Chapitre 14: Alliance

Je me sens si bien, mes paupières sont lourdes. On me secoue doucement en murmurant mon nom.

- Éloïse, il faut vous réveiller, le soleil va bientôt se lever.

Je marmonne en repoussant la main posée sur mon épaule.

- Laisse-moi dormir, Ode.

Je ne l'entends plus parler alors j'ouvre un œil pour l'observer. Ode a apporté un petit bassin pour se rincer le visage. Elle ne me prête plus d'attention et continue de se préparer. Allongée sur mon flanc gauche, je détaille la chambre du regard : petite, faite de pierres, deux sortes de lits sont mises cotes à cotes pour n'en former qu'un et deux mallettes en assez bons états, quoique, un peu petites, sont disposés au pied des lits. La chambre n'est éclairée que par une petite fenêtre à la tête de mon lit et le soir, deux torches peuvent être allumées sur le mur du côté d'Ode.

Je soulève ma couverture en laine et m'assois sur le bord de mon lit en soupirant. Je reste figée un moment avant de parler à haute voix en m'adressant à Ode :

- Je ne veux plus être servante.

La jeune femme qui s'apprêtait à sortir se fige devant la porte. Elle se retourne d'un bond dans ma direction, mais je garde mon regard droit devant moi, et ce n'est qu'en la sentant s'avancer vers moi, que je lève les yeux pour les poser sur sa longue silhouette. Elle fait deux pousses de plus que moi.

- Que dites-vous ?! Vous divaguez, qu'allez-vous faire d'autre ?

- Aidez-moi.

Elle fait un pas en arrière, les yeux exorbités par la surprise.

- Non, je vous en prie, ne m'emmener pas dans vos mésaventures. Je ne veux pas !

Je me relève d'un bond et m'approche d'elle. Ode recule jusqu'à ce que son dos percute le mur, elle est piégée.

Je dépose les mains de part et d'autre de sa tête, et la regarde en souriant.

- Si, et vous allez m'aider !

- Mais vous vous gaussez de moi ?! Cela est impossible, et même, que pourrais-je faire pour vous ? Je ne saurai le faire, je vous le dis.

Je réfléchis un moment, c'est vrai, comment pouvait-elle m'aider ? Mais je balaye mon hésitation d'un coup de main et me mets à fixer ses iris noisette tirés légèrement vers le bleu, je n'en ai jamais vu de pareils.

- Vous connaissez le palais bien plus que moi, à ce que j'ai pu entendre, vous y vivez depuis votre naissance. Et vous avez plus d'affinité avec Catherine, vous pouvez bien la convaincre de me donner une chance de combattre.

- Comment ?! Co... Combattre ?! Vous avez perdu la tête, à quoi pensez-vous, vous ne pouvez pas vous battre, c'est impensable qu'une fame puisse le faire !

Je lève les yeux au ciel.

Et c'est réparti. Si les femmes se mettent à se rabaisser comme ça, c'est clair que la révolte pour les droits de la femme, ce n'est pas pour demain.

- Écoutez, Ode, je sais ce que je dis, j'ai appris à me battre...

- Vous divaguez !

- Ne m'interromps pas !, l'avertis-je d'une voix qui n'accepte pas qu'on la contredise. Je m'en fous que vous croyez ou non en mes capacités, je sais ce que je dis et j'ai battu plus d'un, je ne suis pas faible.

Relâchant la pression sur elle, je rabaisse les mains, puis les passes dans mes cheveux, dans une vaine tentative de les dompter quelque peu.

- J'ai besoin de ton aide, tu sais toi-même à quel point ce travail est dur et dégradant. Si tu m'aides à convaincre Catherine, je t'aiderai à mon tour.

Je remarque que la respiration d'Ode est plus accentuée qu'à la normale, elle a dû retenir sa respiration quand je l'ai bloqué contre le mur, près de la porte. La jeune brune lève un regard sceptique vers moi.

- En quoi pourriez-vous m'aider ?

- Ce que tu veux, réponds-je en haussant les épaules. Demande-moi n'importe quoi.

Ode semble hésitante, la proposition doit être tentante, elle pose sûrement le pour et le contre, à voir ses sourcils se froncer et se défroncer à plusieurs reprises

- Alors ? Marché conclu ?, fais-je en lui tendant la main.

Elle hésite une dernière fois, mord légèrement le coin de sa lèvre supérieure, et serre ma main en évitant mon regard, mais elle ajoute cependant d'une voix plus timide que jamais :

- Marché conclu.

Je lui souris pour l'encourager, mais surtout parce que je vais enfin pouvoir renoncer au chiffon et à l'eau glacée.

Ma colocataire reprend sa main d'un geste brusque et se dirige vers la sortie sans rien dire.

Je soupire de soulagement et m'allonge sur le lit, le sourire aux lèvres.

La journée commence plutôt bien.

Mais je me relève bien assez vite en me rendant compte que je vais être en retard. Je passe rapidement un peu d'eau sur mon visage et me change le plus vite que je peux. Je m'élance dans les couloirs sans faire attention à ce qui m'entoure et percute un homme assez mûr qui grogne de mécontentement, mais n'ayant pas le temps de m'arrêter, je me contente de lui lancer un simple "désolé".

Arrivée devant une énorme entrée, je m'arrête subitement pour contempler l'immense salle qui me fait face et qui n'a cessé de m'impressionner depuis mon arrivé. On l'appelle la salle des Gens d'Armes, elle doit faire une bonne soixantaine de mètres de long, trente de large et un peu moins de dix mètres de haut. Jamais, mais alors là jamais, je n'ai vu quelque chose d'aussi époustouflant de ma vie, et Dieu peut m'être témoin que je regarde Discovery Channel. Mais rien n'y fait, la réalité est toujours beaucoup plus impressionnante que ce que l'on peut voir sur un écran. Des énormes piliers sont placés en lignes sur plusieurs rangées et une douzaine de tables sont déjà installées.

La réalité me faire sortir de mes pensées si rapidement que je tressaillis.

- Merde ! Je suis en retard !, cris-je pour moi-même.

Je tape un sprint et slalome entre les différentes personnes qui vont et viennent entre les rangées de tables. Je percuté un soldat, trois servantes et un petit garçon, en laissant à chaque fois des "pardons" que je crie pour pouvoir me faire entendre entre tout ce brouhaha ambiant. Une fois que j'ai traversé la salle tant bien que mal, je me précipite vers les cuisines où, une fois à l'entrée, je me fais happer par une femme que je ne connais pas. En fait, je crois bien qu'elle me dit quelque chose.

- Vous êtes en retard ! Tout le personnel vient manger et vous vous permettez de traîner !?

La femme arborant de légères rides aux coins de la bouche et sur le front me pousse par l'épaule vers l'avant et je m'efforce de me laisser faire en grinçant des dents.

Vieille harpie !

Oui, je me souviens maintenant, c'est une sorte d'assistante du chef cuistot. C'est elle qui s'occupe des préparatifs pour la nourriture du personnel et alors que le chef cuisinier ne cuisine que pour les gens "importants ". Catherine m'a présenté cette vieille femme au cheveu gris attaché sous un bonnet. Elle m'a semblé grincheuse à prime abord, je me suis dit à ce moment-là, que ça n'allait pas être l'amour fou entre nous, mais j'avais eu la chance de ne pas la recroiser jusqu'à maintenant puisque c'était une autre femme qui m'avait expliqué ce que je devais faire.

Je me tourne subitement vers la vieille femme et lui jette un regard noir. Elle est surprise au début, mais me rend mon regard.

- Où est-ce que vous vous croyez ?

Elle avance d'un pas dans ma direction, puis d'un autre, lentement, comme si elle voulait observer ma réaction. Ses yeux noirs me scrutent d'un air mauvais. Son nez légèrement retroussé et ses lèvres fines donnent à son visage une expression de dégoût.

- Pour qui vous prenez-vous avec vos cheveux roux d'enfant du diable et vos yeux de démon !? Je ne sais pas qui vous a permis de rentrer au palais (elle s'arrête un instant pour taper trois coups sur le bois dont était fait l'une des quatre tables de la cuisine), mais que Dieu nous protège si vous apportez le mal !

Je ne bouge toujours pas lorsqu'elle crache par terre à côté de mes pieds.

T'as de la chance mamie, si c'était mes pieds que tu avais touchés, je ne donnerai pas cher de ta peau. Et je m'en fiche que tu sois vieille.

Mes yeux la fixent, menaçants, et la vieille cuisinière recule d'un pas. Elle rencontre le coin d'une d'une table à force de reculer.

- Insolente ! Je vous donnerai cinquante coups de bâton et vous ne lèverez plus jamais les yeux ainsi vers moi.

En tâtonnant dernière elle pendant qu'elle me criait dessus, j'ai remarqué qu'elle avait attrapé une planche en bois avec une manche qu'elle brandit dans ma direction pour me menacer. Mais je ne me recule pas, porte mon regard sur la planche, et relève ensuite mes yeux pour les encrer dans les siens.

- Très mauvaise idée de vous attaquer à moi, si vous voulez mon avis, la nargué-je, un sourire sardonique collé aux lèvres. Mais si vous le voulez tant, allez-y, on verra bien qui de nous deux est la plus forte.

La cuisinière allait riposter quelque chose quand je sens qu'on m'attrape par le bras. Je réagis immédiatement en agrippant le poignet qui m'a saisie et jette un coup d'œil à mon potentiel adversaire avant d'arrêter tous mouvements en apercevant Catherine, la mine sombre.

Quoi ?! Qu'est-ce que j'ai fait !?

- Votre comportement me désole, Éloïse, je m'attendais à plus venant de votre part, Léon vous a amené ici, vous a donné un toit sous lequel vivre et un travail pour pouvoir gagner votre pain et c'est comme cela que vous le remerciez ?

Elle lâche lentement ma main, et parle d'une voix calme qui ne fait qu'ajouter du poids à ses propos. Étrangement, je ressens une petite gêne sous son regard accusateur, et je veux effacer la déception de ce regard.

- Catherine, je ...

Elle fait signe de tête à la harpie pour lui signaler qu'elle s'occupe de la situation et cette dernière hoche la tête avant de sortir de la pièce en me lançant un regard hautain, plein de sous-entendus.

- Il n'y a rien à ajouter Éloïse, vous me dites que vous ne voulez pas travailler comme servante ? Mais avec un tel comportement, vous ne pourriez aller nul part ! Si vous ne voulez pas travailler ici, et bien soit, vous êtes libre de partir.

Je ne sais quoi répondre face à ça.

- Mais c'est elle qui a commencé, c'est ridicule !

Catherine soupire face à ma réaction, et tourne les talons pour partir, mais je la retiens par la manche de sa robe.

Du coin de l'œil, je remarque Ode qui m'observe, affolée. Elle regarde autour d'elle et me lance un regard d'excuse.

- Catherine !

Trop tard, elle est déjà partie.

Je pivote brusquement vers une Ode surprise. Elle me rejoint en quelques enjambées alors que je fulmine intérieurement.

- Vous étiez supposés m'aider là si vous n'avez pas bien compris. C'est ce qui était convenu, non ?!

Mon ton froid déstabilise légèrement la jeune femme, mais elle ne recule pas pour autant. À la place, elle croise les bras et me dit :

- Je ne pouvais rien faire. Lorsque Catherine est énervée, il faut la laisser et attendre qu'elle retrouve un esprit serein.

- Mais je n'ai pas le temps, moi ! J'en ai marre de laver par terre, j'en ai marre qu'on me regarde mal sans pouvoir réagir, tu comprends ça !?

Ode lève un regard voilé vers moi.

- Oui, ne vous en fait pas, je sais ce que c'est que de n'être qu'une servante. Ma mère était servante ici, et je suis né servante également. Je suis bien placée pour le savoir.

Ode quitte la cuisine d'un pas soutenu, la colère irradiait de tous ses pores, après m'avoir lancé un regard accusateur.

Mais qu'est-ce qu'ils ont tous !? C'est moi la pauvre fille dans toute cette histoire !

À suivre...

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