32. merci de m'avoir trouvé

Eden est allongé sur le ventre, une joue calée sur ses bras croisés sous son visage. Il garde les yeux clos, son corps entièrement nu sur les draps, la couette tombée depuis un moment au bout du lit. Je passe doucement le dos de ma main sur sa peau nue, allongé moi-aussi à côté de lui. Je regarde le plafond, un bras passé derrière ma nuque.

Mon souffle est calmé, tout comme les battements de mon cœur, et mon désir. Même si ce dernier rôde encore dans tout mon corps, à peine essoufflé mais rassasié, pour l'instant. Je me sens comme après avoir fait l'amour, avec cette détente dans tous les muscles de mon corps, cette satisfaction, ce bien-être et la fatigue qui va avec. Même si nous n'avons pas fait l'amour à proprement parlé, que nous n'avons fait que nous toucher et nous embrasser, seulement à des endroits qui ne prêtaient pas à confusion, ignorant avec soin nos sexes.

Je ferme les yeux à mon tour en expirant longuement par le nez. Je ne sais pas combien de temps tout ça a duré, je ne sais plus quelle heure il est, depuis combien de minutes, ou peut-être d'heures, nous nous contentons de nous tenir l'un à côté de l'autre, sans parler, nous rassurant en écoutant la respiration de l'autre et de nos mains qui s'entremêlent de temps en temps.

Comme maintenant.

Eden détache un de ses bras sur lequel repose son visage et il vient chercher ma main qui caresse son dos. Il l'attrape et la sert entre ses doigts avant d'apporter nos deux mains liées près de son visage. Je sens son souffle sur mes phalanges et je frisonne tout entier. Eden reste, les yeux fermés, ma main pressée dans la sienne, près de son visage.

J'aimerais me poser des questions intelligentes, comme par exemple : qu'est-ce que je viens de faire ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Et Eden, qu'est-ce qu'il en pense, de tout ça ? Est-ce que ce qui vient de se passer est important, voir même si important qu'il en est vital ?

Mais je n'y arrive pas. Tout ce à quoi je peux penser, c'est : Est-ce qu'Eden serait choqué si je me jetais à nouveau sur lui, là, maintenant, pour recommencer ce que nous venons de vivre ? Parce que même si toutes les sensations sont encore en sourdine dans mon corps, je les veux à nouveau, pleines et possessives, hypnotiques et vivantes. Tout ce plaisir en moi, tout ce désir, toutes ces vagues qui ont martelé mon abdomen, qui sont allées chercher jusqu'au plus profond de moi et qui ont ramené avec elles des sensations jamais explorées jusqu'ici. Je veux tout revivre, maintenant, encore et encore. Et j'ai besoin de lui pour ça, juste lui, personne d'autre.

Un bruit sourd émane de mon ventre, et j'ouvre les yeux en me mordant l'intérieur de la bouche. Eden fronce fortement les sourcils et cache un peu plus son visage contre son bras.

- Désolé...

Il se redresse légèrement, ses cheveux bruns éparpillés sur son visage en plusieurs grosses mèches. Il secoue la tête légèrement avant de ronchonner en tirant sur ma main qu'il tient toujours dans la sienne, me forçant à me rapprocher de lui. J'amène mon visage juste sous le sien alors qu'il se tient maintenant sur ses coudes. Sa main libre passe dans mes cheveux alors que je plisse les yeux pour discerner les traits de son visage correctement. Je le vois légèrement de travers, et ses cheveux toujours devant son visage m'empêchent de voir ses yeux. Il se penche en avant et tourne légèrement la tête pour m'embrasser. Je ferme les yeux en profitant du goût de ses lèvres que je vais finir par connaître par cœur dans peu de temps. Elles sont douces contre ma peau alors qu'elles remontent et qu'il me croque gentiment le nez.

- Tu as faim ? murmure-t-il.

Je passe ma main valide dans sa nuque et l'attire plus encore, l'embrassant si fougueusement que je me sens soudainement fébrile de me dévoiler et de lui montrer, par ce simple baiser, à quel point je le désire.

- Oui, de toi, soufflé-je contre sa bouche.

Je le sens sourire contre mes lèvres avant qu'il ne réponde à mon baiser. Il finit cependant par se détacher de moi, et dégage les cheveux sur mon front avec sa main. Il mêle ses doigts à mes cheveux avant de souffler sur ses propres mèches qui lui cachent les yeux.

- J'ai besoin de reprendre des forces, moi...

Mon front se plisse légèrement et je me renfrogne sans le vouloir. Eden identifie clairement mon air grognon, et il sourit en penchant la tête vers moi. Son nez cogne contre ma joue et ses cheveux me chatouillent les paupières.

- Je veux être au top de ma forme quand on remettra ça... sourit-il contre moi.

- Quand tu dis « remettre ça » tu parles bien de...

- De ce qu'on a passé l'après-midi à faire, oui.

Je me lève brusquement, manquant de me cogner la mâchoire dans son front, et par ma main qu'il tient toujours dans la sienne, je le force à se lever avec moi. Il me dévisage tandis que je me tiens debout à côté du lit, et quand son regard descend le long de mon torse pour suivre la courbe en v de mon ventre, je ne peux m'empêcher de piquer un far monumental. Cependant, je ne me détourne pas, et Eden remonte les yeux en clignant des paupières. Ses joues se teintent elles-aussi et nous nous regardons un petit moment dans les yeux avant d'exploser de rire. Il se lève à son tour et tout en allant chercher un short dans armoire, il me lance mon t-shirt qui était tombé au sol. Je l'enfile et m'empresse de ramasser un de ses t-shirt qui traîne, et je le lui fourre sur la tête sans attendre, l'habillant comme on habille un enfant de trois ans.

Quand il se retourne, les cheveux en pétards et le regard embrouillé, je remarque cependant son sourire amusé. A quelques centimètres de moi, je l'interroge du regard.

- Quoi ?

- C'est juste que... Je te pensais pas comme ça, me confie-t-il en souriant.

- Tu me pensais comment ?

Il baisse légèrement les yeux et tire sur les pans de son t-shirt pour le mettre correctement en place.

- Moins... Enthousiaste, peut-être.

- J'ai vraiment très faim...

Il relève les yeux, mais il n'a pas l'air convaincu. Mon sourire s'efface un peu alors qu'il se retourne pour fouiner dans son armoire et en sortir un jogging qu'il me tend. Je cherche à croiser son  regard alors qu'il se retourne, mais il s'empresse d'aller chercher quelque chose près de sa commode. J'enfile le jogging et je l'observe pendant qu'il continue à déambuler dans sa chambre sans vraiment avoir de but. Ce qui ne semble pas être totalement le cas, parce qu'il attrape quelque chose sur son bureau qu'il s'empresse de fourrer dans la poche de son short.

- Eden ?

- Quoi ? me demande-t-il en se retournant.

- Je... J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

Le visage d'Eden se tend légèrement, comme s'il était surpris, et il s'approche de moi.

- Non, pas du tout, c'est juste que je suis pas habitué à... ce toi-là, à ce que tu sois comme ça... avec moi.

Je l'observe un long moment, lui à quelques pas de moi, et je ne peux m'empêcher de passer au peigne fin mon comportement de ces deux dernières minutes. Est-ce que j'en ai trop fait ? J'ai simplement laissé parler la personne que j'avais envie d'être, sur le moment, j'ai simplement essayé d'être moi. Mais qu'est-ce que je suis finalement ? Il faudrait peut-être que je prenne le temps de réfléchir.

Rien qu'à cette pensée, tout mon corps et mon cerveau se figent.

Ce sera sûrement pour plus tard, la remise en question.

- Ok, allons manger, et je vais essayer d'être moins... enthousiaste.

Je fais un clin d'œil à Eden, auquel il me répond en levant les yeux au ciel. Je m'approche de la porte, mais au moment où je tourne la poignée pour l'ouvrir, Eden la referme brusquement en la poussant du plat de la main. Je me retourne, prêt à le questionner, mais il attrape mon visage entre ses mains, et m'embrasse avec force. Tellement de force que je suis obligé de faire un pas en arrière et que je me retrouve le dos plaqué contre la porte. Ses mains passent ensuite dans mes cheveux et ses bras se referment autour de ma nuque tandis que mes mains s'agrippent au dos de son t-shirt. Nous nous embrassons jusqu'à ce que nous ne puissions plus respirer, et alors, hors d'haleine, il souffle contre mes lèvres :

- Dépêchons-nous de reprendre des forces.

Nous sortons de sa chambre presque hilares, mais je ne peux m'empêcher de tendre l'oreille. L'appartement est plongé dans la pénombre et seule la maigre lumière du soleil en train de se coucher éclaire les lieux. Un silence reposant emplit le salon tandis qu'Eden se dirige directement vers le coin cuisine. Je me penche légèrement en avant pour apercevoir le couloir d'entrée, mais comme tout le reste de l'appartement, il me paraît vide. Est-ce qu'Anton est dans sa chambre ? Est-ce que Joly est revenue ?

Eden ne semble pas se poser la question, et il s'active, la tête dans le frigo.

- Je sais que c'est Anton le cordon bleu de la maison, mais ça te dérange pas si c'est moi qui cuisine ?

Je me dirige vers la cuisine et m'accoude à la table haute.

- Bien sûr que non.

Eden me lance un petit regard par dessus son épaule avant de sortir une plaquette de beurre. Il s'active, sort une poêle, récupère une boite d'œufs au dessus du frigo, met du beurre à fondre dans la poêle. Il a l'air concentré, alors je le laisse faire. En attendant, je sors deux assiettes d'un placard et les place sur la table avec des couverts, l'une en face de l'autre.

Une odeur agréable monte dans la cuisine, et je finis par m'asseoir sur le plan de travail, juste à côté d'Eden, tandis qu'il prépare une omelette aux herbes et pommes de terre. Je balance mes jambes dans le vide, et quand il passe à côté de moi, Eden laisse traîner sa main le long de ma cuisse, ce qui me donne un peu plus chaud à chaque fois.

Lorsque le plat est prêt, je saute du plan de travail et je fais le tour de la table pour aller m'asseoir. Je sais que j'ai les yeux qui pétillent, mais j'ai soudainement très faim et surtout, l'eau à la bouche. Dès que je suis servi, j'attrape ma fourchette et la plante dans mon omelette. J'avale plusieurs bouchées en silence tandis qu'Eden m'observe avec un petit sourire aux coins des lèvres. Il joue avec une pomme de terre avant de la mettre dans sa bouche sans grand intérêt, ce que je ne manque pas de remarquer.

- Je croyais tu avais besoin de... reprendre des forces ?

Eden lève les yeux vers moi avant de se quitter son tabouret pour aller chercher une bouteille d'eau. Il s'en sert un grand verre, et avant de le porter à ses lèvres, il hausse une épaule.

- J'ai jamais très faim...

Avec cette simple phrase, tous les souvenirs effacés par l'après-midi que nous avons passée, me reviennent en mémoire. La raison de ma présence ici, l'état dans lequel était Eden hier soir, et ce que m'a révélé Anton.

Je passe ma langue sur mes lèvres tout en étirant mes jambes sous la table, jusqu'à pouvoir toucher du bout du pied le tibia d'Eden. Aussitôt, ses pieds commencent à jouer avec les miens, et je me détends légèrement.

Cependant, je sais que c'est maintenant ou jamais. Qu'il faut que nous en parlions.

- Hier soir... Qu'est-ce qui s'est passé, Eden ?

Ses pieds arrêtent de bouger, et je rapproche un peu plus mon tabouret de la table pour que nos genoux se cognent entre eux. Eden me dévisage, presque comme si je l'avais trahi, mais je tends la main sur la table jusqu'à attraper son poignet que j'enserre doucement entre mes doigts.

- Tu veux bien m'expliquer ?

- Y'a rien à expliquer.

J'hésite à lui dire qu'Anton m'en a déjà expliqué une partie. Est-ce qu'il lui en voudra d'avoir ouvert la bouche et de m'avoir balancé son secret ? Ce serait plus simple qu'il accepte de m'en parler de lui-même.

- D'accord.

Je décide de lâcher l'affaire, alors je me contente de reprendre une bouchée de l'omette et de lui répéter que c'est vraiment hyper bon. Il se détend, me sourit longuement, prend ma main dans la sienne et mange même encore un peu. Je finis cependant par manger les restes de son assiette, et nous faisons la vaisselle ensemble. Le soleil a définitivement quitté le ciel, et nous sommes plongés dans la pénombre. Nous nous embrassons la joue, les épaules, le cou, longuement, lui accoudé à l'évier et mon corps contre le sien. Mes mains passent sous son t-shirt, effleurent les lanières de son short et les siennes démêlent mes cheveux.

Il finit par passer ses bras autour de ma nuque et cacher son visage dans mon cou. Je sens sa bouche butiner la peau sous mon oreille et je souris. Il fait sombre dans l'appartement, et je me sens en sécurité dans cette pénombre.

- Ça s'est passé en juin.

Les mots d'Eden sont à peine audibles, étouffés par ses lèvres et par ma peau. Je passe mes bras dans son dos et le serre un peu plus contre moi.

- Un soir, on rentrait du lycée, et elle était pas là. On est allé se coucher, on a cru qu'elle avait simplement eu un truc de prévu et qu'elle avait oublié de nous le dire, on a été tellement aveugle...

Il sanglote contre moi, je l'entends dans sa voix, car son corps ne bouge plus, il est comme une brique de glace entre mes doigts.

- Le lendemain, elle était toujours pas rentrée. On a commencé à s'inquiéter, on a appelé la police, on savait pas trop quoi faire. Ils nous ont dit de rappeler quand ça ferait vingt quatre heures, ils ont gardé notre numéro.

Il marque une pause et reprend son souffle.

- Mais c'est eux qui nous ont rappelé dans le milieu de la mâtiné. Ils nous ont demandé la description physique de notre mère, ils nous ont dit qu'ils avaient retrouvé un corps en bas d'un pont, et qu'ils avaient pas moyen de l'identifier, la personne n'avait rien sur elle, pas de papier, pas de porte-feuille, rien.

Son corps commence à trembler, il renifle, sa voix se brise dans sa gorge et ses bras se resserrent comme un étau autour de ma gorge.

- Ils nous ont demandé de venir l'identifier, j'y suis allé tout seul.

Je sens ses larmes couler dans mon cou. Le corps d'Eden est comme un poids mort dans mes bras.

- Et c'était elle. C'était vraiment elle.

Il se recule brusquement et me repousse si fort que je fais deux pas en arrière. Il cache son visage derrière ses bras, repoussant l'air de ses mains, secouant la tête dans tous les sens. J'essaye de m'approcher, frappé par sa douleur, mais il m'échappe, fait quelques pas sur le côté, le visage toujours caché derrière ses bras.

- Un témoin a vu ma mère sauter d'un putain de pont.

Il finit par s'accroupir par terre, sa tête entre ses mains. Et j'entends ses sanglots, ses pleurs déchirant le silence de l'appartement, en écho à celles d'hier soir. Mais cette fois, je n'hésite pas, je m'approche de lui, prends son visage entre mes bras et le blottit contre moi, et il ne me repousse pas. Je cherche les mots, les bons mots, les mots parfaits. Mais ils n'existent pas.

- Et ça me flingue, elle m'a laissé tout seul, et c'était tellement dur. Et je lui en veux, mais je m'en veux encore plus de pas avoir vu qu'elle allait pas bien. Même maintenant, je ne comprends pas pourquoi elle a fait ça...

- Je suis désolé... soufflé-je finalement.

Eden secoue la tête contre moi et ses mains s'accrochent à mon t-shirt. Il pleure en silence pendant quelques minutes, le temps pour lui de se calmer, et pour moi de digérer. Je sens son conflit, la déflagration du choc et du deuil qu'il n'arrive pas à faire.

- Solly, murmure-t-il. Ce qui m'effraie le plus... C'est que c'est dans mes veines.

Je fronce les sourcils, caresse ses cheveux, et recule légèrement. Je balaie ses larmes avec mon pouce et je scrute son regard. Ses yeux sont si sombres qu'ils me font peur, ne se démarquant pas dans la pénombre, c'est comme regarder dans un puits sans fond.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?

- Joly ne me croit pas, je le sais, je le sens, je suis comme elle. Les gens ont toujours dit que c'est moi qui lui ressemblais le plus. Ils ne pouvaient pas savoir à quel point ils avaient raison...

Je me souviens de ces paroles qu'il a déjà prononcées, la veille. Lorsqu'il disait que c'était dans ses gênes, que Joly ne pouvait pas comprendre parce qu'elle n'est pas comme elle.

- J'ai cette pensée, au coin de ma tête.

Il me regarde, et passe un doigt sur sa tempe.

- Juste là, je la sens, elle est là tous les jours, toutes les heures. Elle veut que je fasse comme elle.

Mon visage s'assombrit si vite que je me sens presque fébrile. Mon souffle s'accélère alors que j'ai cet espoir puérile de me dire qu'il rigole. J'ai même ce petit sourire nerveux qui me chatouille les lèvres. Eden semble prendre conscience de mon trouble et ses mains se mettent à trembler alors qu'il les passe sur mes épaules.

- Mais quand je suis avec toi, elle s'estompe.

Mon front se plisse.

- Vraiment ?

Il hoche plusieurs fois la tête. J'ai envie de reculer, de le sortir de mon espace vital, de respirer pleinement, et de prendre le temps de réfléchir. Je crois que j'ai toutes les pièces du puzzle devant moi. Elles sont toutes là, éparpillées sur le sol, une à une. Mais je crois que je ne peux pas prendre le temps de les étudier avant d'essayer de leur trouver la bonne place. Tout ce que je peux faire c'est y aller à l'aveugle.

Eden cherche mon regard, comme s'il attendait la réponse à une question. Mais quelle question ? Est-ce que je suis sur le point de paniquer ? Est-ce que j'ai clairement l'impression que tout ça me dépasse ? Est-ce que je suis en train de mourir d'inquiétude pour lui ? Toutes ces questions ont une seule et même réponse, et je dois absolument la lui cacher.

- Je suis là, maintenant, soufflé-je.

Il hoche de nouveau la tête et se penche vers moi, effleurant mes lèvres timidement. Je passe ma main dans sa nuque et l'embrasse, plus confiant. Nos lèvres s'entrouvrent, et je sens la chaleur de sa langue contre la mienne. Lorsqu'il met fin au baiser, je reprends ma respiration et me remets debout, l'aidant à en faire de même.

J'aimerais avoir une image claire de ce qu'il risque de se passer, à partir de maintenant, mais je n'avais pas prévu autant de changement. Peut-être que dans un coin de mon cerveau, je savais déjà que je finirai par succomber à Eden, que je trouverai refuge dans ses bras, d'une manière ou d'une autre, mais je n'étais pas capable de prévoir tout le reste. Toute cette peine et toute cette crainte qu'il cache en lui. L'avoir embrassé et caressé n'est plus ce qui m'inquiète le plus.

Je m'approche de lui, alors que nous sommes maintenant debout tous les deux, et je passe doucement mon pouce à l'endroit où les larmes ont de nouveau marqué sa peau. Il ferme les yeux et respire plus fort. J'embrasse ses joues, les mains dans son cou, et je laisse échapper une longue expiration.

Une porte claque dans mon dos, et nous sursautons tous les deux. Mais avant que je ne me détache vraiment de lui, j'entends les voix d'Anton et de Joly, dans le couloir d'entrée. Je me retourne doucement, ne créant qu'une maigre distance entre moi et le corps d'Eden, comme un entre-deux. Ni une proximité flagrante, ni un éloignement trop grand, juste de quoi laisser assez de doute, sans qu'il ne soit trop flagrant. De toute façon, Anton est déjà au courant, et Joly...

Lorsqu'elle entre dans le salon, après avoir allumé la lumière – ce qui ne manque pas de nous aveugler quelques secondes – mon cœur se met à battre plus fort. Je ne respire plus lorsque je croise son regard, et que je vois ensuite ses yeux se tourner vers son frère. Elle se redresse légèrement, et sans un mot, elle part vers le couloir.

Je ne sais pas si je dois me sentir rassuré qu'elle n'ait rien dit, ou peiné. Je jette un coup d'œil vers Eden, mais il garde la tête basse. Anton nous rejoint tout doucement, les sourcils froncés. Il ouvre la bouche, mais Eden le devance :

- Je vais lui parler.

Et il s'éloigne. J'ai envie de le suivre, terriblement. Cela sera-t-il toujours ainsi à partir de maintenant ? Vais-je sans cesse m''inquiéter pour lui, ou qu'il aille, quoi qu'il fasse ? Anton pose calmement sa main sur mon épaule alors que j'étais prêt à partir à sa suite, et avec une poigne de fer, il m'emmène avec lui vers le salon.

Anton se laisse lourdement tomber dans le canapé, il tend les jambes devant lui et cache ses yeux derrière son bras.

- Mon petit Solly, viens t'asseoir à côté de moi.

Il tapote la place libre à côté de lui dans cet immense canapé, et je ne peux empêcher un rire nerveux de s'extirper de mes lèvres.

- Tu sais que tu es flippant quand tu dis ça ?

Je vois un sourire esquisser le coin de ses lèvres, et ça me décide à m'approcher et finalement m'asseoir à côté de lui, juste sur le rebord, au cas où il faudrait fuir rapidement. Je joins mes mains et pose mes coudes sur mes genoux. J'attends en silence, Anton immobile à mes côtés. Je tends l'oreille, mais je n'entends aucun son provenir du couloir. Est-ce que Eden et Joly sont en train de discuter ? De se disputer ? De se réconcilier ?

- Joly et moi, on est officiellement en secret ensemble.

Je me tourne vers lui, surpris.

- Hein ?

Il enlève le bras de ses yeux, et son regard croise le mien. Je peux y déceler l'enthousiasme enfantin qui lui correspond tant et qui manquait terriblement à l'appel ces derniers temps. Mais j'y vois aussi clairement la crainte, celle si limpide lorsqu'elle concerne quelqu'un à qui on tient.

- Je suis tellement fou d'elle... On a beaucoup discuté aujourd'hui.

Il se redresse et baisse le visage en même temps. Il triture distraitement la manche de son pull.

- Mais ça me fait tellement flipper. J'ai dit ok, à la seule condition qu'on le dirait à Eden seulement quand il serait prêt, mais je me sens tellement con...

Ses mains montent à son visage, et je me tourne vers lui. Je n'ai jamais vu Anton aussi perdu, et je ne sais pas comment me comporter avec lui. J'ai encore tellement de mal à être là pour les autres. Je ne sais pas comment soutenir Lys, je ne sais pas comment raisonner Jonas, sans parler de toutes ces choses qu'Eden ressent et dont j'ai peur qu'elles le submergent. Alors Anton, qui semble toujours plein d'énergie au point qu'on se demande parfois s'il est réellement capable de ressentir quelque chose. Je sais qu'il le peut, je le sais parce qu'il m'a parlé de Joly, que j'ai vu comment il regarde Eden, comment il parle de lui et à quel point il l'aime et s'inquiète pour lui.

Mais moi, qu'est-ce que je peux lui apporter ?

- Je lui mens, alors que c'est la dernière chose dont il a besoin, et pendant qu'il se sent mal, moi je... Je souris en voyant sa sœur, je souris quand je l'embrasse, je ris quand je peux enfin la toucher, l'effleurer du bout du doigt. Je suis égoïste, je suis qu'un connard....

Je vois ses épaules trembler, mais ses yeux sont secs et son regard fixé droit devant lui.

- Anton...

Il tourne la tête à l'opposé de la mienne, et je sens mon sang se glacer dans mes veines. Les mots fondent dans ma bouche, c'est une fournaise tout à l'intérieur de moi. Ma main tremble lorsqu'elle se pose sur son épaule. Tous ses muscles sont tendus sous son t-shirt.

- Tu veux que je te console ?

Il ricane doucement, et je ne peux m'empêcher de faire de même.

- Je suis sûr que tu as assez de courage en toi pour lui en parler quand ce sera le moment, et Eden n'est pas... Il est conscient de pleins de choses, pas forcément de ça en particulier, de tout ce que tu ressens pour Joly, mais il sait tout ce que tu fais pour lui, et Eden, il... Il sait pardonner, il sait écouter et comprendre les sentiments des gens, crois-moi.

- Comment tu peux en être sûr ? marmonne Anton.

Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire, et je donne une petite tape à l'arrière du crâne blond de ce sale morveux. Je le sais, parce qu'il m'a pardonné tellement de choses, et maintenant que j'y pense, je ne sais pas, si j'avais été à sa place, si j'en aurais été capable.

- Tu le connais depuis plus longtemps que moi, je ne vais pas t'apprendre comment il est, non ?

Anton grommelle quelque chose, et je reconnais bien là son caractère ronchon, celui qu'il avait souvent au lycée, quand il passait son temps à râler, à jouer les gosses de riche. Parce que j'étais pareil. On n'était jamais content, et peu importe si quelqu'un proposait une solution concrète à nos malheurs idiots, cela ne nous allait jamais, par pur esprit de contradiction.

Nous n'étions que des sales gosses, et même si Anton joue encore les grognons, je me rends compte que nous avons beaucoup évolués. Chacun à notre façon, nous avons finalement grandi. Je ne sais pas si on peut se considérer réellement comme des adultes, chaque jour, le monde extérieur et toutes ces choses qui s'accumulent dans ma vie m'effraient un peu plus, mais nous ne nous sommes définitivement plus des enfants non plus.

- Tu es la seule personne au courant, me confie-t-il. Je suis content qu'on soit enfin de vrais amis.

Anton se tourne vers moi, et le sourire sincère qui éclaire son visage me fait légèrement rougir. Qui l'aurait cru, Anton et moi, de véritables amis ? Je souris à mon tour, tandis que je sens les larmes me monter aux yeux. Je ne me souviens plus d'où venait ce sentiment de haine que je ressentais pour lui, au lycée. Était-ce réellement si puissant ? Ou était-ce de la jalousie, de le voir évoluer dans ce monde aussi facilement, en étant aussi naturel ?

- Merci de m'avoir trouvé, dis-je en baissant la tête.

- C'est toi qui nous a trouvés, ajoute Anton.

Puis il éclate de rire, me donnant une énorme tape dans le dos qui manque presque de me faire glisser du canapé.

- Putain, on est trop cul-cul ! Plus jamais, on ne sort ce genre de connerie, ok ? Sinon, c'est dans ton assiette que je crache, au prochain repas.

Je suis pris d'un fou rire, moi aussi, quand je vois le rose sur les joues d'Anton, et nous rigolons jusqu'à ce que des larmes coulent au coin de nos yeux, ce qui ne manque pas de faire repartir nos rires dans la foulée.

- Ce soir, on regarde Annabelle !!

Anton et moi tournons nos visages rouges d'avoir trop ri vers Eden qui revient du couloir. Joly le suit calmement, et quand ses yeux tombent sur Anton, elle semble se détendre automatiquement. Je vois très bien que pendant qu'Eden s'approche de moi, ils communiquent en silence, et j'envie leur complicité. Mais mon attention est déviée de leurs petits signes discrets tandis qu'Eden pose la jaquette d'un dvd sur mes genoux. Il pose une main sur mon épaule, un peu trop près de ma nuque, parce que je sens le bout de ses doigts dans le creux de mon cou, et il chuchote à mon oreille :

- Tu vas adorer.

La tête de la poupée sur la jaquette du dvd me donne déjà des sueurs froides. En effet, je crois que je vais adorer me blottir secrètement contre Eden sous la couette pendant tout le film.

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