Chapitre 11 - Cadeau de bienvenue


Nous nous rapprochons de Teneria, sous un ciel de plus en plus menaçant, mais la pluie printanière refuse de tomber. L'adresse indiquée par Andreï nous mène à quelques kilomètres de la Route 5, dans les plaines du nord-est de la ville, devant une demeure luxueuse. La façade savamment architecturée de bois et de pierres mêlés lui donne une allure de ranch moderne, posé au milieu d'un terrain plat s'étendant à perte de vue. La résidence principale d'Andreï Tourgueniev.

Les murs ne sont pas très hauts, et le portail est ouvert. Il serait tentant de lire un excès de confiance négligent dans ce manque de barrières. Pourtant, derrière cette absence de végétation offrant aux occupants de l'habitation une vue dégagée à trois cent soixante degrés se cache une seule réalité : personne n'entre chez Tourgueniev sans avoir été invité.

Nous nous engageons dans l'allée, jusqu'à garer les pick-ups sur la place circulaire devant l'entrée. La porte de la maison s'ouvre, mais Andreï ne s'est pas donné la peine de venir à notre rencontre. Ce n'est que son bras droit, Miguel Ximeno.

Il nous remercie au nom de son patron d'avoir fait le déplacement, puis, sans explication supplémentaire, il monte dans sa voiture pour nous conduire jusqu'au terrain où nous pourrons nous installer. Sans même descendre de son quatre-quatre, Miguel nous indique simplement les limites de la parcelle qu'ils nous prêtent.

- Cet endroit nous sert de zone d'entraînement, ajoute-t-il. Vous pouvez y rester aussi longtemps que nécessaire.

Le terrain n'est situé qu'à quelques centaines de mètres de la demeure de notre hôte. Il tient surtout là un moyen efficace de nous garder sous sa surveillance.

Je demande à Ximeno, alors qu'il s'apprête déjà à repartir :

- Où est-ce que je peux trouver Andreï ?

Je ne suis pas venu ici pour faire du camping, je veux savoir rapidement ce qu'il attend de nous. Et plus vite la mission sera menée à bien, et plus tôt nous serons payés.

- Il te contactera, me répond-il en commençant à reculer, comme si ma requête n'avait pas la moindre importance.

Je n'ai pas d'autre choix que de prendre mon mal en patience. Je me recentre sur les tâches à accomplir : découvrir cette vaste portion de terre mise à notre disposition, et installer notre campement.

Contrairement à celui de la propriété d'Andreï, le terrain est majoritairement arboré, entrecoupé de clairières plus ou moins grandes, et traversé par un ruisseau. Au bout d'un chemin de terre, le secteur le plus éloigné de la route a été aménagé en stand d'entraînement au tir, avec d'épais panneaux de protection, des caches creusées dans le sol et des postes plus en hauteur.

Nous choisissons une clairière proche de l'entrée et de la petite rivière pour monter nos tentes en un large cercle autour d'un feu de camp, laissant les voitures à l'abri sous les arbres.

Comme l'avait promis Miguel, Andreï nous rend visite dans l'après-midi, avançant son quatre-quatre jusqu'à notre campement. En tenue de ville habituelle, les manches de sa chemise noire retroussées sur ses avant-bras avec décontraction, il en sort pour me saluer d'une poignée de main spontanée. Il est seul. Il constate d'un rapide coup d'œil l'efficacité de notre installation, et le nombre d'hommes que j'ai amenés. Son regard s'arrête une fraction de seconde de plus sur Vitaly, mais il ne dit pas un mot.

- Prends ta voiture, et viens avec moi, me dit-il sur un ton qui n'envisage pas de refus. J'ai un cadeau de bienvenue pour vous.

Spyke m'accompagne, et il nous mène jusqu'à un garage automobile situé dans une zone industrielle de l'arrondissement Est de Teneria. Je reconnais l'un des deux gérants, qu'il appelle par son prénom : Xander. C'est l'homme peu bavard qui était venu à Faucon avec Miguel et lui. Il a toujours la même casquette kaki vissée sur sa tête. Il nous fixe Spyke et moi avec une froideur palpable. Andreï n'y prête aucune attention, il lance une plaisanterie de connivence entre eux à laquelle Xander se force à sourire.

- Nous allons à la cave, lui dit finalement Andreï.

Le gérant lui remet discrètement une clef et nous suivons Andreï dans l'arrière-boutique. Je n'ai pas besoin de me retourner pour sentir le regard mauvais de Xander rivé sur ma nuque tandis que nous lui tournons le dos. Nous sortons dans la cour, puis Andreï ouvre l'un des bâtiments du garage avec la clef de Xander, et nous descendons un escalier. En bas, il y a une autre porte, qu'Andreï déverrouille grâce à un code digital. Il nous fait passer devant, appuie sur un interrupteur, et nous annonce en tendant la main :

- Bienvenue dans une partie de mon stock personnel.

Je pénètre dans une cave creusée dans le sous-sol, basse de plafond. Andreï et moi y tenons tout juste débout, mais Spyke est obligé de se baisser au niveau des poutres. Elle est remplie de caisses militaires. Andreï en ouvre quelques-unes, maître en sa demeure. Des pistolets semi-automatiques, des pistolets mitrailleurs, des fusils d'assaut. Beaucoup d'armes. Plus d'armes que tout ce que nous n'avons jamais rêvé de posséder dans notre vie.

- Qu'est-ce qui vous ferait plaisir, messieurs ? Considérez cela comme une avance sur paiement.

Spyke pousse le couvercle d'une autre boîte :

- Des grenades ! s'exclame-t-il en en soulevant une dans ses mains comme un trésor. Je n'en ai pas lancé depuis que j'ai quitté l'armée !

- Repose ça, tu veux ? lui répond Andreï avec un R roulé qui se répercute sur les murs de la pièce. Tu n'en auras pas l'utilité.

Andreï se retourne vers moi sans accorder davantage d'attention à Spyke. Il ouvre une nouvelle caisse :

- AR-15, dit-il en me tendant un fusil. Fiable, robuste. Précis.

Je me saisis de l'arme et prends une visée pour en juger. Elle est de fabrication étrangère, je n'ai jamais vu cette marque sur la Côte. Je le lui fais remarquer :

- Ces armes ne viennent pas d'ici.

- Non, me répond-il sans s'étendre sur la question.

Il semble avoir des contacts à l'étranger, ce qui confirmerait les dires de Tony sur son passé paramilitaire. Je l'interroge directement, pour savoir s'il va éviter le sujet :

- J'ai entendu dire que tu as été absent du Ceagrande pendant pas mal d'années.

Il prend le temps de me jauger du regard, puis il reprend la parole doucement, ce qui rend la tonalité de sa voix plus grave encore qu'à l'accoutumée :

- On ne t'a pas menti. Je pourrais te dire que j'étais jeune, que j'avais la bougeotte et l'envie de faire mes preuves. Je suis parti me battre ailleurs, servir d'autres causes qui me paraissaient plus justes. Moins personnelles. Ce sont les affaires familiales qui m'ont ramené au Ceagrande. Sur cette Côte. Aussi loin qu'on parte, elle a quelque chose de mystique, qui nous rappelle vers elle comme un aimant, ne trouves-tu pas ?

Sa question n'en est pas une. Cette attraction dans laquelle se mélangent fascination, excitation et répulsion, je la ressens également. Et il le sait.

Le poing serré, il observe pendant quelques secondes les vaisseaux saillants sur son avant-bras musclé, comme s'il pouvait réellement voir le sang circuler à l'intérieur, puis il ajoute :

- Le sang des Ashlakhanov coule dans mes veines. Je ne pouvais pas le renier plus longtemps.

- Ce n'est pas le sang qui dicte qui on est, intervient Spyke d'une voix claire, c'est ce qu'on décide de devenir.

- Peut-être, lui répond poliment Andreï, tout en oscillant de la tête d'un air peu convaincu.

Leur opposition de point de vue est compréhensible. Quelle valeur le sang pourrait-il bien avoir pour Spyke, élevé dans un orphelinat sans jamais connaître ses origines, portant toujours le doute que ses parents l'aient abandonné volontairement ? Pourtant, ses qualités sont légion. À l'inverse, l'ascendance prestigieuse d'Andreï Tourgueniev lui confère une légitimité qu'il n'a pas à prouver. Moi, je pense que l'hérédité est davantage un fardeau à assumer, qu'un gage de noblesse.

Je choisis des armes pour toute mon équipe, parmi l'arsenal proposé par Andreï. Des pistolets, discrets et efficaces, des fusils plus maniables pour Katia et Vitaly. Il a même un fusil à pompe semi-automatique qui devrait ravir le Trappeur.

Spyke s'est trouvé un AR-15 à son goût :

- Je te prends celui-là, annonce-t-il à Andreï.

Ce dernier désigne à la place le fusil qu'il m'avait présenté en premier :

- Je te conseille plutôt celui-ci. Plus léger.

- Je préfère celui-là, insiste Spyke.

- Si tu veux, lui répond Andreï avec une moue de désintérêt, tout en me lâchant dans les mains une caisse de munitions de calibres variés.

De retour au camp de base, nous distribuons les nouvelles armes et organisons les quarts de garde pour la nuit. Spyke refuse que Vitaly y prenne part. En revanche, il lui ordonne de faire la cuisine, la vaisselle, et le stock de bois pour le feu. Ces corvées ne sont pas du tout au goût du jeune garçon, mais il s'exécute en bougonnant, tandis que Spyke le nargue en buvant tranquillement une bière, assis sur un rondin.

Puisque notre installation est bel et bien validée par Andreï, je contacte Tony. Lorsque je le lui avais demandé en partant de chez lui, il avait fait beaucoup de difficultés pour me communiquer son numéro de téléphone, insistant pour prendre le mien, garder le sien secret, et m'appeler quand cela lui chanterait. Se heurtant à mon refus catégorique, il avait fini par accepter, seulement en l'écrivant directement sur mon portable.

À présent que je lui propose de nous rejoindre à Teneria, il se montre tout d'abord peu enthousiaste. Il me fournit une réponse évasive, sans donner de date pour sa venue. Son manque d'engagement commence à m'agacer. Je lui impose d'être parmi nous demain, sans quoi je ne l'inclurai pas dans mon opération. Cette fois encore, il argumente que ce n'est pas facile de se libérer, à cause de son magasin, et qu'il verra ce qu'il peut faire. Mon ultimatum est pourtant clair.

- Dis-moi, Tony, je lui demande de but en blanc, tu es capable d'obéir à des ordres ?

- Les ordres de qui ? se permet-il de questionner.

- Les miens !

Quelques secondes de silence à l'autre bout de la ligne, suivies d'un soupir.

- Je l'ai fait pendant plusieurs années, ça devrait pouvoir me revenir.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top