoir surchargé, un petit homme la salua, sa figure joviale auréolée d'un tignasse et d'une barbe indissociables, pareillement broussailleuses, blanches comme la neige.
Saï commença par prendre plusieurs rouleaux de bandages ; avec ça, elle ne pouvait pas se tromper. Puis, avec plus de précaution, elle choisit différentes fioles contenant poudres et décoctions variées pour nettoyer les plaies, arrêter les saignements ou faire baisser la fièvre. Enfin, avec beaucoup d'hésitation, elle se décida à acheter quelques aiguilles et du fil, en priant Lilan pour qu'elle n'en ait jamais besoin. Ce fut au moment de payer qu'elle se rendit compte qu'elle n'avait rien pour ranger toutes ses acquisitions.
La jeune fille sortit de la boutique, les bras chargés, pour retrouver Yerón qui musardait à l'extérieur. Ce ne fut qu'après un crochet à l'étal d'un maroquinier où Saï acheta une belle sacoche pour compléter sa panoplie de guérisseuse, que les deux jeunes gens s'attaquèrent au gros morceau de leurs achats, à savoir, les provisions.
Sachant qu'ils étaient limités par la taille des sacs et le poids qu'ils étaient capables de porter, ils se concentrèrent sur de la viande et du poisson séché ainsi que des fruits secs et du fromage. Quelques miches de pain et des pommes vinrent boucher les rares trous qui subsistaient dans leurs sacs.
Chancelant sous le poids de son fardeau, Saï pesta.
– Le premier qui aura un avis sur ce qu'on ramène, prendra ma main dans la figure, grogna-t-elle.
– J'essaierai de soulager un peu le poids des sacs, mais je ne pourrai pas le faire tout le temps, avertit Yerón en appliquant une légère poussée sous le sac de son amie. Maintenant que nous avons terminé nos achats, allons vite voir ce fameux pont. Eliz veut savoir si nous pourrons l'emprunter facilement.
Les deux compagnons quittèrent l'agitation de la grand'place. D'ici, les rues étaient larges, et ils se dirigèrent sans peine vers les bords de la rivière. Quelques barges étaient amarrées le long des quais, attendant sagement leur chargement avant de se laisser glisser jusqu'à Riven. Hasselbrück était le dernier port où l'Elm était encore assez large pour supporter de telles embarcations. En amont, vers les montagnes, elle était turbulente et sinueuse. Son courant était bien trop dangereux pour qu'aucun marchand sensé n'y hasarde sa marchandise. Pour l'heure, les embarcadères étaient encombrés de caisses et de tonneaux qui s'empilaient tandis que des débardeurs lourdement chargés s'invectivaient dans un langage des plus fleuris.
Comme surveillant la scène, le pont barrait la rivière. Il était aussi impressionnant qu'Eliz le leur avait décrit. De ses tours crénelées, il dominait la ville, comme le rappel d'un passé belliqueux. Écrasés dans son ombre, Saï et Yerón s'approchèrent avec une feinte nonchalance. Et se figèrent. Entre les tours qui gardaient l'entrée du pont, une poignée de soldats sulnites barraient le passage. Prise au dépourvu, Saï eut un mouvement de recul. Yerón jura entre ses dents. L'un des gardes avisa les deux jeunes gens pétrifiés à quelques pas du pont.
– Olà, vous deux ! lança-t-il, sa méfiance soudain en éveil. Venez voir par ici !
– Oui, m'sieur ? lança Yerón alors qu'une sueur glacée envahissait sa nuque.
Il devina Saï, tétanisée à côté de lui et lui attrapa la main. Il avança lentement, un pas après l'autre, cherchant des yeux une solution autour de lui. Son regard tomba sur la péniche amarrée non loin d'eux et son front s'éclaira. Il serra la main de son amie pour lui faire comprendre de se tenir prête.
Un horrible craquement retentit alors. Un tonneau venait de voler en éclat, répandant le cidre qu'il contenait sur les quais. Malheureusement, il se trouvait à la base d'une pile de tonneaux semblables en attente de chargement. Les tonneaux s'inclinèrent lentement, puis comme au ralenti, s'écroulèrent, s'entraînant les uns les autres dans leur chute. Ils se fracassèrent sur le quai comme une bordée d'œufs frais. Les débardeurs poussèrent des hurlements, et se précipitèrent pour sauver ce qui pouvait encore l'être, dérapant dans l'alcool renversé dont l'odeur sucrée commençait à se répandre dans l'atmosphère.
Alertés par le fracas, les gardes sulnites se précipitèrent. Mais voyant que les dégâts n'étaient que matériels, ils assistèrent à la débâcle en lançant des quolibets moqueurs aux hommes qui tentaient de réparer les dégâts.
– Par le sang d'Ull ! jura soudain l'un des Sulnites.
Il venait de se rappeler des deux individus suspects qu'il était en train d'interpeller. Évidemment, dans la rue devant le pont, il n'y en avait plus trace. Les deux oiseaux s'étaient envolés.
Les oiseaux en question couraient à perdre haleine dans les rues d'Hasselbrück. La peur au ventre, Saï n'osait pas se retourner de crainte de voir qu'ils étaient poursuivis. Elle fit un écart à la dernière seconde pour éviter une femme aussi lourdement chargée qu'elle-même. Celle-ci lui lança un chapelet d'injures signifiant clairement qu'à ses yeux les jeunes d'aujourd'hui étaient d'un sans-gêne honteux.
Les deux fugitifs avaient enfilé les rues les plus étroites qu'ils avaient trouvées, ce qui relevait du défi dans cette partie de la ville, bifurquant chaque fois qu'ils le pouvaient. Maintenant, sans se concerter, ils reprenaient la direction du grand marché, avec l'espoir de se fondre dans la foule. Excepté les protestations des passants qu'ils bousculaient sur leur passage, aucun cris ne retentit derrière eux pour les forcer à s'arrêter. Mais ils ne voulaient prendre aucun risque. Sitôt revenus sur la grand'place, ils ralentirent avant de plonger dans la foule bariolée, désireux de ne pas attirer l'attention. La présence de deux jeunes gens lourdement chargés au milieu des étals n'avait effectivement rien d'extraordinaire. Ils fendirent la presse populaire au mieux. Agrippée à la manche de Yerón, Saï jetait des regards traqués tout autour d'elle, s'attendant à chaque seconde à voir apparaître des gardes sulnites au milieu de la foule.
Soudain une main tira un pan de sa cape, et elle poussa un cri étranglé. Un homme d'une cinquantaine d'années au visage poupin lui tendait une miche de pain.
– Excusez-moi, mais il me semble que ceci est tombé de votre sac, dit-il aimablement.
– Ah... oui... oui, bien sûr... balbutia Saï. Merci.
Elle s'inclina brièvement et se laissa entraîner par Yerón. Elle reprenait peu à peu son souffle, mais son cœur battait toujours à grands coups désordonnés.
– Nous sortons par la même porte, tout droit sans hésiter, murmura le jeune homme alors qu'ils sortaient du marché.
La sueur coulait sur son visage et il semblait avoir encore plus de peine qu'elle-même à reprendre sa respiration. Pourtant sa voix était calme et décidée, et cela la rassura.
Devant eux, la voie était libre. Nulle agitation suspecte ne leur barrait la route. Ils traversèrent la porte. Le cou rentré dans les épaules, feignant une impassibilité qu'ils étaient loin de ressentir, ils passèrent devant les gardes, bien plus occupés à contrôler le flux entrant que le flux sortant de la ville. Et enfin, ils furent dehors.
Saï frissonna, et dû se forcer pour ne pas se retourner. Son dos la brûlait, lui donnant l'impression qu'une cible écarlate s'étalait entre ses omoplates, et qu'une flèche pouvait s'y enfoncer à tout moment. Mais ils s'éloignèrent d'Hasselbrück sans encombre, et retournèrent vers leurs compagnons qui les attendaient.
Ce jour-là, ils avaient eu de la chance. Ce jour-là, plutôt que de se lancer dans une course poursuite hasardeuse dans les rues de la ville, sur un simple soupçon, les soldats en faction devant le pont d'Hasselbrück avaient préféré se moquer de leur camarade trop zélé qui leur aurait fait arrêter la moitié des villageois. Ce ne serait peut-être pas le cas tous les jours.
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