Chapitre 1 : se faire sauter sur la table (1)


Je pose la dernière touche de maquillage sur mon visage oblong. Il s'agit d'être pimpante pour cette soirée resto pleine de nostalgie. Voilà sept ans que nous avons quitté les secondaires, chacun a eu le temps de faire un peu sa vie et j'ai hâte de revoir d'anciennes copines. Certaines le sont restées, même si j'étudiais à Liège, je les voyais le week end et je causais avec elles sur le net. Mais d'autres reviennent avec des diplômes obtenus à l'étranger, ça va me faire bizarre !

Je lisse ma robe rouge pétant qui se moule bien autour de mes hanches un peu larges. Elle tombe à hauteur de mes genoux, avec une grosse tirette dorée qui me permet d'ajuster le décolleté. J'ai pris une taille de bonnet depuis la fin de la rhéto et je compte bien en profiter ! D'autant que je suis toujours célibataire et butineuse ; il y a des habitudes qui ne changent guère avec le temps !

--SANDRA, tu ne rentres pas au-delà de minuit, sinon gare à ton cul !

Qu'est-ce que je disais ? Y a des choses qui ne changent pas...

– C'est juste un resto, rhô, je vais pas danser en boîte non plus !

Je range mon rouge à lèvres mauve et vérifie que ma queue de cheval est bien centrée. Je me tiens super fort à la rambarde, parce que ces escaliers raides en bois ne sont vraiment pas sécurisants quand tu portes des escarpins.

A peine hors de la vue de mes parents, je descends un peu plus la tirette entre mes seins : non mais, j'ai 25 ans, j'assume les tenues que je porte sans avoir besoin de leur approbation ! Je vais arriver à « l'Etna » une heure avant le rendez-vous fixé. Plus je peux rester là plutôt que chez moi, mieux c'est. Ah si seulement je trouvais un job mieux payé que ces extras à la noix ! Je pourrais louer ailleurs ! Heureusement, ma voisine et confidente rentre bientôt passer quinze jours chez ses parents, je me réjouis elle aussi de la revoir. Dans le bus, je vérifie sans arrêt si mon rimmel n'est pas trop mal étalé, si mes ongles vernis de rouge sont nickels, si mes jambes n'ont aucun reste de poils et si mes bras nus ne se salissent pas lorsque je m'appuie contre la vitre. Comme je vais sortir enfin du bus transformé en sauna, je remets ma veste noire légère et garde collé contre moi mon petit sac rouge avec une imitation d'écailles. On a bien choisi la date : en plein juillet, temps splendide, journée longue, c'est cool !

Sur place, une grande table nappée de blanc nous attend, nous, les anciens élèves de l'Athénée Royale François Bovesse ! Ca fout un coup de vieux, quand même. Surtout quand je revois Justine, après des années passées aux USA : un vrai bout de femme maintenant ! Elle et Annie sont déjà présentes et Laure ne va pas tarder. Hélas, Maryse ne peut pas venir, mais bon, on va quand même bien s'amuser ! Il manque encore pas mal de monde, il faut dire que peu arrivent en avance. On se salue, on raconte des anecdotes de cours et nos éventuels amours. De ce côté-là, je n'ai pas grand-chose à raconter, j'ai essayé d'avoir un copain et ça a duré trois mois, pour le reste, des petits sex friends sympas ici et là.

– Je me souviens quand tu pouvais choisir n'importe quel gars et lui faire tourner la tête en peu de temps, rappelle Laure amusée.

– Sauf Victor Klein, ajoute Annie. J'ai jamais bien compris pourquoi t'avais laissé tomber l'affaire.

Moi qui l'avais classée loin dans ma mémoire... Enfin non, pas si loin : j'y repense des fois. Quand je porte ce bracelet qu'il m'a remis. J'ai cru y voir plus qu'un bracelet d'excuse. C'est un bracelet qui prouve la honte que cet homme a ressenti après ce que j'ai vécu. Peut-être a-t-il compris certains indices mieux que moi, quand on s'est disputé. Il est assez rusé pour ça. Ca a dû se retourner contre lui.

– Oh, c'est vieux ça. Je ne lui en veux plus, avoué-je en sirotant ma bière.

– C'est une bonne chose, car si tu veux t'y remettre, la voie est libre, affirme Justine.

– De quoi tu parles ?

En fait, je sais de quoi elles parlent mais j'ai du mal à croire qu'elles ramènent ça sur le tapis à ce point-là.

– Victor est célib' et pour ma part je le trouve même plus mignon maintenant qu'avant, déclare l'informatrice de sa vie privée. Je l'ai en ami Facebook, précise-t-elle devant mon air suspicieux.

– Il vient ce soir, au fait ? Demande Annie.

Laure se lève et parcourt les noms inscrits sur des papiers, placés tout le long de la table. C'est notre ancien président des Rhétos qui s'est chargé de la répartition, afin de laisser les anciens amis entre eux.

--Oui ! s'exclame-t-elle en nous montrant le papier cartonné avec « Victor Klein » écrit dessus.

Avec étonnement, je la vois s'emparer du billet à ma droite et l'échanger avec le sien.

– Qu'est-ce que tu fous ?

La farceuse glousse avant de me répondre :

– Si tu lui en veux plus, tu peux peut-être reprendre où vous en étiez ? T'es la seule à pas avoir de petit ami, tente ta chance ! Il vient d'obtenir son diplôme en Communication, ce serait le bon moment.

--Mais... vous êtes des garces !

– Nan, c'est toi qui es une couille molle, lâche Justine.

Les trois rigolent si fort que l'autre groupe d'anciens élèves en avance se tournent brièvement vers nous. Je murmure, non sans férocité :

--Je ne suis PAS une couille molle !

– Prouve-le ! Je trouve que notre femme fatale numéro un se ramollit, pas toi, Annie ?

– Ouais, elle refuse avant même de commencer, maintenant, c'est triste comme la vie change les gens.

Elles se payent bien de ma tête, celles-là ! Faut dire qu'elles me tannent régulièrement avec cet échec et qu'il reste cuisant pour moi. Je me souviens encore de mon état de choc lorsqu'il s'était mis au bord de mes lèvres. C'est comme si j'avais eu l'assurance, d'une simple proximité, qu'une nuit avec lui serait divine. Même un micropénis n'y changerait rien. Ca vaut peut-être la peine de sauver ma face auprès de mes vieilles amies et en même temps de vérifier mon hypothèse. Qu'ai-je à y perdre, de toute façon ? Elles ont raison, je suis nulle part pour le moment en relations, je pense que je suis vraiment faite pour choper des mecs d'un soir. Si le suivant pouvait être Victor, ça serait pas mal. En espérant qu'il ait un peu évolué dans ses « valeurs » et autres « conceptions ». Je brise leurs ricanements d'un poing abattu sur la table, geste que je connais par coeur grâce à mon père.

--OK, vous l'aurez voulu ! Ce soir, je lui ferai du charme devant vous et on verra si j'ai l'air d'une couille molle.

– Haaan j'adore, ça me rappelle nos défis ! Lâche Laure surexcitée. Sandra, paries-tu de nouveau que tu seras capable de finir dans le même lit que Victor pour faire crac crac ?

– Vire juste la précision « dans le lit », sait-on jamais, je vais peut-être le coincer dans les toilettes à la place.

Cette fois, nous éclatons toutes de rire.

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