Epilogue
Trois mois plus tard
— Vous voulez ouvrir QUOI ?
J'ai bien cru que la Reine Sydney allait s'étrangler d'indignation. Elle me transperce de ses yeux bleu électrique, puis Térésa, puis Yohan, pour en fin de compte revenir sur moi.
— Un bordel ?!?
— Ne me regarde pas comme ça, dis-je en reculant d'un pas, je ne suis que le troisième investisseur.
— Oh, toutes mes excuses, Jack, réplique-t-elle d'un ton acerbe, je me demande comment j'ai pu imaginer que l'idée venait de toi !
— Relis l'intitulé, Sydney, intervient calmement Yohan avant que notre échange ne vire au pugilat habituel. Ça s'appelle une maison de plaisir.
Du coup, elle me lâche pour reporter son énervement sur lui.
— Ne te fiche pas de moi, je sais très bien ce qu'est une maison de plaisir ! Surtout tenue par vous deux ! fait-elle en nous pointant du doigt. Mais, Térésa... ajoute-t-elle, estomaquée qu'elle puisse être notre complice.
— Je dois reconnaître que ça plaira à ma clientèle, lui répond cette dernière pour se justifier.
Je suis obligé de corriger sa vision erronée :
— Une maison close n'est pas forcément un lieu de débauche.
Elle se laisse tomber dans son fauteuil comme si elle n'en croyait pas ses oreilles.
— Jack... Est-ce que tu es naïf, ou est-ce que tu te fous de ma gueule ?
— Aucun des deux, je lui affirme en toute bonne foi
Elle presse ses mains sur ses paupières, complètement dépitée :
— C'est ce que je craignais. Tu es naïf.
Elle reprend patiemment, comme si elle s'adressait à des enfants de cinq ans :
— Permettez-moi de vous mettre face à la réalité, tous les trois. Une maison close, quel que soit le nom que vous lui donnez, est nécessairement un lieu de débauche. Elle conduit des hommes respectables à agir de façon nettement moins respectable. Sans parler des troubles à l'ordre public que ce genre d'établissement génère systématiquement !
Je ne peux pas la laisser avancer cet argument, s'il y a bien un domaine sur lequel je ne transige pas, c'est la tranquillité de la population.
— Il n'y aura aucun trouble, je m'en occupe personnellement. Et s'il le faut, je verrai ça avec Spyke.
Elle me fixe d'un air différent :
— Tu veux dire, Spyke et sa milice privée ?
Je pousse un soupir. Sydney est injuste avec lui, il s'est engagé corps et âme à mes côtés pour protéger le royaume pendant la guerre, sans grande contrepartie. Spyke a réinvesti ses gains dans la création d'un groupe paramilitaire sous son commandement, recrutant, entraînant et armant des hommes très compétents. Il n'affiche que des objectifs de sécurité privée, mais cela n'empêche pas la reine de le percevoir comme une menace.
— Spyke n'est pas du genre à prendre des risques pour la gloire. Mais si tu le payes, il se battra pour toi.
— Et si quelqu'un d'autre le paye plus cher, il se battra contre nous.
J'ouvre la bouche pour répliquer rapidement, mais finalement, je m'abstiens. J'ai failli lui répondre qu'il n'y a pas de nous, mais je ne peux ignorer le fond de vérité dans ses paroles. Je sais bien que si Spyke et moi devions nous retrouver face à face, à défendre des intérêts opposés, nous aurions tous les deux beaucoup trop de fierté pour accepter de nous coucher devant l'autre. Devoir tuer Spyke serait l'une des épreuves les plus difficiles de toute ma vie, je préfère me convaincre que cette situation ne se produira jamais.
Le temps de ma réflexion silencieuse, la reine a ouvert notre dossier et le feuillette du bout des doigts, comme s'il s'agissait d'un tas de chiffons sales.
— Non mais, franchement, marmonne-t-elle en secouant la tête. Les habitants me réclament une église digne de ce nom, et vous, vous me proposez un bordel !
— Si tu me garantis que des mecs sont prêts à payer aussi cher pour se confesser que pour se faire sucer, je t'en construis une quand tu veux.
— Tu es...
Elle reste sans voix un instant, ses yeux hallucinés suspendus à mes lèvres qui viennent de lui débiter cette réplique blasphématoire. Elle ne trouve même pas les mots en adéquation avec ma grossièreté.
— Tu marques un point, me fait Yohan, appréciatif de la fluidité de ma répartie.
— Inqualifiablement ignoble ! finit par me cracher Sydney.
Yohan récupère le cours de la discussion, avant qu'elle n'ait l'envie de me jeter le dossier à la figure.
— Sydney, n'enterre pas tout de suite ce projet, ou nous le monterons ailleurs. Prends le temps d'étudier ce que j'ai préparé. Toutes les lois de l'Union sont strictement respectées. Je t'ai mis une étude de marché, pour te donner une idée des bénéfices à venir, que tu pourras te faire un plaisir de taxer.
Elle ne répond rien à son professionnalisme, elle se contente de le fixer, dans son œil valide comme le font la plupart des gens.
— Sortez d'ici, nous dit-elle finalement. J'ai besoin d'air.
Nous tournons tous les trois les talons, soucieux de ne rien ajouter à sa contrariété.
— Je reprends un rendez-vous auprès ta secrétaire, lui dit Yohan en franchissant le seuil. D'ici une semaine, tu devrais avoir eu le temps de lire tout ça.
— Ne t'attends pas à un miracle ! rétorque-t-elle sèchement.
— Au fait, Sydney, dis-je en me retournant, très jolie la nouvelle façade du palais. Le rendu est vraiment superbe.
Son regard passe du stade « en rogne » au niveau « mitraillette mortelle » en une fraction de seconde. Elle agrippe la porte de son bureau comme si elle avait voulu la dégonder et me l'emplafonner sur la tête, et elle la claque derrière nous en criant :
— HORS DE MA VUE !!
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