Chapitre II
Les mails défilaient devant les yeux de Charlie, eux qui se refermaient déjà d'eux-mêmes. Mais il était seulement huit heures moins cinq, elle avait encore toute la journée à affronter...
Alors qu'elle allait retenir un nouveau bâillement, Benoît et Sidonie entrèrent en trombe dans le bureau, une pile de classeurs dans les bras.
— Hello, hello ! scanda Benoît. Mais qu'est-ce que tu fais déjà là, toi ? Tu as commencé depuis longtemps ?
— Non, non, l'histoire de quelques minutes... répondit la jeune fille.
— Je te parie qu'elle était déjà là à l'aube, nota Sidonie. Il faut que tu arrêtes de faire ça, Charlie, tu vas te tuer au travail !
— Ce n'est pas ma faute, Thierry m'a demandé de terminer ça pour demain, et je n'en suis qu'au début.
Tout en répondant cela, Charlie continua de pianoter sur son clavier, en essayant d'éviter les yeux inquisiteurs de ses collègues. Elle sentait leur air affligé dans son dos, et cette sensation était horriblement désagréable. Mais au bout de quelques secondes, Sidonie se décida à libérer ses longs cheveux sombres de son écharpe, et elle s'installa sur son fauteuil tout en allumant son PC. Benoît, lui, laissa tomber son sac en toile sur le sol. Le bruit mat résonna dans la pièce, suivi du son des classeurs qui s'affalèrent sur son bureau.
— Pfff... La semaine va être chargée, apparemment ! J'ai déjà deux articles à écrire et à mettre en ligne sur internet pour ce soir.
Les lamentations du jeune homme se perdirent avant d'atteindre les oreilles de Charlie, qui ne prêtait aucunement attention à ses deux compères de travail. Rien d'autre ne l'intéressait pour le moment, excepté terminer cet article à temps pour le dévoiler à leur chef, Thierry Jobert. Le magazine « Science & fuse » pour lequel elle travaillait depuis plusieurs années commençait à prendre de l'ampleur dans le pays, et cette recherche sur les cellules cancéreuses semblait extrêmement intéressante. Malheureusement, le sujet était affreusement compliqué...
— Et sinon...
Quand Charlie perçut les premières intonations de voix de Benoît, elle se redressa déjà sur sa chaise. Elle savait ce qu'il allait demander :
— Toujours pas de nouvelles sur l'avancée de l'enquête ?
Dans cette question, Charlie ressentait une réelle compassion, mais une curiosité mal placée persistait malgré tout. Ce qu'elle détestait quand on lui demandait des nouvelles d'Ezra... Tout ça ne les concernait pas.
— Tu lui as déjà demandé ça la semaine dernière, lâche-la, un peu ! persifla Sidonie en lui jetant un regard noir.
— Je suis désolé ! C'est juste que je m'inquiète pour elle ! répondit Benoît en chuchotant, ses yeux bleus grand ouverts.
Cependant, Charlie lança tout de même :
— Non, rien de nouveau concernant l'enquête. D'ailleurs, il n'y aura sûrement plus aucune avancée.
En lâchant cela, elle sentit ses doigts se bloquer au-dessus de son clavier, et elle cacha sa main à l'aide de l'autre pour ne pas dévoiler ces nouveaux tremblements.
— Comment ça ?
Benoît avait presque crié sa question, et son visage s'était froissé sous le coup de l'étonnement. Une dizaine de rides venait d'élire domicile sur son front soucieux. Sa main aux ongles mieux taillés que ceux de Charlie rejoignit sa bouche pour retenir un hoquet de stupeur.
— D'après la police, un adulte majeur, sain d'esprit et sans antécédent juridique ou psychiatrique a le droit de disparaître. Comme ça, sans raison apparente. La disparition d'Ezra n'a rien d'inquiétant, donc ils l'ont classée volontaire.
— C'est... c'est dégueulasse ! Je suis sûr que c'est dû à leurs problèmes économiques et toutes ces merdes. Et s'il était vraiment arrivé quelque chose de grave à ton petit copain ? Je ne sais pas comment tu fais pour supporter tout ça, ma pauvre. Si Nathan avait disparu du jour au lendemain, j'aurais...
— Benoît ! Ta gueule, maintenant !
La main de Sidonie claqua sur la table, et Charlie sursauta sur le coup. Dans le reflet de son ordinateur, elle discerna deux petites larmes au creux de ses cernes, et elle se dépêcha de les faire disparaître d'un revers de manche.
— Pardon, Bambi, je ne voulais pas te blesser. C'est vrai que je peux m'emporter, par moments... Et tu ne voulais pas prendre quelques jours de repos après ça ?
La blonde tiqua en entendant le surnom dont Benoît l'avait affublée. Bambi... Il l'avait baptisée ainsi dès leur première semaine de travail passée ensemble. Et ce n'était non pas pour faire allusion à ses longs cils, mais à ses yeux clairs qui frémissaient sans arrêt. Ils se posaient sur tout, changeaient de direction chaque seconde pour ne rater aucun détail. En réalité, elle avait été terrifiée par ce nouveau boulot et avait tellement voulu bien faire... Elle était aussi apeurée que le pauvre petit Bambi dans cette immense forêt.
— Non, non, je préfère travailler pour me vider les idées, répondit-elle enfin. Ça m'évite de pourrir sur mon canapé, un paquet de kleenex sur les genoux.
Un léger sourire fissura le visage du jeune homme, qui finit par lâcher :
— Tu es une vraie petite guerrière, ma Charlie.
En lançant cela, Benoît se releva de son fauteuil et accourut vers la jolie blonde. Ses lèvres atterrirent sur la pommette de Charlie. Ses yeux fatigués retrouvèrent un peu de leur éclat, eux qui illuminaient toute la pièce auparavant.
— Tu as l'air d'être une personne si... si pure. J'aimerais réellement recevoir un peu de ton caractère ! s'écria Benoît.
En entendant cela, la blonde se crispa légèrement en se souvenant ce qu'elle était avant. Si seulement il savait par où elle était passée...
***
— Bon. Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ?
— J'en sais rien... Je voulais juste quitter cette fête avant de me suicider là-bas.
— Je te ramène chez toi, alors ?
Un long silence s'ensuivit, comblé par la pluie qui tambourinait sur le pare-brise.
— Oui, faisons ça.
Les deux jeunes adultes ne rajoutèrent rien, et Ezra alluma le contact en un léger vrombissement. Les roues se déplacèrent sur le bitume trempé, avant que la voiture ne prenne de la vitesse. Tous les mètres, un nouveau lampadaire éclairait les deux visages blafards, et le jeune homme eut du mal à garder les yeux rivés sur la route. Le temps était mauvais pourtant ; il aurait dû rester attentif. Mais Charlie resplendissait trop pour qu'il ne puisse s'empêcher de la regarder avec adoration. Mon dieu, ce qu'elle était belle... Elle n'était sûrement pas du goût de tout le monde, avec son nez droit et imposant au milieu de ce visage si fin et cet air toujours soucieux qui dessinait quelques rides sur son front ; mais aux yeux d'Ezra, Charlie était parfaite. Ces "imperfections" lui donnaient du caractère, la rendaient plus intéressante. Elle écarta ses mèches blondes de son visage et les coinça derrière ses oreilles, d'un air absent.
— Tu connais mon adresse ?
Cette remarque sceptique sortit Ezra de ses contemplations, et il dut réfléchir un instant avant de comprendre ce que cette fille sublime attendait de lui.
— Euh, oui. Ma cousine m'a dit que tu habitais à deux pas de chez elle. Donc je vois très bien.
— Parce que tu parles de moi avec ta cousine ?
A cette question, les joues du pauvre homme s'embrasèrent, et Charlie se mit à rigoler. Un rire si franc, si beau.
— Ne t'inquiète pas, je rigole ! C'est marrant, tu sembles être un garçon hyper expressif.
— Ouais, j'ai un peu de mal avec ça.
— Ne t'inquiète pas, ce n'était pas une insulte.
Les doigts d'Ezra s'agrippèrent au volant, s'enfoncèrent dans le cuir. Il allait défaillir. Les yeux d'habitude rêveurs de Charlie s'illuminèrent de malice quand elle découvrit que sa remarque avait fait effet.
Elle était comme ça, Charlie. Elle était belle et elle le savait. Elle était manipulatrice et elle s'en servait. Un nouveau garçon venait de mordre à l'hameçon, et elle avait bien l'intention de le faire tourner en bourrique, lui aussi. Il vivrait le même enfer que tous ces pauvres hommes avant lui, et son air encore enfantin et si serein ne changerait pas les choses.
Les gens avaient raison quand ils disaient que la jeune fille était une bombe, elle en était une. Une bombe à retardement qui décimait tout sur son passage, explosait en faisant voler les débris et en faisant résonner le monde entier. Et elle adorait ça.
— Je tourne ici, c'est ça ?
Ezra avait manqué de s'étrangler en demandant cela, et Charlie s'empressa de ramener ses yeux vers la route devant elle. Rue des Aigles, oui, c'était là.
— Exact. Mais si tu veux, on peut s'arrêter un peu, avant. Tu pourrais... éteindre le contact et te garer sur le côté. Histoire de profiter des derniers instants de la nuit.
— Comment ça ?
— Je suis sûre que tu vois de quoi je parle...
En comprenant l'allusion de Charlie, le garçon sentit la sueur couler le long de son dos. Le chauffage devait être allumé, pour qu'il fasse aussi chaud tout d'un coup.
— Non. Désolé, je ne préfère pas, répondit le jeune homme en se redressant sur son siège. Je ne veux pas m'arrêter et fricoter avec toi en pleine nuit, alors que je ne connais même pas ton nom de famille ou l'endroit où tu habites.
Ezra avait remarqué cela en riant légèrement, mais il demeurait sérieux malgré tout. Cette proposition était contre tous ses principes.
— Charlie Izaas, dix huit ans, pour te servir, mon cher. J'habite au 2 Rue des Aigles, et je n'ai rien à faire, ce soir. J'ai peur de m'ennuyer...
En lançant cela de son ton mielleux, Charlie s'approcha d'Ezra et fit voler ses effluves d'alcool jusqu'au nez du garçon. Cette réaction inquiéta le jeune homme, et très vite, il fut déçu par la personne qu'il conduisait actuellement et qu'il vénérait depuis plusieurs mois. Comment avait-il pu passer à côté de ce comportement si superficiel ?
— Je regrette, mais... je ne veux pas. Je ne ferai pas ça. Ce que tu fais avec tous les garçons que tu croises...
— Mais qu'est-ce que tu racontes ? Je suis vraiment intéressée par toi, tu as l'air hyper sympa, Ezra !
— Oh, tu connais mon prénom, remarqua Ezra en souriant pour oublier la gêne qui le paralysait tout entier. Mais il faudra un peu plus que ça, pour la prochaine fois.
En entendant cela, la femme à l'air si assuré eut l'impression de recevoir un uppercut en plein dans le menton.
— Je...
— 2 Rue des Aigles, le trajet est terminé. Tu peux sortir, et évite de te prendre les pieds dans ta robe en ouvrant la portière.
Ezra freina d'un coup sec, et coupa rapidement le moteur. Les gouttes de pluie s'écrasèrent avec encore plus de force sur la voiture, et le jeune homme hésita un instant quand il remarqua que Charlie ouvrait déjà la portière pour s'en aller. Son menton était toujours levé, elle n'avait pas perdu une once de fierté. Mais ses yeux étaient devenus froids, métalliques, et Ezra comprit que la blonde était en colère. Pourtant, il se risqua tout de même :
— Charlie ! Tu devrais faire plus attention... à toi et aux personnes qui t'entourent.
Charlie ne répondit rien. Ezra crut que la pluie avait recouvert ses paroles, qu'elle les avait noyées avec elle. Mais c'était faux, la jeune femme avait tout entendu, tout compris. Et cette remarque s'empêtrait dans sa tête et lui pinçait la poitrine avec fougue. Alors la briseuse de coeurs s'empressa de rajuster la bretelle de sa robe en soie et de fuir ce véhicule et la personne à l'intérieur. La portière claqua dans son dos, et quelques secondes plus tard, elle entendit les roues crisser sur le bitume trempé. Bientôt, les phares ne devinrent plus que deux petites lanternes, qui s'éteignirent dans la nuit noire. Il n'avait même pas essayé de la retenir, pensa-t-elle.
Charlie se mit alors à frissonner. Les gouttes qui tombaient du ciel éclatèrent une à une sur ses épaules dénudées, et ses cheveux commencèrent rapidement à friser sur le haut de son crâne. Elle se sentait vulnérable, et elle détestait ça.
Aucun bruit ne gênait le quartier silencieux, rien ne perturbait ce calme effrayant.
Ezra, lui, faisait rouler son véhicule à plein régime. Il avait osé dire ce qu'il pensait, il avait osé s'opposer aux demandes de son idéal féminin. Idéal qui ne l'était pas tant que ça, finalement... L'idée qu'il se faisait de Charlie était encore floue. Un peu ternie à cause des récents événements, mais toujours lumineuse, éclatante. Finalement, il se rendit compte que ce sentiment amoureux de l'avait pas quitté, il était bel et bien attiré par elle. Il avait besoin de découvrir qui se cachait derrière cette peste aux allures de diva.
Car le jeune homme savait à quel point nous pouvions enfouir notre douleur en construisant une armure de béton autour de soi. Et il voulait connaître ce que cette fille si ravissante s'efforçait de camoufler.
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J'espère que vous apprécierez ces petits "souvenirs", ils seront nombreux dans ce livre ! ☺️
Dîtes-moi ce que vous pensez de Charlie en général 🧐😋
Pour plus d'action... votons !! 🌟
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