Chapitre 35


Libéré du sniper, le groupe mené par Xander se précipite à l'assaut de l'escalier. Une fois postés, ils doivent à tout prix empêcher les renforts de Nikolaï d'accéder à la villa. En plus de Spyke et moi, deux autres hommes, Sacha et Vassili, suivent Andreï et Miguel à travers le rez-de-chaussée.

Au-dehors, on entend régulièrement des salves de tir, mais pour le moment, aucun ennemi ne parvient jusqu'au bâtiment, les tireurs de l'étage font leur office. Les coups de feu cessent, ils doivent être en train de se réorganiser pour chercher une meilleure tactique d'approche. Le temps agit contre nous, mais nous conservons la supériorité militaire, c'est la condition sine qua non pour que ça ne tourne pas au vinaigre.

Dans l'habitation, notre groupe de six continue à progresser pièce par pièce pour sécuriser tout le rez-de-chaussée. Mais au moment où nous pénétrons dans une bibliothèque à l'avant de la villa, Andreï nous fait brusquement signe de nous arrêter et il nous indique la fenêtre :

— Ennemis dehors, contre le mur. Trois ou quatre. Postez-vous, ils vont entrer.

Nikolaï a coupé l'éclairage automatique extérieur pour que ses propres hommes ne soient pas repérés, mais il a visiblement gardé la possibilité de jouer avec les lumières : le plafonnier au-dessus de nous s'allume tout à coup, signalant notre position à ses renforts. Qu'importe, nous sommes prêts, l'ampoule vole en éclats, Andreï et ses deux hommes tiennent la porte qui ouvre sur le hall, Spyke, Miguel et moi, celle qui donne sur la véranda.

La porte du hall s'ouvre à la volée d'un coup de pied mais ce n'est pas un assaillant qui arrive, c'est un fumigène. En une seconde, la pièce s'emplit d'un brouillard dense et nous nous baissons immédiatement vers le sol pour nous protéger de l'attaque qui va inévitablement suivre. Andreï ne laisse pas perturber par la fumée, son placement accroupi derrière le mur est idéal, il tire une rafale en direction des attaquants et referme la porte en la claquant. Des balles lui répondent à l'aveugle à travers le battant.

— Repli en formation ! ordonne-t-il.

À cet ordre, Spyke et moi traversons le brouillard en direction de la troisième porte de la pièce, couverts par notre troisième binôme. La lumière s'allume également à notre passage, mais pas pour longtemps, elle s'éteint presque instantanément et c'est Angelo qui nous en donne l'explication :

— Électricité coupée sur toute la zone.

— Bon travail, lui répond Andreï en nous rejoignant dans la salle de sport. Nino, renforce la défense sur les véhicules et le point de retraite. Xander, sécurise les accès est au bâtiment. Angelo, ouvre-moi ce coffre !

Tous approuvent les ordres d'une réponse réglementaire, il n'y a qu'Angelo qui se permette un commentaire personnel. De notre côté, plus personne ne cherche à entrer par la bibliothèque toujours enfumée, leur objectif était de nous pousser vers cette sortie. Andreï nous informe :

— Une cible neutralisée, reste deux ou trois. Ils vont contourner, on avance sur eux. Salle de bains puis on tient cette position. Formation en colonne, en avant.

Spyke prend la tête du groupe, moi légèrement en retrait sur son flanc droit. Les deux hommes de la côte nous suivent, et Miguel et Andreï sécurisent l'arrière. Nous traversons une salle de sport à présent plongée dans l'obscurité. Spyke me fait un signe du menton, je valide que je suis prêt, il ouvre la porte suivante et je bondis dans la pièce. Nos adversaires en sont au même point que nous, ils ouvrent la porte opposée quasiment en même temps que nous. J'ai le réflexe de me baisser pour sortir de la ligne de tir, mais pas notre coéquipier derrière moi. Mes tirs de riposte neutralisent cet ennemi, Spyke s'est déjà occupé du deuxième qui gît maintenant au sol. Son premier tir n'a pas suffi, il l'achève d'une balle dans la tête.

Vassili se penche sur son ami à terre pour s'enquérir de son état, mais il se relève rapidement : il n'y a plus rien à faire, une balle a transpercé sa gorge. Andreï avait raison, il reste un troisième combattant. Étant donné le sort que viennent de subir ses deux collègues, il reste retranché derrière le chambranle de la porte de la chambre du Tsar, tous nos fusils braqués sur la porte qui nous sépare de lui.

— Rends-toi ! lui dit Andreï d'une voix forte. Tu es seul, tu n'as plus aucune chance.

L'homme décide de sortir de sa cachette, les mains levées, il fait un pas hésitant dans notre direction. Il n'ira pas plus loin, Miguel l'arrête d'une balle dans la tête. Pas de survivant, Andreï applique son propre plan à la lettre. Moi je sens mon estomac se tordre, je n'apprécie pas du tout sa méthode.

Dans le silence revenu, Andreï prend le temps de s'accroupir à côté de son soldat qui vient de mourir pour sa cause, et il lui ferme les yeux, comme il l'avait fait pour ses deux hommes abattus par le sniper. Il reprend sur son corps ses bijoux et des effets très personnels et les met dans son sac. Aidé par Vassili, il l'installe contre le mur dans une position décente. Il lui laisse son arme dans les mains, mais il récupère tous ses chargeurs pleins et les distribue entre nous autres. Je saisis celui qu'il me tend avec un sentiment de malaise. C'est moi qui étais à l'avant de la colonne. Si j'avais tiré plus rapidement, Sacha serait encore en vie.

Andreï ne s'attarde pas davantage, et il sait précisément où il va. Il ouvre une porte qui donne sur un dressing et au fond de ce dressing, invisible, un panneau de bois coulissant. Derrière lui, une porte blindée. Nous sommes devant la pièce secrète du Tsar, quelques centimètres de métal nous séparent à présent de notre victoire. Spyke et moi échangeons un regard dubitatif. Comment compte-t-il mettre la main sur Nikolaï ? Pénétrer dans une pièce aussi sécurisée est mission impossible.

Mais ce ne semble pas être la préoccupation d'Andreï. Puisque nous avons un moment de répit, il fait comme chez lui, s'assoit sur une banquette du dressing et prend le temps de s'enquérir de la progression de ses hommes :

— Andreï à toutes les équipes, rapport. Angelo ?

— Angelo, rapport. On tient l'entrée de la salle forte. Ryan est en train d'ouvrir, encore...

Il s'interrompt, et adresse un « combien ? » interrogatif à Ryan. Nous n'entendons pas la réponse de ce dernier, seulement Angelo qui reprend la parole :

— ... quelques minutes.

— Nino ?

— Nino, rapport. Secteur ouest sécurisé. Retraite et véhicules sécurisés.

— Xander ?

— Xander, rapport. On tient l'étage. Ennemi fixé à l'est.

Ces informations sont rassurantes sur le bon déroulement de notre opération, le bâtiment est entre nos mains. J'en profite pour communiquer avec Katia.

— Tout se passe bien Jack, me répond-elle, nous allons bien.

À ce moment, Miguel s'approche d'Andreï pour lui murmurer quelque chose. Mais la pièce est bien trop exiguë pour que je ne saisisse pas ses mots :

— Antonio, il est ici...

Surtout qu'Andreï ne prend pas de gants pour lui répondre à voix haute :

— Tu l'as vu ?

— Non, c'est Xander qui me l'a dit, dit Miguel en montrant son téléphone.

Andreï fixe Miguel qui semble avoir perdu ses repères. Dans ses yeux bleus, il n'y a que de la détermination et de la dureté. Il lui dit :

— On savait que c'était une éventualité, on en a déjà parlé. Reste concentré sur l'objectif. Les ordres ne changent pas. Dis-le à Xander.

Miguel reste figé un instant, pâle, comme s'il espérait que son chef allait revenir sur sa décision. Andreï ne lui laisse pas le temps de cogiter :

— Tu veux que je le fasse ? lui dit-il en indiquant son talkie-walkie, sans quitter son ami des yeux.

— Non, lui répond Miguel d'un ton dénué de tout sentiment. Je vais le faire.

Il reprend totalement le contrôle sur ses émotions. Seul le léger tremblement de ses doigts lorsqu'il appuie sur le bouton de son talkie-walkie trahit sa nervosité :

— Miguel à Xander.

Il s'interrompt et relâche le bouton. Ses yeux rivés sur ceux d'Andreï, qui l'encourage à poursuivre d'un signe de la tête, il termine sa phrase d'une voix neutre :

— Les ordres sont les mêmes.

Andreï continue de le fixer, en attendant que ce soit lui qui détourne le regard, puis il sort son téléphone. Il nous adresse un sourire sadique et il lance un appel vidéo à l'intention de son oncle.

De façon incroyable, le Tsar décroche, mais sans l'image.

— Salut Niko ! lui fait Andreï d'un ton enjoué.

— Salut Andreï, répond son oncle avec tout autant d'assurance. Tu appelles pour te rendre ?

Andreï trouve le moyen de lui éclater de rire à la figure.

— Regarde, dit-il, on est tous venus te voir.

Il tourne la caméra vers nous autres sans demander notre avis. Pas que je doute du succès d'Andreï, mais s'il advenait que Nikolaï survive, la perspective qu'il passe sa vie à me traquer en représailles ne m'enchante pas.

— Il y a de la lumière chez toi ? poursuit Andreï. Ici il n'y en a plus, mais tu vois quand même où on est, n'est-ce pas ?

— Le Tsar voit tout. Et vous, vous êtes pris au piège. Tout le bâtiment est encerclé, vous n'en ressortirez jamais.

De nouvelles salves de tir résonnent à l'extérieur et Nikolaï se précipite sur cette aubaine :

— Écoute ! dit-il à son neveu. Tu entends ça ? Tous les hommes qui ont été assez bêtes pour te suivre vont se faire massacrer.

Nous autres échangeons un regard peu confiant, inquiets de ce qui se passe dehors, mais Andreï ne se laisse pas déstabiliser. Il continue avec le même aplomb son propre jeu de manipulation psychologique :

— Mets-nous un visuel, ça sera plus sympa de se voir une dernière fois avant de se dire adieu.

— On ne va pas se dire adieu tout de suite, Andreï. À tes hommes, oui, tu devrais le faire. Je commence si tu veux : adieu Miguel, adieu Jack, adieu Spyke, adieu Vassili. Mais quand même, pas la famille, on n'est pas des chiens. Toi, je vais te garder avec moi, on réglera nos affaires à l'amiable, et puis si tu es obéissant, tu feras un bon esclave. Ou dans le pire des cas, un bon prisonnier.

Leur ping-pong verbal peut durer encore longtemps. Andreï et Nikolaï ne sont pas des Tsars pour rien : quelle que soit la gravité apparente de leur situation, montrer sa peur ne fait pas partie du panel de réactions qu'ils s'autorisent.

Avec un sourire arrogant accroché aux lèvres, Andreï s'assure qu'il n'y a plus que lui dans le cadre de la caméra, puis il fait un signe de la main hors champ en direction de Miguel. Sans un bruit, ce dernier se tourne vers Spyke et moi et nous ordonne de le suivre.

Nous lui obéissons sans mot dire, mais sitôt la porte du dressing franchie, je l'interpelle :

— Miguel, qu'est-ce qu'on va faire ?

Il me répond par une autre question :

— Tu sais comment on fait sortir un rat de son trou ?

— On l'enfume, je lui réponds en comprenant où il veut en venir.

— Exactement.


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