C H A P I T R E 1 8
J'avais totalement conscience de la situation. Contrairement à ce que les gens lisant ce récit peuvent penser, je n'avais rien d'un homme naïf, stupide, aveuglé. Je savais pertinemment que ma relation avec Louis n'était pas saine, car basée sur le sexe, sans communication. On ne s'en plaignait pas, explicitement. Car en vérité à l'intérieur de nous, on bouillonnait, dépassés de vivre une telle histoire qui n'avait ni queue ni tête. Mais comment on pouvait le savoir ? On ne communiquait pas, par peur de se perdre, on ne se disait pas qu'on voulait du sérieux, on ne parlait pas de Louis qui m'avait trompé, de mon manque de confiance en lui... On ne faisait qu'écouter notre amour par le biais de nos corps.
Je pense qu'en vérité, la communication demande beaucoup de courage. Mais le courage est la base d'une relation. La confiance, la communication,et le courage. Nous manquions de courage, de confiance, et la communication ne suivait pas. J'avais peur de perdre l'homme que j'aimais car j'avais peur qu'il ne m'aime pas, plus, en retour. Alors cette peur de le perdre, et ce manque de courage pour lui dire, se transforma en décision de le laisser partir. Je n'étais pas stupide, je n'étais pas naïf. Je n'étais pas faible, pas autant que ce que les personnes peuvent penser. Laisser partir quelqu'un demande une force incroyable. Mais je m'étais rendu à l'évidence : il le fallait. C'était mieux ainsi.
Cependant, il y eut plusieurs tentatives de ma part avant la bonne... Quatre, en fait. Et la première fut ce soir-là, dans ma loge, alors que ma tournée touchait à sa fin.
« Louis... Il faut qu'on parle, sérieusement. »
L'espace d'un instant, je crus apercevoir sur son visage un sentiment de panique, mais Louis le camoufla rapidement.
« La phrase que tout le monde déteste, pouffa t-il ironiquement.
- Ouais, je sais... Soufflai-je. Mais c'est sérieux. C'est important qu'on parle. Qu'on en parle... De... »
Il me regarda, je le regardai. Dans mes yeux siégeaient beaucoup de peur. J'enregistrai la couleur de ses yeux, toutes les nuances s'y trouvant, car dans mon esprit c'était peut-être la dernière fois que j'avais la chance de les regarder en vrai. Je n'avais évidemment aucune idée que cette tentative de conversation et de "rupture" allait lamentablement échouer.
« De... » Essayai-je à nouveau.
Mon cœur battait tellement fort, que j'avais l'impression d'être un personnage de cartoon, qui avait l'organe sortant de sa cage thoracique. C'était comme si je sentais chaque battement envoyer du sang dans mon corps entier. Les sensations étaient décuplées, simplement parce que le moment était fondamental, et que le stress, la peur, l'amour ; toutes les émotions prirent le dessus sur mon corps, qui était à deux doigts de lâcher.
Contrairement à moi, qui semblai avoir beaucoup de mal à lâcher Louis. À le laisser partir. Henri Lewis, grand anthropologue, a dit "La vie consiste en un subtil mélange entre tenir bon et lâcher prise". Louis était - est - ma vie, et j'avais bien du mal à trouver ce subtil équilibre qui consistait à le tenir et en même temps le lâcher.
« De... »
Et ce fut trop dur, bien trop dur. Je soufflai.
« Juste... Embrasse moi », parlai-je, les larmes au coin des yeux.
Il s'exécuta, avec une vitesse impressionnante. Comme s'il avait senti que j'avais été à deux doigts de nous séparer, comme s'il était soulagé. Je pensai cela et me trouvant stupide, je chassai cette pensée, en approfondissant le baiser. Celui-ci fut plein de passion. Mais pour la première fois, ce baiser passionné ne nous mena pas à du sexe. On s'embrassa juste, longuement, et le silence régnant ainsi que sa signification furent d'or.
Il y eut ensuite une deuxième tentative, car la première fut un échec cuisant. Ce même soir, après l'acte cette fois, je décidai de parler, de mettre un terme à tout ça. Non, je n'étais pas un homme qui ne pensait qu'au sexe,mais le sexe avec l'homme qu'on aime, surtout quand c'est la seule chose qui nous unit, c'est un peu au sommet de la hiérarchie des priorités. Pathétique, je sais. La relation l'était un peu.Pathétiquement tragique, tragiquement pathétique.
Le cœur lourd, je me redressai, de manière à être assis sur le matelas, la couette couvrant mon corps, mes yeux plongés dans ceux de Louis.
« Louis... Je veux vraiment qu'on ait une conversation sérieuse.
- D'accord... Dit-il en se redressant, abordant soudainement un visage refermé. Qu'est-ce qu'il y a ? »
Je soupirai. Alors, c'était le moment cette fois. J'étais face au moment. Stressé, impatient. C'était assez flou.
« Je pense que... j'aimerais qu'on parle de ce qu'on a là. »
Je l'avais dit, finalement, j'avais osé, contrairement à quelques heures plus tôt. Louis me regarda quelques secondes, sans bouger, puis d'un coup, il eut une réaction. Il se leva, enfila un boxer, puis un pull. Il ne semblait pas énervé, juste pressé, d'un coup.
« Qu'est-ce que tu fais ? Demandai-je.
- Je vais acheter à manger, m'informa t-il.
- Tu ne penses pas que ça peut attendre ?
- Non, le traiteur ferme dans dix minutes. Je vais nous chercher japonais. »
Je soufflai et le laissai quitter mon champ de vision, mon dos tombant sur le matelas, mon regard sur le plafond. Il ne semblait pas décidé à avoir cette discussion. Le japonais était plus important.
À son retour, une bonne trentaine de minutes après, je n'avais plus le cœur à entamer cette discussion. Après tout, j'avais toujours eu le temps, pas vrai ? Alors je l'avais encore.
La troisième fois, cela fut aussi une terrible défaite, presque aussi lamentable que celle de la première tentative. Je commençai juste à prononcer son prénom, afin d'entamer la fameuse conversation, puis je le vis sourire... Son sourire, tout en me regardant. Et d'un coup, sans réelle raison, il se mit à rire en me disant qu'il se rappelait de quelque chose de sympathique. Un rire sincère. Ce fut la chose qui me marquai. À ce moment je pensai que non, pas tout de suite. À l'instant précis, je ne voulus pas faner son sourire, lui qui était si précieux. Car c'était un peu de cela aussi dont j'étais amoureux. Alors, je réfléchis, et je décidai qu'encore un peu de temps, c'était possible.
Quatrième fois... C'était probablement un stratagème plus réfléchi. Je décidai que je n'étais vraiment pas doué avec les paroles. Je pense être quelqu'un de diplomate, mais quand il s'agissait de Louis, les choses se compliquaient. Il avait été mon premier amour, mon premier coup de foudre, j'avais perdu mes moyens lorsque je l'avais aperçu pour la première fois, et peut-être était-ce quelque chose qui était resté au fil des années. Il était le seul à me procurer cet effet. Et autant j'étais capable d'avoir des conversations sérieuses avec lui, autant une si sérieuse, une qui impliquait de le perdre définitivement, de dénouer ce lien entre nous, de dire "au revoir mon amour"... Je n'avais pas le courage. C'était dur. J'avais l'envie, mais également la peur.
Alors, je décidai d'écrire une lettre, avec un contenu très basique. Dedans, j'informai simplement Louis de mon idée.
Cher Louis,
Je me sens très ancien à t'écrire d'une telle manière. De nos jours, avec la technologie, c'est assez rare, même si tu me connais et que tu sais à quel point la technologie et moi, cela fait deux. Je pense qu'il est aujourd'hui important que je t'écrive, parce qu'au moins je peux parler à cœur ouvert, sans que tu ailles chercher japonais, ou que tes lèvres soient sur mon cou, ou que je te vois simplement sourire.
Je pense que ce que nous possédons là, cette relation que nous avons, ne peut plus continuer. Parce qu'il n'y a aucun sens à cela. Je n'y vois aucun sens. Je te regarde, je t'aime, je te veux, mais il est évident que notre relation n'est pas droite, pas saine, et tu ne sembles pas vouloir changer cela. Y a t-il une échappatoire, au bout de ce tunnel ? Est-ce qu'il n'est pas plutôt sans issue ?
J'ai toujours été ce garçon un peu poétique qui utilisait des métaphores, mais plus sérieusement ; où est-ce que cela nous mène ? Dis-moi. Montre-moi. Parce que présentement, au moment où j'écris cette lettre... cela dure depuis longtemps. Et rien n'a évolué. Rien. Nous sommes un point mort.
Cela me fait tellement mal de t'écrire tout ça, mais je pense que si nous ne sommes pas capables de bien se retrouver, c'est simplement qu'on ne doit pas le faire. Je t'aime. Tellement... Mais tu m'as également fait tellement mal. Je crois qu'on ne sait plus comment faire pour s'aimer. Je crois que j'ai envie qu'on le fasse, mais nous avons perdu ce savoir.
Harry
J'avais simplement à glisser ce bout de papier sous la porte de la chambre d'hôtel qu'il louait à chaque visite qu'il me rendait depuis tant de mois, ou à le laisser sur le lit en partant me diriez-vous. Mais ce fut le plus dur, ce fut le plus impossible. Il me suffisait tout simplement de laisser cette lettre quelque part, de partir, et c'était réglé ; fini. Et peut-être fût-ce cela qui me fit changer d'avis. Le fait que cela ne tenait qu'à un fil, que cela devenait alors réel.
Il ne la lut jamais. Je la brûlai avant de lui donner ; par lâcheté, par envie de tout repousser à demain, par envie de me dire que peut-être cela irait mieux, que peut-être en un claquement de doigts on apprendrait, on se dirait enfin les choses, on essaierait sérieusement de reconstruire, de se redonner confiance, de s'aimer proprement. Tout était trop brouillon pour être clair ; dans ma tête aussi, c'était pareil.
Alors, mes quatre tentatives ci-dessus énoncées furent un échec total. Je n'ai pas honte d'en parler, à y repenser je pourrai presque en rire. Parce que finalement, est-ce que c'était destiné à être comme cela ? Oh, je ne sais pas si je crois au destin. Peut-être que oui, peut-être que non. Est-ce lui le responsable, le destin ? M'a t-il fait vivre tout ça avec Louis ? Est-ce lui qui nous a ensuite permis de nous réunir ? C'est difficile à dire. Je trouve ça triste de savoir que nos histoires sont écrites, cela signifie que nous sommes vraiment impuissants ? Nous sommes déterminés à être ainsi, à faire ceci, à tel endroit, tel moment ? Rencontrer cette personne, aussi gentille ou toxique soit-elle. J'aime penser que nous sommes malgré tout maîtres de nos vies, qu'à ce moment-là, j'étais maître de la mienne - même si, quel piètre maître étais-je.
Effectivement, je m'en sortais pitoyablement, c'était terrible. Je faisais des crises d'angoisse mais non pas forcément à cause de Louis, il est important de le souligner. C'était ma vie en général, son rythme, le fait que je ne gérais rien. Et surtout le fait que je ne cherchais pas à savoir ce que mon amant pensait, alors que finalement, il pensait exactement la même chose que moi. Il me voulait, réellement, mais ne savais pas comment faire, comment le dire. Par peur de me perdre définitivement, tout comme je tremblais également à cette simple pensée.
Et ce fut lui, ce fut Louis, qui en eut réellement marre en premier, qui osa mettre des mots sur tout cela, sur cette histoire, enfin... Cette histoire du moment. Cette histoire de sexe et d'amour étrange, ce désir un peu adolescent et pourtant tellement mature. Il y mit un terme. Ce fut lui.
Nous fûmes tranquillement chez moi, à Londres, dans ma maison. Car oui, nous en étions là ; les rencontres dans les chambres d'hôtel étaient terminées, car le temps avait passé, et nous avions continués à entretenir cette relation malgré ma tournée terminée. La deuxième aussi, celle pour mon second album, elle était terminée. Oui, quelques saisons avaient défilées. Cela durait depuis longtemps... Un long moment... Et je n'avais jamais réussi à y mettre un frein. J'avais l'envie profonde que cela continue et pourtant l'envie que cela s'arrête survivait.
Je pense que l'humain a une faculté à être attiré par la douleur. Évidemment, pas à une échelle trop poussée - certains oui, mais il y a terme précis pour cela - mais un minimum. La douleur attire, fascine. Et peut-être était-ce l'explication, peut-être étais-je juste attiré par le côté torturé de cette histoire. Il y a tellement d'hypothèses possibles, libre à vous d'avoir la vôtre. La mienne est simplement mon amour aveugle mais tellement puissant pour Louis. Car finalement, cette puissance a portée ses fruits.
Assis sur le lit, un silence régnant, Louis se leva et commença :
« Deux ans. »
Je levai les yeux vers lui. J'abordai une expression faciale mitigée ; à la fois pleine d'incompréhension et à la fois de douleur, car en réalité il était évident que c'était le moment. Je le sus dès qu'il se leva, avant même de parler. Je le sus.
« Cela dure depuis deux ans, continua t-il. Deux ans qu'on fait... ça. »
Sa voix était assez dure, je compris totalement ce qu'il voulait dire, où il voulait en venir. C'était inévitable. On y était alors. Cela y était.
« Deux ans qu'on se voit, que directement on va dans les draps ou ailleurs, et tu te rends compte ? On fait cela dans le secret de tout, de tout le monde, dans le dos des gens. »
Oui, détail important : Louis ne savait toujours pas que je n'étais plus avec Camille. Comment après deux ans il ne s'était pas douté de cette éventualité ? Tout simplement car mon ex petite-amie et moi avons pour habitude de ne pas nous afficher beaucoup dans les médias, alors qu'on ne soit aucunement pris en photo pendant deux ans n'avait pas choqué Louis. Je ne lui avais jamais dit que j'avais mis un terme à la relation, pour lui précisément. Alors, il pensait réellement que j'étais en couple, qu'il n'était qu'un simple amant, qui éventuellement me servait uniquement à assouvir mes pulsions sexuelles homosexuelles. Et moi, je ne lui avais rien dit car j'avais peur que le côté officiel de la chose le fasse fuir. Mais le point de vue de Louis était alors terrible aussi. La vérité est que nous souffrions tous les deux, beaucoup. Mais comment savoir puisque l'on ne se disait rien ? On était juste à la merci de l'autre, transparents, et en même temps tellement effacés. Deux fantômes. J'ai d'ailleurs écrit quelques années avant tout cela une chanson avec cette idée mais, eh, là n'est pas le sujet. Le plus important à retenir sur cette situation est que c'était un cercle vicieux abominable. Et il avait besoin d'être percé une bonne fois pour toute.
« On fait de ça un énorme secret, on s'enferme dans cette habitude, une putain de mauvaise habitude, continua Louis.
- Alors quitte-moi. »
Je me souviens avoir sorti cette phrase avec un ton si monotone, c'en était triste. Mais ce n'est pas que je m'en fichais ; pas du tout, jamais. C'est juste que j'avais peur, je n'en pouvais plus. Je ne pouvais pas me passer de Louis, mais tout ce que j'avais c'était son corps et ce n'était pas saint. Malgré ça, j'avais bien montré que j'étais incapable de m'en détacher. Alors, je lui proposai de le faire.
Un rire amer quitta ses lèvres. Il était clairement dépassé, et je m'en rendis compte. Je me rendis compte à cet instant qu'il ressentait également quelque chose pour cette relation. C'était étrange.
« Te quitter ? Il faudrait déjà qu'on soit quelque chose. On est... Il soupira. On se voit dès qu'on est dans le même pays, parfois plusieurs fois dans une semaine, parfois pas pendant plusieurs mois. Et on couche ensemble. »
Il détourna le regard. Je pouvais voir ses yeux briller, mais cela n'avait rien de positif ; les larmes lui montaient. J'entrouvris légèrement la bouche, sous la stupeur. Cela lui faisait réellement quelque chose ?
« On est en train de faire un putain de remake du Secret de Brokeback Mountain, Harry, reprit-il, sa voix douce et souffrante. Et au cas où tu te souviennes pas, je te rafraîchis la mémoire : ça finit pas bien du tout. »
Je me mordillai nerveusement la lèvre, passant de temps à autre ma main dans mes cheveux que j'avais laissé poussé à nouveau.
« Alors qu'est-ce qu'on fait ? » J'osai.
Louis baissa les yeux. Il était fatigué, lui aussi. Fatigué de tout ça. Deux années, c'est quand même beaucoup. Deux années avec autant de souffrance émotionnelle, c'est encore plus.
Finalement, il répondit à ma question :
« On arrête. »
Ce fut comme un poignard beaucoup trop aiguisé qui transperça ma peau, au niveau d'un organe vital. Je sais, c'est la métaphore la plus clichée qui puisse exister, mais ce fut précisément mon sentiment. J'avais eu deux ans pour me préparer à ce moment d'au revoir, j'avais moi-même tenté de l'initier, et pourtant une fois devant le fait accompli, je ne me sentis aucunement prêt.
Croyez-moi ou non, mais je promets que je ne me souviens pas de ce que j'ai répondu ni de ce que Louis a dit ensuite. Je ne sais plus comment la conversation a continué, j'en ai perdu le souvenir. Je sais seulement que, finalement, nous avons mis fin à ça, à ces entrevues passionnées, une bonne fois pour toute.
Ma mère dit que si j'ai oublié un tel moment, c'est parce que cela m'a fait si mal que mon corps a subi le résultat de comme un choc émotionnel et que la mémoire en a prit un coup. Je ne sais pas si c'est la raison. Mais en tout cas, je me souviens bien de la douleur, cette agonie, cette difficulté respiratoire qui a émergée dans ma poitrine lorsque Louis a claqué la porte de ma demeure londonienne ce jour-là. Ça, oui, ça, je m'en rappelle.
Car à ce moment-là, je compris pourquoi j'avais tant repoussé le moment fatidique, pourquoi je m'étais si facilement laissé distraire, pourquoi j'avais essayé de gratter tant de temps, de repousser l'échéance. Tout bonnement parce que maintenant que c'était fait, je me rendis compte. Je réalisai que c'était tellement douloureux que j'avais l'impression qu'à côté, la mort était souhaitable. Après tout, Louis était ma vie. Et dans mon esprit à ce moment précis, je venais de le perdre pour toujours.
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