Chapitre 47 - Nouveau départ

Pour conclure une soirée parfaite, j'ai emmené Olga dans l'un des hôtels les plus luxueux de Ludmia. L'un de ceux où l'on voit la mer juste sous sa fenêtre en se réveillant. Il est neuf heures du matin, je suis allongé à plat ventre sur le lit et Olga me régale d'un massage des plus agréables. Andreï a beau dire ce qu'il veut, aucune montée d'adrénaline ne peut surpasser le plaisir d'une nuit comme celle-ci.

Par la baie vitrée, je regarde les vagues miroiter sous le soleil montant. Dans quelques jours, je rentrerai chez moi. Si Yohan a réussi sa manœuvre, ce dont je ne doute pas, j'ai un barrage hydroélectrique à rentabiliser. Tous les quartiers de la ville auront de nouveau de l'électricité, à un prix raisonnable, y compris les maisonnettes des gars de la mine. Nous pourrons en vendre à la région voisine, comme nous le faisions avant la guerre, sauf que cette fois, j'aurai ma part dans le profit. Il y a même la possibilité d'augmenter le débit d'eau, pour produire encore plus d'électricité, le projet était déjà en discussion il y a quelques années.

Et puis, l'accès facile à des armes promis par Andreï garantira mon indépendance. Je continuerai à assurer la sécurité du Royaume de Faucon comme je l'ai toujours fait, mais en ayant les moyens de le faire librement. L'Union Fédérale est trop restrictive sur la circulation des armes, et la reine Sydney n'appuie malheureusement pas dans mon sens. Le territoire de Faucon sera protégé et défendu par les hommes qui y l'occupent, et pas par une famille royale qui ne les comprend pas. Jamais plus un étranger ne pourra tenter de s'approprier leur terre et leur vie sans se faire botter les fesses comme il se doit. Jamais plus je ne n'aurai à recruter des combattants qui n'en sont pas, pour un conflit qui aurait pu être évité. Je n'ai pas encore discuté futur avec Spyke, mais j'ai idée que des armes l'intéresseraient tout autant que moi.

Sydney ne sera probablement pas enchantée de mes initiatives, mais ce n'est pas à elle que je dois quelque chose, c'est à la population de Faucon. Et les gens aspirent avant tout à la sécurité et à la paix. Je laisse à Sydney ses volontés de grandeur au sein de l'Union. Si elle rejette ma façon de faire, je m'appuierai sur mes nouveaux soutiens, et je ne parle pas seulement d'Andreï. Greg sera davantage impliqué dans mes projets à venir, et Vitaly m'ouvre un accès vers l'ancien réseau de Radek. En collaboration avec Térésa, je vais...

— Tu es ailleurs, Jack.

La douce voix d'Olga me tire de mes pensées. Je me redresse sur mes bras et je reporte immédiatement mon attention sur elle. Elle a arrêté de me masser et m'observe avec un sourire pétillant de facétie pour m'avoir pris en flagrant délit de rêverie. Pourquoi suis-je si pressé de repartir ? Je pourrais monter un business à Teneria, devenir un lieutenant d'Andreï, et rester près d'elle. Néanmoins, je ne suis pas certain de vouloir passer les prochaines années de ma vie à ne dormir que d'un œil, un pistolet sous l'oreiller.

Mais n'y a-t-il pas quelque chose d'autre ? Ou plutôt, quelque chose de moins, qui ne me retient plus sur la Côte ? La béatitude d'avoir retrouvé Olga il y a deux ans n'est plus la même. J'ai beau essayer de la recréer, ça ne prend pas. J'ai cru qu'elle pouvait faire tomber les barrières qui me protègent de la désillusion. J'ai cru qu'elle allait remplacer Cheyenne et que je pourrais de nouveau aimer sans aucune limite. J'ai même eu la folie de croire un instant que je m'étais trompé, et que l'amour inconditionnel que je vouais à Cheyenne était en définitive destiné à Olga. Mais non. J'ai fait passer énormément d'affaires personnelles avant Olga, sans avoir le sentiment de faire fausse route, et une déception terrible me déchire le cœur. Pourtant je ne peux pas me passer d'elle, je ne veux même pas l'imaginer. Je ne suis plus cet homme qui prend et qui jette, je ne veux plus l'être.

— Non, pas du tout, je...

Elle pose sur moi un regard empli de tendresse et j'interromps ma phrase incertaine qui ne menait qu'à un mensonge.

— Ne te sens pas coupable, Jack. Tu n'aurais pas tout ce que tu possèdes aujourd'hui, si ton cœur ne rêvait pas en permanence de ce qui ne lui appartient pas encore.

Elle me sourit encore, dessinant de petites rides dans le coin de ses paupières. J'ai vécu toute ma vie en faisant un bras d'honneur au temps qui passe. J'ai toujours été persuadé que je mourrais bien avant qu'il ne me tue. C'est étourdissant comme on se sent libre quand on a cette conviction intime, comme le temps devient un simple camarade de route, quand on ne le considère pas comme un ennemi qui nous conduit vers la mort. Mais je suis toujours vivant. Et il file, quand même, ce temps.

Je sais que, fatalement, viendra notre dernière rencontre. Une dernière nuit. Une dernière fois que je poserai les yeux sur elle. Un dernier baiser. Et si ce jour était aujourd'hui ? Cette seule idée me donne le vertige.

Je l'attrape par les hanches et l'entraîne avec moi sur l'oreiller. Je ne veux plus penser à tout ça, je la veux juste elle.

******************************************


J'ai rendu le van à son propriétaire, Andreï a eu son tatouage de faucon — sur l'omoplate, finalement —, et Vitaly a décidé de rentrer avec nous. D'ailleurs, au moment du départ, il tourne avec envie autour de la voiture de Spyke :

— Je pourrai l'essayer un jour ?

— Jamais de la vie !

Vitaly a le mérite d'être culotté, mais la réponse de Spyke, je la connaissais déjà. Rien que me concernant, il risque de se passer un certain temps avant que j'aie je droit de toucher à la clé.

— Tu peux t'asseoir à l'arrière si tu veux, s'esclaffe Spyke.

— Non, laisse tomber, grommelle Vitaly en me rejoignant pour monter dans le pick-up avec moi.

Sur la route, Spyke roule devant avec le Trappeur, et je le suis de près. Je le teste de temps en temps par un petit coup d'accélérateur, mais il me surveille étroitement dans son rétroviseur et maintient la distance entre nous. Sauf que contrairement à lui, j'ai une patience à toute épreuve. Je reste derrière, et au fil des heures, je le vois devenir moins attentif. Sans prévenir, je prends de l'élan et je déboîte. Quand Spyke comprend, il accélère autant qu'il peut, mais le temps qu'il réagisse, il est trop tard, je suis déjà à son niveau et je le dépasse facilement. Vitaly en profite pour lui faire un doigt d'honneur par la fenêtre avec un grand sourire réjoui.

En revanche, Spyke arbore une expression rageuse que je ne lui connais que trop bien. Une seconde après, il accélère pied au plancher et me double à une vitesse qui défie l'entendement. Il se rabat devant moi avec une queue de poisson qui m'oblige à freiner pour ne pas lui rentrer dedans et il poursuit sur son allure. Je ne le reverrai pas de la journée.

Lorsque le soir arrive, nous sommes au Munskaya. Il nous faut fixer un point de chute pour la nuit, je tends mon portable à Vitaly.

— Appelle le Trappeur. Spyke ne répondra jamais.

Vitaly s'exécute, puis il demande dès que Greg décroche :

— Vous êtes où ?

C'est la voix de Spyke qui lui répond, en braillant depuis le poste de conduite :

— Dans ton cul, petit pédé !

Je souris malgré moi. La réplique était crue, mais Vitaly ne l'a pas volée. Je lui reprends le téléphone ; ils ne répondront jamais à la question si c'est Vitaly au bout du fil. Je m'annonce, avant que Spyke n'ait l'idée de lancer une nouvelle insulte qui tomberait malencontreusement sur moi :

— Trappeur, c'est Jack.

Greg me répond sans que j'aie besoin de me répéter. Ils n'ont pas pris tant d'avance que cela, et nous décidons de faire halte dans la prochaine ville.

— Eh, Vitaly, tu m'entends ? crie encore Spyke avant que je raccroche. Si tu mets un pied hors de cette voiture, je t'éclate la gueule !

Vitaly me regarde avec de grands yeux :

— On ne s'arrête pas au même endroit qu'eux, hein ?

— Si, on s'arrête au même endroit, je réponds d'un ton non négociable.

Vitaly se tait, un peu pâlot. Je dis, pour me moquer de lui :

— Au pire, tu peux toujours dormir dans la voiture.

Je crois qu'il n'y a rien de mieux qu'une bonne baffe de Spyke pour apprendre à assumer ses bêtises. Il va passer la fin du trajet à cogiter pour se dépêtrer de sa situation, cela ne peut lui faire que du bien. La vérité, c'est que je ne laisserai pas Spyke lui faire grand mal, mais ça, il n'a pas besoin de le savoir.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top