Chapitre 5
Je me réveille pleine de courbatures. Je me suis endormie dans le fauteuil en lisant le journal de cette femme. C'est drôle, l'heure indique minuit et il fait encore jour. Curieuse, je sors de la maison et marche sur ma propriété. Étrangement, ma maison ne se ressemble plus. Il y a même une bergerie, mais qu'est-ce que c'est ? De loin, j'aperçois une femme qui parle avec un individu, mais c'est trop flou. Je m'approche. Elle se tourne vers moi. C'est... C'est... On dirait moi. C'est comme un reflet dans un miroir, seulement mes vêtements sont différents. On pourrait croire que nous sommes jumelles.
Ses lèvres remuent, mais je n'entends rien. J'ai beau lui dire, mais elle hurle quand même. Tout à coup, je me tourne légèrement lorsque le grognement d'un animal parvient à mes oreilles. Au départ, j'arrive à distinguer qu'une masse noire et je fais un bond de côté lorsque je le vois bondir. La pauvre femme se fait tuer sous mes yeux, incapable de la secourir. Je suis en plein cauchemar. Le regard de la femme me fixe avant de perdre toute vie. L'animal se tourne vers moi. Ça va être mon tour, mais mes jambes ne bougent pas. Je ferme les yeux ; je dois me réveiller, mais je sens son haleine fétide. Je pris pour sortir de ce cauchemar. Sentant ses crocs frôler ma peau, j'entends des miaulements. Minuit ! Je prends conscience alors que je peux me réveiller.
— Maudit, sois-tu sorcière !
En sursaut et en sueur, je me réveille. Minuit a les pattes sur ma poitrine. Ses yeux me fixent avec insistance avant de miauler à nouveau. C'est sa faute, si je me suis réveillée. Je passe une main fébrile dans son pelage sombre, en lui murmurant :
— Merci.
Il frotte sa tête contre mon bras avant de bondir au sol. C'est la première fois que je rêve à ce genre de chose. Était-ce à cause de la lecture de ce journal ? Je décide de le mettre de côté. Mes nuits sont assez perturbées comme ça. Je le mets dans l'étagère de ma bibliothèque et regarde l'heure. Minuit. Il fait sombre à l'extérieur. Ça me rassure, je suis bien réveillée, mais je suis totalement épuisée.
***************
Le lendemain, je me réveille tard. J'ai fait le même cauchemar plusieurs fois, jusqu'au petit matin. C'est la première fois depuis des semaines que Minuit n'est pas dans ma chambre à mon réveil. Je me dis qu'il est peut-être sorti voir sa propriétaire.
Je souffle en regardant ma chambre. C'est catégorique, je n'irai pas au bal. Je vais me reposer et regarder les feux d'artifice de mon balcon. Pour ça, je dois commencer par me lever et prendre une douche en vitesse parce que mes plants ne s'arroseront pas toute seule.
Quelques minutes plus tard, je me rends compte que le sol du jardin est trempé. Je fronce les sourcils. Je me tourne et ma vieille voisine qui range le boyau d'arrosage. Mais qu'est-ce que c'est ? Elle s'approche de moi toute souriante, et j'aperçois Minuit du coin de l'œil sur la rampe du balcon. D'où sort-il ?
— Ah ! Mon enfant. Je suis venue arroser votre jardin après que Minuit m'ait signalé votre mauvaise nuit. Il serait dommage de perdre vos fleurs.
— Merci, mais comment est-ce que...
— Minuit est un chat unique, me coupe-t-elle, très unique dans son genre.
— Oui, c'est vrai. Il est resté avec moi toute la semaine. Peut-être est-il temps que vous le rameniez chez vous. C'est votre chat, après tout.
— Ah non ! Minuit n'appartient à personne. Il part et vient à sa guise. Je suis certaine qu'il est doté d'une mission spéciale.
Je regarde Minuit. Aux premiers abords, on dirait un chat comme tous les autres, mais non. On lui parle et il semble comprendre ce que nous lui disons. Minuit est un chat intelligent ; on dirait presque qu'il a déjà été humain. Parfois, il en est déroutant.
— Maintenant que vous êtes levé, mon enfant, je vais aller continuer mes besognes.
Je la remercie encore plusieurs fois avant qu'elle disparaisse complètement au-delà de la haie de cèdres.
Le reste de la journée ressemble aux autres ; tranquille, à part les photos que Miranda ne cesse de m'envoyer. J'ai le droit à des clichés de son costume, ensuite de sa coiffure et de ses souliers. Je sais ce qu'elle tente de faire, mais ça ne fonctionne pas. Mon amie essaie de me faire culpabiliser. Je ne retournerai pas dans ce maudit château.
Lorsque la nuit tombe, je m'installe tranquillement sur mon balcon. Couverture, grignotines, bonbons, boisson et bien sûr Minuit sur mes genoux. Je peux entendre la musique et les rires qui font échos jusqu'à chez moi.
Nous sommes installés sur le balcon, depuis des heures lorsque Minuit se réveille et commence à cracher en direction du cabanon. Je n'ai rien sous la main pour me défendre et je crains que ce soit l'homme de l'autre nuit. Toutefois, l'individu se trouve sur ma propriété. Je dois défendre ce qui m'appartient. Je me lève donc et avec précaution je descends du balcon. J'attrape le boyau d'arrosage et suis Minuit qui avance tel un prédateur dans la savane. Au coin de mon cabanon, je m'adosse en prenant une grande respiration. Lorsque je vois Minuit bondir, j'actionne le fusil et je vise sans voir en criant :
— Vous allez sortir de ma propriété, oui !
Soudainement, j'entends des plaintes, mais surtout la voix d'un homme. Surprise, je laisse tomber le fusil d'arrosage et l'individu sort de l'obscurité. Doux Jésus ! J'ai arrosé l'homme qui a sauvé mon dernier bouquet.
— Je suis désolée, je me confonds d'excuses, je n'ai pas l'habitude de recevoir des inconnus dans mon jardin.
Il me dévisage.
— C'est comme ça que vous accueillez les gens ?
— Non, bien sûr que non.
— Je croyais que nous avions dépassé le stade d'étranger depuis l'autre jour.
Pour moi, il reste un étranger. Je connais peut-être son nom, mais je ne sais rien d'autre. Je reste un moment en silence. Je me demande ce qu'il vient faire ici. Chasse-t-il également les loups ? Cette pensée m'horrifie. Je n'aime pas la violence gratuite faite aux animaux.
— Que faites-vous, ici ? Vous êtes très loin du château.
— Pas très loin. Je déteste ce genre de fête. Ma famille en organise plusieurs fois dans l'année et j'en ai horreur. J'ai profité de l'absence de mon frère pour m'éclipser. Je ne savais pas que j'allais atterrir parmi les ronces et surtout me faire attaquer de la sorte.
— Les ronces ? Vous ont-elles blessées ? Elles sont un peu orgueilleuses lorsqu'on les malmène.
— Je ne crois pas... Aïe !
Il fait un pas dans ma direction et j'aperçois une vilaine entaille juste en haut de son sourcil droit. Il aura sans doute une cicatrice. Je ne peux pas le lasser comme ça. C'est la moindre des choses de nettoyer sa plaie.
— Venez vous asseoir sur le balcon. Je vais nettoyer cette blessure.
— Non, ça ira.
— J'insiste. C'est le moins des choses que je peux faire.
Il sourit avant de capituler. Ce dernier vient s'asseoir sur mon canapé, surveillé de très près par Minuit. J'entre dans la maison en cherchant frénétiquement la trousse de premiers soins. Je sais que je l'ai rangé dans une armoire de la cuisine. Alléluia ! Sous le levier. Je ressors de la maison et Minuit l'observe toujours. Je dépose la trousse sur la table avant de prendre une lingette désinfectante.
— Ça risque de piquer un peu.
Lorsque j'éponge sa blessure, ce dernier grimace, mais ne se plaint pas. Nettoyant sa plaie, je me maudis, d'être vêtue d'une simple nuisette blanche, un peu trop transparente. Mon décolleté est dans son visage et je peux le sentir retenir sa respiration. Nous sommes tellement proches que je sens sa chaleur contre ma peau... Je me décale, m'assoies à ses côtés et je semble apercevoir une couleur ambrée dans ses yeux. Je dois être fatiguée.
— Merci. Me dit-il.
— De rien. Puis-je connaitre la raison de votre venue. Il y a d'autres endroits aux abords de votre propriété.
— J'ai toujours trouvé cet endroit magnifique. J'avais l'habitude de venir autrefois.
— Autrefois ? Alors, les rumeurs sont exactes. Vous êtes revenus.
— Nous allons et venons. Le château appartient à notre famille.
— Que trouvez-vous magnifique ?
— Je ne peux vous expliquer, mais j'adore l'histoire qui s'y rattache. On y raconte de vieilles histoires. Une sorcière y habitait autrefois.
— Une sorcière ? Décidément, j'aurais tout entendu. Je m'esclaffe.
— Vous n'y croyez pas ?
— Aux sorcières ? Pas du tout. Ce ne sont que des histoires à faire peur aux enfants. Que s'est-il passé ? On l'a condamné au bucher ?
— Non. On raconte que la sorcière s'est éprise d'un prince. Mais sa famille voyait le mal en elle. Pendant un temps, ils ont vécu leur amour en secret, jusqu'a le frère ainé le découvre.
— Ensuite ?
— Elle est morte dans les cachots du château. D'après des témoins, la sorcière aurait jeté un sort sur son âme. Elle ne trouvera jamais le repos éternel avant d'avoir enfin vécu un véritable amour.
— Et vous y croyez vraiment ?
— Bien sûr, pas vous ? Vous ne croyez pas à l'amour.
— Je ne dis pas de ne pas y croire. Mais celui avec le grand A est toutefois inaccessible. Vous pouvez le chercher toute une vie sans le trouver.
— Et vous l'avez trouvé ?
— À une époque, je le croyais.
— Qu'est-ce qui a changé ?
Je prends une pause en le regardant droit dans les yeux. Lui avouer que mon ex-fiancé m'a laissée parce qu'il me croyait folle est absurde. S'il effectuait des recherches sur moi en ville, ce dernier verrait que les gens n'ont pas beaucoup d'estime sur ma personne. En ai-je seulement pour moi ?
— Disons que ma vie a pris un autre tournant, il y a quelques années. Les gens que je croyais connaitre ont pris la fuite.
— Et vous êtes seule depuis tout ce temps?
— Je ne suis pas seule. Il y a mes fleurs et bien sûr Minuit.
Je me lève en prenant support contre la rambarde du balcon. Oui, j'aimerais qu'un homme me regarde comme si j'étais la prunelle de ses yeux, mais je sais que pertinemment ça n'arrivera jamais si je reste dans cette ville. Est-ce que je souhaite la quitter ? J'aime ma maison, mon amitié avec Miranda... Tout repartir de zéro une nouvelle fois, ne m'intéresse pas.
— Vous n'avez jamais sorti avec quelqu'un d'autre ?
— C'est si surprenant ?
Il me rejoint.
— En effet...
— Pourquoi ?
— Vous dégagez une aura bienfaitrice, mais il y a une part d'ombre.
— Nous avons tous une part d'ombre en chacun de nous.
Il se tait et regarde en direction du château. Je me demande alors si ce dernier ne possède pas lui aussi une part d'ombre. Son regarde devient triste, mais ne dit rien. En revanche, ses pupilles reflètent les étincelles des feux d'artifice et je trouve ça magnifique. Je détourne ensuite le regard pour les observer à mon tour et je pense à Miranda qui doit s'amuser. Je ne regrette pas ma décision de ne pas y être allée. Cette soirée me plait.
Je sens soudainement une main se poser sur la mienne et je me sens rougir de partout. Pourtant tant d'intimité ?
— J'aimerais vous embraser... souffle-t-il, comme si c'était douloureux.
— Qu'est-ce qui vous empêche ?
Il se tourne vers moi en attrapant mon visage entre ses mains chaudes.
— Parce que vous ne vous souvenez plus de nous. Ce que nous avons été.
Je ferme les yeux, espérant que ses lèvres touchent les miennes. Je peux l'entendre soupirer avant de sombrer.
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