Chapitre 2 ~ Chasse à l'ange


Lorsque l'on me fit enfin sortir de ma cellule, j'étais affamée et épuisée. Ma peau était glaciale comme si on venait de me sortir du cœur d'un iceberg.

Le manoir était constitué de tellement de couloirs qu'il ressemblait plus à un labyrinthe qu'à une véritable maison. D'ailleurs, il était tellement grand que c'en était presque surnaturel. À travers les vitres, les arbres s'élevaient vers le ciel majestueusement. Le lycanthrope qui m'escortait à travers le dédale ne me laissa pas le loisir d'observer autre chose mais, je remarquais quand même que le bois semblait vide. Comme si tous les animaux et autres habitants l'avaient abandonné.

Étrangement, le loup-garou ne me conduisait pas sur le chemin habituel. Non, il m'emmenait dans des couloirs que je n'avais jamais vus, décoré de tapisseries représentant des anges. Des emblèmes et armoiries étaient peints sur les murs. Certains semblaient gribouillés ou barrés d'un geste rageur tandis que d'autres étaient presque effacés. Le loup me guida jusqu'à une somptueuse porte de chêne, décorée de lunes et de soleils dorés. On aurait pu croire que le créateur voulait incorporer un peu du ciel dans cette porte. Il frappa deux fois et elle s'ouvrit toute seule. Surprise, je sursautais en arrière mais il me retint et me repoussa sans ménagement à l'intérieur.

L'intérieur aussi était magnifique. Des livres occupaient tout un mur, un immense lustre de cristal pendait du plafond et un bureau trônait majestueusement au milieu de la pièce. Je retins un cri de frayeur quand je vis qu'une femme me fixait d'un regard prédateur. Si, à l'extérieur de cet endroit j'étais puissante, ici, comparé aux loups et à la femme qui se tenait devant moi, je n'étais rien d'autre qu'un lièvre effarouché. Je la reconnus au premier coup d'œil. C'était elle, ma géôlière, la maîtresse de cet endroit. Le loup me fit avancer de quelques pas puis il appuya sur mes épaules, me forçant à m'agenouiller. N'ayant pas la force de lui résister, je me laissais faire. Puis il posa un genou au sol.

— Rodrigue, le salua-t-elle.

— Je vous l'ai amenée Ambassadrice.

Il m'attrapa un bras et me releva brutalement. Sous la fatigue et le manque de sang, je vacillais et faillis tomber mais il me retint avec un petit grognement.

— Je te remercie, maintenant retire-toi !

Il inclina respectueusement la tête puis s'éclipsa. Une fois que la porte fut fermée. Une aura puissante se mit à émaner d'elle. Une aura terrifiante. Et impossible à analyser. D'habitude, je pouvais découvrir quelle était la race de mon interlocuteur grâce à elle mais aujourd'hui c'était différent. Comme si quelque chose m'empêchait de l'analyser. Elle s'en aperçut et s'en amusa.

— Eh bien, tu n'y arrives pas ? me lança-t-elle.

Je ne répondis rien. L'expérience m'avait appris à me taire. Quand elle sourit plus fièrement, je sus que c'était la bonne décision.

— Tu as été bien dressée, mes loups font du bon travail.

Elle secoua sa longue chevelure blonde. Je n'arrivais pas à voir précisément la couleur de ses yeux ce qui m'intriguais et inquiétais à la fois. On aurait dit qu'ils changeaient perpétuellement de couleur, mais pour le moment je n'avais pas le temps de m'en soucier.

Très lentement, elle prit une feuille sur son bureau et me la tendit. Voyant une invitation à m'approcher, je franchis les quelques pas qui nous séparaient avant de tendre le bras et de prendre la feuille avant de reculer vivement.

— N'aie pas peur, tu ne crains rien ici, susurra-t-elle.

Sans pouvoir m'en empêcher, je haussais un sourcil.

— C'est la vérité, je ne te tuerai pas.

— Vous en avez tué d'autres pourtant, lui rappelais-je en baissant les yeux sur le papier que je venais de recevoir.

Idiote, pensais-je immédiatement, tu pouvais pas te taire ! Je me figeais en regardant la feuille. Je l'avais énervé, c'était sûr ! J'allais me faire torturer pour ma désobéissance... j'allais...

Puis, un rire résonna dans la salle. Surprise, je levais la tête. Ma geôlière riait aux éclats ! Mes yeux s'écarquillèrent. Lorsqu'elle réussit enfin à se calmer, je réussis à reprendre contenance.

— Je retire ce que j'ai dit, mes loups n'ont pas réussi à te dresser, pouffa-t-elle les larmes aux yeux.

Puis, son regard se durcit et un sourire narquois se dessina sur son visage.

— Mais c'est presque mieux, ajouta-t-elle dans un murmure.

Ma geôlière se leva et se dirigea vers une étagère et attrapa une carte qu'elle déroula sur son bureau.

— Ton terrain de jeu va s'étendre tu es contente ?

Je hochais la tête en dissimulant mon dégoût. "Mon terrain de jeu", cette expression était horrible. Pensait-elle vraiment que nous nous amusions à chasser des innocents toutes la nuit ? Mais j'étais obligée d'aller dans son sens.

Avec un crayon, elle dessina un grand cercle autour de plusieurs grandes villes.

— Voici ton terrain, déclara-t-elle, chacun des membres de ta liste y vivent. Débrouille-toi pour les trouver et les tuer. Cette fois-ci, le sang ne compte pas, tu dois impérativement tous les tuer ! Tu as deux semaines.

Je fronçais les sourcils. Il était extrêmement rare qu'elle donne des missions de ce genre. D'habitude c'était la récolte de sang qui comptait, on tuait notre quota d'anges ou d'humains et on revenait. Je savais que certains d'entre nous avaient reçu des missions spéciales mais ça, c'était inédit. En plus, elle prenait le risque que je m'échappe. Sur un délai aussi long et un territoire aussi grand, il lui était plus difficile de nous pister.

— Puis-je poser une question ? demandais-je.

Elle me sourit :

— Tu viens de le faire non ?

Soufflée, je restais muette la bouche entrouverte. Elle pouffa.

— Vas-y, m'autorisa-t-elle.

Je pris une grande inspiration. Une odeur étrange me parvint mais je ne sus pas d'où elle provenait alors je laissais tomber. Mieux valait ne pas fouiner lorsque l'on avait peur de ce que l'on pouvait trouver.

— Qui sont-ils ?

Quelque chose d'étrange se produisit. Alors que je m'attendais à ce qu'elle se mette en colère et me chasse, ses yeux se voilèrent quelques instants mais elle se reprit bien vite – trop vite peut-être – et répondit :

— Des anges.

Je jubilais, enfin, la chance tournait en ma faveur, j'allais pouvoir m'échapper ! Puis, elle eut une expression triste et suppliante.

— Mais tu reviendras, pas vrai ? me questionna-t-elle dans un doux murmure.

Une vague d'émotion déferla en moi sans que j'y comprenne quoi que ce soit. De la tristesse, de l'empathie... pendant un instant, j'oubliais tout : la cellule froide, le supplice du sang, les heures de terreur et de désespoir. Je ne vis plus que cette femme qui me suppliait de ne pas la laisser avec des yeux aussi doux que celui d'un agneau.

J'eus un soupir, celui que font les parents lorsqu'ils s'apprêtent à céder aux caprices de leur enfant.

— Oui, répondis-je en souriant doucement.

Elle posa une main sur mes cheveux et un sentiment de satisfaction remplaça le reste. Je voulais lui faire plaisir. Sincèrement.

— Tu es vraiment gentille, déclara-t-elle.

Je continuais de sourire avec un air béat sur le visage.

— Va, je t'attendrai, termina-t-elle dans un doux murmure en caressant mes cheveux.

Puis, j'eus une sensation étrange d'engourdissement. Mes paupières devinrent aussi lourdes que du plomb et mes muscles se détendirent.

* *

*

Lorsque j'ouvris les yeux, je me trouvais allongée dans une forêt. Mon corps était engourdi. Les rayons du soleil couraient sur ma peau tiède... Tiède ? Je me levais précipitamment en regardant autour de moi. Un frisson d'horreur me parcourut l'échine quand je vis le cadavre sanguinolant d'un homme couché à quelques centimètres de l'endroit où j'étais dix secondes plus tôt. Si être un vampire signifiait boire le sang des hommes, il n'impliquait pas de se réveiller à côté d'un cadavre ! Celui-là devait être mort depuis quelques heures, sans que je puisse pourtant évaluer correctement vu son état.

Des griffures, des marques de canines, les miennes – il n'y avait pas de doute à avoir quant à leur provenance – marquaient son corps mutilé. D'autres traces comme des hématomes ou des... je ne voulais même pas savoir ce que c'était... Son visage était figé dans une expression de terreur et ses yeux étaient exorbités. Depuis quand étais-je... une sauvage ? Avais-je basculé le temps d'une nuit ?

— C'est impossible, me rassurais-je à voix haute, ceux qui basculent se complaise dans ce genre de carnage... or, ça te répugne toujours autant...

Je secouais la tête, il fallait que je m'en aille. A présent, je ressentais la force que le sang de cet homme me procurait et ça me dégoutait. Ce corps mutilé d'horribles traces. Et c'était moi qui les lui avais infligés.

Quelque chose sur ma main attira mon regard. En baissant les yeux, je découvris qu'elle était couverte de sang. L'autre aussi. Seul mes vêtements étaient intacts ce qui me fit penser que je n'étais pas seule. Un lycanthrope de cette... comment l'avait-il appelé ? Ambassadrice ? quel titre étrange ! Mais l'un d'eux devait m'accompagner, peut-être pour s'assurer que j'entrais bien dans mon "terrain de jeu". Je les essuyais avec de l'herbe et des feuilles, ne pouvant me résoudre à utiliser les vêtements de l'homme.

Dans la poche de mon pantalon se trouvait la fameuse feuille avec sa liste. Cette fois-ci, j'eus tout le loisir de l'étudier. Six hommes pour quatre femmes. Et c'était tous des anges. C'était pénible. Ma vie allait vraiment rester comme ça ? une mission, un carnage, une autre mission, un autre carnage ?

Même si on s'était tous fait une raison, l'espoir, parfois, revenait avec une force nouvelle avant de disparaître lorsque l'on se confrontait à la réalité. Nous ne pourrions jamais nous échapper. Et si l'on en parlait à quelqu'un, il était sûr de finir entre quatre planches. Elle avait des espions partout ; c'était à croire qu'elle était omnisciente.

Et j'en étais persuadée : j'allais mourir avant que tout ça ne se finisse.

Courant tout droit, je finis par arriver à la première ville. Le lieu du ''terrain de jeu'' était encore frais dans ma mémoire. Dans cette ville, il y avait trois des anges à abattre. Je connaissais leur nom et, étrangement, à chaque fois que je récitais ces trois noms, des visages m'apparaissaient. L'Ambassadrice avait gravé leur profil dans ma mémoire. Ils ne pouvaient pas m'échapper. Ils ne devaient pas m'échapper.

Lorsque j'arrivais en ville, la nuit commençait à tomber. Le ciel se colorait d'orange et de rouge. C'était un beau spectacle mais les chaines qui m'entravaient m'empêchaient de le savourer pleinement. Pourrais-je un jour voir le ciel tel qu'il était sans que des gouttes vermeilles ne viennent perturber ma vision ?

La ville m'apparut. Un mélange de béton et de nature. D'humain et d'ange. Les odeurs sucrés et savoureuses des humains me parvinrent et j'eus de la peine à me contrôler. C'est à ce moment-là que je compris pourquoi je m'étais sans souvenir de ce qui s'était passé. Je basculais. Petit à petit, je devenais accro au sang et je tombais dans les abîmes ténébreux des vampires à la faim insatiable. Je secouais la tête. Depuis quand le sang me faisait cet effet ? Et pourquoi seulement maintenant ?

Je pris une grande inspiration avant de retenir mon souffle. Les vampires n'avaient pas besoin de respirer. Enfin, ce n'était pas tout à fait vrai. Les bébés et les très jeunes enfants ainsi que tous ceux qui étaient mordus avaient besoin d'oxygène constamment. Mais la chair est destinée à devenir de la pierre et à s'éroder avec le temps. Je n'avais pas besoin d'air puisque la pierre n'en avait pas l'utilité. Un rictus narquois naquit sur mes lèvres. Mon corps n'était qu'un frigo destiné à conserver le sang que les lycanthropes me prenaient. Ce « je » n'avait pas lieu d'être. Tout ce qui me constituait n'était qu'un accessoire dans la caisse à outil de l'Ambassadrice. Ma volonté, ma personnalité, tout ce qui faisait partie de moi m'avait été retiré. Il ne me restait qu'une chose : l'espoir. Ce sentiment vain et inutile mais que je ne pouvais m'empêcher de ressentir.

Soudain, alors que je sautais de toit en toit dans l'espoir de repérer mes cibles, une aura angélique me frappa de plein fouet et je tombais au sol. On m'avait repéré. C'était le deuxième nom de ma liste. Ma brume apparut et j'attrapais mon épée avec un sourire carnassier.

Que la chasse à l'ange commence.

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