28. nouvel an
Allongé sur mon lit, je grelotte même si je porte deux pulls, et que je me suis enroulé dans ma couette. Je n'arrive pas à croire que le chauffage de ma résidence a réussi à tomber en panne un vingt huit décembre. Déjà deux jours que je suis rentré chez moi, et le confort de l'appartement d'Anton me manque terriblement. Me revoilà, avec ma vieille plaque à induction, mon lit et son matelas aussi dur que du béton, et la joie des toilettes et douches collectives.
Il est assez tard, un peu plus de minuit, et je n'arrive pas à dormir. Outre le fait que des formes étranges dansent derrière les rideaux de ma fenêtre, j'ai l'esprit trop occupé à réfléchir aux grands problèmes de ma vie pour trouver le sommeil. Pourtant, les choses se sont réglées un peu trop facilement, par rapport à cette histoire de nouvel an. Jonas a accepté tout de suite de le fêter avec nous, même si j'espérais dans un coin de mon esprit qu'il refuse et préfère passer sa soirée seul, comme il le fait presque tous les ans. Et depuis une heure, je suis en train de discuter avec Lys, qui, d'elle-même, m'a demandé ce que je comptais faire ce fameux soir. Apparemment, elle ne prévoyait pas de rentrer sur Paris parce qu'elle n'avait rien de prévu, et quand elle m'a demandé ce que je faisais, je n'ai pu que lui dire la vérité et ça l'a motivé.
Lys : Franchement, je pense que je ne vais pas survivre une journée de plus chez mes parents, il faut que je rentre dès demain...
Pour l'instant, je lui ai simplement dit que Jonas hésitait à venir avec nous, et que Shelly, Eden, Anton, Joly et Danny seront là. Elle m'a raconté qu'à sa dernière soirée, elle avait longtemps discuté et dansé avec Joly et qu'elle trouve que malgré son jeune âge, elle fait plutôt mature. C'est là que je me suis rappelé que Joly est encore au lycée, en première je crois, et que j'ai compris d'où venait son engouement pour les boîtes de nuit. Je me souviens que dans mon lycée, les filles ne parlaient que de ça, sûrement parce qu'elles ne pouvaient pas encore y aller. Pour ma part, dès que j'ai eu dix huit, mes potes du lycée m'y ont traîné, et ensuite, comme j'ai coupé les ponts avec ma vie d'avant, je n'y ai pas remis les pieds. Ce n'est pas vraiment le genre d'endroit qui me correspond. Il y a trop de monde, trop de bruit, et beaucoup jouent un jeu afin de se faire remarquer.
Lys : Tu sais où on va le faire ?
Moi : Non, toujours pas. Sûrement chez Anton. Attends, je vais demander.
Plus je peux repousser le moment où je vais devoir lui dire que Jonas sera là, plus je vais en profiter. Et puis d'ailleurs, Eden n'a pas répondu à mon texto depuis ce matin, et je suis bien content de trouver une excuse pour lui en renvoyer un nouveau. Je n'ai aucune idée de ce qu'il fait depuis deux jours. Eden n'est pas du genre à parler de la façon dont il passe ses journées, dans ses textos. Il lance plutôt des sujets de conversation un peu bizarres, il pose des questions sur mes goûts, ou il aime débattre de quelque chose qu'il a vu ou lu quelque part. Ce matin, on parlait de la nouvelle bande annonce d'un film d'horreur que je n'ai pas pu regarder plus de deux secondes, mais que lui a analysé de fond en comble.
Moi : Hé ! Dis moi, on le fait où, finalement, le nouvel an ? :)
Je commence à me ronger les ongles alors que mon téléphone repose sur mon buste, et que je reste allongé dans mon lit, les yeux rivés au plafond. Cela fait bien longtemps que je n'avais pas fait état d'une telle anxiété, mais j'avoue, plus le nouvel an approche, plus je stresse. Shelly est complètement folle à l'idée que je l'ai – enfin – invitée à une de mes soirées. Je crois qu'elle en rêvait. Peut-être qu'elle en avait marre aussi, qu'on fasse le nouvel an que tous les deux. Après tout, comme l'a dit Joly, c'est pas folichon, comme soirée. J'attrape mon téléphone et vérifie que mon texto a bien été envoyé. Oui, c'est bon. Il a été reçu aussi. Et il y a de ça douze minutes. Eden met rarement autant de temps pour répondre. Peut-être qu'il dort ?
Mon téléphone se met soudainement à vibrer entre mes mains, je sursaute comme un idiot et il m'échappe, glisse entre le mur et mon matelas, et me voilà à batailler pour le récupérer. Finalement, quand j'arrive à lui mettre la main dessus, mon cœur bat un peu plus vite et je dois prendre une grande inspiration avant d'oser le déverrouiller pour regarder le nouveau message que j'ai reçu.
Eden : J croi que tme fé tro d'zriofhieutg !!!!!
Euh. Oui ? Même en clignant plusieurs fois des yeux, en relisant le message cinq fois et en essayant d'analyser le sens des lettres, je ne comprends toujours pas ce qu'il veut me dire. Il a écrit trop vite ou alors il s'est assis sur son téléphone pour écrire son message ou quoi ? Et qu'est-ce que je suis censé répondre à ça ? Non, Solly, ne panique pas. Répond un truc normal. Genre, t'as rien vu.
Moi : Ça va ?
Eden : quper !!!!
Là, je crois qu'il veut dire super.
Eden : #ùpmmank
Pitié, que quelqu'un m'apporte un traducteur ! Ou alors, que la lumière divine me frappe et me permette de comprendre ce qu'il me raconte ! Je suis complètement paumé. Et c'est de pire en pire, le message qui suit est un enchaînement de smileys, un de feux d'artifices, un caca, de la bouffe, des smileys qui rigolent et pour terminer par un cœur. Ok, je m'inquiète complètement. Voir même je panique et je ventile et je fais une syncope.
Je laisse passer plusieurs secondes, me demandant s'il va de nouveau m'envoyer un message mystère. Est-ce que c'est un jeu et je suis censé deviner ce qu'il me raconte ? Ça ne m'étonnerait même pas, en fait, même si c'est plus le genre d'Anton. En même temps, pour qu'ils s'entendent aussi bien tous les deux, ils doivent avoir les mêmes délires.
Mes lèvres se pincent jusqu'à ne plus former qu'une petite ligne, et je ne sais toujours pas quoi lui répondre. Même si c'est une blague, j'ai beau essayer de traduire, je ne comprends rien, il n'y a pas de logique.
Moi : Qu'est-ce que tu fais ?
Mes doigts pianotent l'arrière de mon téléphone pendant que je me tue les yeux, dans la pénombre, à regarder mon écran allumé. Mon téléphone vibre enfin dans mes mains, et mon cœur loupe un raté. Eden ne m'a pas envoyé un texto, mais une photo. Il se prend en selfie avec Anton contre lui qu'il le tient en ayant passé un bras autour de sa nuque. Ils sont dans le salon, et la table basse derrière eux est recouverte de verres et de bouteilles d'alcool. Sans parler du tabac qui s'est éparpillé partout, et du joint qu'Eden a coincé entre les dents. Les yeux d'Anton sont remplis de petites veines rouges, et Eden a les traits du visage tirés, ses yeux sont vitreux et ses cheveux en bataille. Je comprends mieux pourquoi il n'arrive pas à écrire de message correctement, la photo parle pour elle-même, ils sont complètement bourrés.
Je me souviens très bien ce que Joly avait dit le soir où Jonas et moi l'avons ramené chez Anton. Elle a dit qu'Eden était bourré ou défoncé tous les soirs. Alors c'est à ça qu'il joue ? Et Anton aussi ? Pourtant, des deux jours que j'ai passés avec eux, je n'ai pas vu Eden fumer une seule fois, et il a bu le soir de Noël, mais tout comme mes parents, ceux d'Anton, ce dernier et Joly. Peut-être que c'est juste une coïncidence, ils font la fête ce soir-là, et c'est tout. Mais maintenant que j'y pense, Eden répond plus rarement le soir, il répond moins vite, mais je n'avais pas remarqué jusqu'ici que ça pouvait être à ce point.
Le cliché me rend tellement malade que je l'efface aussi tôt. Mais que se passe-t-il dans sa vie pour qu'il boive à ce point ? Je me souviens encore de lui, à seize ans, en pleine soirée où tout le monde était plus bas que terre, refuser un simple verre.
Eden : ?????????
Moi : Je vais me coucher, bonne nuit.
Je relis mon message et je suis littéralement en train de transformer la peau au contour de mes ongles en charpie. J'appuie sur envoyer, puis je dépose mon téléphone sur le sol, près de mon lit. Le temps que je me remette bien sur mon matelas, que je cale mon oreiller contre ma joue, mon téléphone se met à sonner. Je me penche légèrement et aperçois le nom d'Eden sur mon écran de téléphone. Il est en train de m'appeler. Je ferme les yeux et je souffle longuement en écoutant la sonnerie de mon téléphone qui résonne dans la pièce. Et je m'endors là-dessus, tendu de la tête aux pieds, et déçu d'une certaine façon, mais je ne saurais dire à cause de quoi.
(..)
- Parle-moi encore de tes amis, me demande Shelly.
Elle pose sa tête contre mon épaule, ses deux mains serrant fortement l'une des miennes, posées sur ses cuisses. Nous sommes dans le métro, et tout ce que je peux faire, c'est regarder les arrêts jusqu'à Bastille comme un décompte prévoyant l'explosion de mon monde tout entier.
- Je t'ai déjà tout dit sur eux...
- Mais je ne veux pas arriver, et galérer à m'intégrer.
Je pousse un léger soupire et tournant la tête à l'opposé de Shelly. Il est vingt et une heure passée et nous allons chez Anton. J'ai finalement dit à Lys que Jonas serait là, et elle m'a avoué qu'elle avait été un peu trop extrême la dernière fois, quand elle m'a dit ne plus vouloir le voir. Je pense qu'en réalité, elle veut prouver qu'elle est forte. Mais d'un autre côté, je suis content qu'elle soit là, cela me fera une bonne excuse pour rester avec elle et éviter de penser à tous les problèmes que peuvent amener cette soirée. J'ai un peu raconté le problème de Lys à Shelly, comme ça, non seulement elle peut se rendre compte qu'il n'y a rien entre nous, et en plus de ça, sa gentillesse a fait le reste, et elle a promis de faire attention à Lys et Jonas, et que si les choses s'enveniment, elle irait occuper Jonas, le temps que je récupère Lys de mon côté.
En ce qui concerne Jonas, il fait comme si tout se passait bien dans le meilleur des mondes. Avec un peu de chance, ils ne se parleront pas de la soirée et il n'y aura pas de problème. Et à vrai dire, ce n'est pas eux qui m'inquiètent le plus. La dernière fois que j'ai vu Danny, il ne m'aimait pas beaucoup, et je ne pense pas que les choses se soient améliorées entre temps.
Je n'ai aucune idée de comment va se dérouler cette soirée, et ça me rend fou. Sous ma chemise en jean, je transpire comme un malade, et je ne cesse de stresser parce que je ne me rappelle plus si j'ai mis du déodorant ou pas. Shelly a l'air tout à fait à l'aise, malgré le fait qu'elle me taraude depuis tout à l'heure pour me dire qu'elle a terriblement peur que mes amis ne l'aiment pas... Elle porte une robe noire avec les épaules en dentelles, qui descend jusqu'à mi-cuisse, puis avec un voile transparent qui va jusqu'à ses pieds. Son dos est tout en dentelle et motifs à fleur, et je dois avouer qu'elle est tout simplement canon avec ses boucles d'ors qui ondulent sur ses épaules.
- Alors, il y a Anton, que tu connais déjà... commencé-je, las. Et puis... Il y a Eden, qui est dans ma licence, mais pas dans mon groupe, et son copain...
- Ils sont gays, me coupe-t-elle.
- C'est plutôt évident, soufflé-je.
Elle hoche la tête, comme si elle notait cette information dans le coin de son esprit.
- Et il y a la sœur d'Eden, je reprends. C'est elle que Jonas et moi avons ramenée d'un bar où elle se faisait emmerder par des mecs...
- C'est elle qui a seize ans ?
- Oui.
En même temps, il n'y a que trois filles à cette soirée, elle, Joly, et Lys. Alors ça laisse peu de choix sur l'unique personne ayant seize ans. Je crois que je suis de mauvaise humeur.
- Et on va en boîte ?
- Oui.
C'est Anton qui m'a prévenu. Je n'ai aucune nouvelle d'Eden depuis cette fameuse nuit où il m'a envoyé des messages codés.
- Mais elle n'a pas l'âge... marmonne Shelly.
Je crois franchement que c'est le cadet de leurs soucis. D'ailleurs, je me demande comment elle a réussi à convaincre Eden, et Anton. Eden n'était pas d'accord, pour des raisons évidentes qui sont celles d'un grand frère protecteur, et Anton ne voulait pas non plus, pour des raisons moins évidentes, mais que j'ai très bien comprises. Aucun doute que la faire rentrer n'est qu'un jeu d'enfant puisque la boîte où nous allons est louée plusieurs fois par an par les parents d'Anton pour qu'ils fassent des soirées privées.
Je hausse les épaules pour toute réponse, et je remarque que nous sommes à trois arrêts de l'impact imminent et de l'explosion de la bombe intérieure qui fait tic tac depuis que nous sommes partis de chez Shelly.
- Et Eden, il est comment comme gars ? Qu'est-ce qu'il aime ? Dis-moi un truc comme ça je pourrai lancer la conversation.
Sur le coup, tout ce que j'arrive à faire, c'est serrer la mâchoire à m'en décrocher.
- Tu sais, tu n'es pas obligée de parler à tout le monde ce soir, je m'entends dire.
Shelly décolle sa tête et me regarde avec insistance.
- Euh... On sera huit, c'est quand même délicat si je ne parle pas un peu avec tout le monde.
Elle sert ma main entre les siennes, et je n'ai qu'une envie, me libérer de cette emprise. Rappelle-toi, Solly, Shelly veut juste bien faire. Et elle y arrivera, parce que c'est comme ça qu'elle est, gentille, souriante et sociable.
- Il aime...
Les feux d'artifices, les gaufres, les films d'horreur, les sweats à capuche molletonnée, envoyer des mms, sa sœur, tenir tête à ma mère, cacher son nez dans mes cheveux et souffler dessus comme si c'était moi qui le gênais alors que c'est lui qui a choisi de se mettre comme ça.
- Le sport. La course à pieds, il en fait beaucoup.
Je lève les yeux au ciel en me détournant. Solly, mais quel gros menteur tu es. Enfin, avec un peu de chance, il aime vraiment ça. Shelly va pour me poser une nouvelle question, mais comme on arrive presque à l'arrêt où nous devons descendre, je me lève d'un bon, l'entraînant avec moi. Je me poste devant les portes coulissantes, elle toujours agrippée à ma main. J'espère qu'elle va me laisser un peu d'air, parce que j'ai pas besoin d'elle pour avoir l'impression d'étouffer, mais comme ça c'est encore pire.
J'en suis presque à lui arracher le bras pour sortir du métro, et remonter à la surface, mais Shelly prend ça comme de l'enthousiasme pour la soirée. Pauvre Shelly. Je ne devrais même pas être là, et elle non plus. Je n'aurais jamais dû accepter, et j'aurais dû me contenter d'une soirée tous les deux. Elle ne mérite pas que je passe cette soirée à penser à tout sauf à elle, à vouloir qu'elle ne me touche pas, qu'elle me laisse broyer du noir dans mon coin. En réalité, je ne sais pas si j'ai les épaules pour supporter tout ça.
Pour supporter de ne pas pouvoir approcher Eden alors que je me trouve à côté de lui. De devoir trouver des sujets de discussions alors que parler est la dernière des choses que j'ai envie de faire avec lui. De voir Danny tout le temps à côté de lui.
Mais plus j'y pense, plus je me rappelle qu'Eden ne me doit rien. Il a le droit d'être avec Danny parce qu'il n'y a rien entre nous. On est juste deux amis proches. Mais je suis avec Shelly, et il est avec Danny, et ça ne changera pas. Il n'attend rien de moi, tout comme je n'attends rien de lui. On a peut-être fait quelques erreurs, mais elles ne représentent rien.
J'ai la mâchoire tellement serrée, alors que nous arrivons devant l'appartement d'Anton, que j'ai l'impression que mes dents sont en train de se fissurer à l'intérieur de ma bouche. Shelly est toujours vissée à moi, elle a lâché ma main pour entourer mon bras, et j'ai l'impression d'être un sac à main une fois que Joly nous ouvre la porte d'en bas et que nous prenons l'ascenseur. Forcément, une fois dedans, je ne peux m'empêcher de me dire que j'ai embrassé Eden sur un coup de tête, ici-même, et que Shelly met les pieds au même endroit où je me tenais, les lèvres scellées à celles d'Eden.
Je tape légèrement du pied alors que Shelly me répète, au moins pour la centième fois, à quel point elle est heureuse de passer cette soirée avec moi et mes amis, et je suis réellement sur le point de vomir lorsque les portes s'ouvrent. Je me dirige vers la porte de chez Anton, et Shelly sonne avant moi, trépignant presque sur place. Il y a de la musique qui résonne déjà à l'intérieur de l'appartement, et plusieurs éclats de voix nous parviennent. Apparemment, personne n'a envie de se porter volontaire pour venir nous ouvrir.
Finalement, la porte s'ouvre enfin sur le visage tout rouge de Lys, ses cheveux violets attachés en un espèce de chignon complexe qui lui fait une couronne tressée sur la tête. Elle porte une robe blanche à bustier, simple mais assez courte, avec des collants en résilles et des talons hauts.
Un grand sourire éclaire son visage alors qu'elle nous voit. Je la vois tendre le bras vers moi, comme pour me serrer contre elle, mais son regard dévie légèrement vers Shelly, et elle se ravise, se contentant de me faire un baiser rapide sur la joue.
- Vous voilà enfin ! Un de vous va pouvoir me remplacer à Just Dance, parce que je n'en peux plus !
Lys se présente assez rapidement, et Shelly en profite pour dire qu'elle adore jouer à Just Dance, et les deux s'en vont vers le salon. Je suis tenté de m'enfuir mais je me contente de fermer la porte derrière moi et d'avancer. Lorsque j'arrive enfin dans le salon,Joly est en train de prendre la veste de Shelly pour l'emmener dans sa chambre, tout en prenant la mienne au passage, et les trois filles disparaissent dans le couloir. Anton est devant la télé, alors que je remarque que la table basse a été poussée pour qu'il y ait un petit espace pour danser.
Puis je les vois. Tous les deux, dans la cuisine, faces à la table haute, devant des bouteilles d'alcool. Eden est en train de servir plusieurs verres en faisant des mélanges, et Danny est posté derrière lui, les mains sur ses hanches et lui déposant des petits baisers sur l'épaule. Je déglutis alors que mes mains se mettent à trembler et qu'un étau resserre mon estomac. Une énorme claque sur l'épaule me fait grandement sursauter alors qu'Anton se matérialise soudainement devant moi.
- Ça va, mon Solly ? Prêt pour faire la fête ?
Je bafouille quelque chose que je ne comprends pas moi-même, et je regarde autour de moi alors que les filles reviennent dans la pièce.
- Où est Jonas ?
- Il n'est pas encore arrivé, m'informe Anton en haussant les épaules. Qu'est-ce que tu veux boire ?
Je suis tenté de lui dire que je ne peux rien avaler, mais à la place, je dis tout autre chose :
- Ce que tu as de plus fort.
Anton hoche vivement la tête, et je m'approche un peu du salon. Les filles sont déjà en train de choisir la prochaine danse sur laquelle elles veulent faire leur preuve, et je ne sais pas comment elles font, mais c'est comme si elles se connaissaient déjà depuis des années. Le temps que je m'installe comme un gros bêta dans le canapé, ignorant les deux tourtereaux dans la cuisine qui n'ont même pas l'air d'avoir capté ma présence, la sonnette de l'entrée retentit et Anton galope ouvrir à Jonas. Jonas, deux bouteilles de champagne dans les mains, arrive en fanfaronnant.
Il fait la bise à tout le monde, et je l'observe attentivement alors qu'il s'approche de Lys. Cette dernière est clairement tendue et regarde partout sauf lui. Jonas, lui, fait étrangement preuve de confiance en lui, et il lui embrasse la joue avec beaucoup moins d'artifice que pour Joly, et encore plus Shelly puisqu'on dirait presque une punition quand il doit lui parler. Lys ne bouge pas alors qu'il fait volte-face et se dirige vers moi en recommençant à jouer les clowns. Il saute presque dans le canapé et m'entoure de son bras.
- Je suis chaud comme la braise ce soir ! clame-t-il à mon oreille.
- Je vois ça, marmonné-je.
Les filles se mettent à danser, et Anton nous tend soudainement deux verres.
- Cocktail maison ! déclare-t-il.
Ouais, je sais très bien qui fait les cocktails ici, j'ai bien remarqué. Jonas attrape son cocktail avec un petit air dubitatif, tout en donnant ses deux bouteilles de champagne à Anton. Je prends mon propre verre, mais je ne le bois pas tout de suite.
- C'est super bon, affirme Jonas à côté de moi après en avoir descendu la moitié d'une traite.
Anton revient de la cuisine, deux verres dans une main, un plat de chips dans l'autre, tandis que Danny et Eden le suivent, portant d'autres verres pour tout le monde. Mon cœur se serre au fur et à mesure qu'Eden se rapproche, et bientôt, je ne supporte plus de le regarder.
- Salut.
Je lève les yeux alors que je m'étais perdu à observer le liquide rose à l'intérieur de mon verre, et je suis surpris lorsque je vois que c'est Danny qui s'adresse à moi. Il me tend la main, et j'ai un long moment d'hésitation avant de la serrer dans la mienne. Cependant, il me dit rien de plus avant de saluer Jonas et d'aller s'asseoir par terre, près de la table basse, et de commencer à se rouler un joint. Eden est en train de déconcentrer Joly alors qu'elle essaye de danser et je détourne le regard.
Il est prévu que nous partions pour la boîte de nuit vers minuit, ce qui veut dire qu'il me reste exactement trois heures et vingt huit minutes de supplice dans cet appartement. Comme je m'y attendais, Shelly s'intègre à merveille, Jonas ne me lâche pas, comme si on s'était pas vu depuis des années, Eden oscille entre aller embrasser son mec ou aller embêter sa sœur, Anton et Lys se chamaillent pour savoir qui détient le meilleur score à Just Dance, et moi, je bois.
Et je sais très bien que ce n'est pas l'idée du siècle, mais c'est tout ce que j'ai trouvé, et mine de rien, ça marche.
Au bout de deux verres, je ne suis plus inquiet pour Jonas et Lys. Au bout de trois verres, j'arrive presque à avoir envie que Shelly revienne vers moi et m'embrasse. Au bout du quatrième verre, ça ne me dérange plus de voir Eden fumer. Au bout du cinquième, j'ouvre la bouche pour la première fois depuis une heure. Et au bout du sixième, je joue aussi à Just Dance en enlaçant ma copine et en l'embrassant furtivement dès qu'elle me passe sous la main. Et plus rapidement que je ne le pense, minuit arrive.
Nous nous retrouvons tous au centre de la pièce, à former un cercle et à sauter sur place, tout en hurlant presque le décompte. Dès que nous clamons zéro, que chacun crie bonne année, Shelly se tourne vers moi et m'embrasse à pleine bouche, ce qui me surprend. Ses mains sont plaquées sur mes joues, et ses lèvres ont le goût sucré des cocktails qu'on a bu toute la soirée. Ensuite, chacun se fait la bise en se souhaitant une bonne année, même Lys et Jonas, même Danny et moi. Par contre, Eden m'évite aussi soigneusement que moi, mais c'est tellement la cohue au milieu de notre petit groupe que personne ne fait attention à nous.
Puis, tout s'accélère. Joly nous rabâche les oreilles pour que nous partions, et tout le monde s'attelle à finir les bouteilles pour ne pas en perdre une goutte, et à aller chercher ses manteaux. Je termine une bouteille de vodka au goulot, alors qu'il ne restait plus qu'une ou deux gorgées dedans, et je file à la salle de bain. Je me sens poisseux de la tête aux pieds, je déteste ça. C'est sûrement parce que j'ai l'impression qu'il fait dix fois trois chaud dans cet appartement.
Je suis en train de me passer de l'eau sur le visage lorsque la porte s'ouvre d'un coup, me faisant sursauter avec un temps de retard, sûrement à cause de mon taux d'alcool dans le sang.
- Tiens, comme par hasard, tu es là... se moque le nouvel arrivant.
Je l'observe un petit temps sans bouger, le visage lisse, les mains toujours sous le robinet d'eau.
- Bonjour, dit simplement Eden.
Il est là, devant moi, avec son large t-shirt noir trop grand pour lui à un tel point que les manches lui tombent sous les coudes, un jean tout aussi noir, ses cheveux en bataille, tombant en mèches éparses sur ses yeux bleus envoûtants et un joint coincé à son oreille.
- Hein ?
- Tu ne m'as pas dit bonjour, aujourd'hui, explique-t-il calmement.
Il a l'air étonnement serein, et alors qu'il ne semblait pas tenir en place au milieu des autres, là, il reste sans bouger, les bras croisés, accoudé au chambranle de la porte. Derrière lui, j'entends le tumulte que font les autres en se préparant pour sortir, mais ce n'est qu'un bruit de fond face au silence qui règne entre nous.
- Toi non plus, finis-je par articuler avec rancœur.
Eden baisse légèrement la tête alors qu'un sourire ironique fait se tendre les muscles de son visage.
- Tu as raison. C'est pour ça que je suis là, et aussi pour te souhaiter une bonne année.
Je détourne les yeux en frottant mes mains sous l'eau, puis en éteignant le robinet.
- C'est un peu tard...
- Solly... souffle Eden.
- Quoi ? dis-je sèchement en me tournant vers lui.
Il me regarde de ses grands yeux ternes, et je ne vois ni le timide Eden, ni l'enthousiasme, ni le faux heureux, ni le tourmenté. Je le vois juste lui, devant moi, sans qu'il n'ait rien à offrir et sans que je n'ai quoi que ce soit à lui donner, et c'est comme si on le comprenait tous les deux en même temps.
- Rien... murmure-t-il en baissant les yeux.
J'aimerais que les choses soient autrement, mais quelque chose m'en empêche. Qu'est-ce que c'est ? Ma fierté ? Ma peur ? Ma lâcheté ? Ou autre chose ? Comme cette impression que je ne serai jamais à la hauteur ? Que je le décevrai parce que je ne suis pas prêt ? L'alcool me fait penser à des choses nouvelles, à un avenir que je ne sais pas si je pourrais supporter, à un moi-même que je cherche encore, à ce que j'ai peur de ressentir, à cette impression d'être encore un enfant qui ne veut pas voir le monde autour de lui.
Je passe à côté de lui, le cœur lourd, tout comme mes jambes qui pèsent trois tonnes alors que j'essaye d'avancer, et je m'arrête à son niveau, en lui jetant un regard en coin.
- Je n'aime pas te voir avec ça, dis-je en mentionnant le joint à son oreille.
Eden se contente de coincer sa langue entre ses lèvres en un geste nerveux, et il ferme fortement les yeux. Je le contourne en faisant attention de ne pas cogner son épaule, et alors que je jette un petit regard en arrière, je le vois prendre le joint et le broyer dans sa main, avant qu'il ne ferme la porte de la salle de bain en la claquant fortement. Je reste un petit moment dos à la porte, dans ce couloir sombre, à me mordre fortement la lèvre jusqu'au sang, et à faire le vide dans mon cerveau.
(..)
Nous donnons nos manteaux au vestiaire, tandis que Shelly, un bras passé autour de ma taille, embrasse le creux de mon cou. Anton est déjà en train de faire la liste des bouteilles qu'il veut acheter au bar, et Lys et Joly ont déjà disparu au milieu de la piste de danse.
La boîte de nuit est pleine à craquer. Comme je m'y attendais, personne ne nous a dit quoi que ce soit pour Joly, d'ailleurs, on a même pas fait la queue. Le videur a reconnu Anton et nous a fait passer en nous serrant à tous la main et en nous souhaitant une bonne soirée. Dès que nous sommes entrés, Eden et Danny nous ont donné leurs manteaux et sont allés nous réserver une table. J'ai peur qu'ils n'y arrivent pas, tellement il y a de monde. La musique n'est pas mauvaise, mais elle est tellement forte qu'on ne s'entend pas du tout à moins de se hurler à l'oreille. La piste de danse est au milieu d'une immense salle recouverte de murs en pierres. Les tables sont disposées tout autour de l'îlot central où les gens se déhanchent en chantant à tue-tête. Le DJ est placé sur une petite esplanade juste au dessus du bar qui fait tout un mur de long, et où cinq barmans sont en train de servir les clients. Encore une fois, alors que Shelly, Jonas et moi, cherchons Eden et Danny, je vois qu'Anton est salué par un des barmans et gruge toutes les personnes qui font la queue pour être servies. J'avais oublié les quelques avantages à être riche.
Jonas nous montre du doigt une table un peu plus loin, et je remarque qu'Eden et Danny sont totalement allongés sur les banquettes en faisant des grands non de la tête aux personnes qui veulent s'asseoir. Nous les rejoignons finalement, et ils nous pressent de nous asseoir autour de la table pour que les personnes qui voulaient nous la piquer s'en aillent. La table, basse et ronde, est placée au milieu d'une banquette qui forme un demi-cercle autour, et des petits tabourets qui forment l'autre moitié. Eden et Danny sont assis l'un à côté de l'autre sur la banquette, ce dernier ayant un bras passé autour des épaules de mon mec. Euh, je veux dire, de son mec.
Jonas se place à côté d'Eden avec beaucoup de naturel, et il commence à lui hurler quelque chose à l'oreille, ce par quoi Eden lui répond par un grand sourire. Shelly me force à m'asseoir alors que j'ai juste envie d'aller me défouler, peu importe comment, et je finis par poser mes fesses sur un tabouret. Anton revient avec trois bouteilles, suivi de près par un barman qui amène des verres sur un plateau. Nous commençons à boire alors que Joly et Lys reviennent vers nous. Joly fait bouger tout le monde pour aller s'asseoir sur les genoux de Jonas – ce que je trouve très osé de sa part – mais ce dernier se raidit de la tête aux pieds, et devient totalement livide. Au moins, il marque un point. Enfin c'est ce que je me dis lorsque je me sens être tiré par le bras et que je remarque que c'est Lys qui essaye de capter mon attention.
Elle se penche vers moi, alors qu'elle est toujours debout, et plaque ses mains contre mon oreille pour augmenter ses chances de me faire comprendre ce qu'elle veut me dire.
- Je peux te parler ? crie-t-elle.
Je me recule et fronce les sourcils, l'interrogeant du regard, mais elle me fait signe de la suivre d'un coup de tête. Je me tourne vers Shelly, qui passe ses doigts sur mon poignet avant de m'attraper par le col de ma chemise pour m'amener vers son visage. Elle m'embrasse avant de me faire un grand sourire et de commencer à se dandiner au rythme de la musique. Je passe ma langue sur mes lèvres, attrape mon verre, que je remplis au préalable, et je me lève. Lys m'attrape aussi tôt par le bras et m'entraîne avec elle, manquant de me faire renverser mon verre alors que nous slalomons entre les gens entassés dans la boîte.
Lys me fait monter des marches cachées derrière le bar, et alors que nous arrivons en haut, et que nous dépassons une file de filles, je percute que ce sont les toilettes. Les portes rouges sur la gauche concernent les toilettes, alors qu'une porte sur le droite mène à une petite terrasse. C'est vers celle-ci que se dirige Lys, et je me rends compte que l'air frais me fait un bien fou. Je touche du bout des doigts l'une de mes joues pour découvrir qu'elle est recouverte de sueur et qu'elle est chaude comme la braise. Lys se laisse choir à une table et souffle comme si elle était soudainement trop fatiguée pour se tenir debout.
Pour ma part, je profite un peu de la vue et observe la tour Eiffel illuminée à quelques kilomètres de là. Ça fait bizarre d'être au calme, tout à coup, et mes oreilles bourdonnent lourdement alors que mon cœur bat toujours au rythme de la musique qui fait vibrer le sol.
Trois filles sont en train de consoler une de leurs compères, assises sur un canapé près du rebord de la terrasse, et un couple se roule des pelles, penché dangereusement au dessus du bord, appuyé contre la rambarde. Je m'approche de la table basse près de laquelle Lys s'est laissée choir, y pose mon verre et je m'assois sur un pouf qui émet un bruit sourd dès que je pose mes fesses dessus. C'est une poire à billes, et me voilà avec l'impression de toucher le sol, et d'être trente centimètres au dessous de Lys. Elle me regarde avec un petit sourire aux lèvres, avant que je ne vois ses joues se teinter légèrement de rose. Elle rougit, pourquoi ?
- Alors, très chère, qu'est-ce que tu voulais me dire ?
Je me sens soudainement bien. Mes veines palpitent à cause de l'alcool que j'ai dans le sang, et je me sens beaucoup plus léger qu'en temps normal. Comme si rien ne pouvait m'atteindre. Comme si j'étais sur un petit nuage.
Lys se penche en avant, avant de remonter son bustier sans se gêner, ce qui me fait éclater de rire. Elle remet en place une mèche de cheveux derrière son oreille, alors que celle-ci s'était échappée de sa couronne de tresses, puis elle sort quelque chose de... son soutien-gorge. Je fronce les sourcils et la regarde comme si elle était en train d'extirper une arme d'entre ses seins.
- Jonas m'a écrit une lettre.
J'ouvre de grands yeux et me redresse aussitôt. Ce qui veut dire, tanguer dangereusement pour me mettre droit, et avoir toujours l'air d'un nain. Parce que les poufs à billes, oui, ça ne te donne jamais l'air intelligent. Lys se cache derrière ses mains et l'enveloppe en papier qu'elle tient, mais j'ai le temps de voir un sourire béat éclairer son visage.
- Et elle dit quoi ? demandé-je avec intérêt.
J'y crois pas, Jonas lui a écrit une lettre ?! Si elle m'autorise à lui en parler, je suis sûr que je vais pouvoir me foutre de sa gueule tout le reste de sa vie avec ça. Lys secoue la tête, apparemment partagée entre l'envie d'éclater de rire et de se cacher. Elle a l'air soudainement tellement adorable que je regrette que Jonas ne soit pas là pour la voir. S'il n'est pas déjà amoureux d'elle, il tomberait sûrement raide dingue à ce moment précis. Pour ma part, je suis immunisé, mon cœur est déjà prit.
- Je l'ai pas encore lu, avoue Lys en me regardant, des étoiles plein les yeux.
Mon visage se tend légèrement. Oui, on dirait que Lys jubile, comme une princesse qui s'apprête à être embrassée par son prince, et elle est trop mignonne, mais j'espère que cette lettre est positive.
- Bah qu'est-ce que tu attends ?! la pressé-je, tendu malgré moi.
Lys fait de grands oui de la tête tout en commençant à ouvrir l'enveloppe avec précaution. Dans mon dos, je croise les doigts pour que Jonas n'ait rien écrit de trop con dans cette lettre. Elle déplie une feuille blanche simple, mais je peux voir au travers que Jonas a écrit sur une face entière. Ses yeux parcourent les mots avec attention, et si, tantôt son visage s'illumine, tantôt il s'assombrit. La voir lire en silence commence à me faire stresser, et je me mets à me ronger les ongles.
Lys relève enfin le regard vers moi, et ses yeux brillent à la faible lumière tamisée présente sur la terrasse.
- C'est une lettre d'excuse, explique-t-elle d'une petite voix.
Je lui fais signe de continuer, tout en posant une main sur son genou, parce que je sens que la suite n'est pas aussi prometteuse que ce que je pensais. Elle fait une petite moue gênée, avant de poser de nouveau ses yeux sur la lettre et la défroisser machinalement.
- Il dit qu'il est un gros con, qu'il ne voulait pas me faire de la peine, et qu'il promet de ne plus m'embêter...
Elle a l'air déçue, et moi, je suis complètement soulagé. Un sourire mesquin étire mes lèvres, et je m'agrippe à ses genoux, manquant de la faire tomber, alors que je m'en sers pour me relever. Elle me regarde en fronçant les sourcils, toujours avec cet air un peu renfrogné.
- Il a promis de ne plus t'embêter, mais pas toi.
Elle hausse un sourcil alors que je lui attrape les poignets et la remet debout d'un coup sec.
- Tu sais ce qui te reste à faire.
- Quoi ?
Son visage n'exprime rien, mais je peux ressentir tout un tas de peurs que je ne connais que trop bien émaner de son corps.
-Lys... Tu le veux, ou tu le veux pas ?
Elle cache une partie de son visage derrière sa main, puis elle secoue la tête.
- Il a dit dans sa lettre que je suis trop bien pour lui, il me met sur un piédestal, il... Je ne suis pas aussi bien qu'il le dit, et si... Et s'il m'a trop idéalisée ?
- Il ne t'a pas idéalisée, raillé-je en prenant un air mauvais. Allez, va lui rouler une pelle, là, qu'on en parle plus.
Lys éclate de rire avant de ranger proprement la lettre dans l'enveloppe et de la cacher de nouveau dans sa robe. Mais comment elle fait ? Il y a autant de place que ça là-dedans ? Lys me regarde longuement avant de passer ses bras autour de ma nuque et de poser sa tête contre mon épaule. Je la sers contre moi tout en titubant légèrement sur le côté, et nous rions tous les deux. Elle se recule légèrement, et avec ses talons, son visage est au même niveau que le mien. Je vois ses yeux balayer les traits de mon visage alors que ses doigts s'enroulent dans les cheveux dans ma nuque.
- Une belle grosse pelle, dis-je en riant.
Lys sourit de plus belle en baissant les yeux.
- Je sais pas si je vais arriver... murmure-t-elle.
- Bon, alors, commence une étape plus bas.
- Ce qui consiste à... commence-t-elle en me laissant finir sa phrase.
- A lui sauter dessus.
Lys pouffe de rire en penchant la tête sur le côté.
- Oups, c'est l'étape au dessus ça, ricané-je.
Elle pose de nouveau sa tête contre mon épaule et m'étreint avec force.
- Merci Solly.
- Je n'ai rien fait... souris-je.
- Tu as été là, et tu sais, parfois, c'est amplement suffisant.
Je passe mes bras dans son dos et dépose un baiser sur sa joue. Elle finit par me lâcher et gonfle fortement des joues, comme si elle s'apprêtait à plonger au milieu d'un champ de bataille. Elle secoue même ses bras dans tous les sens, et essuie le maquillage qui a légèrement coulé sous ses yeux. Elle s'apprête à remonter le bustier de sa robe, et je l'arrête en lui faisant un petit clin d'œil.
- Non, laisse comme ça, il va adorer.
Elle me donne une petite tape sur l'épaule.
- Pervers, va ! Va donc t'occuper de ta copine !
Je lui tire la langue et attrape mon verre que j'avais laissé sur la table. J'ai un peu mal au ventre, mais bon, on va pas perdre un aussi bon champagne, hein ? Lys attrape ma main et m'entraîne vers l'intérieur du bâtiment alors que je finis mon verre d'une traite. Je ne peux m'empêcher de rigoler en voyant toutes ces filles qui font la queue pour aller aux toilettes, et je me félicite d'être un mec. Lys manque de louper une marche alors que nous descendons les escaliers, mais quand nous arrivons en bas, soudainement, j'ai la tête qui me tourne grandement.
Oh putain, j'ai bu le verre de trop.
Il fallait que ça arrive.
Je lâche Lys qui se retourne, surprise, mais je lève mes deux pouces en l'air pour lui donner le courage d'aller régler son histoire avec Jonas, et tandis qu'elle repart vers notre table, je mets ma main devant ma bouche et remonte les escaliers en trombe, c'est à dire, me prenant le mur en pleine face deux fois et en loupant trois marches. Je pousse lourdement la porte des toilettes, et m'engouffre dans la première sur mon chemin. Même si j'ai un goût de bile dégueulasse dans la bouche, que j'ai des étoiles plein les yeux et aussi envie de me foutre à poils parce que j'ai la tremblotte, j'ai le temps de remarquer les portes en bois sculpté qui me font penser aux bois des chalets à la montage, et aussi que les murs blancs sont recouverts de dessins noirs fait à la main.
Accroupi face à la cuvette, je me sens vraiment con. J'ai la tête au dessus des chiottes, les mains agrippées à la lunette et je crache des filets de bile immondes, mais finalement, je ne suis pas malade. Ma vue est floue, et je crève de chaud, sans parler de la sueur qui me recouvre tout le front et la nuque, mais pourtant, je me sens bien. Parce que je n'ai pas vomi. C'est une victoire.
Alcool : 0
Solly : 1
Wouh ! Je lève les bras vers le ciel en signe de victoire, bien que je reste accroupi face aux toilettes. On est jamais trop prudent.
- Ça va, mec ?
Je sursaute tellement fort que mon genou dérape sur le carrelage et que mon menton se cogne de plein fouet sur le rebord des toilettes.
- Aïe, putain !
- Oh, merde... s'exclame une voix, un octave trop haut, signe qu'elle se retient de rire.
Une main posée sur mon menton et avec cette horrible douleur qui a résonné dans toutes mes dents, je me laisse choir le cul sur le sol et lève les yeux. Eden est là, debout, juste devant la porte des toilettes. Je l'observe un long moment, les yeux plissés.
- J'ai pas vomi.
Eden éclate de rire tout en rentrant dans les toilettes, et je remarque qu'il tourne le verrou au passage.
- C'est bien, constate-t-il.
- C'est la vérité, dis-je d'une voix de gamin.
- Je te crois.
Les toilettes sont assez grandes pour qu'on y tiennent à deux, mais pas assis, alors il me tend la main et m'aide à me relever. J'ai toujours une main sur mon menton, mais Eden l'observe, dubitatif.
- Je peux voir ? me demande-t-il en pointant mon menton du doigt.
Je hoche la tête et enlève ma main. Sans me toucher, Eden inspecte les dégâts.
- Tu n'as rien, t'auras peut-être un bleu.
- Cool, c'est sexy les bleus, ça me donne l'air d'un gros dur.
Dès qu'il me voit parler, les yeux d'Eden s'ouvrent légèrement et il cache un rire derrière sa main. Je fronce des sourcils, l'interrogeant du regard. Il pouffe toujours de rire, sa bouche derrière sa main.
- Tu saignes... marmonne-t-il en rigolant.
J'apporte aussitôt ma main à ma bouche, et passe un doigt sur mes dents du bas. Dès que je le sors de ma bouche, je remarque qu'en effet, il est recouvert de sang.
- C'est vrai que c'est sexy...
Eden passe sa langue sur le coin de ses lèvres avant de me regarder longuement dans les yeux. Il tient à peine debout et est sans cesse en train de retrouver son équilibre, et à la façon débraillé dont il est habillé, à ses pupilles dilatées et à sa façon de cligner frénétiquement des yeux, je comprends qu'il est aussi bourré que moi.
J'observe les tâches sombres dans ses yeux, les grands de beauté au coin de ses yeux, les mèches de ses cheveux qui tombent sur son front, et je fais riper ma langue sur mes dents, déversant dans ma bouche le goût métallique du sang.
Puis, sans vraiment savoir pourquoi, ni comment, nos corps se percutent. Ses mains s'agrippent immédiatement à mes cheveux alors que les miennes attrapent son t-shirt et l'attirent vers moi avec force. Dans le même mouvement, nos lèvres se trouvent, et je sens le goût suave de l'alcool et celui plus âcre du tabac. Ma langue passe la frontière de sa bouche avec fougue, et elle rencontre la sienne, ce qui déclenche un frisson de plaisir dans mon corps tout entier. Honnêtement, à ce moment précis, j'ai l'impression de perdre la tête. Je suis incapable de réfléchir à quoi que ce soit, et tout ce que je veux, c'est la bouche d'Eden sur moi, caresser son corps,et m'enivrer de l'électricité qu'il y a entre nous.
Mes mains sont dans tout son dos alors que je le sens trembler contre moi, et à l'idée que c'est moi qui lui fais cet effet là, mes jambes flageolent. Ses doigts agrippent mes cheveux et poussent un peu plus mon visage vers le sien, et il mord fortement ma lèvre avec ses dents. Surpris, je recule légèrement, mon cœur tambourinant comme un fou dans ma cage thoracique, et mon souffle complètement erratique. Sans que nous ne nous en rendions compte, nous avons reculé, et Eden se retrouve acculé contre la paroi, son visage légèrement plus bas que le mien.
Me regardant droit dans les yeux, il tire sur la racine de mes cheveux, et je laisse échapper un petit grognement, auquel il me répond par un soupire sensuel, son souffle glissant sur mes lèvres. Il ferme légèrement les yeux, et penche la tête en arrière, découvrant son cou. Sans hésiter, j'embrasse sa peau fine, avant d'y laisser mes dents, ce qui le fait tirer encore plus sur mes cheveux, et ça me rend complètement dingue.
Mes mains, qui étaient sur ses hanches, descendent, et je me baisse légèrement pour les faire passer derrière ses cuisses et le soulever ensuite à mon niveau, mes mains plaquer contre ses fesses. Eden enroule aussitôt ses jambes autour de ma taille, tandis que ses mains descendent le long de mon torse, chatouillent mon nombril au travers de ma chemise, et enfin, l'attrape pour me l'enlever. Je secoue la tête alors qu'il la fait passer par dessus, et maintenant qu'il est légèrement plus haut que moi, j'attaque de nouveau son cou. Mes baisers n'ont rien d'hésitants, ils dévorent sa peau sans se faire prier, et mes mains restent agrippées à ses fesses.
Eden ondule du bassin contre moi et il émet un petit gémissement dans le creux de mon oreille, ce qui me force à lui mordre la peau de son épaule, à la base de son t-shirt. Ses mains descendent dans mon dos, et je sens ses ongles crisser sur ma chair. Je relève légèrement le visage, et cherche sa bouche. Il me l'offre avec plaisir, me laissant mener la danse, trouver sa langue, caresser ses lèvres, et goûter sa bouche. Nos gestes se font de plus en plus saccadés, son dos cogne fortement contre la paroi derrière lui, son bassin se frotte contre moi et mes mains tremblent, et mon cœur hurle, et mon cerveau s'ébranle, et mes poumons cessent de respirer.
Un énorme éclat de rire me fait arrêter net, et je me fige de la tête aux pieds, les lèvres d'Eden toujours contre les miennes. Plusieurs voix nous parviennent derrière la fine paroi des toilettes, et je n'ose plus bouger. Eden non plus, d'ailleurs. Je sens son cœur marteler sa poitrine tout contre moi, mais soudain, ses mains fébriles se posent sur mes épaules et me repoussent en arrière. Je le laisse descendre alors que ses jambes se dénouent et délaissent ma taille. Une fois sur ses pieds, Eden passe une main sur son front, et je remarque qu'il est pâle. Les voix dans les toilettes se sont éteintes, mais Eden titube fortement, comme si ses jambes lâchaient sous son poids, et je le rattrape de justesse.
- Ça va ? Eden, est-ce que ça va ? demandé-je d'une voix faible.
Sa peau est chaude contre la mienne, mais il grelotte de la tête aux pieds. Il me repousse, mais il ne semble plus avoir aucune force dans ses bras, et il se laisse tomber à genoux sur le carrelage. Machinalement, je m'accroupis à côté de lui, et je passe ma main dans ses cheveux tandis qu'il a les yeux pleins de larmes, et la tête au dessus des toilettes. Le voir dans cet état me retourne complètement alors qu'il essuie la sueur son front d'une main tremblante. Tout comme moi, il ne vomit pas, mais crache plusieurs fois dans la cuvette.
Son souffle est totalement affolé, et ses mains ne cessent d'être secouées dans tous les sens alors qu'il se retourne et s'agrippe à mes bras. Je passe une main sur son front pour dégager ses cheveux, et j'essaye de capter son regard, mais il m'ignore, regardant partout sauf sur moi.
- Eden ? Eden, dis-moi que ça va...
Il fait plusieurs fois non de la tête.
- Je ne me sens pas bien, bafouille-t-il.
- C'est pas grave... le rassuré-je.
J'aurais presque préféré qu'il soit malade, souvent, ça va mieux après. Mais la panique que je lis dans son regard me fait penser que ce n'est pas l'alcool qui le met dans cet état. Ses ongles s'encrent dans ma chair, ce qui me fait presque grimacer, mais il refuse toujours de me regarder.
- Eden, dis-moi ce qu'il ne va pas. Où est-ce que tu as mal ?
Il pose une main tremblante sur son cœur alors que ses épaules sont secouées par des sanglots qui m'effraient totalement. Sur le moment, je sais. Je sais que ce n'est pas l'alcool. C'est comme cette fois là dans les toilettes de l'université. Cette fois où il pleurait, encore et encore, et encore, sans jamais s'arrêter, sans avoir conscience de ce qu'il y avait autour de lui. Il pleure et c'est son âme qui est malade.
Mon cœur agonise presque devant sa souffrance soudaine que je ne sais pas nommer. Et je fais la seule chose que je pense pouvoir faire. Je fais ce qui me paraît logique, ce qui me paraît essentiel, ce qui me paraît le mieux à faire. J'attrape ma chemise à la hâte et l'enfile en me trompant de bouton une fois sur deux. J'espère que personne ne s'en apercevra, mais au pire, je ferai passer ça pour un acte bourré d'un mec bourré. Même si honnêtement, j'ai dessoûlé d'un coup. Une fois ma chemise à peu près droite, j'attrape Eden par les bras et je le remet debout, alors qu'il pleure à chaudes larmes devant moi, sa lèvre inférieure tremblante et ses yeux mi-clos. Il se débat légèrement lorsque je le lâche pour ouvrir les toilettes et que je vérifie rapidement qu'elles sont vides.
Je l'attrape par le poignet après avoir séché ses larmes avec mes pouces, puis je le sors des toilettes.
Il n'y a qu'une seule chose à faire.
La plus logique.
Je dévale les marches en tirant Eden derrière moi, et je cherche fébrilement des yeux notre groupe. Je ne m'attarde pas sur les silhouettes qui dansent sur la piste, même si je reconnais Lys, Shelly et Joly. Non, à la place, je marche jusqu'à notre table, mais il n'y a personne. Le cœur au bord des lèvres, je me retourne, et enfin, je le trouve. Ils sont juste devant le fumoir, tous les trois, en train de discuter vivement, de grands sourires aux lèvres.
Je me faufile entre les personnes qui me séparent d'eux, traînant presque un poids mort derrière moi. Je devrais déjà me réjouir qu'il soit encore capable de marcher, vu l'état dans lequel il est.
Je ne sais pas comment il fait, mais il relève les yeux et croise mon regard avant même que je n'arrive à leur hauteur.
- Danny, l'appelé-je d'une voix blanche.
Le brun fait tout de suite un pas vers moi, passant entre Anton et Jonas, et ses yeux s'écarquillent presque de terreur. Le temps qu'il arrive à moi, je peux voir tout le chagrin sur le visage d'Eden, au point que cela déforme totalement ses traits. Il garde la tête basse et sa main valide est plantée dans son bras, celui que je tiens. Danny apparaît finalement à côté de nous, et il passe ses mains sur les joues d'Eden, le forçant à lever le menton vers lui. Il parle, mais à cause de la musique, je n'entends rien. Danny a le visage ravagé par l'inquiétude, et j'ai soudainement l'impression qu'il partage sa peine. Il doit sûrement savoir pourquoi il est dans cet état, d'un coup. Danny passe sa main dans la nuque d'Eden et cache son visage contre son torse, tout en lui parlant à l'oreille.
Anton arrive finalement près de nous, le visage pâle, et il questionne Danny du regard.
- On rentre, je le ramène, dit-il simplement.
Et sans un mot de plus, il passe un bras protecteur autour des épaules d'Eden et l'embarque avec lui. Anton les regarde s'éloigner, presque sous le choc. Il passe une main sur son visage, tirant sur la peau de ses joues, puis il se tourne vers moi. Il pose sa main sur mon épaule, et la sert fortement.
- Ça va toi ? hurle-t-il par dessus la musique.
J'ouvre la bouche, mais je suis incapable de dire un mot.
La souffrance d'Eden vient de me piétiner le cœur, et il n'en reste que des miettes.
Solly : 0
La vie : 1
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