11- "Les pièges, ça marche toujours sur les humains." 2/3
Saï courait derrière Hermeline dans le tunnel étroit. L'écho du battement des pieds des résistants qui fuyaient emplissait ses oreilles, alors qu'elle tentait bravement de repousser la panique qui menaçait de la submerger. Saï savait que Tempête avait profité de la nuit pour aller chasser, aussi lui lançait-elle des appels mentaux frénétiques pour l'avertir de l'attaque de la carrière.
Elles débouchèrent enfin à l'air libre, dans la nuit froide. Devant l'entrée de la carrière, Magda rassemblait les groupes les uns après les autres, et les envoyait dans des directions différentes avec de brèves consignes et des vœux de chance. Dès qu'elle vit les deux jeunes filles, elle leur adressa un signe de tête.
– Allez vous cacher dans ces buissons, ordonna-t-elle en désignant un bosquet de genêts. Et attendez-moi. Moi ou Johann, ne faites confiance à personne d'autre.
Les deux jeunes filles obéirent sans discuter, et allèrent se faufiler dans les buissons.
Le capitaine Johann, suivi des autres combattants de la carrière, ne tarda pas à déboucher à son tour du tunnel.
– Vos pièges ont prouvé leur efficacité, nous n'avons pas vu l'ombre d'un Sulnite, déclara-t-il avec satisfaction en rengainant son épée. Est-ce que tout le monde est sorti ?
Magda grimaça.
– Il manque Jill, elle est repartie en arrière. Tous les autres se sont dispersés, comme convenu. Nous devons encore attendre...
À cet instant, une clameur retentit.
– Là, ils sont là !
– Chiens de rebelles !
– Essayez d'en garder quelques-uns en vie !
Avec sauvagerie, les Sulnites déferlèrent alors d'entre les arbres. Sortant leurs armes dont ils ne pensaient plus avoir besoin, les résistants firent front courageusement, le capitaine Johann à leur tête. Des carreaux d'arbalète sifflèrent.
Tapie dans le buisson, Saï agrippa Hermeline par l'épaule d'une main tremblante, craignant qu'elle se jette à l'assaut sans réfléchir. Et dire qu'elle s'était cru en sécurité une fois dehors... Elle était bien naïve.
– Où sont Yerón et Kaolan ? souffla-t-elle avec inquiétude, tu crois que...
Elle s'interrompit, voyant soudain Kaolan sortir du tunnel en hâte, poussant Jill devant lui.
Les deux archers comprirent aussitôt la situation et encochèrent une flèche dans leur arc.
– Je prends celui de droite, dit brièvement Jill, relâchant la corde.
Kaolan l'imita et les deux projectiles s'élancèrent de concert. Deux soldats sulnites encore en retrait s'écroulèrent, la poitrine transpercée.
Le corps à corps s'engagea aussitôt entre Sulnites et Rivenz. Heureusement pour les résistants, la troupe ne semblait pas au complet. L'autre moitié des effectifs que Kaolan avait vu progresser dans la forêt était probablement en train de se frayer un passage à travers les pièges de l'entrée de la carrière. L'homme-félin rangea son arc et tira ses lames courbes avant de se jeter dans la mêlée. Jill, qui n'avait pas le même choix, reculait, l'arc bandé, cherchant un angle d'attaque où elle ne risquait pas de blesser un de ses compagnons.
Le premier résistant tomba au sol, mortellement blessé. Kaolan bondit sur son assassin, traçant un sillon sanglant sur sa poitrine avant que celui-ci n'ait pu se féliciter de sa victoire. Malgré la surprise et la douleur, le soldat eut le temps de parer la deuxième lame de l'homme-félin. Il jeta un bref regard par-dessus l'épaule de Kaolan et celui-ci comprit qu'il allait être pris à revers. Avant même qu'il n'ait le temps de se retourner, un glatissement perçant retentit au-dessus de leurs têtes. Une masse de poils et de plumes s'abattit derrière Kaolan, déchirant un soldat sulnite de ses serres aiguisées.
Si Tempête n'avait pas encore atteint la taille de ses congénères adultes, il n'en avait pas moins bien grandi. Et une créature grande comme un poney tombant du ciel toutes griffes dehors, avait de quoi provoquer la panique dans les rangs des Sulnites non avertis. Le reconnaissant, les Rivenz, quant à eux, poussèrent des vivats devant ce renfort qu'ils n'attendaient pas. Le jeune griffon poussa un nouveau cri et se rua dans la mêlée, distribuant indistinctement, coups de pattes, de griffes et de bec.
Saï, quant à elle, parut beaucoup moins ravie de l'intervention de Tempête.
– Mais qu'est-ce qu'il fait là ? souffla-t-elle entre ses dents, je ne lui ai pas demandé d'intervenir ! Allez, va-t'en, va te mettre en sécurité !
Hermeline interrompit son monologue d'un coup d'épaule et pointa du doigt l'entrée de la carrière. Yerón en sortait, en s'appuyant lourdement contre la paroi. Il avait le teint blafard et tenait son bras droit serré contre lui. La manche de son manteau était imbibée de sang.
– Il est blessé, il faut aller l'aider ! s'exclama Saï.
Jetant aux orties les consignes de Magda sans le moindre remord, les deux jeunes filles jaillirent du buisson et se précipitèrent vers leur ami pour le soutenir.
Le Pwynys découvrit la scène de bataille qui se déroulait à l'extérieur, les yeux agrandis d'horreur.
– Alors, cela n'a servi à rien... constata-t-il avec amertume tandis que Saï et Hermeline le rejoignaient en courant.
Elles le retinrent alors qu'il allait se laisser glisser au sol.
– Est-ce que tu souffres ? Je peux essayer de te soigner, lui proposa Saï à sa gauche.
– Allez courage, tout le monde a encore besoin de toi, l'exhorta Hermeline à sa droite.
Yerón se redressa. C'était vrai, il y avait tellement de choses qu'il pouvait réaliser. Que lui seul pouvait faire pour aider ses compagnons. Pourtant, la douleur qui irradiait de son bras lui brouillait les idées et il avait le plus grand mal à se concentrer sur autre chose. Son regard revenait toujours sur sa blessure. Il avait déjà brisé le carreau le plus près possible de son bras, mais n'avait osé toucher à la pointe.
– Tempête, attention !
Le cri de Saï rappela Yerón à la réalité. Le Sulnite qui fonçait sur Tempête, l'épée au poing, la vit jaillir d'entre ses doigts pour atterrir quelques pas plus loin. Dans la foulée, deux autres Sulnites lâchèrent leur arme sans raison apparente.
– C'est de la magie pwynys ! cria soudain celui qui semblait être le chef du groupe en se jetant en arrière pour éviter l'épée de Magda qui siffla à quelques pouces de sa poitrine. Le groupe qui est recherché doit être ici, avec la princesse ! Du nerf les gars, il y a une grosse récompense pour leurs têtes !
A l'entrée de la carrière, les trois jeunes gens blêmirent.
– Oh non... murmura Saï en tirant les deux autres en arrière à l'abri du tunnel.
– Pas une bonne idée, protesta Yerón, résistant au mouvement. Je suis arrivé à dissimuler l'entrée du tunnel derrière moi, mais si le reste des Sulnites la trouve, nous allons nous retrouver en première ligne.
– Trouvez-les et tuez tous les autres ! continuait à brailler le chef sulnite. Il nous faut un Pwynys, une Jultèque, une gradée rivenz...
Il n'eut pas le temps d'en dire plus, son arme s'arracha de ses mains. Il pivota sur sa gauche pour éviter une attaque de Magda, sans voir Johann, qui, les yeux étincelants de rage, lui plongea son épée dans le dos.
Le visage du Sulnite se crispa en une expression de surprise alors que sa bouche s'emplissait de sang et il tomba lourdement en avant.
– D'autres amateurs ? cria violemment Johann en dégageant la lame du corps du Sulnite pour trouver un autre adversaire.
L'escarmouche commençait doucement à tourner en faveur des Rivenz. Désarmés par Yerón, les soldats sulnites tombaient peu à peu sous les coups des résistants qui se battaient férocement pour leur vie.
Alors que les corps d'une dizaine de Sulnites jonchaient déjà les abords de la carrière, des carreaux d'arbalètes furent soudain tirés d'entre les arbres. Plusieurs résistants furent touchés. Le reste de l'escouade sulnite qui avait trouvé la carrière vide, était revenue sur ses pas et chargeait maintenant en poussant des hurlements de loups. Surpris, les Rivenz reculèrent, présentant un front désuni qui fut aisément débordé.
Ayant remarqué les jeunes gens qui se tenaient en retrait, trois Sulnites à la trogne effrayante parvinrent à se frayer un chemin jusqu'à eux, l'arme levée. Si ceux-ci n'étaient pas des brutes, alors la nature leur avait joué un bien vilain tour en les affublant de ce physique.
Yerón n'hésita pas. Il fit un pas en avant, attendit que les soldats fussent assez proches de lui et, écartant brusquement les bras, relâcha une forte poussée d'air en arc de cercle autour de lui, la plus violente qu'il n'ait jamais produite. Emportés par leur élan, les Sulnites s'écrasèrent sur le mur invisible de toute leur vitesse. Deux tombèrent au sol, sonnés, le troisième chancela, mais ne recula que de quelques pas. Profitant de son égarement, Yerón fit voler son sabre hors de sa main. Celui-ci se reprit vite et jeta un regard haineux à Yerón. Avec un grondement rauque, il baissa la tête et fonça sur le jeune homme comme un taureau furieux. Paniqué, le Pwynys recula en hâte, dérapant dans le sol meuble. Cela l'inspira. Il se concentra sur le sol entre lui et le Sulnite. Inconscient de ce qu'il avait derrière lui, Yerón butta contre une racine et tomba en arrière, mais une tranchée profonde de quelques pouces se creusa dans la terre devant lui, en ligne droite jusqu'à l'homme. Le remblai s'amoncela devant ses pieds et, emporté par son élan, il trébucha lourdement, le nez dans la terre.
Pendant ce temps, Hermeline avait réagi avec vivacité. À peine Yerón eut-il repoussé leurs agresseurs qu'elle se jeta sur l'un des deux hommes assommés et s'empara de son arme. Puis elle la pointa sur la poitrine vulnérable, s'apprêtant à frapper. Mais soudain sa main trembla, hésita. L'homme était à terre, désarmé. Hermeline serra les dents, elle avait plus d'honneur que cela. Un éclair de dérision passa dans les yeux de l'homme et il roula sur le côté pour se relever. Il esquiva aisément le premier coup que la jeune fille lui porta, puis il se remit sur ses pieds. Lorsque Hermeline attaqua de nouveau, il bloqua la lame entre le plat de ses mains, comme si c'était la chose la plus simple au monde. Il ricana sûr de sa supériorité et commença à tordre l'arme hors des mains de la jeune fille avec lenteur, pour jouir plus longtemps de la peur qui déformait son visage.
À la suite de son amie, Saï s'était précipitée. Au vu de l'absence de létalité de son arme, elle ne s'embarrassa pas des mêmes scrupules, et abattit son bâton de toutes ses forces sur le deuxième homme. Elle avait toutefois trop tardé. Celui-ci, à moitié redressé, bloqua l'arme entre ses mains. Il l'attrapa et la tira violemment vers lui. Refusant de lâcher, Saï fut déséquilibrée en avant. Le Sulnite la poussa sans ménagement sur le côté et lui arracha le bâton des mains. Saï tomba et laissa échapper un cri alors que le choc lui vida brutalement les poumons.
Et soudain, Tempête fut là. Avec un cri perçant, il chargea furieusement le Sulnite qui tenait encore le bâton de Saï entre les mains. L'homme s'écroula sur son camarade, qui lâcha la lame que la princesse pointait sur lui. Le griffon bondit sur eux, et les déchiqueta de ses serres sans la moindre hésitation.
Hermeline se détourna du massacre pour se porter au secours de Yerón. Le Sulnite qu'il avait fait trébucher se relevait. Il allait bondir sur le Pwynys encore étendu au sol. Cette fois-ci, elle n'hésita pas. Rappelant à elle la terreur qu'elle venait d'éprouver en croyant que l'homme qu'elle venait d'épargner allait la tuer, elle plongea son épée dans le dos du soldat, de toutes ses forces. Tandis que l'homme s'abattait en avant avec un cri, elle lâcha l'arme et recula en chancelant.
– Je crois que je vais être malade, souffla-t-elle, livide, à Saï accourue pour la soutenir.
Pendant ce temps, Johann, aux côtés de Magda, se démenait comme un beau diable pour tenir à distance un Sulnite à la force impressionnante. Chaque attaque qu'il parait de son épée envoyait une onde de choc qui résonnait dans son bras jusqu'à son épaule. Un bref coup d'œil à sa gauche lui montra que Magda, blessée, était en aussi mauvaise posture que lui-même. Il serra les dents. S'il devait mourir ici, il emporterait le plus de Sulnites possibles avec lui.
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