35. home sweet home

Le bout de mes doigts me démange au fur et à mesure que je prends la direction de chez Anton. Dans le fond de mon être, je sens la culpabilité ronger peu à peu chaque morceau de chair qui lui tombe sous le nez, comme un cafard qui gratte les murs. Pourtant, la peine que je ressens à l'intérieur, je le sais, ne trouvera la paix qu'auprès d'une seule personne.

Maintenant que j'y pense, il y a peu de personnes qui comptent réellement dans ma vie, et aucune ne fait réellement partie de ma famille. Je peux même les compter sur les doigts de la main. Et je viens de me disputer avec l'une d'entre elle, sans parler d'une autre que j'ai royalement abandonnée derrière moi il y a à peine une dizaine de minutes. Pourquoi ais-je l'impression de ne rien faire comme il faut ?

J'arrive en bas de l'immeuble d'Eden, et mes questions habituelles reviennent me hanter, cette pointe d'anxiété qui me dévore à chaque fois. Je ne l'ai pas prévenu que je venais, a-t-il appelé Danny entre temps ? Anton et Joly sont-ils rentrés ? Est-ce réellement une bonne idée d'aller le voir après ma dispute avec Jonas et avoir laissé Shelly rentrer chez elle juste parce que je ne supportais plus son visage et son air désolé – ni ses « Jonas est un con, il a été toujours été comme ça, carrément égoïste ».

Je pose mon front contre l'interphone en fermant les yeux et en prenant une grande inspiration. Au bout de plusieurs minutes, je ne me sens toujours pas calmé, et pourtant, je n'en peux plus et appuie sur le bouton. La tonalité d'appel résonne, et lorsqu'enfin quelqu'un décroche, j'attends la fin du grésillement pour parler :

- C'est moi... C'est Solly, j'veux dire.

On raccroche sans rien dire, et le bip sonore de la porte me fait sursauter. Je tends la main pour intercepter la porte avant qu'elle ne se ferme, mais j'ai une seconde d'hésitation. Pourquoi personne n'a parlé ?

J'avale ma salive et décide, un peu naïvement, qu'une fois que j'aurai franchi cette porte, je laisserai tous mes problèmes derrière moi. La bonne blague. Je monte les marches jusqu'à l'ascenseur encore envahi par des tonnes de questions qui n'ont clairement aucun sens, et qui me font paniquer alors que la situation n'a rien de grave. Dans l'ascenseur, je me ronge les ongles en essayant de réfléchir logiquement. Jonas s'excusera peut-être, ou alors je le ferai. Oui, je le ferai, il est mon meilleur ami. Mais je n'ai pas à m'excuser. Peut-être par rapport à ce que je lui ai dis concernant Lys, mais c'était aussi la vérité. On peut s'excuser quand on dit la vérité ? On doit s'excuser quand on blesse quelqu'un. Il doit s'excuser aussi. Dois-je attendre qui le fasse ? Qui est celui qui doit s'excuser en premier ?

L'ascenseur se stabilise à l'étage de l'appartement d'Anton, et je reprends une grande inspiration. On peut dire que mes poumons sont nettoyés à force de respirer comme une baleine. Lorsque je pousse la porte, je suis surpris de voir que la lumière est allumée mais que la cage d'escaliers est déserte. Suspicieux, je descends doucement les quelques marches qui mènent sur le pallier, et là, je découvre la porte de l'appartement ouverte. Je jette un regard derrière moi et hésite à entrer sans y être invité. Je frappe à la porte, le couloir est plongé dans la pénombre et je peux voir une légère lumière bleutée – la télé – parvenir du salon.

- Eden ? appelé-je.

Je toussote, pour me donner du courage, ou pour faire apparaître quelqu'un qui remarquerait enfin ma présence, et je fais un pas dans l'appartement. Une fois dans le couloir, la lumière dans le couloir s'éteint et une boule de frayeur se forme dans mon ventre.

- Eden ? murmuré-je.

J'entends mon cœur cogner dans ma poitrine, et mon corps est si tendu que chaque pas me fait un peu plus ressembler à un zombi qui aurait perdu les deux jambes.

L'appartement est non seulement à peine éclairé, mais en plus de ça, totalement silencieux. Je connais assez les lieux maintenant pour m'orienter sans problème, mais le fait que personne ne réponde à mes appels me donne la chair de poule. L'ambiance est presque électrique et c'est à peine si j'ose regarder dans les coins sombres. J'avance à petits pas jusqu'à l'entrée du salon, calme, silencieux, lui-aussi. Dans ma tête, des images des derniers films que j'ai vus dans cette pièce me submergent, mais je n'ose pas fermer les yeux de peur de les rouvrir et d'être face à je ne sais quelle entité démoniaque.

La table est toujours recouverte de bouteilles de bière, de paquet de chips et d'un cendrier plein à craquer, exactement comme sur la photo qu'il m'a envoyée une heure plus tôt. Je jette un coup d'œil sur l'écran, et l'image est figée sur des gamins, cramponnés à leurs vélos, au look des années 80. Sur le canapé, roulée en boule, une couette – je reconnais celle d'Eden – et je m'y approche à petits pas, le souffle court. Je la soulève d'un coup, espérant tout bonnement qu'Eden se cache dessous. C'est un échec.

Agacé, pas franchement serein, et particulièrement las, je souffle un grand coup. Au moment où j'ouvre la bouche, pour me plaindre, je suis fortement bousculé en avant tandis qu'une forme s'abat sur mon dos. Je pousse un cri parfaitement ridicule en retrouvant l'équilibre de justesse au pied du canapé. Deux bras entourent mon cou et je panique encore plus, le cœur lourd et tapant mortellement contre mes tympans. Malgré-moi, et de la plus disgracieuse des façons qui soit, je commence à me tortiller dans tous les sens pour me débarrasser de ce que j'ai sur le dos. Un étau se referme sur ma taille et je peine à respirer.

Un rire cristallin résonne tout contre mon oreille, et au même moment, je sens des lèvres dans mon cou. Mon pouls bat à une vitesse folle, mais je parviens finalement à stabiliser mon corps, observant les deux jambes qui entourent ma taille et les mains qui s'agrippent à mon cou.

- Putain... parvins-je finalement à souffler.

- J'aurais dû filmer, ricane Eden contre moi.

Maintenant que je suis plus calme, je perçois les battements de cœur d'Eden contre mon dos, son odeur de tabac et d'épices, la douceur de sa peau qui cherche la mienne.

- C'était franchement naze...

Eden resserre son étreinte contre mon cou, et je sens son nez jouer avec les mèches de mes cheveux dans ma nuque. Ses lèvres embrassent la peau fine juste au dessus de mon t-shirt. Mon corps entier en frissonne et je ferme les yeux.

- Mais ça valait la peine, non ? minaude-t-il alors que l'une de ses mains descend le long de mon torse.

Il trouve le bas de mon t-shirt et le remonte sur mes côtes. Je sens ses doigts jouer doucement avec ma peau tandis que je penche la tête en arrière pour me nourrir un peu plus de ses baisers. Il mordille mon oreille et je pousse un nouveau petit cri, qui n'a rien à voir avec celui effrayé qu'on a pu entendre tout à l'heure. Mes doigts passent sur ses jambes et suivent la courbe de ses cuisses.

- Tu t'ennuyais vraiment, à ce que je vois...

- Je m'ennuyais surtout de toi, sourit-il contre ma peau.

Je me dirige vers le canapé, et j'arrive à le faire descendre de mon dos. Je me retourne dès qu'il libère ma taille de ses jambes, et je pose une main sur son torse pour le forcer à s'allonger plus sur le canapé. Je fais attention à ne pas l'écraser, et me place au dessus de lui.

- Toi aussi tu m'as manqué, dis-je avant de déposer des baisers dans son cou.

Il rigole sous mes lèvres et se tortille pour se coller un peu plus contre mon corps et m'attirer contre lui. Ses mains passent dans mon dos, sous mon t-shirt et ses doigts se plantent dans ma peau.

Je n'arrive pas à croire qu'on en soit là, lui et moi. A s'embrasser comme deux gamins effarouchés, dans un canapé, après trois jours sans s'être vu, comme si c'était normal. Et c'est normal. Peut-être que ça ne devrait pas, ou alors ça devrait et c'est tout le reste qui devrait me paraître bizarre.

Je laisse mon visage planer au dessus du sien, observant ses yeux sombres, son sourire béat – qui fait naître en moi un sentiment de bien-être nouveau et revigorant, ses cheveux qui tombent devant ses yeux, le col de son t-shirt tiré sur son épaule. Il lève la main et dégage les mèches qui cachent mon front avant de soupirer d'aise et de fermer les yeux. Je passe mon nez contre le sien, puis sur ses lèvres qu'il entrouvre, et je pose ensuite ma tête au creux de son cou. Il caresse doucement mes cheveux et embrasse mon front.

- Tu faisais quoi ? me questionne-t-il avec innocence.

Mon cœur se serre, et je ne réponds pas. J'enfonce mon nez un peu plus dans sa nuque et hume son odeur rassurante.

- Oh... soupire Eden.

Je fronce les sourcils et relève la tête. Une expression de profonde tristesse barre son visage et il se mord la lèvre.

- Oh, quoi ? demandé-je en fronçant les sourcils.

C'est à peine si je peux discerner la couleur de ses yeux dans la pénombre, mais je sens la chaleur qui a monté jusque ses joues.

- Bah euh... Tu étais sûrement... enfin si tu veux pas me dire, c'est que tu étais avec elle ?

La façon dont il parle de Shelly – aucun doute là-dessus – me brise le cœur, parce que j'ai conscience, d'une manière ou d'une autre, que ça fissure son cœur à lui-aussi. La culpabilité remonte comme la mer au galop pour me submerger, et je me sens devenir livide.

- Non... mentis-je. J'étais avec Jonas, et on s'est disputé.

Je me sens cruel, et honteux, d'utiliser ma dispute avec Jonas pour me servir d'excuse et de cachette. J'aimerais me dire qu'Eden a aussi Danny, et que nous sommes à égalité sur ce point là, mais l'avoir sous les yeux, une lueur meurtrie dans les pupilles, m'empêche d'y voir clair. Tout ce que je sais, c'est que je veux ressentir à nouveau cette fièvre entre nous, et revoir son sourire.

Les yeux d'Eden s'écarquillent légèrement, et il se redresse, me forçant à en faire de même.

- Comment ça vous vous êtes disputés, à propos de quoi ?

A propos de Shelly, que j'ai voulu défendre.

- Il m'a traité de coincé... murmuré-je. Dit comme ça, ça paraît ridicule, c'est peut-être que ça l'est...

Je m'assois correctement dans le canapé, et Eden croise les jambes à côté de moi. Il m'observe avec attention, mais heureusement, la pénombre des lieux l'empêche sûrement de voir à quel point je suis troublé. Il pose finalement sa main sur ma joue.

- Ça te tient à cœur, alors ce n'est pas ridicule... Ce n'est pas le genre de Jonas de te dire un truc comme ça...

Je secoue la tête.

- Je l'ai cherché, et je lui ai dit des horreurs sur Lys pour me venger.

- Oh, il l'a pas très bien pris, je suppose...

J'aimerais lui dire plus, pas forcément la partie sur Shelly, mais celle que je ne comprends pas, où il a insinué que je ne lui avais pas dit quelque chose. Mais je n'ai aucune idée de ce qu'il veut parler. D'accord, il pourrait très bien parler d'Eden. Ce serait peut-être même probable, mais pourquoi le prendrait-il comme ça ? Peut-être parce que ça le dégoûte, parce qu'il a honte d'avoir un ami de ce genre, qu'il a peur que je tente un truc avec lui. Toutes ces frayeurs qui m'ont empêché de lui parler d'Eden depuis le début, peut-être qu'il les ressent vraiment. Je ne vois pas d'autres explications. Je lui ai toujours tout dit.

- Non, pas vraiment...

Je joue avec l'ourlet de mon t-shirt.

- Je veux pas trop y penser, je préfère qu'on change de sujet. Tu regardes quoi ?

La main d'Eden sur ma joue s'évapore, mais je lève les yeux juste pour regarder l'écran de télé face à nous. Il suit mon regard et passe une main dans ses cheveux.

- Ça.

- Oui, ça, j'ai compris, dis-je en faisant un signe de la main vers la télé.

- Non, Ça, le film.

- Oh, il y a un film qui s'appelle comme ça ? C'est carrément flippant.

- Je pense que tu ferais dans ta culotte, en effet, ricane Eden pour la forme.

Je me tourne légèrement vers lui, et, comme s'il attendait mon signal, passe sa main dans mes cheveux. Je souffle doucement en faisant la moue. Puis, soudain, un éclair explose dans ses prunelles.

- Tu veux te changer les idées ? Eh bien, j'ai quelque chose à te proposer...

- Quoi ? dis-je, de la méfiance amusée dans la voix.

Eden me dévore des yeux, laissant le suspens durer encore un peu.

- Et si on allait en boîte ?

(..)

Je ne sais pas vraiment comment j'ai fini par dire oui, peut-être parce que j'avais vraiment besoin de me changer les idées. On dirait que les envies de boîte sont de famille, entre Joly qui nous a tenu la jambe pendant des jours pour aller en boîte le soir du nouvel an, nous y voilà de nouveau. Sauf que c'est différent cette fois, on y va que les deux, et c'est bien la première fois que j'y vais seulement accompagné d'une autre personne. Je ne suis pas un grand danseur, alors je ne sais pas trop qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire là-bas, puisque d'habitude, je me cale au milieu de mon groupe pour passer inaperçu sur le piste de danse.

Eden a insisté pour que je troque mon sweat contre un t-shirt blanc qu'il m'a prêté, tandis qu'il est allé piquer sans gêne une chemise – toute aussi blanche – dans la chambre d'Anton. Nous avons pris une bouteille de vin dans le placard de la cuisine que nous avons descendue en chemin, et c'est alors que j'ai remarqué qu'Eden n'en était pas à son premier verre de la soirée. Cependant, juste avant de sortir de l'appartement, je l'ai vu vider le cendrier plein à la poubelle et ranger son tabac qu'il a laissé dans sa chambre. S'il est défoncé, cela ne se voit pas, et il n'a pas prévu de remettre ça plus tard dans la soirée, ce qui me rassure.

Nous arrivons à monter de justesse dans le dernier métro et descendons à Saint-Paul. Je le suis dans les rues richement éclairées par les lampadaires et les lumières des restaurants du Marais. Nous passons devant une librairie et pendant près de dix minutes, devant ces murs entièrement bleus, Eden m'explique que c'est sa librairie préférée de tout Paris. Les mains dans les poches, je me contente de le suivre et de l'écouter, et ça me rappelle ce jour où nous sommes allés voir le feu d'artifices ensemble. Je me sentais aussi bien qu'aujourd'hui, tandis que la fraîcheur de l'extérieur pique mes joues, que je me les gèle avec juste ma veste sur mon t-shirt et que je vois Eden gambader partout, traverser les passages piétons en sautant de bandes blanches en bandes blanches, s'excuser auprès d'une fille de l'avoir bousculée, passer derrière pour le rattraper tandis qu'il titube trop près du trottoir.

- On y est !

Nous nous trouvons devant une simple porte en bois ancien, en plein milieu d'une rue pleine à craquer de bars et de restaurants.

- On finit la bouteille ?

Je hoche la tête et il sort la bouteille de sous le simple pull qu'il porte par dessus sa chemise, là où il la cachait depuis tout à l'heure. Il n'en reste que quelques gorgées qu'on se partage, pensant être discrets au milieu d'une rue bondée. Il court jusqu'à la première poubelle et revient tout aussi vite. Il pose sa main sur mon avant-bras avant de me faire signe d'entrer. Je pousse la porte, et contre toute attente, nous arrivons sur une petite cour, peinte de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Eden passe son pull par dessus sa tête, et s'approche d'une porte que j'avais prise pour celle du gardien. Une fille, le crâne rasée, un far à paupière doré et un rouge à lèvre rouge pétant nous accueille avec un grand sourire. Une table ronde est posée juste devant la porte, et la fille est assise sur un haut tabouret. Dans son dos s'étend une pièce remplie de portes vêtements sur lesquels trônent des cintres recouverts de manteaux en tout genre.

- On est deux, sourit Eden.

Il sort un billet de dix euros de la poche arrière de son pantalon tandis que la fille passe son pull sur un cintre et je me jette un regard éloquent.

- Les deux entrées plus le vestiaire, ça fait 8€.

Je me débarrasse de ma veste que je lui tends, et elle l'ajoute sur le cintre. Eden lui donne ensuite son billet de dix euros, qu'elle fourre dans sa caisse, lui rendant la monnaie, et elle passe ensuite une bracelet en plastique rose autour de son poignet. Eden vérifie qu'il ne soit pas trop serré en reculant, et la fille me sort de nouveau son regard insistant, l'air de dire « tu te bouges ou pas ? » bien qu'elle arrive à garder un sourire bienveillant en même temps. Flippant.

Je tends mon poignet sans plus rechigner et elle l'entoure du même bracelet qu'Eden, juste comme il faut pour que j'en oublie sa présence au bout de plusieurs minutes. Je suis Eden qui traverse la cour et ouvre une autre porte. Nous débouchons sur un long couloir entièrement plongé dans l'obscurité, et je perçois les premières notes d'une musique assourdissante mais entraînante. Nous suivons les murs, jusqu'à la lumière en bout de chemin, et nous arrivons finalement sur une salle immense, baignée par une lumière artificielle offerte par des néons au plafond. L'effet des néons est tel que je discerne à peine les formes et les visages qui se balancent au son de la musique s'ils n'étaient pas tous habillés de blanc ou portant des bracelets fluorescents. Je comprends maintenant pourquoi Eden a tenu à ce que nous nous changions.

Il se retourne pour me faire face et je le vois sourire de toutes ses dents, elles ressortent tellement sous les stroboscopes que cela ne me fait que sourire de plus belle.

- Je te paye un truc à boire ? dis-je assez fort pour qu'il entende par dessus la musique.

Eden hoche la tête. Des tas de corps se heurtent et transpirent au son d'une musique qui ressemble à un remix d'une chanson des années 90. Le bar est un îlot en plein milieu de la piste de danse, et les quatre murs de la pièce sont recouverts de miroirs, parfois normaux, parfois déformant. De grands tissus rouges descendent du plafond pour créer un effet de scène de théâtre et une petite estrade, juste devant la cachette du DJ, a des dizaine de boules à facettes qui descendent assez bas pour que les gens puissent danser autour.

Au bar, je suis accueilli par un garçon habillé tout en noir, ce qui ne facilite pas vraiment à le distinguer, s'il n'avait pas une dizaine de bracelets fluorescents au poignet. Je nous commande deux bières, et en même temps qu'il m'amène ma commande, il nous donne à chacun trois bracelets. Eden s'empresse d'entourer les deux jaunes et le bleu qui lui ont été donné à son poignet et frime sous mes yeux. Je souris.

Il entame déjà bien son verre tandis que je suis encore en train d'attacher les bracelets à mes poignets. Il sautille sur place entre deux gorgées, les yeux rivés sur la piste de danse tout autour de nous. Finalement, je ne sais pas si on est vraiment venu ici pour moi, mais le voir comme ça me change clairement les idées. Cependant, le fait que nous nous trouvions au milieu d'une foule aussi dense a le don d'emplir mon corps d'une tension frustrée qui me fait royalement regretter le calme du canapé.

Un mec complètement bourré bouscule Eden qui se retrouve projeté contre moi. Le gars s'excuse royalement, mais alors que je sens le bras d'Eden passer dans mon dos, sous le regard du mec – qui n'a pourtant pas les yeux en face des trous – je ne peux m'empêcher de me décaler légèrement pour effacer ce contact. Eden fronce les sourcils, mais alors qu'il pose sa main sur le bar pour reprendre son équilibre, il grimace. Une partie de sa bière s'est renversée et il a posé son bras en plein dessus.

Il se penche vers moi et hurle à mon oreille qu'il va aux toilettes. Je fais volte face après l'avoir vu traverser la foule, et j'attrape mon verre à deux mains. Je le porte à mes lèvres et en descends rapidement une grande partie, espérant que cela va essuyer la sueur qui perle mon front. Je suis ballotté plusieurs fois par des mouvements de foule, et je ferme fortement les yeux.

Quel idiot, quel idiot.

On est tous les deux dans un endroit public, et je ne peux pas. Même si le pourcentage de chance que j'ai de connaître quelqu'un dans cette boîte de nuit soit infime, je n'y arrive pas. A l'idée que quelqu'un me regarde de travers, j'en ai des sueurs froides.

Lorsque j'ouvre de nouveau les yeux et tourne la tête, j'ai le plaisir de voir un couple se rouler des grosses pelles, contre le bar, juste à côté de moi. Magique. Je bois une nouvelle gorgée de l'alcool ambrée qui se trouve dans mon verre et mes yeux parcourent la salle. J'y vois la chemise blanche, trempée de sueur, collée à son torse, d'Eden, et les bracelets colorées qu'il porte à son poignet. D'ailleurs, plus il s'approche de moi, plus je discerne les nouvelles couleurs qui s'y sont ajoutées, deux roses vifs et un orange piquant.

Alors qu'il s'installe à côté de moi en jouant du coude avec le couple, il empoigne sa bière et la vide d'une traite. Ses cheveux sont plaqués sur son front à cause de l'humidité qui règne dans la pièce, mais mes yeux ne peuvent quitter les couleurs qui ondulent à son bras.

- Où tu as piqué ça ? plaisanté-je en me penchant vers lui, respectant la limite platonique.

- Un mec me les a donnés, rétorque nonchalamment Eden.

Il les agite sous mes yeux pour frimer comme il l'a fait au début, et se tourne pour faire aussi face à la foule. Sa tête suit le mouvement de la foule, et son bassin aussi de temps en temps.

- Un mec ?

Il hoche la tête. Je ne peux m'empêcher de regarder autour de nous. Certains portent leurs bracelets autour de cou, d'autres aux poignets, sur le biceps, en couronne, ce qui créer des centaine de mouvements lumineux, comme des étoiles filantes colorées, qui s'étendent sous nos yeux au rythme de la musique.

- Dans les toilettes ? insisté-je.

Eden hoche de nouveau la tête, se mordant la lèvre. Il passe une main dans ses cheveux pour les placer en arrière et mon regard est attiré par les muscles tirés sous sa chemise. Son regard semble accrocher quelque chose dans la foule, et il sourit. Un sentiment aigre attaque mon cœur et je laisse échapper un bref renâclement moqueur.

- C'est glauque...

Il hausse les épaules, comme si cela ne l'avait pas perturbé outre mesure, et je le vois même faire un petit signe de la main. Automatiquement, je tourne la tête vers la masse de corps qui se bousculent, mais je n'arrive pas à distinguer grand chose. Je sens du mouvement près de moi, et Eden s'est penché vers moi, sans même que son visage ne se tourne dans ma direction, il dit assez fort pour que je l'entende :

- Si tu es jaloux, embrasse-moi.

Je prends un air offusqué, et mes yeux se braquent de nouveau sur la foule. Mon souffle se bloque dans ma poitrine et je sens la sueur mouiller mon t-shirt. Et c'est là que je le vois, ce garçon au teint sombre, qui danse à quelques mètres de nous, des bracelets lumineux tout autour du front, illuminant son regard braqué sur nous.

- C'est une blague, je ne peux m'empêcher de souffler.

- Tu as dit quelque chose ? ricane Eden à côté de moi.

Il tient une distance respectable entre nous, comme je l'ai fait tout à l'heure.

Piqué à vif, je ne peux m'empêcher de croiser les bras sur ma poitrine. Pourquoi est-ce que j'ai l'impression d'être complètement incompris aujourd'hui ? D'abord Jonas qui me parle et me sort ma pire faiblesse en pleine tête, maintenant Eden. Je prends une grande inspiration et tourne la tête à l'opposé. Je peux comprendre qu'il soit déçu, ou vexé, que je n'arrive pas à le toucher en public, mais de là à utiliser un péquenaud pour me rendre jaloux, je trouve ça petit.

Je me tourne vers lui, les bras croisés contre moi comme un bouclier, et, tournant le dos aux danseurs, je me poste assez prêt pour qu'il m'entende sans que je n'ai trop à hausser la voix.

- On peut pas tous être à l'aise comme toi, moi, je peux pas, et c'est nul de faire ça.

Mon ton est sec et quand je recule, je ne fais pas attention à l'expression surprise sur son visage et fais volte face. Je l'entends m'appeler dans mon dos, et je n'ai pas fait trois pas au milieu de la piste de danse qu'il m'attrape par la main. Je la retire brusquement, persuadé que ce débile qui lui a filé ses bracelets est en train de nous regarder et que ça doit bien le faire marrer.

Eden me foudroie du regard et avant que je ne puisse m'extirper de cette foule, il attrape un pan de mon t-shirt.

- Tu me fais quoi là, reste là, crie-t-il par dessus la musique.

Ma gorge est si serrée que j'ai l'impression d'étouffer, imaginant tous les regards posés sur nous, tous ces gens qui vont se permettre de me juger, qui pourrait se moquer, me repousser, m'insulter. J'en tremble rien que d'y penser. J'aimerais vraiment sortir toutes ces images de ma tête, être capable de les ignorer, je ne sais pas pourquoi j'en ai aussi peur. Mais la peur est là, elle est viscérale, elle fait partie de mon ADN.

- Solly, je te jure que les gens s'en foutent. Surtout ici.

Je passe ma langue sur mes lèvres et ouvre finalement les yeux. Eden se tient à bonne distance, bien qu'il garde les doigts vissés à mon t-shirt pour s'assurer que je ne vais pas m'enfuir.

- Tu as raison, c'était franchement nul, et je ne te forcerai jamais à faire quelque chose dont tu n'as pas envie.

Je pose les yeux sur les traits peinés qui déforment son visage, et je me détends aussitôt. Ma peur me bouffe, et c'est horrible à quel point elle me gâche la vie. Mais je ne sais pas comment m'en débarrasser. J'entends les battements de mon cœur à mes tympans, il est affolé, il a envie de se cacher, comme il le fait toujours quand les choses deviennent trop dur. Il veut trouver un endroit isolé, où il pourra se planquer, et y rester coincé autant qu'il le veut. Tout recommence, c'est comme une impression de déjà-vu grandeur nature. Combien de fois ais-je pris la fuite pour les mêmes raisons ? A croire que je ne peux pas changer. Mais comment peut-on réellement vaincre nos peurs ? Pas d'un coup de baguette magique, ça c'est sûr. 

- Mais ce que je sais aussi... commence-t-il en se rapprochant. C'est que tu ne veux plus avoir peur qu'on te juge, non ?

Ses doigts quittent l'ourlet de mon t-shirt, et il baisse les yeux. Les corps autour de nous semblent nous ignorer, je m'en rends compte maintenant, et la musique, un tube d'un autre temps, fait vibrer le sol sous nos pieds.

- C'est pour ça que je t'ai amené ici, finit-il.

J'expire par le nez tandis qu'il donne un coup de menton par dessus son épaule, et que je lève les yeux. Au début, je ne vois pas trop ce qu'il veut me montrer, tout ce que je vois, c'est la fille et le gars de tout à l'heure, toujours avachis contre le bar, à se dévorer le visage. Puis je vois le barman s'affairer derrière son comptoir, avec son arc-en-ciel de bracelets lumineux aux poignets. Les allés/venus de la lumière finissent par me permettre de distinguer les couleurs du bar, qui sont un autre arc-en-ciel peint à même le bois.

- Ici, personne est jamais refusé, tout le monde est respectueux des autres... explique Eden. On s'en fout d'où tu viens, ou qui tu aimes.

Les lèvres d'Eden se pincent en attendant ma réaction. Je regarde toujours le couple qui devrait vraiment penser à se trouver une chambre, et je vois alors à côté d'eux deux filles se tenant la main, assises sur de hauts tabourets, se penchant l'une vers l'autre pour se chuchoter des choses à l'oreille. Les battements de mon cœur cessent de s'affoler, et je ne sais pas comment fait Eden pour le sentir, mais il en profite pour poser ses mains sur mes joues, et forcer mon visage à se tourner vers lui.

- Oui, il y aura encore des connards, mais regarde le nombre de personnes qu'il y a dans cette pièce, pas une seule ne te dira quoi que ce soit ou va te juger, ici tu trouveras que des gens qui te soutiennent, même s'ils aiment pas les mêmes personnes que toi, qu'ils viennent pas du même endroit ou qu'ils ressentent pas les choses comme toi, parce qu'on est tous différents, et on se respecte.

Je cligne plusieurs fois des yeux, et je baisse la tête. La foule nous force à nous rapprocher, elle nous ignore, on n'existe pas pour elle, mais elle nous respecte, elle ne nous écrase pas. Elle nous donne juste ce qu'il faut pour qu'on ressente sa chaleur et qu'elle ne nous glace pas le sang. Une fine larme coule le long de ma joue et Eden l'essuie du bout des doigts.

Il a raison, je ne veux plus avoir peur qu'on me juge. Ça arrivera encore, c'est sûr, parce qu'il y a des connards sur cette planète, mais comme il vient de me le montrer, il y a aussi des endroits où on peut se sentir en sécurité, au milieu d'une foule qui nous respecte. C'est un bon début pour essayer de se débarrasser de cette crainte qui me tord l'estomac.

De nouveau, comme s'il pressentait que mes défenses sont en train de s'écrouler, j'aperçois entre mes cils le sourire léger d'Eden qui illumine son visage, et il se rapproche plus près de moi.

- Bon, maintenant, je peux t'embrasser pour éviter que quelqu'un d'autre n'essaye de te mettre le grappin dessus ?

J'inspire longuement tout en fermant les yeux, et mes mains tremblantes se posent sur ses hanches. Je hoche timidement la tête, et la main d'Eden passe de ma joue à ma nuque, attirant mon visage vers le sien. Je sens ses lèvres effleurer les miennes, et il embrasse doucement le coin de ma bouche. Mes mains se rejoignent dans son dos et j'accueille son buste contre le mien comme ce cocon de bien-être qu'on ne veut jamais quitter.

Eden embrasse le haut de mes lèvres, mes fossettes, ma mâchoire, et je resserre mon emprise autour de son corps. Nos corps commencent à se balancer au fil d'une musique qui se fait de plus en plus douce, et je perçois à peine les cris enjoués des gens qui accueillent ce changement soudain de rythme. Tout le monde se met à chanter les paroles d'une chanson qu'on connaît tous, mais pour l'instant, je les ignore royalement.

Enlacés l'un à l'autre, nos lèvres se rencontrent finalement, un long moment, sans plus rien de platonique, ne pressant rien, se délectant simplement de la chaleur de l'autre, du goût connu de sa langue, des décharges qui descendent comme un torrent d'eau jusqu'au creux de nos ventres, du sentiment de plénitude qui détend nos êtres.

Eden se recule légèrement, et je sens sa malice habituelle sur ses lèvres alors qu'il pose son front contre le mien et que nous suivons la musique.

- Au fait, techniquement, je devrais te donner ces bracelets...

Je fronce les sourcils, ouvrant les yeux pour voir qu'il garde les siens fermés, ses deux bras autour de ma nuque. Je les referme alors, me délectant de mes autres sens, du touché de mes doigts contre le tissu fin de sa chemise, de l'odeur de sueur et d'alcool qui émane de lui et qui m'excite plus qu'autre chose, de ses battements de cœur contre ma poitrine.

- Hein ?

- Le mec des toilettes, il voulait que je te donne les bracelets, et que je te branche avec lui.

Je perçois le rire amusé d'Eden tandis qu'il me fait suivre avec plus de précision le rythme de la musique.

- Je lui ai dit qu'il pouvait aller se brosser.

- Tu as bien fait, souris-je contre ses lèvres avant de l'embrasser à nouveau. Je ne pensais jamais dire ça, mais j'espère qu'il nous regarde attentivement, là maintenant.

Eden passe sa main dans mes cheveux, créant un brasier tout à l'intérieur de moi.

Je finis par percevoir les paroles de la chanson que tous ces gens autour de nous s'évertuent à reprendre en cœur et je ne peux m'empêcher de sourire. Dans le fond, on pourrait penser qu'elle n'a aucun sens pour moi, pour nous. Mais si on y réfléchit bien, il y a bien plusieurs mots, dans le refrain, qui font sens et écho à mes oreilles tandis que la chanteuse les répète encore et encore. Et c'est d'autant plus flagrant quand je perçois la voix d'Eden à mes oreilles :

-... pour que tu m'aimes encore...

Peut-être que je n'ai jamais cessé de t'aimer, depuis ce premier jour, il y a deux ans, où nos lèvres se sont rencontrées pour la première fois.

Eden ouvre la bouche pour continuer à chanter, mais je le coupe en posant mes lèvres sur les siennes, scellant les mots qu'il vient de prononcer. Ce baiser est différent, nos deux corps s'entrechoquent, se poussent comme deux aimants, nos souffles se mélangent et des sentiments qu'on ne peut retranscrire s'inscrivent en nous au fer rouge. Nous en avons tous les deux conscience, nous le savons, pas besoin de mots, pas besoin de belles paroles, juste besoin de l'autre, de ce désir qui brûle entre nous, depuis si longtemps. Tout est pardonné, le chemin est tracé, les peurs s'envolent une à une, doucement, parce que l'autre nous a donné la force de les affronter. D'abord, on s'est fait confiance, puis on s'est pardonné, on s'est désiré, on s'est accepté, on s'est ouvert l'un à l'autre, et maintenant, on est lié.

Les corps autour de nous se font plus pressants et nous bouscule, maintenant que la musique est passée et qu'on revient à quelque chose de plus entraînant, et pourtant, solides comme un roc, nos deux corps restent vissés l'un à l'autre.

Et j'aimerais que cette soirée ne se termine jamais.

***

Coucou les amis ! J'espère que ce chapitre vous aura plu ! J'étais un peu bloquée, je vous avoue que je galère toujours un peu avec cette histoire, j'ai l'impression de tourner en rond, mais il reste peu de chapitres, au final, je vais en enlever parce que je pense qu'on a commencé à faire le tour de pas mal de choses, alors préparez vous parce que ce que j'ai prévu pour la fin risque pas d'être facile ahah

Sinon, si je n'ai pas écrit depuis un petit moment, il y avait une raison ! Tout d'abord, la réécriture de NSI qui traîne et ça m'énerve alors j'essaye d'avancer un peu, et aussi parce que j'ai écrit une autre histoire entièrement avant de la poster ! Et c'est chose faite ! Les chapitres seront postés tous les trois jours, vous êtes donc sûr d'avoir la fin rapidement ahah l'histoire s'appelle Vider l'Océan en six cent soixante minutes, n'hésitez pas à aller y faire un tour et me dire ce que vous en pensez, j'espère qu'elle vous plaira !

À bientôt !!

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