Chapitre 24 : Garde du corps

Je dois avouer que la probabilité que mes rêves se réalisent est très faible. Ma situation quelque peu "moyenâgeuse" ne me permet pas d'être financièrement indépendante et donc de faire ce que je veux en sommes. Il n'empêche pas que ça fait mal bordel.

Est-ce qu'on peut dire que je m'y attendais ? Du moins, je ne l'espérais pas. Est-ce que je suis déçue ? Évidemment, qui en ce bas monde ne le serait pas !?

Théoriquement, ce n'est pas comme si Léon m'avait menti. Mais dire qu'il ne l'a pas fait serait également jouer sur les mots. Je suis bien garde du corps, mais seulement pour une nuit et ça ressemble plus à du baby-sitting qu'à autre chose.

Satané Léon, petit manipulateur !

Je laisse échapper un long soupire, accoudée sur cette chaise plus confortable qu'elle n'en a l'aire. Honnêtement, en chemin, je m'étais mise à fantasmer sur le rôle de garde du corps pour l'un de ses nobles fraîchement arrivés au banquet. Oubliant même ma condition de femme qui, de ce fait, m'empêche l'accès à cette profession. Quelle naïveté de ma part !

Si j'ai bien appris quelque chose depuis que je suis ici, c'est que les femmes ont une gamme de professions qu'elles peuvent exercer certes bien plus garnie que je le croyais, mais dont les métiers d'armes - à mon grand malheur-, n'en font pas partie. Catherine m'avait pourtant prévenu à mon arrivée. Évidemment, je dois toujours en faire qu'à ma tête et Léon en a tiré profit.

Mais à quoi est-ce qu'il a bien pu penser pour mettre la suspecte d'une tentative d'empoisonnement dans la même pièce que la victime ?

Il ne l'aurait pas fait s'il ne me croyait pas innocente, n'est-ce pas ? Oui, voilà, il doit avoir un plan. C'est un gars intelligent après tout, je suis sûre qu'il me fait confiance et que tout s'arrangera très bientôt ! Pour le moment, tout se passe assez bien pour moi, je ne suis pas encore devenue une personne d'arme, mais garde du corps, ce n'est pas si mal... Non ?

Lâchant un soupire de désespoir, je prends ma tête entre les mains. Peu importe le nombre de fois où j'essaye de me convaincre du contraire, je ne reste toujours qu'une fichue BABY-SITTER !

— Tss !

— Pourquoi ne bougez-vous pas ?

Relevant la tête pour fixer mon vis-à-vis d'un air morne, je renifle et soupire à nouveau. Tournant mon attention vers la table qui est en face de moi, je prends la paire de dés et la jette nonchalamment sur le plateau de jeu, espérant vaguement avoir une bonne combinaison. Bien évidemment, aujourd'hui n'est pas mon jour. Dois-je préciser que c'est la quatrième partie consécutive que je perds ? Sur les quatre parties de jeu ? Chacune d'entre elle est d'ailleurs atrocement longue.

Pitié, qu'on m'achève ici et maintenant.

Me rappelant la menace bien réelle qui plane au-dessus de ma tête, je m'empresse de retirer ses mots.

— Votre altesse, je crois que c'est le moment de vous mettre au lit. Il se fait tard pour les enfants.

— Absolument pas ! Je ne suis pas un enfant, c'est vous qui l'êtes, pas moi ! Jouons une autre partie. Mais ne dormez pas, arrêtez de vous conduire de la sorte ! Pourquoi posez-vous la tête sur la table ?

Ahhh.

Aucunement intéressée par la fin du jeu, je fais mine de bâiller en ignorant un prince confus qui me fixe de ses grands yeux surpris.

— Vous avez raison votre altesse, je suis une enfant alors je suis fatiguée, je ne peux pas continuer à jouer avec vous.

Les yeux fermés, je croise mes bras sous la tête puis pose le nez contre la nappe décorative.

— Bonne nuit.

Mais le plus jeune prince de France ne l'entend pas de cette manière et proteste bruyamment. Puisqu'il remarque que je ne fais plus attention à lui, il se lève de sa chaise et accoure à ma gauche pour me pousser de ses deux petites mains. Il me secoue comme il peut mais je fais toujours semblant de dormir malgré ses ordres de me réveiller. Le prince Philippe ne comprend visiblement pas mon comportement, et je n'essaye pas pour autant de le lui expliquer. Mauvaise perdante ? En plus du sentiment de trahison que je ressens, de l'inquiétude pour mon avenir incertain et le regret d'avoir laissé Ode seule pour gérer ses tâches au banquet ainsi que les regards un peu trop appuyés, il doit y avoir un peu de ça oui.

J'entends l'enfant rouspéter à côté de moi, mais il en faudra plus pour me faire bouger. Frottant le bout de mon nez contre mon bras, je sens la fatigue de la journée me rattraper et je lâche un bâillement bel et bien authentique cette fois.

Respirant un grand coup, je me dis que malgré l'apparence fragile d'Ode, c'est une grande fille. Je souris inconsciemment en me rappelant de ce matin-même, lorsqu'elle m'a mise en garde contre les problèmes que m'apporterait la vengeance, avant que cette folle histoire d'empoisonnement commence. Malgré le fait que je me sois montrée très agressive envers elle, elle n'a pas flanché face à moi. C'est une chose que j'ai véritablement appréciée, mais qui m'a aussi troublé. Oui, décidément, Ode est bien plus réfléchie que moi.

— Si vous ne vous levez pas, je m'en vais ! Vous n'êtes pas amusante. Pourquoi ne voulez-vous pas jouer avec moi ?!

Marmonnant une sorte d'affirmation incompréhensible, je me repositionne plus confortablement et soupire d'aise. Ce ne sont que des paroles en l'air de toute façon, les gardes de l'autre côté de la porte ont reçu l'ordre de la part de Léon de ne pas nous laisser sortir. Et par la même occasion, d'intervenir si jamais ils entendaient des bruits suspects venant de l'intérieur. Indéniablement, cette dernière consigne m'est destinée puisque je suis suffisamment de confiance pour garder l'enfant dont je suis potentiellement l'agresseuse, mais faut pas abuser quand même.

Les paupières de plus en plus lourdent, je soupire doucement lorsque je constate que le petit Prince a cessé de crier pour laisser la pièce plonger dans un silence réconfortant.

***

Soudain, comme prise par un sentiment d'urgence, je me redresse sur ma chaise en sursaut et prends conscience de m'être endormie sans m'en rendre compte.

Encore un peu sonnée, je me frotte les yeux pour essayer de distinguer plus clairement la pièce qui m'entoure. Les quelques bougies qu'on est venu allumer ne se sont pas encore éteintes, et le soleil ne semble pas tarder à aller se coucher. Heureusement, on dirait que je n'ai pas dormi trop longtemps.

Me rappelant de mon rôle, je me mets debout pour jeter un regard vers le lit du prince en espérant l'y trouver. Quel bonheur ce serait s'il s'était gentiment couché pendant que je m'étais assoupie.

Une bosse sous la couverture me rassure immédiatement, et un léger sourire de satisfaction vient relever les coins de mes lèvres. Je prends le temps de m'étirer en me demandant ce qui a bien pu me réveiller en sursaut dans cette pièce agréablement calme. Serait-ce mon devoir de garde du corps, ma conscience qui me rappelle à l'ordre ? Je pencherais bien pour l'hypothèse d'un besoin de me rassurer, de constater que le prince Philippe est en sécurité, avant de pouvoir réellement me reposer.

Luttant contre le reste de fatigue, je me tapote les joues pour me redonner de l'énergie : interdiction de dormir avant que Léon ne vienne m'en donner l'autorisation en apportant un remplaçant.

La nuit s'annonce pénible, mais je me rassure en me disant que je pourrais dormir non moins de vingt-quatre heures après ça. Certes, ma journée a été extrêmement épuisante et avec un trop-plein d'émotion dont je me serais bien passée, la promesse d'un lendemain reposant me réconforte quelque peu.

Me dirigeant vers le lit du petit prince, je frôle du bout des doigts la couverture et me demande si l'enfant n'a pas oublié de mettre son bonnet avant de se coucher. Puisque les nuits commencent à être bien fraîches à l'intérieur de ses murs en pierre et qu'il n'y a pas de cheminée dans la chambre, il vaut mieux se recouvrir la tête pour dormir si on ne veut pas se réveiller le lendemain avec une migraine affreuse. J'ai par ailleurs déjà eu le bonheur d'en faire le douloureux constat.

Je pose une main protectrice sur le corps couvert. Lorsque celle-ci s'enfonce plus qu'elle ne devrait, je m'immobilise.

Non...

Terrifiée par l'idée qui me passe par la tête, j'en fais presque tomber la bougie que je tiens dans la main gauche et que j'ai ramassée en me rapprochant du lit. Sans plus tarder, je la dépose sur la commode et arrache la couverture dans un mouvement sec, les sens en alerte.

— Le prince a disparu...

Déjà un murmure, ma voix se bloque dans ma gorge.

En panique, je regarde tout autour de moi et commence à comprendre que le prince n'est peut-être plus dans la pièce. Mon sang ne fait qu'un tour et je dois me retenir au pilier en bois du lit en baldaquin pour ne pas perdre l'équilibre.

Désormais bien réveiller, j'appelle le jeune prince d'une petite voix inquiète, mais aucune réponse ne me parvient en retour. Je n'ose pas crier haut et fort que le prince a disparu. J'étais sensée le surveiller, et voilà que je manque à ma seule tâche ?

S'il te plaît, s'il te plaît...

Ma tête va définitivement être séparée de mon corps et je n'ai même pas une excuse pour essayer de me protéger. ' Dormir au travail ', cela n'a jamais été aussi dangereux qu'en ce moment. J'ai envie de me gifler. Quelle idiote !

Dois-je m'enfuir ?

La possibilité d'une fuite peut-elle même être envisageable ? Mon cerveau tourne à plein régime. Le prince, se serait-il enfui ? Et s'il s'était fait kidnapper ? Mais si cela avait été vraiment le cas, le ravisseur ne m'aurait-il pas tué pour éviter que je me réveille et donne l'alarme ? M'aurait-on endormi délibérément pour me faire accuser à sa place ?

Comme prise de frénésie, je fouille entièrement la chambre. Je renverse tous les draps, coussins, nappes. Tout ce qui pourrait abriter le petit corps de l'enfant, mais toujours rien. Le prince est introuvable. Impuissante, je me tire les cheveux en arrière en faisant les cent pas.

Un bruit fracassant se fait entendre de l'autre côté de la porte et je m'arrête net. Aux aguets, je fixe la porte comme si elle pouvait s'ouvrir à tout moment sur un groupe d'hommes armés. Dans les films historiques, lors des kidnappings de ce genre, se sont souvent les gardes qui se font tuer devant la porte. Peut-être qu'ils sont toujours là, encore en vie et prêts à intervenir. Mais intervenir pour quoi ? Pour moi ? M'approchant discrètement de l'entrée, je pose une main sur la poignée, le cœur battant à tout rompre.

Jetant un regard autour pour essayer de trouver un objet qui puisse faire office d'arme, je peste intérieurement lorsque je constate que rien n'irait. Hors de ma portée, ils sont situés trop loin et je risque de faire du bruit en essayant de les atteindre. Je décroche tout de même une petite tapisserie murale de forme allongée, mon seul rempart contre une arme aiguisée. Ce n'est peut-être pas la meilleure solution, mais ce n'est pas stupide pour autant.

Encore indécise quant à l'attitude à adopter dans ce genre de situation, j'ai l'impression tout de même qu'il serait plus sage de voir, dans un premier temps, ce qu'il se passe dehors.

Ma tête ou celle du petit prince ?

Le bruit ne s'arrête pas, toute mon attention est de nouveau concentrée sur la porte. Derrière celle-ci se trouve soit le kidnappeur du prince, soit mon arrêt de mort du fait de mon incompétence. Serrant la poignée avec force, je commence à l'abaisser tout doucement.

Où est le prince ? Pitié, faites qu'il ne lui soit rien arrivé. Pour sa vie et pour la mienne.

Concentrée sur le moindre bruit devant de l'extérieur, j'entends que trop tard le froissement de tissu derrière moi. Je n'ai pas le temps de me retourner qu'un objet vient percuter l'arrière de mon crâne et je tombe en avant en poussant un cri.

Me retournant vivement, je m'apprête à me servir de la tapisserie comme d'un fouet pour éloigner mon agresseur, mais un éclat de rire me fait retomber littéralement sur le cul.

Déjà au sol, je m'allonge presque complètement, les mains à plats contre les dalles froides et la tête retombée en avant. Face à moi, le petit prince est incapable d'arrêter son fou rire à tel point que les gardes alarmés par tout ce boucan, passent la tête à travers l'ouverture de la porte pour voir si tout va bien. Ce qui ne fait qu'aggraver l'hilarité de ce garnement au sang royal, le faisant même relâche le coussin de ses mains. Oui, c'est plus la surprise qui m'a fait tomber, pas nécessairement la force de la frappe.

Épuisée, j'ai l'impression que mon esprit est en train de quitter mon corps. Encore un peu, et c'était la crise cardiaque. Les gardes s'excusent platement pour leur entrée et referment la porte derrière eux lorsqu'ils quittent la pièce.

L'atmosphère plus légère, mon envie de meurtre côtoie pourtant le soulagement immense que je ressens en ce moment. J'ai autant envie de secouer ce gosse que de le serrer dans mes bras pour m'assurer qu'il va bien. La joie contenue dans son rire fait cependant pencher la balance en sa faveur, assez pour que mes pensées meurtrières ne soient pas prédominantes.

— Si vous pouviez voir vo... votre tête, commence le jeune prince, toujours en proie au fou rire, la larme à l'œil. Je vous ai bien eu !

— Ça pour m'avoir, vous m'avez bien eu.

Avec cet assesseur émotionnel et la bonne humeur réelle du blondinet, je me mets également à rire. Un rire libérateur et aussi incrédule qu'incontrôlable. Le prince Philippe vient me tapoter amicalement l'épaule et je me relève en dépoussiérant ma robe, le sourire aux lèvres.

Les rires une fois passés, je lui demande comment il a fait pour se cacher. J'ai pourtant fouillé toute la chambre, tous les recoins. L'enfant me fixe de ses grands yeux brillants, il semble extrêmement fier de lui-même.

Le regard malicieux, il me laisse mariner quelques secondes de plus avant de s'approcher de moi et de me chuchoter à l'oreille, comme une confidence :

— D'accord, mais vous devez d'abord me promettre que ce sera un secret entre nous. Vous ne devez le dire à personne.

Intriguée, j'acquiesce dans un mouvement de tête.

Un sourire vient de nouveau illuminer le visage de l'enfant. Puis il se relève et fait mine de réfléchir une nouvelle fois, comme pour se demander si c'est une bonne chose de me confier, semble-t-il, cet incroyable secret.

— Jurez-le ! Vous ne devez pas le dire à d'autres, je ne suis pas supposé vous le révéler...

— D'accord, abandonné-je. Je vous jure que ça restera un secret entre nous.

Le petit Prince se dirige vers le fond de la pièce, s'agenouille, ramasse une clé en dessous de la commode et se tourne vers moi pour me lancer un sourire mystérieux. Je fais un pas en avant pour le rejoindre, mais il m'arrête d'un signe de la main.

— Attendez là sinon c'est moins surprenant.

Relevant un sourcil, je lui dis qu'il peut me faire confiance et que j'attendrais jusqu'à ce qu'il m'appelle.

Ravis de mon obéissance, la petite tête blonde s'avance jusqu'à une tapisserie à la droite du lit qu'il bouge de place.

Puisqu'il me tourne le dos, je vois mal ce qu'il est en train de faire, mais je crois qu'il insère la clé quelque part dans le mur. Ce qui est sûr, en revanche, c'est qu'un mécanisme invisible à l'œil nu est en train de tourner, car une partie du mur commence à se déplacer vers l'arrière.

What. The. Fuck !

Bouche grande ouverte, je n'arrive pas à croire que je vois ce genre de scène de mes propres yeux et non devant un écran.

Je suis une personne ayant fait un bond dans le temps pour arriver quelque part au moyen-âge, rien en ce monde ne devrait plus m'étonner. Et pourtant, un prince est en train de me montrer un passage secret qui s'ouvre dans un mur sans aucune hésitation. OKLM.

— Venez voir, je connais un chemin.

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Mot de fin (de chapitre) :

Tout d'abord, je tiens à m'excuser encore pour la longue période sans chapitre. Je n'avais plus d'inspiration et puisque l'histoire se trouve à un nouveau tournant, je ne voulais pas précipiter les choses et bâcler la suite. Je savais où l'histoire allait, mais je ne savais pas comment la faire avancer dans ce sens. Heureusement, après une discussion avec ma sœur, j'ai enfin trouvé l'inspiration. Enfin !

En attendant, j'espère que ce petit chapitre en compagnie de notre petit farceur vous a plu. La suite de leur aventure reprendra dans le chapitre suivant. L'aventure dans les couloirs secrets du palais.

D'ailleurs, le nom de prochain chapitre est : "Chapitre 25: Le jeu du chat et du lapin"

Je vous laisse à votre imagination :)

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