Chapitre 23: Proposition

|Léon|

Le jeune page que Léon observe à l'ombre d'un pommier discute chaleureusement avec une servante un peu plus âgée que lui.

L'impunité dont l'enfant fait preuve devant lui ne peut le laisser de marbre, surtout depuis le rapport de son homme de confiance. Mais dans l'état actuel des choses, ce ne sont que des soupçons qui le relie d'une quelconque manière à son affaire et ne pas pouvoir prendre des mesures lui déplaît au plus haut point.

Léon lève sa main droite dans un signe et un homme s'approche silencieusement dans son dos.

- Oui, mon général ?

- Tu dis que ce n'est pas la première fois que ce garçon propage des rumeurs à l'intérieur du palais ? Au service de qui est-il ? demande Léon, suivant le jeune page du regard qui s'éloigne gaiement en compagnie de la servante.

L'homme de main du général suit le même mouvement, mais son regard est d'autant plus mystérieux que celui de son maître.

- Oui, mon général. Mais il n'a jamais été pris sur le fait ou du moins, jamais puni. Et il est écuyer depuis peu, il fait plus jeune, mais il a quinze ans.

- Vraiment ? Je n'aurais pas parié là-dessus. Qui le soupçonne alors si tu dis qu'il n'y a pas de preuve ?

- Les choses se savent rapidement en cuisine, il y va souvent pour piquer un peu de nourriture. Et puis les autres écuyers disent de lui qu'il est une grande-bouche, mais il n'a jamais eu de problèmes pour autant.

Perplexe, Léon balaye l'idée d'un geste de la main. En quoi ces détails seraient suspicieux ? Qu'il soit favorisé ne fait pas de lui le suspect d'une tentative d'empoisonnement. À moins que...

Le front plissé, le général ne peux s'empêcher de prendre en compte ces détails pourtant si insignifiants. Et si ceux-ci pouvaient le mener à cette personne ?

- Son maître doit être puissant, fait remarquer Léon.

Tournant son attention vers son interlocuteur, le général sonde son regard. Mais le détourne ensuite pour faire les cent pas, indécis quant à ce qu'il doit faire si cela s'avère être vrai.

- Étonnamment non, mon général. Ou alors pas celui qu'il sert officiellement.

Se retournant vers son homme de main, Léon parait surpris.

- Qu'est-ce que cela veut dire ? Que sais-tu que j'ignore ?

Ce n'est pourtant pas la première fois que Léon a l'impression de passer à côté de quelque chose d'important alors que son serviteur semble en savoir plus que lui sur ce palais. Cela ne devrait pourtant pas le surprendre, il n'est arrivé ici que depuis quelques mois, alors qu'Ernaut est au service de la famille royale depuis des années.

D'autant plus que contrairement aux autres hommes de son grade, Léon n'était qu'un fils adoptif, il n'avait pas de serviteur attitré quand il est entré en fonction. Ernaut est l'homme que sa majesté lui a secrètement recommandé. Mais qu'il soit un espion de sa majesté, ou un serviteur lui étant entièrement dévoué, cela importe peu au général. Puisqu'il est au service de la couronne, les deux hommes sont par conséquence dans le même camp et Ernaut est un homme à la grande perspicacité. Léon ne peut que prendre ses remarques avec le plus grand sérieux.

Ernaut lève ses yeux noirs pour les planter dans ceux du général. Sa peau halée trahissant ses origines étrangères, ses cheveux ondulés d'un noir de jade encadrent son visage à la peau presque parfaite, lui donnant l'air plus jeune qu'il n'en fait vraiment. Mais s'il est difficile de lui mettre un âge sur le minois, Léon n'a pour autant aucun doute quant aux capacités de l'homme. Qu'il ait tout juste 18 ans ou bien même trente, sa rapidité d'esprit ainsi que celle de ses lames ne peuvent laisser place au doute quant à sa grande expérience. Et pour l'avoir vu personnellement en action, Léon éprouve un certain respect envers lui.

Se rendant compte que ses paroles peuvent être mal interprétés par son maître, Ernaut met immédiatement un genou à terre, le point sur le cœur, la tête inclinée vers le sol en signe de soumission.

- Veillez me pardonner, mon général. Je ne voulais pas vous manquer de respect.

- Relève-toi, je t'ai posé une question. Ton interprétation est une accusation sérieuse. Mais je sais que tu ne jetterais pas de paroles en l'air seulement pour t'amuser, dit Léon d'un air pourtant contrarié.

Obéissant, l'homme se relève avec agilité.

- Je ne vous ferais pas perdre ce temps !

Jetant un regard autour d'eux, et seulement après avoir confirmé que personne ne les écoute, Ernaut entreprend d'apporter une explication à son maître.

- Ce ne sont que des suppositions, j'en suis navré. Mais celui qui doit donner des ordres à l'écuyer vient assurément de l'entourage du roi.

Alerté par de tels propos, Léon se crispe, mais personne à l'horizon. D'une main, il agrippe l'homme par sa tunique neuve pour approcher son visage du sien et y planter ses yeux bruns comme pour le faire taire.

- Tu te rends compte que cette accusation peut te coûter la vie ?! demande Léon à voix basse, d'un ton accusateur.

Sans chercher à se défaire de la prise du général, Ernaut fixe son maître d'un air grave.

- Je le sais très bien. Je vous demande votre autorisation pour découvrir si mes doutes sont fondés. Mais si cela ne vous plaît pas, je n'en ferai rien.

L'assurance froide de l'homme perturbe Léon plus qu'il ne veut se l'avouer. La désagréable impression de se faire manipuler par son propre serviteur le fait presque grincer des dents. Cependant, il ne peut ignorer la menace.

Et puis où est encore Éloïse ?! Voilà un long moment qu'il l'a fait demander et toujours rien. Il a besoin de régler un détail important avant de se jeter de front dans cette situation qui s'annonce périlleuse. Il lui faut une stratégie et pour cela, Éloïse peut se rendre utile.

Relâchant l'homme, Léon se passe une main sur son visage aux traits fatigués puis dans les cheveux pour finir par son cou. Il soupire.

- Fait donc, mais la discrétion est de mise. D'ici deux jours, je veux un rapport détaillé de toutes les informations que tu as pu récolter. Et surtout, je veux le nom de ce maître caché ! Tu ne disposeras pas d'un jour de plus. La fête bat son plein et les vassaux les plus importants sont tous de la partie, le roi est plus exposé que jamais.

Avec l'ordre de partir une fois lancé, Ernaut salue son maître pour le laisser à ses réflexions.

Adossé à son arbre, désormais seul, Léon ferme les yeux pour les reposer quelques instants. Il n'est absolument pas d'humeur, mais il ne peut pas se permettre de perdre du temps, il doit voir Éloïse aujourd'hui. Les heures de sommeil en moins commencent à se faire sentir et sa blessure à la tête ne fait qu'aggraver la migraine qu'il sent pointer de nouveau après ces maigres heures de répit.

Léon ne peut retenir un soupire d'agacement en se massant l'arrière du nez. Éloïse ! L'arrivée des problèmes. Pourquoi l'a-t-il amené avec lui déjà ? Il n'en a aucune idée, c'était irréfléchi de sa part, et même étrange. Et puisqu'elle est prise au cœur même de la tentative d'empoisonnement du plus jeune prince, Léon ne peut que se sentir d'avantage coupable de l'avoir fait entrer au palais.

Après quelques minutes, Éloïse fait enfin son apparition dans le jardin. Elle regarde autour d'elle lorsque Léon la repère enfin. Se redressant, il s'éloigne de l'arbre sur lequel il s'est adossé pour aller à sa rencontre.

Un nuage fini de passer devant le soleil, le laissant illuminer l'endroit pour lui redonner un peu de chaleur. Les températures ont commencé à chuter depuis quelques jours déjà, l'été est bel et bien fini. Soudain, le vent se lève et Éloïse doit retenir ses cheveux pour éviter qu'il ne lui fouette le visage. Un sourire amusé se dessine aux coins des lèvres de Léon sans qu'il ne s'en rende compte dans un premier temps, mais qu'il s'empresse de réprimer.

- Vous êtes enfin là !

Surprise, Éloïse se retourne vers lui, enlevant les derniers fils de cheveux encore restés en bouche, hésitante.

- Euh... Vous vouliez me voir ? Si c'est parce que j'ai fait quelque chose de mal, c'est sûrement un malentendu. Et j'essaye de prouver mon innocence, je vous assure que j'essaye, mais ce n'est pas évident et ...

- Je ne vous ai pas fait demander pour cela. Mais je n'ai pas beaucoup de temps alors vous devez me répondre rapidement.

Ayant capté toute l'attention d'Éloïse, Léon remarque toute de même une pointe d'amusement dans ses yeux. Cela le fait relever un sourcil en signe d'interrogation.

- Vous êtes souvent pressé, on ne vous voit presque jamais par ici...

Ne prêtant pas attention à sa remarque, Léon l'interromps pour lui lancer :

- J'ai bien compris que vous ne voulez plus être servante. Alors que dites-vous de garde du corps ?

Léon s'est déjà imaginé sa réaction. Il la voyait sauter de joie en le remerciant, heureuse d'être débarrassé de ce rôle qu'elle considère comme une corvée. Il s'était dit qu'elle accepterait tout de suite sans poser de questions. Mais rien de tout ça ne se produisit, à sa grande surprise.

Silencieuse, Éloïse le fixe sans dire mot. Ses yeux sont seulement posés sur le général, et sa bouche est entrouverte, mais aucun mot n'y sort. Tout sarcasme a disparu de l'expression de son visage pour ne laisser place qu'à l'incompréhension. Et il doit bien passer quelques secondes où la jeune femme ne bouge même pas. Respire-t-elle même ?

- Quoi ?

Lâchant un soupire, Léon passe une main dans ses cheveux, le regard faussement déçu, même si réellement surpris.

- Ce n'est pas ce que vous vouliez ? C'est le seul poste auquel je peux vous assigner en vue de la situation actuelle. Mais si vous ne le voulez pas, ce n'est rien.

Faisant volte-face, Léon commence à s'éloigner quand soudain une main vient se poser avec fermeté sur son épaule, l'arrêtant dans son élan.

- Oh là, pas si vite amigo.

Léon ne peut s'empêcher d'être un peu amusé par la réaction d'Éloïse, mais se rappelle rapidement l'objectif de la manœuvre.

Se raclant la gorge, le jeune général se tourne pour faire face à la servante bientôt promue.

- Vous êtes sérieux ? Vraiment ?

- Éloïse, c'est soit oui, soit non. Sinon je peux très bien proposer ce poste à l'un de mes hommes. Mais cela nous fera un travail en plus. Vous semblez pourtant être une bonne candidate pour ce rôle.

Sentant que Léon est prêt à retirer sa proposition, le cœur d'Éloïse s'emballe. C'est sa chance, elle ne veut pas la perdre alors que c'est ce qu'elle attend depuis qu'elle est rentrée au palais. Mais elle ne peut s'empêcher d'être douteuse vis-à-vis de cette proposition sortie de nulle part.

Tant pis, on verra après !

- Bien sûr que je veux le faire ! Je vais le faire, je peux même commencer maintenant !

- C'est extraordinaire, vous commencez justement de suite. Suivez-moi !

Cette fois-ci, Éloïse le suit de près en lui posant toute sorte de question sur son futur travail, sur la personne qu'elle devra protéger, mais Léon se garde bien de lui faire ce plaisir et se contente à chaque fois d'un : "Vous verrez une fois que nous y serons".

***

L'histoire commence-t-elle enfin à aller dans le sens voulu par Éloïse ? Ça en a mis du temps (surtout la faute de l'auteur mais bon, ça c'est juste un détail 😉).

Que pensez-vous de son nouveau rôle ? Garde du corps ? Vraiment ?

Qui croyez-vous qu'elle va devoir protéger ?

Comme ce chapitre s'annonçait très long, j'ai préféré le couper en deux. Mais la suite arrive dans pas trop longtemps.

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