Chapitre 27 - Départ
Je roule à toute allure jusque chez Olga. Sa garde du corps Lorelei m'ouvre la porte.
- Où est-ce qu'elle est ? je la questionne sans un bonsoir.
Olga s'est enfermée dans son appartement. Quand j'entre dans la pièce, elle se lève du sofa comme mue par un ressort. Elle se précipite vers moi aussi vite que ses escarpins le lui permettent.
- Jack ! Qu'est-ce...
Je la serre très fort contre moi et je l'embrasse sans lui laisser le temps de parler. Mon soulagement d'être auprès d'elle va au-delà de l'imaginable. Je lui accorde finalement un peu d'air mais elle reste d'elle-même contre moi. Je l'entraîne rapidement hors de la ligne de tir de la fenêtre. Je ne sais pas à qui j'ai à faire, je ne sais pas de quoi ils sont capables. Elle agrippe mes deux bras :
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Ils ont pris le portable de Mila, ils voulaient les photos. Ils vont te chercher, Olga.
En prononçant ces mots, je mesure l'importance du danger qui pèse sur elle. Tout ça parce qu'elles ont pris la vie pour un film d'espionnage et qu'elles ont voulu jouer toutes seules au détective privé. Elle ne gaspille pas son temps à m'interroger sur l'identité de ces « ils ». Elle s'éloigne de moi et d'un tiroir de la table basse, elle tire une cigarette fine qu'elle allume d'une main tremblante. Je lui demande avec inquiétude :
- Comment tu te sens ?
- Comme quelqu'un qui a un contrat sur sa tête, me répond-elle en émettant un petit rire nerveux.
Je voudrais lui dire que je vais la protéger, mais ce serait faux. Je voudrais lui dire que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir, mais ce ne serait pas suffisant. Et j'ignore de combien de temps nous disposons.
- Il faut partir d'ici, sinon ils viendront chez toi comme ils l'ont fait pour Mila.
Sa première réaction est un déni total.
- Non, c'est impossible. Je ne peux pas simplement fermer la porte et laisser mes affaires du jour au lendemain. J'ai toujours su que ce genre de situation pouvait arriver dans cette ville, j'y suis préparée, c'est bien pour ça que j'ai deux gardes du corps extrêmement compétentes. Je reste chez moi.
- Ça ne suffira pas, Olga. Je ne vais pas te mentir, je n'ai pas la capacité de te protéger, pas plus que Magda et Lorelei. Mais je connais quelqu'un qui peut le faire.
Elle tourne brusquement la tête vers moi, faisant tournoyer ses cheveux flamboyants :
- De qui parles-tu ?
Je lâche le nom qu'elle ne veut pas entendre :
- Andreï Tourgueniev.
L'expression de son visage change du tout au tout. Elle me fixe comme si c'était la première fois qu'elle me voyait vraiment.
- Non. Non, je refuse. Je ne veux rien avoir à faire avec cet homme. Tu sais ce que cela implique, de demander de l'aide à des gens comme lui ?
Sa façon de me prendre de haut, comme si j'étais né de la dernière pluie, me fait l'effet d'une gifle en pleine figure. Jamais encore elle ne m'avait parlé comme à un enfant. Je ne prends pas à la légère la décision de m'en remettre à Andreï, j'ai pesé les conséquences. Si quelqu'un doit lui payer une dette, ce sera moi, et sûrement pas elle. Lorsqu'elle a prétendu avoir totalement confiance en moi, ce n'était donc qu'un mensonge flatteur de plus.
Elle tire sur sa cigarette, absolument pas convaincue. Je ne le suis pas moi-même, et il est certain qu'elle le ressent. La crainte qu'il lui arrive quelque chose paralyse mon cerveau, je ne parviens plus à réfléchir clairement. Quel que soit mon choix, il pourrait s'avérer mauvais, et son doute ne fait qu'amplifier le mien.
Je me rapproche d'elle et je glisse une main dans sa nuque, sous sa chevelure soyeuse. L'idée traîtresse et insidieuse que cela pourrait être la dernière fois que je touche sa peau s'insinue en moi, et se diffuse jusqu'à l'oppression, j'ai l'impression de ne plus pouvoir respirer.
Elle lève vers moi ses beaux yeux noisette en quête d'un repère. Elle me remet en question parce qu'elle a peur, ce qui est bien normal dans cette situation, mais c'est à moi d'agir et de ne montrer aucune faille.
- Tout ce qui compte pour moi, c'est que tu sois en sécurité. Je ne supporterais pas qu'on te fasse du mal. Si j'avais le moindre doute sur Andreï Tourgueniev, je ne prendrais pas le risque de t'amener jusqu'à lui.
Elle s'écarte de mon étreinte et fait volte-face vers le Trappeur. J'avais quasiment oublié sa présence.
- Et vous, lui demande-t-elle, vous faites confiance à Andreï Tourgueniev ?
Greg détourne instinctivement ses yeux pour éviter le décolleté plongeant d'Olga. Il croise mon regard implorant. Mentir est pour lui un exercice difficile à accepter. Évidemment qu'il se méfie d'Andreï, il se méfie de tout le monde, Tony n'est pas son ami sans raison. Je lui suis infiniment reconnaissant de la réponse qu'il finit par donner :
- Je fais confiance à Jack.
Elle reste immobile, prise en tenaille entre sa volonté de croire que ce n'est qu'un cauchemar et celle de s'en remettre intégralement à moi. Elle sonde encore mon regard, comme si elle espérait que j'allais changer d'avis, ou trouver miraculeusement une autre solution.
- Olga, je te protégerai jusqu'à la mort. Et je n'ai pas l'intention de mourir aujourd'hui, j'ajoute avec un petit sourire pour dédramatiser ma phrase précédente.
Elle, cela ne semble pas la faire rire du tout. Elle tourne la tête vers ses deux gardes du corps, mais elles ne lui sont d'aucun conseil stratégique, se contentant d'obéir scrupuleusement aux ordres. Je serre sa main dans la mienne :
- S'il te plaît, viens avec moi.
Je ne veux pas la presser, pour ne pas l'angoisser davantage, mais plus nous restons ici, plus il y a de risque que quelqu'un tente de nous surprendre dans cette maison, ou plus vraisemblablement, dès que nous mettrons un pied à l'extérieur.
- D'accord, Jack, je te suis.
Soulagé, j'attrape ses lèvres pour un baiser profond. Je fais taire la panique qui me répète en boucle que ce baiser sera peut-être le dernier, et la petite voix sadique à l'intérieur de mon esprit me renvoie la remarque terrifiante qu'il y en aura forcément un dernier un jour.
- - Prépare tes affaires.
Pendant qu'Olga fait ses bagages, je distribue mes consignes aux deux gardes du corps :
- Prenez votre voiture, l'une de vous conduit et l'autre monte à l'arrière avec Olga. Je vous suis juste derrière avec le van.
Loreleï, qui me dépasse de plusieurs centimètres, se plante devant moi avec sa coupe blonde garçonne. Elle encliquette bruyamment un chargeur plein dans son arme :
- Dites, vous comptez m'apprendre mon métier ?
Je lève les yeux au ciel sans répondre. Loin de moi cette prétention, je veux seulement mettre tout le monde en sécurité le plus rapidement possible.
Pendant que Magda charge le coffre de la berline, j'ouvre la portière à Olga.
- Ça va aller, je la rassure encore lorsqu'elle prend place sur son siège.
Elle tente un sourire en guise de réponse, mais ses joues ont perdu de leur couleur. Il me faut toute la volonté de la terre pour refermer la portière au lieu de la serrer dans mes bras.
- Tu prends le volant, dis-je à Greg en revenant vers le fourgon.
Lorsque nous sommes montés dans la voiture, il me demande :
- Tu es sûr de pouvoir faire confiance à Tourgueniev pour protéger ta copine ?
Je pense comprendre une part de la vérité, mais je ne suis sûr de rien. Je sors un deuxième chargeur de pistolet de la poche de mon jean pour le poser sur le siège à côté de moi où il sera plus accessible en cas de besoin, et je lui avoue :
- Dans nos négociations pour que je le rejoigne, Andreï m'a juré qu'il protégerait Olga.
- Et tu crois que c'est un homme de parole ?
Je lui adresse un regard oblique :
- Si je me trompe, tu peux considérer que je suis déjà mort.
Je n'ai jamais tant souhaité que Spyke soit à mes côtés. Lui serait capable de recul sur la situation, il aurait probablement une meilleure idée que moi. En tout cas, il ne ferait certainement pas ce que je m'apprête à faire : nous jeter dans la gueule du loup.
Nous sortons de Ludmia sans encombre et je me détends un peu. Les rues étroites de la ville sont si aisées à barrer d'un simple véhicule en travers, je l'ai constaté contre la police l'autre nuit.
Une fois engagés sur la quatre voies qui traverse la forêt en direction de Teneria, le Trappeur suit de près la voiture d'Olga, à vive allure sur la voie de gauche. Chaque kilomètre qui s'égrène me rassure davantage. Beaucoup de monde circule à cette heure de début de soirée, nous rendant difficiles à repérer. Nous avons un coup d'avance, peut-être les assassins de Mila n'ont-ils pas établi le lien avec Olga. Une fois que nous serons arrivés chez Andreï, plus aucun danger ne pourra venir de l'extérieur.
Encore faudrait-il y parvenir. À l'occasion d'une entrée, un SUV banal, gris-anthracite, s'insère sur la voie rapide bondée. Un SUV qui remonte vers nous par la file de droite, sans se soucier du Code de la route. Dans le rétroviseur, je scrute le conducteur, aux yeux cachés sous une casquette noire.
Bloquée par le trafic, Magda ne peut accélérer davantage et la voiture grise parvient au niveau de ma portière. Par la vitre arrière apparaît le canon d'un pistolet pointé sur moi. Ultime réflexe de survie, je me jette en avant sous le tableau de bord. Greg se retrouve à ma place dans la ligne de mire. Il écrase la pédale de frein, sous les klaxons incendiaires de la voiture derrière nous qui évite la collision de justesse, tandis que le SUV continue sur son élan.
Le répit est de courte durée. Ils n'ont pas réussi à nous avoir Greg et moi, mais ils poursuivent à présent la voiture d'Olga qui slalome avec dextérité entre les autres véhicules. Heureusement que Magda est une bonne chauffeuse.
- Rattrape-les ! j'ordonne au Trappeur, qui ne semble pas pressé de se confronter à nouveau à ces hommes armés.
Il obéit et relance notre fourgon noir dans la course. Il n'y a que deux personnes dans la voiture : le conducteur non identifiable, et le tireur sur les sièges arrière. Je n'hésite pas un seul instant, j'ouvre ma vitre, pistolet à la main, mais les changements de file incessants du SUV pour tenter de rattraper Magda m'empêchent de le garder en visée. Je ne veux pas prendre le risque de toucher un autre véhicule.
- On est trop loin ! dis-je à Greg pour qu'il mette les bouchées doubles.
Malgré les compétences de conduite de Magda, le trafic est trop dense et les deux poursuivants gagnent du terrain sur la berline, en arrivant par la droite, dans la même configuration que lorsqu'ils se sont approchés du van quelques secondes plus tôt. Si Magda ne parvient pas à se dégager, ils vont s'aligner avec la berline et tirer.
Par la fenêtre, Loreleï braque son arme en direction du SUV, mais leur homme est plus rapide et tire, forçant Loreleï à rentrer à couvert dans l'habitacle. Plus approximatif, aussi. Des impacts dans la tôle sont le seul dégât qu'il ait réussi à faire.
Ils sont toujours hors de ma portée, alors je tire trois coups en l'air, pour détourner leur attention, et cela fonctionne. Le tireur se retourne brusquement vers le van, qu'il ne peut pas atteindre non plus, et cet instant d'incertitude permet à Magda de faire un crochet pour mettre une grosse voiture entre elles et le SUV.
Il nous reste encore plusieurs kilomètres avant de quitter la quatre voies. Il faut qu'on se débarrasse de nos assaillants, et rapidement, sinon il y aura de la casse avant la sortie. Ils repartent à l'assaut vers la voiture d'Olga, Greg n'a pas froid aux yeux et s'engouffre dans une brèche pour se placer juste derrière le SUV. L'homme se contorsionne pour cibler Greg, mais pare-chocs contre pare-chocs, il pousse brutalement leur voiture. Déstabilisé, le tireur perd sa visée.
J'en profite pour tirer dans la lunette arrière. L'homme passe le buste par la fenêtre pour me répondre, mais Greg fait un violent écart sur l'accotement, et sa balle ne trouve pas le van. Je préfère ne pas savoir ce qu'il a touché.
En se focalisant sur nous, ils ont oublié Magda qui a ralenti imperceptiblement pour les laisser se rapprocher de la berline. Loreleï tire avec une précision parfaite dans leur pneu avant. La voiture grise fait une embardée sur la gauche et Greg pile de nouveau pour éviter l'accident. En réaction immédiate, le conducteur donne un coup de volant pour tenter de rester sur sa voie, mais il perd le contrôle du véhicule. Le SUV termine sa course dans la glissière de sécurité.
Les mains encore tremblantes d'adrénaline, je remercie le Trappeur d'un signe de tête en reprenant mon calme. L'attaque n'a même pas duré deux minutes, et il a géré ce temps avec une exceptionnelle lucidité.
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