Jeu macabre
Marc tira le rideau pour chasser l'image d'Annabelle. Il voulait s'échapper de cet enfer, mais se ravisa. Il devait d'abord lui parler. Il devait en savoir plus sur les morts de Ludivine et de Marie. Il ne pourrait s'affranchir de ses sentiments mitigés qu'à la lumière d'une seule vérité. Aussi abjecte fut-elle.
Il avait besoin d'un verre. Il bouscula les clients impudiques jusqu'au bar, commanda un verre de liqueur noire et s'assit à un tabouret vide. Un jeune homme vint s'asseoir prêt de lui.
— Salut. On s'est déjà croisés aux Fleurs. Dis, je t'ai vu plus tôt avec les deux roses. Tu sais que t'es un sacré chanceux, toi ? C'est rare qu'elles se mettent ensemble sur le même mec. Et encore, t'aurais dû voir quand elles étaient trois. Un sacré spectacle. J'en rêve encore souvent, tu vois le genre.
— Trois ?
— Ouais. Les trois roses. À ce qu'il paraît, il y a trois ans, elles étaient même quatre.
— Tu parles de Ludivine ?
— Ouais, Ludivine. Dommage qu'elle soit plus là.
— Ludivine portait une rose aussi ?
— Une rose avec des épines sous le nichon, c'est ça. C'est le jardin secret de Scipion ! Enfin, c'est ce qu'on dit.
— C'est lui qui les force à se tatouer ?
— Ça j'en sais rien, mec. Tout ce que je peux te dire, c'est que tout le monde les considère comme sa chasse gardée. C'est pour ça que ça m'a fait bizarre de te voir avec elles tout à l'heure. La dernière fois que c'est arrivé, c'était juste avant l'accident avec Ludivine. La pauvre quand même ! Elles ont pas de bol ces roses-là, elles se font toutes cueillir les unes après les autres.
L'évidence sauta aux yeux de Marc. Les filles étaient prisonnières d'un jeu macabre et disparaissaient tour à tour. Il lui manquait un dernier élément pour confirmer sa théorie. Il se saisit de son téléphone et appela Arnaud. Celui-ci répondit au bout de sa troisième tentative.
— Putain, pourquoi tu me téléphones en pleine nuit ? s'étonna l'étudiant, mal réveillé. T'as vu l'heure ?
— Arnaud, j'ai besoin d'une info tout de suite. C'est au sujet de ton ex, Marie. Dis-moi si elle avait une rose tatouée sur elle.
— Pourquoi tu veux savoir ça à trois heures du mat' ?
— Réponds-moi !
— Oui. Elle avait une rose tatouée sous le nibard. Mais qu'est-ce qu'il se passe ?
— Je te raconterai demain.
Marc raccrocha et se mit à nouveau à la recherche d'Annabelle. Il retourna vers l'alcôve où elle se tenait quelques minutes plus tôt,mais un nouveau groupe s'était emparé des lieux. Il croisa Marlène qui lui jeta un regard mauvais. Il se rua sur la rouquine, hors de lui.
— Où est-elle ?
— Ça t'a pas suffit ? T'en veux encore ?
— Dis-moi où est Annabelle !
— Elle te cherchait. Je l'ai vue sortir. Avec tes conneries, elle a dû vouloir rentrer. Merci d'être venu foutre la merde chez nous. Tu ferais mieux de disparaître de sa vie.
— Toi, Marlène, tu sais exactement ce qui se passe et tu laisses faire tout ça. Tu es pitoyable !
Marc planta la fille aux cheveux rouges dans le club et se précipita à l'extérieur. Il pensait se rappeler la route vers l'appartement d'Anna. Il devait la convaincre de s'échapper, d'abandonner l'influence néfaste de Marlène et Scipion avant qu'il ne soit trop tard.
Il se perdit dans le dédale des ruelles et n'arriva au pied de l'immeuble qu'une demi-heure plus tard. Alors qu'il s'apprêtait à actionner l'interphone, la porte s'ouvrit pour laisser sortir Scipion.
— Te revoilà, constata l'homme en noir qui affichait toujours un air de conspirateur. Tu sais que tu l'as mise dans tous ses états. Elle ne pensait pas que tu réagirais comme ça. Faut garder ton sang-froid. Tu as l'air de prendre tout ça trop à cœur. C'est juste un jeu, rien de plus.
— Ah ouais ? cracha Marc, soudain très sûr de lui. Tuer des jeunes filles, tu trouves que c'est un jeu ?
— De quoi tu parles, gamin ? siffla Scipion, menaçant.
— Marie, Ludivine... toutes les deux mortes chez toi. Toutes les deux tatouées comme Annabelle et Marlène. Ça fait beaucoup de coïncidences pour de simples accidents. Et les épines sur les roses, ça signifie quoi ? Une épine pour chaque fille que tu assassines, j'ai raison ? C'est ta façon de leur rappeler qu'elles doivent t'obéir ? T'en as tuées combien déjà ? Cinq ?
Scipion frappa Marc au plexus pour le faire taire. Le jeune homme, plié par la douleur et le souffle coupé, s'écroula sur les marches de l'immeuble. L'homme en noir le saisit par la tignasse et lui écrasa le visage contre le rebord de pierre.
— Écoute-moi bien, branleur ! Tu as échafaudé toute cette théorie à la con dans quel but ? Te faire mousser ? Tu te prends pour le chevalier blanc venu délivrer les gentilles princesses des mains de l'ogre ? C'est pas un putain de conte de fée, abruti ! Ces filles-là sont des furies, elles ont une volonté hors du commun. Et toi tu piges rien à rien. Parce que tu m'as vu en baiser une par derrière, tu crois que je suis une sorte de monstre sanguinaire prêt à les éliminer l'une après l'autre ?
Scipion relâcha son emprise et parut se calmer.
— Tu as vu leurs tatouages et tu as compté les épines. C'est bien, tu es sur la bonne voie. Tu connais déjà les quatre dernières. Mais avant elles, il y en a eu d'autres. Je connais leur histoire, je te préviens, ça va pas te plaire. Cherche plutôt à savoir qui étaient Viviane, Mélodie et Rosine, la toute première. Essaie de savoir ce qui les a liées toutes les sept il y a cinq ans de cela, quand elles étaient encore au lycée. Cherche à comprendre le pacte qu'elles ont conclu ensemble. Moi ça m'a pris trois ans pour les cerner, je n'ai compris qu'après la mort de Ludivine, le mois dernier. Et crois-moi ou non, même si je l'avais su plus tôt, je n'aurais rien pu faire pour la sauver.
Scipion rajusta le col de son manteau et disparut dans la brume de l'aube qui pointait déjà. Marc était trop éreinté pour oser sonner chez Annabelle. Il avait besoin de rassembler ses esprits avant de lui reparler. Le mentor des deux dernières roses lui avait fourni beaucoup d'indices. Il devait les relier à son tour pour y voir plus clair. Seulement, à cette condition, il trouverait les mots pour atteindre Annabelle.
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