Les groupes


Attention, je ne suis pas un spécialiste des groupes et, mon FTM, que l'algèbre générale est compliquée ! Mais passons.

Un groupe, c'est un exemple de structure. Une structure, c'est un ensemble d'objets sur lesquels on a des prédicats (par exemple un ordre) et des opérations (par exemple une addition).

Un groupe est juste une structure sur laquelle on se donne une seule opération, notons par commodité *, tel que le * a deux-trois propriétés sympa :

– les gens ont des inverses

– le * est associatif : quand vous faites un produit de trois objets, vous n'avez pas besoin de parenthèses

– il existe un élément neutre : un lutin tel que lutin * quelqu'un ou quelqu'un * lutin, c'est toujours la même chose.

Gudule : c'est pas la joie.

Ça suffit pour tout un tas de mondes qu'un matheux rencontre dans sa vie courante. On se promène et on tombe sur des groupes. Ou plus exactement, sur des structures de groupe. Car l'intérêt des structures c'est que ce ne sont pas les « objets » qui comptent, mais bien la façon dont ils sont agencés, dont la structure « est construite ». Exemple.

L'addition selon Gudule quand il était petit, c'était un groupe avec trois éléments : 0, 1 et beaucoup (NDA : la parenté de cet exemple devrait plutôt revenir à mon prof de maths sup. Je n'en ai jamais trouvé de meilleur. Et je n'ai d'ailleurs jamais trouvé de meilleur prof).

Gudule : 0 + 1 = 1

1 + 1 = beaucoup

1 + beaucoup = beaucoup

0 + beaucoup = beaucoup

beaucoup + beaucoup = beaucoup

Vous voyez le tableau. Bon, en l'occurrence c'est un groupe où l'addition est commutative, ce qui veut dire que x + y = y + x.

Mais si un jour Gudule tombe dans un univers parallèle dans lequel vivent des yaourts, des tardigrades et des théières qui s'additionnent de la manière suivante :

yaourt + théière = théière

théière + théière = tardigrade

théière + tardigrade = tardigrade

tardigrade + tardigrade = tardigrade

Gudule pourra alors s'écrier :

Gudule : j'ai encore mangé un truc pas frais. Heureusement, je maîtrise parfaitement la situation, car le groupe « yaourt-théière-tardigrade » a exactement la même structure que le groupe « 0-1-beaucoup » que j'utilisais quand j'étais petit. En fait, il s'agit de la même structure.

Il commence à être intelligent, Gudule.

L'étude des groupes comme choses abstraites (structures) permet donc d'avoir des résultats tout à fait gratuits quand on en rencontre des « vrais » en se promenant dans la forêt. Donc, c'est bien. C'est pour ça qu'on aime l'algèbre. L'histoire pourrait s'arrêter là, mais les algébristes sont comme tous les matheux : quand ils voient un objet, ils veulent le décomposer, le réduire en petits éléments, reconstruire et voir comment ça marche. Un peu comme quand vous avez démonté la radio de vos parents quand vous étiez petits (sauf qu'elle ne marchait plus après). Là, nous décortiquons le travail du créateur de l'univers.

FTM : et ne vous plaignez pas si c'est compliqué, bande de mortels !

Arrive donc un matheux un peu plus cinglé que les autres, il monte sur une chaise comme je le fais à présent, au milieu de la foule, et d'une voix de stentor dans laquelle transperce une volonté de fer, s'exclame :

Gudule : c'était bouleversant, maître, mais vous criez peut-être un peu trop fort.

À ce cri de ralliement, tous les autres matheux se joignent à lui, et c'est parti pour la classification des groupes.

Gudule, veux-tu bien aller faire taire le voisin qui me hurle maintenant des insultes en allemand ? Merci.


Nous voulons classifier les groupes, en l'occurrence les groupes finis simples. Qu'est-ce qu'un groupe simple ? Meh... c'est compliqué (Gudule applaudit lentement. Clap, clap, clap). Disons qu'il ne possède pas de sous-structure qui permettrait de mieux l'appréhender, en gros, vous ne pouvez pas affiner la décomposition, il vous tombe dessus comme un bloc.

Un peu comme les nombres premiers, en fait. Jusque-là, on comprend très bien l'idée. Les groupes que vous rencontrez dans la nature ne sont pas simples, vous les décomposez de toutes les manières et vous tombez sur des groupes simples. Il serait bon de savoir qui sont ces « briques de base ».

Gudule : Allez, avec un peu d'effort et trois coups de crayon, ce sera plié, non ?

Non.

Non.

Non.

Gudule : vous me faites peur, maître.

Il a fallu trente ans, entre les années 50 et 80, plus d'une centaine de gens collaborant entre eux, des milliers de pages de démonstration, des milliers d'heures de calcul sur des ordinateurs (de l'époque, certes, mais que personne ne se moque pour autant !) pour que ce soit à peu près terminé. À peu près ? Parce que c'est difficile de dire si c'est fini ou pas. Officiellement, oui, mais dans une démonstration aussi longue il doit subsister des trous et / ou des erreurs. On ne parle pas du sujet de maths du brevet, les enfants.

Gudule : nous n'avons absolument rien contre le brevet, ceci étant.


À la fin de la classification, vous obtenez donc un ensemble de familles de groupes qui tiennent peut-être dans un bon bouquin, bien décrites et tout. Des « structures » d'une certaine forme. Joie.

FTM : et puis, hem...

Hem.

Et puis, allons-y, disons-le, il y a aussi tout un tas de trucs complètement absurdes laissés ici là par le FTM qui avait oublié de ranger. Vous avez donc plusieurs familles, et puis 26 groupes tous seuls, dits « sporadiques ».

Gudule : ils ont raté le bus de ramassage scolaire.

Ils sont tous seuls et malheureux, et surtout, surprenants. Vous êtes en train de décomposer les groupes, vous vous attendez à une superbe mécanique, et vous découvrez que le créateur de l'univers avait une notion assez exotique de la perfection.

FTM : eh, CN, prends garde à mon courroux !

Gudule : c'est moi ou il vient de faire exploser la porte ?

Ne te laisse pas déconcentrer, Gudule. Oui, les groupes sporadiques ! Parfaitement, les enfants. Des groupes qui sont juste . Je vous entends, là, au fond, en train de vous dire comme Gudule :

Gudule : mais c'est pas grave, ce sont de petits bambins un peu esseulés.

Mais avez-vous seulement entendu parler du Monstre ?

Gudule : le monstre ?

FTM (en volant autour de la pièce) : oui, le Moooooonstre !


Le « Monstre » est le plus gros groupe sporadique. Pour le calculer, il a fallu des ordinateurs. Pourquoi ? Oh, mais parce qu'il n'a que

808,017,424,794,512,875,886,459,904,961,710,757,005,754,368,000,000,000

éléments (NDA : les virgules c'est la notation anglaise. C'est bien un très, très gros nombre)

Cette chose est horrible. C'est comme si vous étiez en train de draguer les fonds marins et que vous tombiez sur un calmar géant d'un million de tonnes. C'est absurde ! Pourquoi ce chiffre ? Pourquoi ?

FTM : je l'ai fait exprès pour que tu te poses la question, insignifiant mortel.


Vous n'êtes pas encore en train de manger vos chaussons ? Rassurez-vous, il y a encore mieux : la conjecture « monstrous moonshine » (clair de lune monstrueux, rien qu'avec ça vous sentez que ça va partir en vrille), qui relie le Monstre à une branche complètement différente des maths : l'étude des formes modulaires. Elle a été démontrée en 1992. Je ne suis pas un spécialiste des formes modulaires, mais je devine que les premiers matheux qui ont remarqué qu'il y avait un lien ont dû se dire...

Chers amis mortels, nous avons encore beaucoup à apprendre...

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Voilà pour les groupes.

Je ferai peut-être un chapitre sans maths et juste avec du blabla.

Puis j'attaque la calculabilité. J'ai enfermé une machine de Turing universelle dans mon placard et elle est en train de ronger la porte depuis plusieurs semaines. Elles arrivent. Vous n'y échapperez pas.

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