10- "Cette opération valait totalement le coup." 2/2
Razilda prit un instant pour laisser ses yeux s'habituer à la pénombre de la pièce. L'atmosphère épaisse aux effluves réconfortantes de soupe, de fumée et de charcuterie qui l'enveloppa aussitôt ne lui laissa aucun doute sur le fait qu'il s'agissait effectivement de la cuisine. Dans l'immense cheminée qui occupait à elle seule tout un pan de mur, les braises rougeoyaient encore, donnant une si faible lueur qu'elles lui suffirent tout juste à deviner les obstacles devant elle. Razilda traversa la pièce à tâtons, sans faire le moindre bruit, malgré les empilements de casseroles et de marmites en équilibre précaire qui jalonnaient son chemin. Lorsqu'elle sortit de la cuisine, elle resta un instant immobile sur le pas de la porte, l'oreille tendue. Aucun bruit ne lui parvint. Les occupants du château semblaient tous paisiblement endormis. Sans hésiter, elle prit sur sa gauche dans le large couloir de service. Elle gravit quelques marches et poussa la petite porte réservée aux serviteurs. Elle se retrouva dans une grande galerie percée de larges fenêtres, dont les grands carreaux blancs et bleus luisaient doucement à la lumière de la lune.
A pas vifs mais silencieux, Razilda remonta la galerie. Elle se sentait étrangement bien, cette nuit. Mieux qu'elle ne s'était sentie depuis longtemps. L'adrénaline courait dans tout son corps. La Jultèque adorait ce mélange d'excitation et de sensation de maîtrise, qui était pour elle, la marque distinctive des missions réussies.
La galerie déboucha sans surprise sur le grand hall d'entrée. Trop facile. Des bruits de voix résonnèrent soudain non loin. Razilda se fondit aussitôt dans les ombres derrière un large pilier. Quatre gardes traversèrent le hall à la lueur d'une lanterne. Ils conversaient tranquillement pour tromper l'ennui de leur ronde. La Jultèque attendit patiemment que l'écho de leurs pas s'évanouît, puis elle sortit de sa cachette et s'élança dans les escaliers de pierre monumentaux.
Razilda se souvenait parfaitement de l'emplacement du bureau du gouverneur. Elle s'y dirigea sans hésiter, ne marquant que quelques brefs arrêts pour vérifier que la voie était libre.
Ici, les proportions des pièces, couloirs et galeries qu'elle traversa étaient bien moins grandioses qu'à l'étage du dessous. Dans cette partie du château, la praticité l'emportait sur le besoin d'en mettre plein la vue aux visiteurs.
Razilda reconnut alors le couloir dans lequel elle avait fait le pied de grue en attendant la fin de l'entretien des Schönborn avec le gouverneur. Il n'y avait plus qu'à espérer que celui-ci n'eût pas l'habitude de travailler jusqu'à tard dans la nuit. Elle s'approcha à pas de loup et constata qu'aucune lumière ne filtrait sous la porte. Elle posa une main sur l'épais battant de bois pour confirmer, et ne perçut aucune présence à l'intérieur. Sa main se posa sur la poignée et poussa.
Fermé.
Nullement découragée, Razilda sourit et sortit quelques instruments de la petite sacoche qu'elle portait autour de la taille. Un peu de difficulté était plus que bienvenue, sinon où serait le mérite ? Elle travailla une longue minute sur la serrure et celle-ci finit par céder dans une série de cliquetis d'agonie.
Razilda entra dans le bureau et referma la porte. Tout de suite, elle tourna la tête vers l'imposante cheminée. Elle était là, accrochée au-dessus du foyer, l'épée splendide pour laquelle les résistants seraient prêts à tout. La Jultèque se hissa sur le manteau de la cheminée, et tendit les bras pour décrocher l'arme. Prenant bien garde à ne pas en toucher la poignée, elle se saisit du fourreau de cuir semé de pierres précieuses. Ceci fait, elle descendit de la cheminée d'un bond léger. Elle parcourut l'arme d'un regard appréciateur. Elle était réellement magnifique, et il lui fallut un effort de volonté pour ne pas la tirer de son étui pour en admirer la lame. Razilda se permit un bref sourire de triomphe. Elle avait hâte de voir la tête que ferait Eliz lorsqu'elle la lui brandirait sous le nez.
N'étant pas une espionne pour rien, la Jultèque ne quitta pas tout de suite la pièce et la balaya d'un regard circulaire. Après tout, elle se trouvait maintenant dans le centre névralgique de l'autorité sulnite sur Riven'th. Il aurait été dommage de ne pas en profiter davantage.
Elle enfouit Soleil Triomphant dans le sac qu'elle portait sur l'épaule et se tourna tout naturellement vers le lourd bureau marqueté. Par habitude, elle en caressa la surface. Elle aimait le bois, bien plus perméable aux émotions que les autres matières inertes. Pourtant, là, elle ne perçut rien que des sensations si diffuses qu'elles en étaient inexploitables. Un nœud se forma dans son estomac, ce n'était pas normal. Était-ce ce moment que choisissait les effets de la Source pour s'estomper ?
Ce serait une catastrophe.
Razilda avala sa salive avec difficulté et s'empara d'une pile de papier en évidence. Elle s'approcha de la fenêtre pour les parcourir à la lueur diffuse du clair de lune. Il s'agissait d'une série de rapports provenant des différentes garnisons sulnites éparpillées sur le territoire rivenz. Ils faisaient état d'escarmouches avec les rebelles, du comportement de la population à leur égard et listaient des prisonniers. Certains réclamaient même l'intervention des Loups de Sulnya dans leur localité. En en lisant le contenu en diagonale, Razilda remarqua avec un pincement au cœur que plusieurs de ces rapports notaient l'existence d'épées lumineuses dans les rangs de la rébellion, sans toutefois en comprendre la signification. Elle grimaça. Il était inévitable que le secret finît par être éventé. Les porteurs d'Épées de Loyauté étaient fatalement voués à se retrouver dans les rangs de la Résistance, combattant ensemble. Au moins, les Sulnites ne disposeraient plus de Soleil Triomphant pour leur servir de détecteur.
La Jultèque reposa les rapports sur le bureau et en ouvrit les tiroirs les uns après les autres. Elle en sortit plusieurs dossiers, tous soigneusement annotés. Le gouverneur Eskandar était visiblement un homme ordonné. Avant de reprendre ses investigations, Razilda tendit à nouveau l'oreille. Mais nul bruit sortant de l'ordinaire n'éveilla son attention. Elle retourna donc à la fenêtre et s'assit par terre, la pile de dossiers sur les genoux. Elle en parcourut rapidement les titres. Soudain l'un d'eux captura son attention.
Jultéca – Ardeshar.
Elle le relut plusieurs fois sans comprendre. Ardeshar ? L'astrologue de la cour de l'empereur ? Comment pouvait-il être en relation avec... Et soudain les pièces du puzzle se mirent en place. Évidemment. Ardeshar était un agent sulnite. C'était de là que venait cette sensation de familiarité qu'elle avait eu en côtoyant les Sulnites sur Riven'th.
Mais qu'est-ce que cela pouvait signifier pour sa patrie ? Le cœur battant, elle ouvrit le dossier d'une main impatiente.
Ce qu'elle lut sur la première missive n'avait pas la portée internationale qu'elle avait imaginé.
Votre Excellence,
Je vous prie bien humblement de m'excuser pour oser m'adresser directement à vous, mais le sujet est d'importance. Vous n'êtes pas sans savoir que nous avons dépêché une espionne jultèque sur Riven'th. Pour les raisons qui vous ont déjà été exposées, Son Altesse le Prince Isfarak a décidé qu'elle était devenue une menace pour ses desseins et que nous devions l'éliminer. Mon contact jultèque que vous connaissez bien, JG, devait s'en charger. Malgré mes messages répétés, je n'ai aucune nouvelle de sa part. L'Empereur lui-même, n'a reçu aucun message de RdG quant à l'avancée de la mission qui lui avait été confiée et s'en inquiète.
Connaissez-vous sa localisation ? Savez-vous si elle est toujours vivante ?
Je vous assure de l'intérêt que Son Altesse porte à cette affaire et je vous conjure de...
Blablabla... Tout le reste n'était que formules de politesse et autre enrobage.
Bouleversée, Razilda relisait la lettre, encore et encore. Elle s'en voulait presque de l'intensité du soulagement qui venait de se déverser sur elle.
Ce n'était pas l'Empereur qui avait décidé de son assassinat, mais le prince sulnite. Pour quelles raisons ? Elle n'en avait aucune idée. En revanche, ce qu'elle comprenait parfaitement, c'était que les Sulnites avaient brusquement décidé d'étendre leur influence par tous les moyens. En prenant Riven'th par la force et en infiltrant Jultéca'th de l'intérieur. Malgré la haute opinion qu'il avait de lui-même, le vieil Empereur était aisément manipulable. Il suffisait de comprendre quelle était la bonne approche à avoir. Et Ardeshar avait manœuvré à merveille.
Razilda sentit la fureur naître lentement dans sa poitrine. Une fureur froide et tranchante comme une lame. Les Sulnites allaient payer très cher ces manipulations. Ils n'auraient ni Jultéca'th, ni Riven'th, elle y veillerait personnellement.
Ayant perdu tout intérêt pour les autres informations que les documents pouvaient contenir, elle les rangea là où elle les avait trouvés avec un soin mécanique. Elle réfléchissait déjà à sa vengeance.
Toute à ses plans, Razilda ne prit pas ses précautions habituelles avant de sortir du bureau. Bien mal lui en prit. Dès qu'elle fut dans le couloir, un cri alarmé s'éleva.
– Hé, qui va là ?
La Jultèque se trouva face à une patrouille de gardes, aussi surpris qu'elle. Mais bien moins réactifs. Parmi tous les mensonges qu'elle aurait pu dire pour justifier sa présence ici et gagner du temps, elle n'en choisit aucun. Elle frappa.
La paume de sa main vint percuter violemment le nez du garde le plus proche d'elle. La force du geste l'envoya s'écraser contre le mur. Razilda tira sa rapière, esquiva l'assaut du second garde et transperça la poitrine du troisième.
Elle n'attendit pas de voir le résultat de sa manœuvre et enfila le couloir de toute sa vitesse. Les gardes hurlaient derrière elle. Bientôt elle aurait tout le château à ses trousses. Elle bifurqua dans un couloir transversal, monta quelques marches, et tourna encore chaque fois qu'elle le put. Elle entendait encore les cris des Sulnites derrière elle.
Razilda déboucha dans une galerie. Hors d'haleine, elle se glissa derrière un des lourds rideaux de velours qui ornaient les fenêtres. Les bruits de cavalcade se rapprochaient. Elle retint son souffle, le cœur battant. Le nombre de ses poursuivants semblait avoir doublé. Des cris et des appels retentissaient, de lourdes bottes martelaient les couloirs. Mais les soldats s'éloignèrent sans la voir.
Razilda respira un instant. Elle ne pouvait pas rester ici. Il suffirait de quelques minutes et les recherches allaient s'organiser plus rationnellement. Elle jeta un coup d'œil par la fenêtre. En contrebas, elle vit les jardins intérieurs du château. Elle considéra un instant les options qui s'offraient à elle. Le premier étage n'était pas si haut...
Après s'être assurée qu'elle n'entendait plus aucun bruit de poursuite, elle ouvrit la fenêtre avec des trésors de précaution et se faufila sur le balcon avant de repousser le battant derrière elle. Elle resta un instant accroupie, s'assurant qu'elle n'avait pas été vue. Puis elle enjamba la rambarde.
***
Eliz faisait les cent pas dans le froid vif de la nuit, tapant des pieds pour se réchauffer. Elle jetait des regards nerveux vers le château.
– Tu t'inquiètes trop, lui lança Griffe, exaspérée par son manège.
– J'aurais dû l'accompagner, grogna Eliz. Alors d'accord, je l'aurais ralentie, je l'aurais encombrée, mais au moins j'aurais été au courant de ce qui se passe.
– Bien sûr, et vous auriez fini par vous étriper au lieu de remplir votre mission. Et moi, tu m'aurais laissé dans un coin du jardin pour ne pas que je me mette à briller, c'est ça ? Quelle loyauté !
Eliz soupira et tourna une nouvelle fois la tête vers le château. À cet instant, de la lumière apparut à une fenêtre, puis à une autre un peu plus loin, et encore à une troisième. Son cœur rata quelques battements. Cela ne pouvait pas être bon signe. Elle se tapit contre l'arche d'if, tous les sens en éveil, à la recherche du moindre indice qui pourrait la renseigner sur ce qu'il se passait à l'intérieur. Et soudain elle aperçut Razilda, silhouette noire accrochée comme une araignée à la façade du château.
– Qu'est-ce qu'elle fabrique ? souffla-t-elle avec anxiété. Elle s'est perdue ou quoi ? Il n'y avait vraiment aucun autre moyen de sortir ?
La Jultèque progressait avec prudence, profitant de l'ombre des immenses oriflammes pour se dissimuler. Les fenêtres du château continuaient de s'illuminer inexorablement, les unes après les autres, et cela sembla finalement attirer l'attention des sentinelles en haut des murs.
Razilda n'était plus qu'à une toise du sol lorsqu'une des fenêtres s'ouvrit sur un garde qui sortit sur le balcon.
– Là, il est dehors ! cria-t-il soudain dans le silence de la nuit. Attrapez-le !
Razilda se lâcha aussitôt et tomba droit dans un massif de buis, disparaissant aux yeux d'Eliz. Celle-ci n'osait tirer son épée, de peur de révéler sa position au cas où son arme se mettrait à briller. Les cris du garde furent repris par les sentinelles, et aussitôt des carreaux d'arbalète sifflèrent dans la nuit. Un son mat se fit entendre lorsqu'ils se plantèrent dans le sol. Eliz n'eut pas le temps de respirer de soulagement que Razilda, échevelée et égratignée, réapparut d'entre les buissons à quelques pas du labyrinthe. Elle s'y jeta alors que de nouveaux carreaux vrombirent au-dessus de sa tête.
– Il est là, dans le labyrinthe ! cria une voix. Tous avec moi !
– Désolée, j'ai merdé, lâcha brièvement Razilda. Comment va-t-on ...
– Viens, suis-moi, la coupa Eliz sans attendre. Il y a un moyen.
Ce n'était pas par hasard qu'Eliz avait choisi le labyrinthe d'if comme cachette. Un château a toujours besoin d'issues secrètes. Régner depuis un palais inexpugnable est des plus impressionnant, mais s'y laisser piéger comme un rat en cas de guerre, de révolution, ou de coup d'état serait le comble du ridicule. Et s'il y avait bien un qualificatif que les Soltanhart ne pouvaient souffrir, c'était celui-ci.
L'une de ses issues de secours se trouvait là, au centre du labyrinthe. Ce dont Eliz, en sa qualité de capitaine de la Garde Céruléenne, était parfaitement au courant. Sans hésiter, elle entraîna Razilda à sa suite à travers le dédale de haies, jusqu'à une tonnelle installée dans un espace dégagé. Des bancs de pierre permettaient une pause bien méritée au promeneur fatigué. Un vieux puits bordé de massifs de fleurs s'élevait à côté. Eliz se jeta dessus et bondit sur la margelle.
– Vite, descends là-dedans, intima-t-elle. Il y a une échelle.
Le ton de la voix d'Eliz ainsi que les appels de plus en plus proches des Sulnites qui avaient déjà dû pénétrer dans le labyrinthe, ne laissaient aucune place aux questions.
Razilda imita la Rivenz et se laissa glisser à l'intérieur du puits. Du bout du pied, elle trouva des barreaux métalliques scellés dans la pierre qu'elle commença à descendre.
– Vite, vite, marmonnait Eliz entre ses dents.
Dès que Razilda fut assez enfoncée à l'intérieur du boyau de pierre, elle la suivit.
Après quelques toises de descente, les rayons de la lune les abandonnèrent à leur sort et elles se retrouvèrent dans le noir complet. N'existaient plus pour elles que les barreaux de métal, glacés dans leurs mains et glissants sous leurs pieds. Ainsi que leurs deux respirations oppressées qui bourdonnaient à leurs oreilles. Les appels des Sulnites se faisaient de plus en plus étouffés, ce qui n'empêchait pas les deux femmes de craindre à chaque instant qu'un visage ennemi ne vînt s'encadrer dans le cercle de ciel sombre qui se découpait au-dessus de leur tête. Mais cela n'arriva pas et Razilda sentit enfin la terre ferme sous son pied. La terre ferme ou quoi que ce soit qui en tenait lieu. C'était assez difficile à identifier dans les ténèbres.
– Et maintenant ? murmura la Jultèque la main posée sur la paroi de pierre tandis qu'Eliz la rejoignait en bas.
– Par ici, dit la voix de la Rivenz tout près de son oreille.
Celle-ci tâtonna un instant avant de lui attraper le poignet pour l'entraîner dans une direction bien précise. Razilda dut faire un effort sur elle-même pour se laisser guider dans les ténèbres.
– Maintenant, on peut faire de la lumière, dit alors Eliz en fouillant à l'aveuglette dans son sac.
La lumière jaillit de la lanterne, blessant les yeux et illuminant un tunnel taillé dans la roche qui aboutissait d'un côté aux parois circulaires du fond du puits.
Eliz leva haut sa lanterne.
– Par ici, dit-elle avec un signe de main.
Elles enfilèrent rapidement le passage, tentant d'étouffer l'écho de leur pas.
– Malin de la part des Soltanhart, commenta Razilda à mi-voix. C'est une ingénieuse issue de secours qu'ils se sont installée.
– Et qui a démontré son utilité par le passé, ajouta Eliz.
Celle-ci ralentit soudain l'allure et se tourna vers la Jultèque.
– Alors ? Est-ce que tu as pu la récupérer ? demanda-t-elle avec une brusque impatience.
– Tout ne s'est peut-être pas passé de manière idéale, mais je suis tout de même une professionnelle, regarde, répondit Razilda en entrouvrant son sac.
A l'intérieur, la garde de Soleil Triomphant étincela à la lueur de la lanterne.
– Elle est magnifique, souffla Eliz avec une tendresse empreinte de respect.
Razilda jeta un bref coup d'œil à son visage, soudain transformé.
– C'est assez vrai, ma foi, laissa-t-elle échapper comme à regret.
Le tunnel continuait en pente douce, et s'emplit peu à peu d'un air vif et salin. Bientôt, le bruit des vagues parvint à leurs oreilles. Sans quitter le souterrain, elles arrivèrent au bord d'un quai de fortune auquel une barque était amarrée, tanguant doucement au gré du courant. Après avoir rapidement vérifié à son état que cela ne faisait pas plusieurs décennies que l'embarcation attendait d'éventuels fuyards, elles grimpèrent à bord l'une après l'autre. Sans qu'aucune parole ne soit échangée entre elles, Eliz s'empara des rames et Razilda détacha l'amarre.
La Rivenz manœuvra avec précaution pour sortir de la grotte. L'entrée de celle-ci avait été intelligemment orientée de manière à ce qu'elle soit invisible vue du large. Mais ce n'était pas depuis le large qu'Eliz craignait d'être repérée, aussi voulait-elle rester dans l'ombre de la falaise. Elle dut lutter de toutes ses forces contre le ressac pour ne pas voir leur fuite échouer lamentablement sur les rochers.
Lorsque la manœuvre de la barque ne nécessita plus toute sa concentration, Eliz tourna enfin son attention sur sa passagère. Elle se sentait étrangement exaltée. Enfin, après plus de deux mois, elle avait l'impression que ce qu'elle venait d'accomplir avait réellement du sens.
– Eh bien, ce n'est pas si mal pour une première mission en duo, qu'en penses-tu ? dit-elle avec optimisme.
Razilda considéra un instant la femme qui lui faisait face. Ses biceps roulaient régulièrement sous l'effort qu'elle fournissait pour les éloigner du château et ses yeux luisaient de la même euphorie qu'elle ressentait elle aussi, maintenant que la tension était retombée. Elle ne put s'empêcher de lui rendre son sourire.
– C'est un bon début, je te l'accorde. Je suis persuadée que nous sommes encore loin de notre plein potentiel, répondit-elle. Mais la mission n'est pas terminée tant que nous ne sommes pas sorties d'affaires.
« D'ailleurs, si tu me permets de te demander, pourquoi ne sommes-nous pas passées par là à l'aller ? Avais-tu tant envie que ça d'escalader la falaise ?
Eliz eut le bon goût de paraître embarrassée.
– Je ne voulais pas dévoiler l'existence de ce passage, sauf extrême nécessité. Cela m'avait paru plus... sûr..., tenta-t-elle de se justifier.
– C'est admirable de ta part, tu as préféré risquer une chute mortelle plutôt que de me révéler ce secret, railla la Jultèque. Il faut se méfier des secrets, tous ne méritent pas que l'on meure pour eux.
Et toute information ne mérite pas non plus d'être transformée en secret. Razilda se demanda alors si ce n'était pas le bon moment pour parler à Eliz de ce qu'elle avait découvert dans les dossiers du gouverneur. C'était bien ce qu'il convenait de faire lorsque l'on travaillait en équipe, n'est-ce pas ?
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