Chapitre 3 ~ Assassinats en chaîne

J'aurais dû me douter du piège.

Cela faisait sept jours que j'étais dehors à arpenter les rues des villes de mon territoire de chasse et j'avais abattu seulement cinq anges sur les dix. J'étais une idiote, j'aurais dû me douter que ça n'allait pas se passer comme prévu. Ces anges... n'étaient pas des anges mais des foutus archanges ! Ces êtres supérieurs aux anges normaux.

Au cours de ses années de chasse, j'en avais beaucoup appris sur leur hiérarchie. C'était comme une pyramide : en bas, c'étaient les anges, au milieu les archanges et au-dessus c'étaient les Thrones. D'après ce que j'avais compris, les Thrones étaient comme des sentinelles qui patrouilleraient dans les mondes pour s'assurer qu'il n'y ait pas de rébellion ou de guerre. Quels mondes ? j'en avais aucune idée mais c'étaient les pires du lot. Ceux que je ne voulais surtout pas affronter. Et au-dessus d'eux, il y avait l'Impératrice, celle qui gouvernait les mondes. Quels mondes ? Autant dire que si je me devais me battre contre elle, autant me jeter dans un buisson d'aubépine qui aurait fleuri dans un désert.

En tout cas, la fuite n'était vraiment pas mon style ; surtout lorsque c'était moi qui devais courir pour sauver ma peau. Pourquoi avait-il fallu qu'elle soit aussi forte ? Malgré le sang d'archange qui courait dans mes veines, je n'arrivais pas à puiser assez dans mes pouvoirs pour pouvoir me battre sérieusement. J'avais la même sensation de faim que lorsque je buvais le sang atroce d'un animal comme si... il ne me procurait aucune force. Ou du moins, pas autant que le sang d'un ange.

Elle allait me rattraper et me tuer. J'arrivais au bout du voyage. Mes forces diminuaient et ma rapidité en payait le prix. Je tournais dans une rue plus étroite. Comme elle me suivait en volant, la petitesse de cette ruelle l'obligerait soit à prendre de l'altitude soit à se poser pour replier ses ailes à l'envergure impressionnante. Je gagnais du temps. Des précieuses secondes qui ne me seront d'aucune utilité si j'étais incapable de les utiliser. Derrière moi, l'archange émit un petit rire.

Pourquoi ne m'attaquait-elle pas ? avec ses pouvoirs, elle avait largement de quoi me tuer. Mais elle se contentait de me pourchasser comme un chat le ferait avec une souris.

La ruelle s'arrêta d'un coup et j'eus bien du mal à freiner pour ne pas me prendre un mur de béton. L'archange, voyant que j'étais à l'arrêt, plongea vers moi, les ailes repliées, la tête la première. Grâce à un soupçon d'adrénaline, je tendis les bras et fis apparaître ma Brume rouge. Elle sortit de mes bras, mes paumes et de tous les pores de ma peau pour créer un énorme nuage de fumée. L'archange plongea directement à l'intérieur sans songer à s'arrêter. Mais je n'étais déjà plus au centre de la brume. J'étais sur un toit et je jubilais en la voyant regarder de tous les côtés pour essayer de me trouver.

Mais elle ne voyait rien. De son point de vue, c'était une véritable purée de pois tandis que pour moi, ce n'était même pas de la buée. Seul le manipulateur de Brume pouvait voir à travers celle-ci. Pour tous les autres, c'était comme un drap opaque et intouchable.

C'est à ce moment que je réalisais l'ampleur de la fierté des archanges. Ils se croyaient tellement supérieurs qu'ils ne prenaient même pas la peine de lever les yeux vers le ciel. Comme s'ils étaient les seuls prédateurs à pouvoir s'y cacher ! D'un côté, ça ne m'étonnait pas. La plupart des gens ne prenaient plus la peine de lever les yeux. Ils se focalisaient sur ce qu'ils avaient devant eux, parfois même sur ce qu'ils y avaient derrière.

Finalement, la chance avait tourné en ma faveur. Ne me voyant pas, elle avait replié ses ailes et pensait sans doute que j'avais fui. Or j'étais toujours là. L'archange avait baissé sa garde comme une débutante. Je bandais mes muscles et m'élançais sur elle. La gravité fit son travail et lorsque j'atterris sur ses épaules, elle tomba en avant. Je posais un genou sur son dos en attrapant ses bras et les tirant vers l'arrière.

L'odeur de son sang me fit saliver et j'arrêtais de penser.

Déchirer la chair, boire le sang de ses veines.

Mes instincts me disaient de plonger mes dents dans cette chair et de dévorer le liquide chaud et sucré qui le dissimulait. Le charme qui cachait mes crocs se rompit et sans même lui donner le temps de réaliser, je déchirais la peau de son cou et m'abreuvait de son sang si délicieux.

*    *

*

Alors que la nuit était tombée depuis longtemps, un humain m'aperçut au moment où je dévorais le sang de ma septième victime. Mes sens étaient émoustillés à cause de ce sang frais qui venait d'apparaître. Lentement, je me levais et m'approchais de cet individu qui était pétrifié par la peur. La capuche de ma cape dissimulait mon visage. Visuellement parlant, je ne voyais pas grand-chose, mais mon odorat et mon ouïe me suffisaient pour traquer une proie comme celle-là. Un humain ne pouvait pas m'échapper. J'eus un rictus féroce en émettant un grognement guttural. L'homme, comme s'il venait de se réveiller, se mit à reculer puis à courir. Je le rattrapais facilement et le plaquais contre un mur de brique. La peur lui nouait le ventre, accélérait ses battements de cœur qui sonnaient comme une douce musique dans mes oreilles. Une main sur le cou et l'autre qui le maintenait contre le mur, je me mis sur la pointe des pieds pour arriver à sa gorge. Ses veines palpitaient sous sa peau fragile. Il ne pouvait pas crier, sa terreur l'en empêchait.

Soudain, alors que j'allais me rassasier, des grognements se firent entendre, suivi de bruit de patte sur le sol de béton. Tournant la tête, j'aperçus une meute de loup-garou qui m'encerclait. Lâchant l'humain, qui tomba comme une poupée de chiffon, je me tournais face à eux en grognant, les crocs découverts. L'un d'eux, un gros loup gris, gronda méchamment.

— Tout doux, le coupa un homme qui s'approchait doucement.

Lorsqu'il s'avançait les autres loups s'écartaient sur son passage. C'était lui, l'alpha. Il posa la main sur la tête du loup gris. J'avais beau fouiller dans ma mémoire, je ne le reconnaissais pas.

— Alors qu'allais-tu faire ? me questionna-t-il méchamment.

Je ne répondis pas et restais en mode défensif, prêt à prendre la fuite au besoin.

— Tu n'es pas autorisée à chasser des humains. Ton rôle est de tuer ceux de la liste, continua-t-il en s'approchant de moi.

Il sortit un fouet. Je frémis en sentant l'odeur nauséabonde, typique de l'aubépine. Ce fouet était orné de branche et de fleurs. Il aurait pu être beau si on oubliait le fait qu'il m'était mortel. L'alpha le déroula et le fit claquer une fois sur le sol.

— Tu as enfreint les règles, tu dois donc être punie en conséquence.

Il lança le fouet avec une tel aisance qu'il réussit à attraper mon bras. Je hurlais, le bois qui était en contact avec ma peau me brûlait. Il m'attira à lui et m'attrapa par le cou.

— Vas-y, lança-t-il à un membre de sa meute.

Le loup gris se dirigea vers l'humain qui s'était évanoui. Il attrapa sa nuque et la lui brisa. Le craquement de ses os résonna sur les murs et se répercuta comme une mélopée funèbre. J'eus envie de crier. Puisqu'il est mort, laissez-moi me nourrir de son sang ! Mais je savais que c'était une ruse, qu'il n'attendait qu'un seul mouvement, qu'une seule crispation de mes muscles pour pouvoir me tuer en prétextant un acte de rébellion. Alors j'essayais de ne pas bouger, de rester figée comme une statue.

— C'est bien, pas bouger, me murmura-t-il.

Puis, il sortit une fleur de sa poche et me l'accrocha autour du cou. Je criais en me débattant comme une forcenée. Je sentais la fleur s'enfoncer dans ma peau, contaminer mon corps et mon sang. La douleur se propageait déjà dans tous mes membres. Il n'allait pas me tuer mais attendre que la fleur se fane et disparaisse dans mon corps sans perdre la plus petite particule de ses pétales.

Lorsqu'il me relâcha, je tombais sur le sol en recroquevillant. La douleur était si intense qu'elle me donnait envie de lâcher prise et de me laisser mourir. Il me regarda agoniser quelques instants puis se transforma en loup et partit rapidement en rattroupant les membres de sa meute.

Le ciel s'éclaircissait tandis que les étoiles s'éteignaient peu à peu. Toujours allongée sur le sol froid, je contemplais les couleurs que m'offrait ce lever de soleil. La douleur commençait à s'estomper, mais la trace que je portais sur le cou n'allait pas s'effacer avant plusieurs semaines. Ce genre de torture était faite pour rappeler au torturé ce qu'il allait subir s'il n'obéissait pas. Et ça marchait. Rien qu'à voir les marques sur les autres, cela nous dissuadait de nous rebeller.

Dans les maisons, les humains commençaient à se réveiller et les lumières s'allumaient. Il fallait que je bouge, que je me lève et que je parte avant que quelqu'un ne me voit.

Avec des gémissements de douleur, je m'assis sur le sol avant de m'étirer. Mes muscles crispés se détendirent doucement. Après m'être levée, je regardais autour de moi. Le cadavre avait disparu mais pas les traces de sang. Les lycanthropes étaient sûrement en train de créer un faux meurtre et les preuves qui allaient avec. Un tintement de clé me procura l'adrénaline qui me manquait et je réussis à rassembler mes forces pour grimper sur un toit et disparaître dans la rue voisine.

Quand je fus suffisamment loin, je sortis la liste en m'asseyant par terre dans un coin. Il me restait trois cibles pour quatre jours. Je n'avais plus droit à l'erreur. La prochaine était une certaine Sonia Wings. J'avais entendu parler d'elle par les passants. Elle arrivait en ville l'après-midi pour... une sorte de réunion avec le dirigeant de la ville.

Le plan était simple, l'intercepter après – ou avant – et la tuer.

Pour la première fois, je désirais en terminer rapidement et retourner dans ma cellule. J'en avais marre de cette mission. Pour une raison que j'ignore, le sang d'archange ne me donnait pas autant de force que celui d'un ange et je ne pouvais même pas boire celui d'un homme pour en récupérer et éviter de me faire tuer par mes cibles ! Cette mission ne me plaisait plus du tout et l'idée de m'échapper avait très vite quitté mon esprit.

* *

*

Sonia Wings se doutait que je la suivais tandis que son garde du corps humain, lui, n'en savait rien. Je n'étais pas en droit de chasser des humains, je ne devais l'attaquer que lorsqu'elle serait loin de lui et où il ne serait plus un obstacle ni un dommage collatéral. Mais l'attente était longue et les secondes, précieuses. Il ne me restait que quatre jours pour éliminer trois cibles sachant que je devrai courir jusqu'à la ville voisine pour éliminer le dernier.

L'archange ne quittait pas son humain d'un poil. Comme si elle avait tout deviné. Je ne savais pas quoi faire. Est-ce que je laissais tomber et passais au suivant avant de revenir ? mais si elle partait, elle allait devenir introuvable. Je devais la liquider maintenant. Si je la prenais par surprise, je pouvais laisser l'humain en vie et laisser les meutes de ma geôlière s'en charger. Allais-je faire assassiner un innocent pour sauver ma peau ? ou bien allais-je la laisser partir et me faire torturer pour mon échec ? C'étaient des questions difficiles. Le remord était un sentiment puissant. Mais, avec tout le sang que j'avais sur les mains, il n'allait pas me quitter de sitôt. Au contraire, les traces de torture, elles, guériraient et partiraient, comme si elles n'avaient jamais existé. Qu'allais-je faire ?

Un frisson me parcourut le dos quand je repensais à tout ce que les lycanthropes étaient capable de me faire.

Soudain, elle glissa quelques mots à l'oreille de son humain et il disparut rapidement, la laissant seule dans la rue. Puis, l'archange fit quelques pas et disparut dans une ruelle. Je la suivis, voyant ma chance tourner.

Elle était dos à moi.

— On m'avait dit qu'un jour, quelqu'un viendrait nous tuer, déclara-t-elle d'une voix neutre.

Je ne réagis pas et elle se retourna. Ma capuche dissimulait mon visage, mais elle n'avait pas besoin de le voir. Elle savait ce que j'étais.

— Dis-moi vampire, est-ce toi qui veut me tuer ?

Immobile, je ne bougeais pas. Le corps de l'ange se mit à émaner une lumière blanche, pure.

— Je ne compte pas me laisser faire, me menaça-t-elle, pour la paix de ce monde, et pour l'Impératrice.

Rompant le charme, mes crocs se dévoilèrent et un feulement monta dans ma gorge. Je ne pouvais pas approcher de cette lumière, j'attendis donc qu'elle finisse sa transformation et que ses ailes majestueuses se déploient.

Puis je passais à l'attaque. Une lance apparue dans sa main et je faillis finir embrochée. Le ferÉtoile qui composait cette arme était le seul métal à pouvoir blesser toutes les races sans exception. C'était une arme précieuse et le fait qu'elle s'en serve signifiait qu'elle me prenait au sérieux malgré mon apparence d'adolescente. Elle fendit l'air de sa lance et réussit à déchirer un bout de mon vêtement. Si seulement je pouvais utiliser tous mes pouvoirs, j'aurais eu plus de chance ! Mais cet archange était une redoutable combattante et je doutais de pouvoir me sentir indemne de ce combat.

* *

*

— Je ne comprends pas, marmonna l'inspecteur de police agenouillé près du cadavre d'une femme aux ailes rougies par le sang.

Derrière, lui une femme en combinaison blanche s'approcha, une tablette à la main.

— Pourquoi elle n'a pas été vidé de son sang ? se questionna-t-il.

— Peut-être que ce vampire est devenu fainéant, répondit la femme.

Il leva la tête vers elle avant de se relever en s'étirant.

— Un vampire fainéant ? c'est impossible, ils aiment trop l'excitation de la chasse et la saveur du sang pour s'arrêter avant d'avoir fini. Il a dû être où...

Une lueur s'alluma dans les yeux de l'inspecteur. Il croisa le regard de sa coéquipière qui comprit immédiatement.

— Où alors, on l'a forcé à s'arrêter...

Il prit son menton entre ses doigts.

— Mais il a tué plusieurs archanges, qui serait assez puissant pour le contraindre à s'arrêter dans sa chasse ?

La jeune femme réfléchit en retirant sa combinaison. Elle donna la tablette à un de ses collègues qui en examina le contenu avant de hausser un sourcil.

— Dites, vous avez remarqué ça ? demanda-t-il à l'inspecteur en lui tendant l'objet.

Ce dernier la prit en haussant un sourcil. Il inspecta l'écran pendant plusieurs minutes avant d'écarquiller les yeux.

— C'est impossible...

Sa coéquipière se mit sur la pointe des pieds pour regarder la tablette par-dessus son épaule. Elle vit la liste des victimes, le lieu, la date de la mort estimée par le médecin-légiste et quelques photos sanglantes.

— Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-elle perdue.

L'inspecteur se tourna vers elle, blanc comme un linge et répondit :

— C'est Elle, cela ne fait aucun doute.

La jeune femme était nouvelle dans ce service, elle ne comprit pas, mais son collègue, lui, blêmit à son tour.

— Mais, cela fait quinze ans qu'on a plus entendu parler d'Elle !

Une lumière blanche émana de l'inspecteur tandis que deux ailes immaculées se déployaient dans son dos.

— Je dois informer la Garde de ce qui se passe.

— Tu n'y arriveras pas, ils sont bien trop occupés avec la révolte des lycanthropes à Cendrebrise, l'informa sa coéquipière en déployant ses ailes, je suis nouvelle ici et j'ignore beaucoup de chose, mais si je peux faire quoi que ce soit...

Il secoua la tête.

— Si c'est bien ce que je pense, alors il faut vite les informer parce que nous... on ne peut rien faire...

Sa réponse sonna tel un coup de cloche. Elle en eut des frissons. Soudain, elle se rendit compte que ce qu'ils étaient en train de poursuivre était probablement bien plus puissant que ce qu'elle pensait.

Il ouvrit ses ailes et décolla. La jeune femme voulut l'arrêter mais ses efforts furent vains alors, elle se contenta de le suivre. Au fond de son esprit, elle pensa que, peut-être, tout ceci n'était qu'une mise en scène pour quelque chose d'encore plus grand.

* *

*

— Lâchez-moi ! criais-je, je n'ai rien fait de mal !

Les lycanthropes qui me tenaient ne semblaient pourtant pas disposés à me laisser. Leur alpha, Rodrigue, se retourna vers moi en me fusillant du regard.

— Tu as dépassé les bornes ! Non seulement tu as essayé de boire le sang d'un humain et tu es sortie de ta zone !

— Je ne suis pas sortie, ce n'était pas moi !

Il fit un signe de la main et un loup-garou vint me poser un bâillon sur la bouche. Puis, ils continuèrent leur route. Je voulais me débattre, crier, faire quelque chose pour me sortir de là mais c'était impossible, leur poigne était trop forte malgré les forces que j'avais récupéré. Il me tirait sans ménagement à travers une forêt sombre. Celle-là même que je voyais à travers les barreaux.

Lorsque le manoir apparut enfin, j'eus l'impression que cela faisait des heures que nous étions entrés dans les bois. Le bâtiment, gigantesque, était fait d'un bois sombre et se dissimulait parfaitement bien dans la végétation.

Lorsque nous entrâmes, ils me menèrent directement au sous-sol. La peur me tordit les entrailles. Qu'allais-je subir encore ? Ce fut la première fois que je désirais passer au supplice du sang. Mais lorsque l'on dépassa la salle où se trouvait cette chaise infernale. Je compris que le reste de la nuit allait être très longue. Les lycanthropes me firent entrer dans une autre salle où un feu ardent brûlait dans une cheminée. Une chaise était placée face aux flammes.

Quelle ne fut pas ma surprise – et ma terreur – en voyant ma geôlière debout au centre de la pièce, un fouet à la main.

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