Chapitre 1 ~ Annihilation
Le croissant de lune éclairait faiblement la rue vide. Les humains dormaient paisiblement, bien au chaud tout au fond de leur lit. La nuit était presque... apaisante. J'eus un rictus amer, apaisante ? Non, pas avec moi dans les parages. Mais peut-être était-ce là toute l'ironie du monde. Les pires atrocités, dans les lieux les plus calmes. Mais mon monde à moi se résumait à une chose : le sang. Je n'étais plus que l'ombre de ce que j'aurais dû être : une créature noble et puissante. Je n'étais qu'une coquille vide que le sang ne remplissait plus depuis longtemps.
La lune entamait sa descente et le temps qui me restait était compté. Il fallait que j'attrape ma dernière proie avant qu'Elle ne décide d'envoyer ses chiens à ma recherche. Et les conséquences de mon retard pouvaient s'avérer désastreuse voir même... funeste.
Un bruit de pas résonna dans une ruelle adjacente et me tira de ma rêverie. Discrètement, je sautais en bas avant de me fondre dans un coin sombre et doucement, je frappais deux fois dans mes mains : une cape apparut sur mes épaules, j'enfilais la capuche et attendis que ma proie sorte de la ruelle.
Elle s'arrêta à l'embranchement et je la vis pour la première fois. Ses cheveux longs étaient blonds et ses yeux, bleus, caractéristique typique des anges. Elle scruta les alentours puis prit la route à l'opposé de moi. Râlant intérieurement, je la suivis en essayant de m'approcher. J'en avais marre, je voulais rentrer et me rouler en boule sur le matelas miteux que l'on m'avait accordé.
Lorsqu'elle s'arrêta à l'embranchement, je la vis pour la première fois : ses cheveux longs étaient blonds et ses yeux, bleus, étaient des caractéristiques typiques des anges. Elle scruta les alentours puis prit la route à l'opposé de moi. Râlant intérieurement, je la suivis en essayant de m'approcher. J'en avais marre, je voulais rentrer et me rouler en boule sur le matelas miteux que l'on m'avait accordé.
Soudain, la jeune femme se mit à accélérer, ses talons aiguilles tapèrent irrégulièrement sur le sol de béton. Son pouls se fit plus rapide et son souffle, saccadé. Elle avait compris, elle savait que je la filais et elle avait peur. Non, plus que cela, elle était terrifiée. Cela me fit sourire : que cette ange, de sang noble et respectable, dût se cacher et se faire passer pour une simple humaine... cela me remplissait d'un agréable sentiment de supériorité. J'étais le prédateur et elle était ma proie.
Mais ce sentiment disparut quand je repensais au pourquoi je devais faire ça. Celle qui me poussait à tuer était puissante. Et à la perspective de ce qu'elle pourrait me faire subir si je ne lui obéissais pas était encore plus insupportable que le fait de devoir prendre une vie, aussi innocente qu'elle fut. Je serrais les dents. Quand est-ce que ça avait commencé ? Je m'en souvenais à peine. Les jours se succédaient, baignés dans le sang de mes victimes dont le nombre continuait d'augmenter inlassablement. Anges, humains... tous y passaient. Tous ressentaient la froideur de mes crocs et la douleur de se faire dévorer leur sang brûlant.
Plongée dans mes pensées, j'aperçus au dernier moment l'Ange s'illuminer d'une lumière blanche, pure et chatoyante. Je reculais en plissant les yeux. Cette lueur pouvait me brûler si je m'approchais trop. Mais elle disparut bien vite et deux ailes de plumes immaculées apparurent dans son dos, entre ses omoplates. Peut-être allait-elle se défendre maintenant qu'elle reprenait sa forme angélique. Elle les déploya avant de se retourner et de me fixer. Est-ce qu'elle me voyait alors que j'étais cachée dans une zone d'ombre ? Je ne le saurai probablement jamais, mais je n'oublierai pas son regard. Il n'y avait plus de terreur et encore moins d'animosité à mon égard. Elle me fixait comme si elle savait. Comme si... elle compatissait. Une esquisse de sourire s'étira sur mes lèvres. Cette ange était étrange et je n'eus plus envie de la tuer. Tant pis, Elle n'aura qu'à me torturer pour ma désobéissance. La jeune femme inclina la tête puis s'envola dans la nuit.
Désormais, je ne pouvais plus la rattraper. Et même si je pouvais essayer, je ne le voulais pas. Je voulais qu'au moins l'un d'eux sache... qu'ils sachent que le monstre que j'étais ne tuais pas pour le plaisir. Je la fixais jusqu'à ce qu'elle disparaisse dans l'obscurité. Le croissant entamait sa descente et il était temps pour moi de rentrer. Je tournais le dos à la ville et me mis à courir.
* *
*
Dès que j'eus franchi la porte du manoir qui constituait son repaire, son sbire le plus fidèle, un loup-garou apprivoisé et surentraîné s'empressa de me sauter dessus et de me soumettre. Il me fit descendre dans le laboratoire et m'attacha les poignets, les bras, les mollets et les chevilles sur une chaise avec des liens de métal renforcés aux pétales d'aubépines, le seul bois dont j'étais vulnérable. Puis il attrapa une aiguille médicale de ce même matériau et l'enfonça dans la veine au creux du coude de mon bras droit. Il répéta l'opération avec le gauche. Ces aiguilles étaient reliées à des câbles noirs opaques, eux-mêmes rattachés à un petit réservoir de la même couleur. Je me crispais ; l'heure du "supplice du sang" avait sonné.
La douleur était intolérable et me rendait folle. Je hurlais en me débattant. Mais plus je tirais sur les chaînes, plus le métal s'enfonçait dans ma peau en laissant des marques rouges. Elle me prenait mon sang. Non, le sang d'autres personnes que j'avais dévoré quelques heures plus tôt. Je sentais ce liquide vital s'en aller aussi vite qu'une cascade déversait son eau dans une vallée. Et plus il quittait mon corps, plus celui-ci devenait froid et pâle.
Ce supplice dura quelques minutes puis tout s'arrêta d'un coup : mes muscles se décrispèrent et mon cri se stoppa. Je laissais aller ma tête en arrière. J'avais froid, j'avais faim. Mes crocs me démangèrent et le picotement de ma gorge s'intensifia en une brûlure cuisante. Je voulais dévorer, lacérer, trancher. Un feulement rauque résonna sans que je ne puisse le retenir et le sbire me regarda méchamment :
- Tu t'avises de miauler encore une fois et tu n'assouviras pas ta faim ce soir compris ? me menaça-t-il.
Je hochais la tête et il me détacha enfin. Me relevant brutalement, il me traîna jusqu'à ma cellule et me jeta violemment à l'intérieur. Je volais jusqu'au mur du fond et me cogna la tête sur les pierres froides.
Puis, il me regarda quelques secondes avant de rire narquoisement :
- Tu fais vraiment pitié tu sais ? Regarde-toi, on dit des vampires des êtres nobles... mais tu n'es rien de plus qu'un cadavre qui dévore le sang des autres.
Je baissais la tête, ne voulant pas prendre le risque d'énerver cet homme. Déjà parce que c'était un lycanthrope surentraîné et ensuite, parce que c'était lui qui m'apportait de quoi me nourrir. S'il avait une seule raison, même minime de me priver de repas pour me voir souffrir, il le ferait et ce, sans aucune hésitation. Je devais prendre mon mal en patience, dans quelques instants, s'il voyait que je ne réagissais pas à ses provocations, il me laisserait tranquille et partirait.
Il continua de me fixer avec dégoût pendant encore quelques instants avant de me lancer une poche de sang et de sortir de la pièce en râlant.
Une fois que la porte fut fermée à doubles tours, je me jetais sur le sang comme un animal sur sa nourriture avant de la déchirer avec mes crocs et d'en dévorer le contenu. Dès la première goutte, je sus que c'était du sang animal. En temps normal, je l'aurais jeté voir recraché à la figure du lycanthrope mais j'étais faible et affamée, et en plus, il était déjà parti.
Une fois vide, je la jetais hors de ma cellule et allais m'affaler sur le matelas miteux en me recouvrant de la vieille couverture. Généralement, je ne craignais pas le froid, mais ici, c'était différent. Les pierres grises des parois d'où suintaient parfois des filets d'eau étaient glaciales en permanence et du vent s'infiltrait par une haute fenêtre avec des barreaux.
Parfois, d'autres vampires étaient présents dans les cages près de la mienne, mais pour le moment j'étais seule. Seule avec mes sombres pensées. J'étais mentalement fatiguée de tuer et de dévorer. Je ne supportais plus de subir le ''supplice du sang''. Roulée en boule sous la couverture, je réfléchissais à des plans d'évasions. Et de meurtre aussi. Tuer ce loup-garou me procurerait une joie indescriptible, le faire souffrir comme j'ai... non, comme nous avons souffert. Ce serait une petite vengeance pour tous ceux qu'il avait envoyé dans le néant.
Soudain, un léger bruit métallique me fit me relever. Je me précipitai vers les barreaux et essayais de voir. La porte s'était ouverte et deux gardes tenaient un garçon que je ne connaissais pas. D'ailleurs, c'était la première fois que je le voyais ici. Peut-être venait-il d'être capturé ? Il était fin et agile. S'il avait été en meilleure forme, il aurait été dangereux. Ses cheveux aussi noir que la nuit contrastaient avec ses yeux gris orages. Sa bouche entrouverte laissait voir ses crocs. Je remarquais à présent que tout son corps tremblait et que ses prunelles étaient vitreuses. Soit il revenait du ''supplice du sang'', soit c'était les loups qui, en le capturant, l'avait empoisonné.
Ils passèrent devant ma cellule sans me regarder pour se diriger vers celle du fond. Un des gardes en ouvrit une puis le deuxième le poussa méchamment à l'intérieur. Le garçon s'affala lourdement sur son matelas. Les lycanthropes eurent un rictus.
- Les vampires sont vraiment fragiles, remarqua le premier.
Le deuxième acquiesça avant de se diriger vers la sortie. J'écarquillais les yeux, ils allaient vraiment partir et le laisser comme ça ?
Je me levais précipitamment et attrapais la manche d'un des gardes. Il me regarda froidement.
- Qu'est-ce que tu veux ? cracha-t-il en se retirant d'un coup sec
- Vous voyez pas qu'il est affamé ? Si vous le laissez comme ça, il va mourir !
- Vous pouvez pas mourir comme ça, soupira-t-il avec lassitude, c'est vraiment dommage d'ailleurs...
- Parce que le laisser dans un état léthargique c'est mieux ?! criais-je.
- Fais attention à ce que tu dis vampire, sinon c'est pas la faim qui va te tenailler le ventre.
Je grognais rageusement.
- Nourrissez-le ! insistais-je.
Le lycanthrope me regarda avec un rictus et je compris qu'il essayait de me provoquer. Je décidais d'opter pour une autre tactique.
- Vous savez, il vous sera beaucoup plus utile si vous le nourrissez...
- Joue pas à ce petit jeu avec moi, me coupa-t-il froidement, je connais toutes tes petites stratégies, ça fait déjà quinze ans que tu es ici.
Je croisais les bras, frustrée. Le deuxième garde, celui qui était resté à l'arrière, éclata d'un rire franc.
- On va le nourrir ton ami t'en fais pas, l'Ambassadrice ne sera pas contente si on vous laisse mourir.
Le premier lycanthrope le regarda froidement.
- Me regarde pas avec tes yeux de pierre Léo et donne plutôt de la nourriture à ce vampire, ordonna le deuxième avec un petit sourire.
Le dénommé Léo grogna doucement avant de sortir une poche de sa veste et de la lancer d'un geste précis entre les barreaux de la cage. Je soupirais de soulagement.
Le nouveau se jeta sur le liquide vermeille. L'odeur qui me parvint me montait l'eau à la bouche. Mes crocs me démangèrent. Mon premier réflexe fut de m'approcher au maximum. Attirée par cette odeur qui, malgré le fait que le goût me répugnait, pouvait soulager ma faim. Ce fut le bruit métallique de la porte qui me sortit de ma transe. Je reculais, horrifiée. Certes, j'étais affamée, mais je n'étais pas un animal. Je devais me contrôler. Pour ne pas tomber de ''l'autre côté''. Ce côté plus sombre et animal des vampires. Ce côté qui m'avait attiré tant de fois ces dernières années. Seuls la présence d'autres vampires m'avait empêché de basculer et de devenir véritablement un monstre assoiffé de sang. Et l'espoir de m'échapper aussi. Je passais ma langue sur mes dents pointues. Elles n'étaient pas rétractables comme les griffes des félins. Mais un charme pouvait les dissimuler. Charme qui n'était opérationnel que si j'avais accès à mes pouvoirs. Ce qui n'était pas le cas. Pour pouvoir les utiliser, il me fallait plus de force. Plus de sang. Ces années de captivité m'affaiblissaient et peu à peu j'avais perdu mes capacités. Seul le liquide vital d'un humain ou d'un ange aurait pu me redonner la force qui me manquait. Mais Elle le savait et Elle ne nous en donnait pas. Par peur que l'on se rebelle. Ma geôlière était consciente de ma puissance et elle savait que si j'arrivais à m'échapper, elle n'était pas sûre de pouvoir me récupérer. Ce dont elle ne voulait pas. D'après ce que me disaient ses loups apprivoisés, elle avait une certaine affection à mon égard. Pourquoi ? Il aurait fallu le lui demander. Mais en quinze ans, je ne l'avais jamais vu. Je ne savais même pas quelle était sa race. Était-elle un vampire ? Ou un loup-garou peut-être ? Cela pouvait expliquer qu'autant de lycanthrope soit sous ses ordres comme des chiens fidèles. Mais impossible de savoir et donc impossible de comprendre quoi que ce soit.
Tellement de questions et aucune réponse. Quinze ans de servitude et de chasse... sans rien, aucune explication. Mes mains et mon âme étaient souillés de sang. Mes crimes me hantaient. Encore plus dans ce genre de moment, lorsque j'étais seule avec mes pensées. Heureusement, il ne pleuvait pas. Mais il faisait sombre et froid. La lune s'était levée mais les arbres, dont les branches et les feuilles inextricablement emmêlés, bloquaient la lumière. Je ne la voyais qu'à peine. C'est dans ce genre de moment que je m'étais demandé, il y de cela des années, ce qui se passerait si j'essayais de m'échapper lors de l'une de mes chasses. J'avais posé la question à bon nombre de vampires mais la plupart refusait de me répondre, ils se contentaient de me regarder avec leurs yeux horrifiés. Seul un vampire plutôt âgé m'avait apporté une réponse satisfaisante :
- Si tu tiens à la vie, alors ne tente même pas cette folie. Certains s'y sont essayés mais la plupart n'ont pas échappé aux chiens galeux qui composent Son armée. Et, en imaginant que tu leur échappes, Elle viendrait te chercher et te ramener de force. Te souviens-tu de Flora ? Cette jeune fille pleine de fougue ? Elle s'est faite torturer pendant des mois et des mois. Ils lui donnaient à boire du sang contaminé aux pétales d'aubépines, ils l'affamaient jusqu'à l'extrême. Juste pour en faire un exemple. Je me souviens encore de ses cris. Et si tu parviens à échapper aux loups et à Elle, comment comptes-tu rentrer chez toi ? Si même moi avec mes quelques décennies d'existence je ne sais pas où l'on se trouve, je ne sais pas comment tu pourrais.
Et cela m'avait dissuadé d'essayer malgré toutes mes envies. Une fois, une seule, je m'étais éloignée de mon territoire de chasse autorisée. Mais ils l'avaient appris, je ne sais comment, et m'ont très vite recadré. À coup de bois d'aubépine, de feu et de lumière concentrée - même si le soleil ne nous tue pas, il peut nous brûler et nous donner d'affreux coup de soleil.
Soudain, un bruissement léger me fit me retourner. Le vampire avait jeté la poche entre ses barreaux, exactement comme je l'avais fait précédemment. Il s'approcha des barreaux de sa cellule.
- Excuse-moi, tu sais ce qu'on fait ici ? demanda-t-il les yeux remplis de peur.
Je soupirais. J'avais eu raison, c'était bien un nouveau qu'ils avaient capturé tout récemment.
- S'il te plaît ! Je... j'étais tranquillement en train de chasser quand une meute de loup m'a attaqué... Je veux comprendre pourquoi !
Je baissais la tête, honteuse de ce que j'allais lui dire et du ton froid que j'allais employer :
- Tu es désormais un esclave de ses loups. Ils ont une maîtresse mais je ne sais pas qui c'est. Je suis désolée, mais à moins que quelqu'un vienne nous sauver ce qui n'arrivera jamais puisque personne ne sait qu'on est ici, on est condamné à chasser des humains et des anges pour leur compte.
Il me regarda horrifié. Je ne voulais pas le préserver en adoucissant mes mots. Il connaîtra bien vite la douleur du ''supplice du sang'' et les regards haineux de ses futures victimes.
- Pourquoi ? couina-t-il en serrant les barreaux.
Je haussais les épaules :
- Fais-toi à cette idée : tu n'aurais jamais de réponse. Tu te poseras mille questions mais aucune n'aura de réponse alors ne te tracasse pas et essaye plutôt de ne pas basculer.
Il se pétrifia un instant avant de reculer et de s'affaler sur son matelas. Je fis la même chose. Pour le moment, il allait réfléchir à tout ça, le digérer... et se résigner. Parce que c'est ce que tout le monde finissait par faire même si cela devait prendre une dizaine d'années. C'est ce qu'il fera. C'est, malgré tous les mensonges que je me racontais, malgré toutes ces fausses promesses, ce que j'ai fini par faire.
Je me roulais en boule sur le matelas en me recouvrant de la couverture. Je fermais les yeux, envahie par un désespoir croissant, attendant que l'on vienne me chercher... sans bouger, ni même respirer.
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