27. horreur

Je sens le sommeil me quitter petit à petit au fur et à mesure que je reprends conscience. Je me sens cependant encore fatigué, j'ai une crampe dans le mollet gauche, les muscles de mes épaules me tiraillent et j'ai le moral dans les chaussettes. Bien sûr, mon mal être physique n'a rien à voir avec le lit dans lequel j'ai dormi, puisque c'est clairement le matelas le plus confortable sur lequel il m'a été donné de dormir. Je pensais qu'avec la nuit, ce sentiment de déchirure intérieure que j'ai ressenti la veille se serait en allé, mais non, il est toujours là. Le comportement de mes parents, le mien envers Eden. Le tout se mélange pour puiser dans les dernières forces mentales qu'il me reste, et je suis déjà épuisé.

Je me tourne sur le côté alors que je perçois de la lumière au travers de mes paupières. Je n'ai aucune envie de me lever. Je tends le bras sur le côté, et je rencontre un corps. Je n'identifie pas trop ce que c'est exactement, l'esprit encore embrumé par le sommeil, mais je décide de m'y accrocher et je cale mon front contre ce qui ressemble à des hanches. C'est sûrement Eden. S'il est toujours là, c'est qu'il n'est pas si tard que ça. Je ne sais pas pourquoi il y a de la lumière, parce que le soleil se lève hyper tard et Eden a promis qu'il serait parti avant que tout le monde ne se lève, mais peu importe.

- Bonjour à toi aussi, mon Solly. Je savais pas que tu étais du genre câlin au réveil.

Je grogne quelque chose, sans vraiment savoir pourquoi. Je crois, pour laisser le temps à mon cerveau d'analyser la situation, et surtout, comprendre que cette taille que j'entoure de mes bras et contre laquelle j'ai enfoui mon nez n'est pas celle d'Eden. D'ailleurs, ce n'est pas du tout sa voix non plus.

Je me redresse d'un bon au moment où une main me caresse les cheveux comme si on caressait un chien, et j'ai un mouvement de recul tellement violent que je me sens projeté en arrière, sans aucune maîtrise de mon corps, et que je bascule du lit en faisant une espèce de galipette arrière qui n'a rien de glamour, le tout en poussant un petit cri qui n'a rien de viril. Je suis encore par terre lorsqu'un visage se penche sur le bord du canapé-lit, et m'observe avec de grands yeux rieurs.

- Oh putain ce retourné arrière que tu viens de me faire, je suis dégoûté de pas avoir filmé ! se moque gentiment Anton.

Il me tend la main pour m'aider à me relever, et je rampe sur le lit telle une larve. J'en profite pour regarder autour de moi. Les rideaux du salon sont tirés, mais la lumière passe quand même au travers. La télévision est allumée, et Anton tient un imposant casque à la main, qui doit être relié à la TV par Bluetooth. Il était en train de regarder un reportage sur la pêche au saumon, tranquillement affalé à côté de moi dans le lit. Ce mec n'a aucune gêne.

- Quelle heure il est ? marmonné-je en m'asseyant à côté de lui.

- Un peu plus de midi, me répond Anton en coupant son casque.

Le son de la télé nous parvient finalement, alors qu'un petit vieux explique comment on pêchait le poisson dans son temps.

- Ça fait combien de temps que t'es là ?

- J'sais pas, un reportage sur les marmottes des Alpes, un autre sur la reproduction des insectes et celui-là. Tu savais, d'ailleurs, que la mante religieuse femelle bouffe le mâle juste après la baise ? C'est des fous, les insectes. Franchement, si c'était pareil avec les hommes, tu imagines ?

- Pas vraiment, non.

C'est très dur d'avoir ce genre de conversation au réveil. Je passe une main sur mon visage en fermant les yeux, comme pour accélérer encore un peu plus ma phase de réveil, puis je me frotte fortement les paupières. Au moins, on peut dire qu'Eden sait y faire. Je n'ai aucune idée de comment il a fait pour se réveiller avant tout le monde et retourner dans son lit. Je ne l'ai même pas senti se lever, et je n'ai aucune idée du temps qu'il est resté avec moi. Quand je repense à ce qu'il s'est passé avant qu'on s'endorme, mon corps se réveille au quart de tour et un grand frisson me secoue tout le corps.

- T'as froid mec, tu veux que je t'amène un sweat ?

- Hum, non, ça va.

Je me gratte le coin du nez en toussotant, et touche discrètement la peau de mes joues pour voir si elles ne sont pas trop chaudes et que je ne rougis pas. Parce que ce frisson n'est pas du tout un signe de froid, au contraire. Et comme un signe du destin, c'est ce moment que choisit Eden pour sortir de sa chambre. Il porte une chemise ouverte sur son torse, les manches descendant jusqu'à ses doigts, un short gris de sport en bas et les cheveux tout en bataille. Il passe sa main dans sa nuque en baillant et semble approcher du canapé déplié où nous nous trouvons en mode radar.

Il baille de nouveau tout en se laissant tomber en travers d'Anton, qui pouffe de rire et l'accueille en lui donnant une tape sur les fesses. Eden se décale et se place, avec beaucoup de naturel, je l'avoue, entre Anton et moi. Eden a encore une de ses jambes en travers de celles d'Anton, mais ça ne semble choquer aucun des deux.

- Bien dormi ? demande Anton à son meilleur ami.

- Comme un loir, répond Eden.

Anton fronce les sourcils, comme s'il ne le croyait pas, et ils échangent un regard, ce qui empire les choses.

- T'es malade ?

Eden secoue imperceptiblement la tête, et je me sens soudainement de trop. Ils sont en train de communiquer en silence, et je me sens carrément mal quand Eden lance un petit coup de tête dans ma direction et qu'Anton baisse les yeux en signe de résiliation. Est-ce que Eden a du mal à dormir la nuit ?

- Ok, cool, marmonne-t-il finalement, toujours pas convaincu.

Eden se tourne vers moi avec cet enthousiasme feint que je déteste voir chez lui.

- Et toi, bien dormi ?

- Hein ? Moi ? Quoi ?

Mon cœur se met à battre un peu plus vite avant que je ne comprenne que la question d'Eden ne contient aucun sous-entendu. Je pique un far en faisant mine de m'intéresser au reportage à la télé.

- Euh, oui, très bien.

Anton donne une grosse tape sur le mollet d'Eden avant de le virer sans méchanceté de sa jambe et de se lever.

- Qui a faim ? J'ai une dalle de fou, je crois qu'il me reste des piments...

- J'en prends un ! déclare Eden en levant la main.

- Ok, deux piments, c'est noté ! Solly, un piment ?

Je les regarde, les yeux légèrement plissés, en me demandant clairement s'ils sont fous. Eden se penche alors vers moi, un petit sourire malin sur les lèvres.

- Il dit piment, mais il veut dire croissant, c'est la seule chose qu'il nous reste pour le petit-déj'.

Je hoche la tête, pas vraiment sûr de comprendre. Ça me fait étrange de les voir comme ça. Alors oui, j'ai déjà vu Eden et Anton tous les deux, le plus souvent en soirée, complètement bourrés, mais en réalité, ils ont une complicité qui me réchauffe le cœur. Parce que je me sens mieux de savoir qu'Eden peut avoir quelqu'un comme Anton à ses côtés. Je ne sais pas ce qu'il se passe actuellement dans sa vie, mais Eden n'a pas l'air de très bien allé, mais Anton prend soin de lui, et c'est déjà ça.

- Oh, alors j'en veux un aussi, dis-je à l'intention d'Anton.

Il lève son pouce en l'air en me faisait un clin d'œil et galope presque jusqu'à la cuisine. Il s'affaire dans les placards alors que la table haute qui sépare le salon de la cuisine est recouverte de cadavres de bouteilles et d'assiettes sales. Si j'y regarde de plus près, d'ailleurs, je peux constater que l'appartement est dans un piteux état. Je tente même un regard vers le sol, près de la table basse au bout du canapé-lit, et oui, il est recouvert de miettes. Nos parents sont peut-être riches, mais aucun doute qu'ils mangent comme des porcs.

Eden se tourne vers moi, alors que mon regard reste sur Anton qui ne s'occupe plus du tout de nous. Je ne regarde pas Eden, et pourtant, de le savoir dans mon champ de vision en train de me regarder me fait fourmiller de la tête aux pieds. C'est encore pire quand je sens son petit doigt contre ma cuisse. Surtout que je ne suis qu'en caleçon et que putain, il y a trois minimètres de sa peau en contact avec la mienne et j'ai l'impression d'être l'esclave du geste le plus sensuel de ma vie. Et le pire, c'est que je ne veux pas qu'il s'arrête.

Je n'ai toujours pas le courage de le regarder, et beaucoup de questions me trottent dans la tête, mais tous mes sens sont accaparés par son petit doigt qui descend jusqu'à mon genou et je me retrouve à pousser un soupire d'aise.

- Le petit-déj' est servi !

La voix d'Anton me sort soudainement de cet état second dans lequel le geste d'Eden m'avait plongé, et je sursaute comme un idiot pris la main dans le sac. En gros, plus suspect, tu meurs. Eden enlève sa main sans précipitation alors qu'Anton revient vers nous, slalomant entre les chaises et la table du salon, trois assiettes dans les mains, comme un serveur. Sur le coup, je suis obligé de ramener subitement la couette sur mes jambes, parce que franchement, ce début d'érection ne me réussit pas du tout. J'ai une pointe au cœur qui me fait flancher, et en même temps, j'ai envie de plus.

Anton s'assoit sur le lit en nous tendant à chacun une assiette. Il a coupé les croissants en deux et a tartiné les deux moitiés avec du nutella. Je n'y aurais jamais pensé, mais Anton peut être un super hôte, en réalité. Si j'y réfléchis bien, toutes ses soirées ont toujours eu un succès monstre, il prend toujours le temps de saluer tout le monde et s'assure que personne ne manque de rien.

Eden s'accoude au bord du canapé dans son dos et étend ses jambes sur le lit devant lui, l'assiette posée sur ses cuisses. Une silhouette sort alors du couloir pour se diriger vers la cuisine en pilote automatique. Joly ouvre le frigo, et Anton se retourne immédiatement, se dévissant le cou pour l'apercevoir.

- Je t'ai préparé un croissant, sur la table, lui dit-il.

Joly marmonne quelque chose, la tête dans le frigo, et je crois que ça ressemble à des remerciements. Elle referme la porte, attrape son assiette et vient vers nous. Eden la regarde, la bouche pleine, et j'ai comme l'impression qu'il y a des petites étoiles d'admiration qui dansent dans ses yeux. Je me souviens qu'Anton m'avait dit qu'Eden n'a donné son cœur qu'aux deux femmes de sa vie. La première est sans aucun doute Joly, vu comment il la regarde avec amour et attention. Mais la deuxième, je ne sais pas. Est-ce qu'il parle d'un amour de jeunesse, ou bien de sa mère ? Je n'en sais pas assez sur Eden pour savoir s'il n'aime vraiment que les hommes ou s'il a été capable d'avoir une histoire avec une femme. Et il ne m'a parlé qu'une seule de fois de sa mère, pour me raconter leur sortie aux feux d'artifices.

Joly s'assoit au bout du canapé, en tailleur, et croque sans ménagements dans son croissant. Eden a les yeux rivés sur elle, comme si, depuis le moment où elle est entrée dans la pièce, elle est devenue le centre de son monde. Cette dernière lui lance d'ailleurs un regard au travers de ses cils, peu commode, comme si elle lui demandait d'arrêter de la regarder de cette façon.

- Bon, mes parents ont tenu leur promesse, ils sont décommandé la femme de ménage, se plaint Anton, la bouche pleine.

- Oh non, râle Joly.

Eden hausse les épaules.

- On ira assez vite à trois.

- A quatre, ajouté-je. Je vais vous aider.

Mes pensées ont dépassé ma parole, mais dans le fond, ça ne me gêne pas du tout de rester un peu plus. Eden se tourne vers moi, avec son véritable sourire heureux, et ça me fait fondre un peu plus.

- C'est vrai ? T'es vraiment un amour, roucoule Anton.

- Il faut aussi qu'on fasse des courses, marmonne Joly.

- On nettoie tout, puis j'irai, affirme Anton.

- Hors de question ! Toi, faire les courses, ça veut seulement dire acheter des pizzas pour quinze jours. Je vais venir avec toi, comme ça, on va acheter de la vraie bouffe.

- Comme tu veux, répond Anton en haussant les épaules.

Je me doute que dans le fond, il doit être content que Joly l'accompagne. Bien que j'imagine mal Anton jubiler intérieurement comme une gamine de douze ans qui a rencart avec le beau gosse du lycée. Si, en fait, je l'imagine exactement comme ça. D'ailleurs, je vois qu'il cache son sourire derrière son croissant.

-Solly, tu restes avec nous ce soir ? Je vais te cuisiner un vrai repas, pour me racheter de celui d'hier soir, ok ?

- Et on pourrait regarder un film d'horreur ! crie presque Eden à côté de moi.

Son enthousiasme soudain, et le fait qu'il ait parlé plus fort que de raison, créer un blanc entre nous quatre, et tous les yeux sont rivés sur lui. Eden se met immédiatement à rougir, mais avant que sa sœur ou Anton ne puisse dire quoi que ce soit, j'ouvre la bouche :

- Avec plaisir, j'ai hâte de goûter ta cuisine, Anton, et je dis pas non à un petit film d'horreur non plus !

J'ai envie de faire un clin d'œil à Eden, parce que j'ai envie d'être complice avec lui, mais il y a trop de monde autour de nous alors je me contente d'un grand sourire. Anton gobe ce qu'il reste de son croissant en une bouchée, et joue des muscles devant nous, les bras au dessus de sa tête, gonflant ses biceps.

- Ok, alors y'a plus qu'à !

(..)

Cela ne nous a pris qu'une heure pour ranger l'appartement, et le nettoyer. Il a été décidé que le canapé-lit resterait déplié, ce qui, je crois, veut dire que je suis destiné à dormir une nuit de plus chez Anton – bien sûr, je ne m'en plains pas –, puis nous avons tout mis à la poubelle, récurer les tables et passer l'aspiration. C'est vrai qu'à quatre, tout est allé très vite. Ensuite, j'ai été témoin d'une petite prise de bec entre Eden et sa sœur, parce que la robe qu'elle portait était trop courte. Et enfin, ils sont finalement partis faire les courses.

Je n'ai aucune idée de combien de temps ça va leur prendre, mais j'espère qu'ils se perdront dans les rayons et ne trouveront jamais la sortie. Je suis sûr qu'Anton serait content. Joly aussi par la même occasion. A moins qu'ils en soient toujours au stade de leur relation où Joly a envie d'étriper Anton.

La porte se ferme derrière eux, et pendant un moment, Eden et moi restons interdits, debout dans le salon. Quand on est à deux, rien que tous les deux, tout me paraît tellement différent. Mes oreilles bourdonnent, mes sens sont en alerte et tout mon corps réclame quelque chose de bien particulier sans vraiment que je ne sois capable de dire quoi. Je suis dans l'attente. Dans l'attente de quoi, je n'en sais rien.

Soudain, je sens deux bras passer autour de ma taille, et des mains jointes se referment sur mon ventre. Eden pose son menton contre mon épaule, et je sens son souffle chaud dans mon cou. Il ne porte toujours que sa chemise ouverte sur son torse nu, et à l'idée qu'il ait sa peau contre moi me donne envie d'arracher mon t-shirt pour que nous soyons chair contre chair.

- T'es sûr que ça ne te dérange pas de rester ? demande Eden.

Je sens son nez frotter les os de ma clavicule, et mon corps entier frissonne de bien-être. Je me sens détendu, et j'en suis le premier surpris. Là, au beau milieu d'un appartement, nous sommes dans les bras l'un de l'autre, et je prends conscience que ça fait bien longtemps que je ne me suis pas senti aussi bien.

- Bien sûr que non, et j'ai un pari à gagner !

Je le sens sourire contre moi alors que son visage s'approche de mon cou. Mes mains quittent mes cuisses où elles se cramponnaient, etg lissent le long de ses bras avant de se poser sur les siennes. Ses doigts s'enroulent aux miens et il me sert plus fort contre lui.

- Parce que tu es sûr de ça ? sourit-il, dans ma nuque. Tu sais quoi, je vais te laisser un avantage et choisir le film, parce que j'ai plutôt l'impression que toutes ces gaufres gratuites seront pour moi.

Il tire soudainement en arrière et se détache de moi, même si ses doigts se referment sur le bord de mon t-shirt pour m'emmener avec lui. Heureusement, j'ai enfilé mon pantalon quand on a commencé à ranger l'appartement, sinon, je serais dans un bien bel état, et j'avoue, ça me met mal à l'aise de savoir qu'Eden pourrait le remarquer. Je sais déjà tellement peu où j'en suis que j'ai pas besoin qu'il prenne conscience que c'est la java dans mon caleçon.

Il m'entraîne jusqu'à sa chambre avec un naturel que je lui envie,c omme si nous étions toujours comme ça tous les deux. Comme si on était chez nous.

Sa chambre fait au moins deux fois la mienne, et Eden, dès qu'il rentre, pique un far en allant rapidement ranger les caleçons qui traînaient par terre. Apparemment, il n'avait pas prévu que je vienne dans sa chambre aujourd'hui. C'est la première fois que je peux vraiment voir la pièce. Les deux fois où j'y ai mis les pieds, il faisait sombre, ou bien j'étais bourré. Le lit est collé contre le mur sur la droite, juste sous la fenêtre qui est grande ouverte aujourd'hui. La petite table de chevet contre le lit et sur le mur d'en face, un immense placard mural qui fait toute la longueur. A gauche de la porte, il y a une imposante bibliothèque recouvertes de dvds et de livres.

Les murs sont peints en blanc cassé, et le mobilier est en gris, mais je pense que ce sont surtout les couleurs des parents d'Anton. Sur les murs, il y a quelques posters de films, et surtout, beaucoup de photos. Je ne veux pas avoir l'air intrusif, alors je ne m'approche pas pour dévisager les visages présents sur les clichés. Eden est assis en tailleur face à sa bibliothèque. Le meuble n'a aucune logique, les planches de bois partent dans tous les sens et les livres et dvds reposent donc de travers. Les livres sont d'ailleurs sur le haut, c'est pour ça qu'Eden est assis sur le sol, la tête penchée sur le côté, son index glissant sur les différents boîtiers devant lui.

- Assis-toi, me dit Eden en pointant distraitement du doigt le lit.

Il a l'air totalement concentré à ce qu'il fait, alors je vais m'asseoir docilement sur son lit défait. Il commence à sortir quelques dvds de leur emplacement, s'en remplit les bras, et vient finalement vers moi. Il saute sur son lit, se retrouvant derrière moi, et il laisse tout tomber sur mes genoux. Dans la seconde qui suit, je sens ses genoux cogner dans le bas de mon dos, et ses bras passent autour de ma nuque, son menton sur mon épaule. Je suis encore mal à l'aise, et pourtant, lui, agit comme si tout était normal, comme si on se comportait comme ça tous les deux depuis des années. Eden est timide, mais il est plus à l'aise que moi, là, maintenant.

Restant le torse collé contre mon dos, il ramasse les différents boîtiers qu'il a fait tomber sur mes genoux, et les place sur mes cuisses bien distinctement.

- Alors, je te propose... commence-t-il en soufflant sur mes cheveux au dessus de mon oreille. Celui dont on a parlé l'autre jour, l'Exorciste, un classique... En plus récent, j'ai Annabelle, ou bien Sinister. Ou bien Paranormal Activity, le premier, le reste fait pas vraiment flipper.

Ok, rien que de regarder les jaquettes, j'en ai des sueurs froides. Et j'avoue que l'enthousiasme d'Eden me fait encore plus flipper. Comment il peut prendre du plaisir à regarder ce genre de films ? J'ai envie de choisir au pif parce que je me dis que de toute façon, il n'y en a aucun qui rattrapera les autres. Je crois que j'ai réellement perdu ce pari avant même de l'avoir joué.

- On fait moins le malin, hein... ricane Eden.

Je sens ses lèvres effleurer mon oreille, et sur le coup, je dois avouer que je ne sais plus ce que je fais ici, où j'habite et encore moins comment je m'appelle. Je ferme brièvement les yeux, et lutte contre moi-même pour reprendre mes esprits.

- Ok, celui-là, dis-je finalement en pointant du doigt le premier dvd que je vois en ouvrant les yeux.

- Paranormal Activity ? s'exclame Eden en se détachant de moi.

J'ai envie de tendre les bras en arrière pour le ramener contre moi, mais je ne fais rien. A vrai dire, il est en train de se rouler dans son lit, apparemment de satisfaction.

- Tu es fini ! crie-t-il de joie. A moi les gaufres gratuites !

Je lui donne une petite tape sur le ventre avec le boîtier du dvd et je prends un petit air renfrogné.

- Le marché, c'est que je dois regarder le film en entier, non ?

Eden arrête de gigoter comme un enfant de trois ans qu'on veut forcer à aller au bain alors qu'il n'en a pas envie, et il pose ses mains sur son ventre nu. Les pans de sa chemise ouverte reposent sur le côté, et putain de merde, ça me laisse une vue encore plus importante de son torse. Est-ce qu'il le fait exprès ?

- Tu n'as pas le droit de te cacher non plus, sourit-il.

Ses cheveux lui tombent devant les yeux, et ce petit sourire mesquin qui étire ses lèvres a le don de me rendre fou sur le coup. Je ne sais pas ce qui me prend, mais je pose la jaquette du dvd à côté de moi, et, à quatre pattes, presque comme un fauve, je me rapproche de lui. Il me regarde arrivé, les yeux mi-clos, son sourire s'effaçant légèrement, comme s'il était soudainement concentré à autre chose. Mon regard glisse sur le bas de son ventre, son nombril, pour remonter jusqu'à son torse, et enfin à ses yeux, tandis que je me place au dessus de lui. Eden m'observe en silence, se mordant la lèvre inférieure.

- Tu aimes les gaufres à ce point ? lui demandé-je dans un souffle.

Mes mains sont posées de chaque côté de son visage, et il lève les siennes pour les passer autour de ma nuque. Je sens ses doigts jouer avec les cheveux à la base de ma nuque, et je laisse échapper un petit soupire surpris.

- Oui... murmure-t-il.

Je me retrouve à sourire comme un idiot, mais je me fige en sentant ses mains descendre le long de ma colonne vertébrale. Même au travers de mon t-shirt, elles me font un effet de fou, et je me sens tellement vulnérable, à ce moment précis, que mon dos se cambre, le forçant à me frôler avec plus de délicatesse encore. Son regard ne me quitte pas, et je ne sais pas comment il fait, parce que je me sens rougir de la tête aux pieds, et mon corps est en train de me hurler de me foutre à poils tandis que ma raison me rappelle que j'ai envie d'être un bon petit ami et qu'en dehors de cette pièce, je ne serais pas capable d'assumer quoi que ce soit.

Eden doit voir dans mon regard que quelque chose cloche, puisque ses mains, arrivées à mes fesses, s'enlèvent de mon corps. Il les garde au dessus de moi, le visage éclairé par ce qui ressemble à de la culpabilité. Je n'ose même pas imaginer ce qu'il voit sur le mien, parce que sur le coup, je me sens plus bas que terre. Je me laisse choir à côté de lui, et je pose mes mains sur mes yeux. J'entends Eden à côté de moi essayer de reprendre une respiration normale. Je ne m'étais pas rendu compte qu'elle était aussi erratique. Les minutes s'écoulent lentement sans qu'aucun de nous ne parle, et je me rends compte que son corps me manque tout autant que j'ai envie de me foutre des claques.

- Est-ce que tu vas t'enfuir en courant si je te dis que j'aime être dans tes bras ? murmure finalement Eden.

Sa voix est à peine audible que pendant une fraction de seconde, je me demande si je ne l'ai pas imaginée. J'enlève les mains de mon visage et je laisse le temps à mes yeux de se réhabituer à la lumière, tandis que des milliers de tâches noires m'obscurcissent la vue. Je me tourne finalement vers lui, et je le découvre, allongé sur le côté, son bras plié sous son visage, sa joue reposée sur son coude. Il m'observe avec attention, et la pointe de crainte que je vois dans son regard le ramène à cette timidité qui le plaît tant chez lui.

- Non, soufflé-je.

Un sourire éparse éclaire son visage, mais il le cache rapidement en enfonçant son nez dans le creux de son coude.

- Ok, alors oublie ce que je viens de te demander.

- Pourquoi ?

- Oublie, je te dis.

Je souris pour moi-même et, allongé sur le dos, je hoche la tête. Mon regard reste rivé sur lui alors qu'il tend la main vers moi et passe délicatement sa paume sur mon visage, me forçant à fermer les yeux.

- Tu as oublié ?

- Oublier quoi ?

Je l'entends pouffer de rire alors que je garde les yeux fermés et que je sens ses doigts passer sur ma joue, puis descendre dans mon cou,e t enfin, se poser sur mon torse. Il y a un nouveau silence, mais il n'est pas gênant ou plombant, comme celui d'avant. Je sens ma respiration se caler sur celle d'Eden alors que sa main est toujours sur mon torse et qu'elle se soulève au même rythme que les battements de mon cœur.

- J'aime vraiment être dans tes bras, dit-il finalement à voix basse.

J'aimerais vraiment lui répondre que moi aussi, mais les mots refusent de franchir mes lèvres. A la place, je me tourne vers lui, je passe mon bras sous sa nuque et je l'attire contre moi. Aussitôt, tout comme cette nuit, il se laisse aller contre moi, cachant son nez dans mon cou, et sa respiration se fait plus paisible. Je sens ses bras se refermer autour de ma taille, et ses jambes s'entremêlent aux miennes.

Nous restons un long moment dans cette position, mon pouce traçant des cercles entre ses omoplates, et ses doigts jouant avec les cheveux dans ma nuque. Son souffle percute la peau de mon cou et l'embrase, et mon cœur bat la chamade, à l'unisson avec le sien.

Soudain, j'ai un éclair d'illumination. Ce n'est peut-être pas le meilleur moment pour, mais je l'ai repoussé toute la soirée d'hier, et je crois que si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais.

- J'ai quelque chose pour toi, dis-je à son oreille.

Sans me lâcher, Eden se recule et il m'observe de ses yeux calmes. Il a l'air légèrement méfiant, et ça me fait sourire.

- Ne bouge pas, ajouté-je en me penchant en avant.

Je laisse glisser mon nez contre le sien en fermant les yeux, et lorsque je me décolle finalement de lui, je remarque qu'il avait fermé les siens aussi. J'enjambe son corps et traverse la chambre en quatrième vitesse afin de retourner dans le salon. Je repère immédiatement mes vêtements sur le rebord du canapé. Où est-ce que je l'ai mis déjà ? Je fouille les poches de mon veston, puis de ma veste. Hier soir, il était dans la poche de mon pantalon, mais je l'ai mis ailleurs. Je le trouve finalement dans une poche intérieure de ma veste de soirée et je sers le petit objet recouvert de papier cadeau entre mes doigts. Et s'il trouve ça nul ?

J'hésite, puis finalement, je prends mon courage à deux mains, et retourne dans la chambre. Je suis surpris de voir qu'Eden s'est changé, et qu'il porte maintenant un de ses larges sweats à capuche. Il l'a sur la tête d'ailleurs, et est assis sur son lit contre le mur, la tête penchée en arrière sur sa fenêtre ouverte. On dirait qu'il regarde le ciel. Dès qu'il m'entend entrer, il se remet droit et fronce un peu plus les sourcils. Je vais m'asseoir en face de lui sur le lit, ma main fortement serrée sur le cadeau que je garde caché dans ma paume.

Je me place en tailleur et prends une grande inspiration. J'ai très chaud, et j'ai de moins en moins l'impression que c'était une bonne idée. Eden penche la tête sur le côté, et un sourire nerveux étire ses lèvres. J'avale difficilement ma salive, et, sans le regarder, je tends la main vers lui, paume vers le ciel.

- Joyeux Noël.

Il ne se passe rien pendant ce qui ressemble à une éternité, et je sens finalement les doigts d'Eden saisir avec précaution le petit paquet cadeau que j'avais entre les mains.

- Tu m'as acheté un cadeau ? demande-t-il, incrédule.

- Non, enfin si, euh, mais c'est rien, enfin, c'est peut-être complètement ridicule.

Eden éclate de rire avant de baisser les yeux sur le petit objet emballé qu'il tient entre ses doigts. Son visage s'assombrit alors qu'il me regarde à nouveau.

- Je ne t'ai rien acheté. Oh merde, je suis tellement nul...

Un éclair de panique traverse son visage, et il se redresse, comme s'il était prêt à sauter du lit.

- Putain, quel con, Solly, je suis désolé, je ne pensais pas que...

Il va pour se lever, apparemment au bord de la crise d'angoisse, et je veux lui attraper le bras pour l'empêcher de bouger, mais il est plus rapide et a déjà quitté le lit d'un bon, regardant frénétiquement autour de lui, comme s'il cherchait quelque chose.

- Je vais... Je vais te trouver un truc... Enfin, pas un « truc » mais un vrai cadeau, et euh...

Je fais volte-face lentement alors qu'il retourne les fringues posés par terre, sûrement à la recherche de son portefeuilles. Je me lève tout doucement, et je m'approche de lui, posant mes mains sur ses poignets.

- C'est pas grave, je m'en fiche, je ne te fais pas un cadeau pour que tu m'en fasses un en retour.

Eden relève les yeux vers moi, et j'ai presque l'impression qu'il est sur le point de craquer. Ses yeux sont brillants et ses joues rougies, même le bout de son nez a pris une teinte plus rosée. Il ferme fortement les yeux, tellement que ça déforme les traits de son visage et fait apparaître un pli inquiet sur son front. Il se penche vers moi, posant sa tête contre mon torse, et il me fait lâcher ses poignets pour passer ses bras autour de ma nuque.

- Je me sens... Je me sens tellement nul, bafouille-t-il contre moi.

- Ouvre ton cadeau, et on verra qui se sent le plus nul après, souris-je avec ironie.

- Je suis sûr que ton cadeau est super.

- Pas moi.

Il se redresse légèrement, ses mains se posent sur mes épaules, puis il les ramène vers lui, les yeux rivés sur le cadeau entre ses mains. Il fait une petite moue dubitative avec sa bouche, et il enlève délicatement le papier cadeau autour de l'objet caché à l'intérieur. J'ai le cœur en compote, prêt à imploser littéralement, de peur qu'il soit déçu, ou qu'il trouve ça naze.

Comme il a la tête baissée, je ne vois pas l'expression de son visage, et je me sens tendu de la tête aux pieds. Là, au milieu du papier cadeau froissé, gît un petit porte-clé en forme de feu d'artifices. Une sphère orange et rouge semble exploser sur un petit morceau de pcv souple. L'objet fait certes un peu toc, mais l'illusion est plutôt bien faite, et il m'a tout de suite fait penser à Eden quand je l'ai vu. Alors je l'ai acheté, sans vraiment avoir l'envie au début de lui offrir. Je me voyais bien le garder pour moi, si je n'avais pas eu l'impression de trahir quelqu'un d'autre en le faisant.

Eden sert soudainement le porte-clé avec force entre ses doigts. Je vois ses épaules trembler légèrement alors qu'il cale de nouveau son front contre mon torse. Je fais machinalement glisser mes mains sur ses bras jusqu'à son coude, et remonte sur ses épaules qui sont secouées par de petits sanglots. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens une pointe qui transperce mon cœur et mon souffle se bloque dans ma gorge. J'ai envie de le blottir encore plus contre moi, parce que je sens, au plus profond de mon âme, qu'à ce moment précis, Eden ne se sent pas bien. Je ne pense pas que ce soit mon cadeau, mais plutôt ce qu'il représente, ou alors peut-être que ça réveille quelque chose de plus profond en lui. En tout cas, ces sanglots le ravagent autant qu'ils me ravagent.

Mais alors que je passe ma main dans sa nuque, il relève les yeux vers moi, et ils sont pleins de larmes qui refusent de couler. Ses deux mains montent le long de mes côtes, passent dans ma nuque, et se posent sur mes joues. Elles ont fait ce chemin avec une lenteur désespérée, et c'est aussi doucement qu'il se met sur la pointe des pieds pour approcher son visage du mien. Il ferme les yeux, et les traits de son visage paraissent beaucoup plus sereins. Je pense que c'est sa façon de me remercier, et je n'ai pas le cœur à lui dire non à ce moment précis. Il attire mon visage vers le sien, tout doucement, sans aucune force ni précipitation, et quand je sens la pointe de ses lèvres effleurer les miennes, que je perçois presque le goût de sa bouche, un gros bruit sourd résonne dans l'appartement, nous faisant sursauter tous les deux.

- Mais arrête, je t'ai dit ! Je peux porter un pauvre sac de course, c'est pas parce que je suis une femme que je n'ai aucune force !

- Ça s'appelle la galanterie, madame ! Et t'es pas une femme, t'es une vilaine mégère !

- Je vais te pourrir, Anton Monty...

- Tu fais que ça depuis tu habites ici !

Le ton monte rapidement, et le visage d'Eden se durcit. Apparemment, les courses n'ont pas été de tout repos pour Anton et Joly. Eden frotte rapidement ses yeux avec la manche de son sweat, les doigts de sa main toujours serrés sur le porte-clé.

- J'ai jamais demandé à venir habiter ici, je te signale ! hurle presque Joly.

- Si tu crois que c'est un plaisir de t'avoir toujours en train de râler ! lui répond Anton sur le même ton.

Eden fait subitement volte-face et sort de la pièce, le visage fermé. Sur le coup, j'ai plutôt envie de me planquer parce que les gens qui se disputent, ce n'est vraiment pas mon truc. J'ai les jambes qui ont la tremblote alors que je sors de la chambre, mais je suis bousculé par une silhouette qui a l'air terriblement en colère, et qui est suivie de son frère, qui n'a pas l'air vraiment content non plus.

- Tu déconnes, Joly, j'espère ? assène Eden.

La plus jeune claque la porte de sa chambre derrière elle, mais Eden, sans le moindre scrupule, l'ouvre à la volée et la claque derrière lui.

- T'as conscience d'où tu serais si Anton ne nous avait pas aidé ? Tu veux que je te le rappelle ? s'énerve Eden.

Je perçois à peine sa voix au travers de la cloison, et je décide que ce n'est vraiment pas bien d'écouter aux portes. Je me dirige vers le salon, où je trouve les sacs de course laissés en plan au milieu du salon, et Anton, debout face à la table haute qui sépare le salon de la cuisine. Il a les coudes posés dessus, et sa tête entre ses mains. Lorsqu'il prend conscience de me présence, il se redresse, et je remarque que ses traits sont lasses et fatigués. Je m'approche doucement de lui alors qu'il passe une main sur son visage en se redressant. Il donne soudainement l'air d'avoir dix ans de plus.

- Tu veux en parler ? demandé-je à voix basse.

Il hausse les épaules en s'accoudant à la table dans son dos. Je croise les bras, debout à côté de lui, et garde un air affligé. Ça me fait étrange de voir Anton aussi abattu.

- J'ai fait une énorme bourde, marmonne-t-il.

Il ferme les yeux et souffle longuement par le nez.

- Non, en fait, j'en ai fait deux. La première a été de laisse rentrer Joly dans ma chambre cette nuit, et la deuxième, c'est de lui avoir dit d'oublier ce qu'il s'était passé. Je pensais avoir fait un pas en avant et au final, j'en ai fait trois en arrière. Les relations amoureuses, c'est vraiment de la merde.

Je me gratte le coin du nez, en m'empêchant d'avoir un sourire nerveux. Parfais, Joly a passé la nuit en cachette dans la chambre d'Anton, pendant qu'Eden était avec moi dans le salon.

- Joly est d'accord avec moi pour ne rien dire à son frère, mais je ne me vois vraiment pas lui mentir. Il est plus que mon meilleur ami, il est comme mon frère, et ça complique encore plus les choses.

- Peut-être qu'il comprendra, soufflé-je.

Anton relève un regard mi-triste mi-sévère vers moi, et je ne comprends pas pourquoi ce revirement de situation soudain.

- Tu ne sais pas de quoi tu parles, dit-il un peu sèchement.

J'ai l'impression qu'il me reproche quelque chose, mais je ne vois pas ce que ça pourrait être étant donné que je ne connais pas Eden et que je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe dans sa vie. A moins que ce ne soit ça, justement, et qu'il me prévient de ne pas parler de ce que je ne sais pas. Il faut dire qu'Anton ne doit pas savoir où les choses en sont entre moi et Eden, surtout que j'ai déjà du mal à le savoir moi-même.

- Désolé, se reprend finalement Anton. Tu veux bien m'aider à ranger les courses ? Je te laisse t'occuper des fruits et légumes, j'ai eu ma dose pour aujourd'hui.

Il sourit, contrit, en me contournant et me donnant une tape sur l'épaule. Je me contente de hocher la tête et je vais l'aider à tout ranger. Lorsqu'on a fini, personne n'est encore revenu. Je ne sais pas si le frère et la sœur sont toujours en train de se disputer, mais les murs sont tellement épais qu'on entend rien. Anton me propose d'aller me poser devant la télé pendant qu'il prépare un repas du soir digne de ce nom. Je ne m'en étais pas rendu compte, mais le soleil d'hiver est déjà en train de se coucher.

J'envoie quelques messages à Lys pour qu'elle me dise ce qu'elle a eu à Noël, et j'ai un petit pincement au cœur lorsqu'elle me récite la liste des choses que les différents membres de sa famille lui ont offert. Sa mère, son père, sa tante, son petit frère, ses grands parents. Tant de personnes qui se sont creusés les méninges pour trouver quelque chose qui lui plaira. Sans mes parents, je n'ai plus aucun lien avec le reste de ma famille, qui devait se donner cette peine à contre-cœur. Je sais que ça ne devrait pas me toucher, parce qu'il n'y a pas que les cadeaux dans la vie, mais maintenant que j'y pense, la seule personne à m'en avoir offert un est Shelly. Jonas va sûrement m'avoir trouvé un truc, et peut-être même Lys. En tout cas, moi, je leur ai prévu des petits cadeaux. Mais sinon, c'est tout.

Je relève les yeux au moment où Eden sort du couloir, et va directement voir Anton, pour lui parler à voix basse. Connaissant les parents d'Anton, ils lui ont sûrement fait un joli chèque, tout comme le reste de la famille. Je ne sais pas si Eden lui a offert quelque chose... Et en parlant de lui, et de Joly au passage, ils n'ont pas passé Noël en famille, alors peut-être qu'ils sont dans le même cas que moi.

Rapidement, une bonne odeur monte dans l'appartement, et je finis par aller aider en cuisine, même si Anton a l'air de s'en sortir comme un chef. En réalité, il nous refile plutôt la sale besogne, à Eden et moi. Du style, sortir les plats ou faire la vaisselle. Finalement, nous mettons la table et Anton sert le plat. Joly arrive pile à ce moment là, s'excuse à contre-cœur auprès d'Anton qui se contente de soupirer sans même la regarder. Et à la façon dont Joly lance un regard appuyé à son frère, je peux facilement comprendre que c'est lui qui l'a forcé à s'excuser.

- Ça a l'air vraiment super bon... dis-je en respirant à pleins poumons l'odeur d'épices qui monte du plat.

- Ça l'est, se vante Anton sans gêne.

Anton, en bon hôte, toujours, sert Joly en premier, puis les invités, c'est à dire moi, et ensuite Eden, pour terminer par son assiette.

- Je ne savais pas que tu étais du genre cordon bleu.

- Je suis plein de surprise, chantonne-t-il en me faisant un clin d'œil grossier.

Il se rassoit et nous souhaite un bon appétit. Je ne sais pas s'ils mangent toujours de façon aussi formelle, à table, mais j'aime bien cette image. Ils donnent l'impression d'être une vraie famille, malgré les problèmes qu'il pourrait y avoir entre eux.

- Au fait, qu'est-ce qu'on fait au nouvel an ? questionne Anton.

Eden hausse les épaules, tandis que Joly brandit sa fourchette.

- Une soirée en boîte, s'il vous plaît... pleurniche-t-elle.

Eden lève les yeux au ciel, comme s'il était las d'entendre sa sœur lui demander toujours la même chose. Anton, qui est assis à côté de moi, lui jette un petit regard discret, avant de se tourner vers moi.

- Et toi, t'as quoi de prévu, mon Solly ?

La bouche littéralement pleine de ce plat d'enfer, je me dépêche de tout mastiquer et avaler pour pouvoir lui répondre.

- Euh, je sais pas encore. Un truc avec ma...

Atteint soudain d'une quinte de toux, j'attrape mon verre d'une main tremblante pour essayer de digérer ce morceau de viande qui est passé de travers. Anton me donne plusieurs petites tapes dans le dos, comme si ça pouvait m'aider. Je toussote encore quelques secondes alors que je sens le regard d'Eden sur moi.

- Avec ta copine ? termine Anton pour moi.

Je sens mon visage se défaire de toute teinte colorée, mais heureusement, je me dis qu'Anton et Joly pourront penser que c'est à cause du fait que j'ai avalé de travers. Je hoche finalement la tête, gardant les yeux sur mon assiette d'un air coupable. Je n'ose plus croiser le regard d'Eden, même si ma raison me rappelle que je ne lui dois rien, qu'il est au courant depuis le début que je suis avec Shelly, et que lui-même est avec Danny.

- Oh putain, non mais le nouvel an de folie quoi... se moque Joly.

Eden émet un petit rire.

- C'est clair... rajoute-t-il.

Je lève les yeux et fronce les sourcils, mais il ignore mon regard.

- Tu peux venir avec nous, déclare finalement Anton.

- Avec nous en boîte ? tente alors Joly mine de rien.

Anton lui lance un petit regard de circonstance alors qu'Eden fait crisser son couteau dans le fond de son assiette en essayant de se couper un morceau de viande.

- Nous, on va sûrement le faire qu'à quatre.

- La quatrième personne étant Danny, m'informe Eden, les yeux toujours rivés sur son assiette.

Sans blague, jamais je n'aurais deviné...

- Pourquoi pas, dis-je les dents serrées.

Je garde les yeux rivés sur Eden en prononçant ma phrase, et je le vois lâcher sa fourchette qui tombe dans son plat, avant de me regarder au travers de ses cils.

- Tu pourrais venir avec Jonas, propose aussitôt Anton.

- Et Lys, rajoute Joly.

J'écarquille les yeux. Là, ça devient plus délicat. Jonas n'a sûrement pas encore de plan de prévu parce qu'il est le genre de personne qui aime passer son nouvel an tout seul, ne me demandez pas pourquoi. Mais Lys, je n'ai aucune idée de ce qu'elle fait. Et surtout, elle m'a clairement fait comprendre qu'elle n'avait plus envie de voir Jonas. Et je n'ai pas du tout envie de choisir entre les deux pour décider de qui va m'accompagner.

Mais.

Attendez une minute.

Je n'ai pas fait ça ?

Je n'ai pas accepté d'aller à leur nouvel an avec Shelly ?

A la façon dont ils parlent tous de la fameuse soirée, et aussi comment Joly essaye de les convaincre d'accepter d'aller en boîte de nuit, je crois que oui.

Eden, et Shelly, à la même soirée ? Ça me paraît totalement surréaliste. Je suis toujours en train de m'imaginer tous les scénarios possibles quand on passe au désert, que je mange comme un robot, ne sachant même pas ce que je mets dans la bouche. Puis je débarrasse dans le même état, cette fois, ne réfléchissant plus aux différentes situations – sûrement toutes catastrophiques – qui pourraient découler d'une telle soirée, mais bien à un moyen de les éviter.

C'est toujours en pilote automatique je m'installe dans le canapé-lit et que j'observe Eden aller chercher le dvd. Personne n'émet aucune objection concernant le film, et nous nous entassons tous dans le lit comme on peut. Je suis tout au bout, une fesse à moitié dans le vide, tandis qu'Eden se trouve à ma droite, et Joly entre son frère et Anton. Ils ne se sont pas adressés beaucoup la parole, et je n'ai pas l'impression que les choses soient calmées entre eux, alors je me demande comment ils font pour être assis l'un à côté de l'autre sans s'entre-tuer.

Eden lance le film, et dès les premières images, je me sens tendu de la tête aux pieds. Le pire, c'est qu'il ne se passe rien, mais je n'aime pas du tout le fait que tout soit filmé comme si c'était de vrais personnes qui filmaient avec leur propre caméra. Je suppose que c'est une astuce pour faire plus réel et faire entrer le spectateur dans l'histoire. Eh bah ça marche parfaitement avec moi. Joly se plaint qu'elle a trop froid, alors il est décidé de ramener la couette sur nous, et elle est assez grande pour que chacun en ait un petit bout. Aussitôt, je planque mes mains dessous, afin d'éviter de me cacher avec, parce que ça voudrait dire que j'ai perdu le pari. Pourtant, j'ai l'impression que je vais littéralement mourir d'effroi, et il ne s'est encore rien passé ! On les voit juste se filmer pendant qu'il dort. Mais qui fout une caméra dans sa chambre pour se mater en train de dormir ?

Oh putain, la bande était passée en accéléré et maintenant, on est à vitesse normale ! Oh mon dieu, je ne vais jamais survivre. Je meurs d'envie de m'enfuir dans la pièce d'à côté et de me boucher les oreilles, mais je prends sur moi. Je vais mourir. Histoire de bien en rajouter une couche, Joly me fait stresser encore plus en répétant toutes les deux secondes qu'elle déteste ce film et Anton n'arrête pas de nous faire sursauter en hurlant d'un coup. A chaque fois, Eden est mort de rire.

Les minutes défilent alors que nous sommes toujours témoins des images filmées dans la chambre à coucher et qu'il ne s'est toujours rien passé. Jusqu'à ce que... Oh putain. Je ne peux m'empêcher de pousser un petit cri alors que la porte de la chambre bouge de quelques centimètres à peine. C'en est trop pour moi, je suis au bord de la syncope. Eden rigole de plus belle alors que Joly pousse un nouveau cri à côté de lui et que ça me fait sursauter en même temps, même si je n'ai rien vu à l'écran. Je meurs d'envie de me cacher sous la couette, et comme je sais que je ne peux pas, mon corps entier est secoué par des tremblements de stresse.

Soudain, je sens du mouvement contre ma cuisse, et cette fois, je pousse un véritable hurlement. Joly, qui était à moitié caché derrière ses mains, répond à mon hurlement.

- Quoi ? Quoi ? Qu'est-ce qu'il se passe ?! trépigne-t-elle en s'enfonçant dans le canapé.

Eden est en train d'essuyer des larmes de rire au coin de ses yeux pendant qu'Anton est à deux doigts de faire pareil. Cependant, je sens toujours quelque chose contre ma jambe, sous la couette et des doigts finissent par se refermer autour de ma main. Je comprends finalement que c'est Eden, alors que je m'étais tendu de la tête aux pieds et que j'étais au bord de la crise de nerfs. Ses doigts caressent doucement le dos de ma main alors que le film continue et que Joly supplie de mettre sur pause. Mon cœur bat la chamade, concentré sur ce geste fait en cachette, alors que mon cerveau n'arrive pas à se détacher des visions d'horreur que je vois sur ce grand écran face à nous.

Le reste du film, c'est simple, me fait perdre toute part de fierté. Terminé le pari, terminé le contrôle de soit-même. Je finis par remonter la couette jusqu'à mon nez, pour me cacher complètement quand je ne supporte pas ce que je vois à l'écran. Le passage où ils mettent de la farine sur le sol et que les traces du démon apparaissent dans la chambre, c'en était fini de moi, je me suis mis à pleurnicher pendant que Joly, elle, était roulée en boule, sous la couette. Eden n'a pas la lâché ma main, entremêlant ses doigts aux miens et les serrant plus forts chaque fois que je sursautais ou me mettais à glapir de terreur. Bref, une vraie mauviette.

Et ça a été pire lorsque tout le monde est allé dormir. Joly est livide et marche comme un robot jusqu'à sa chambre, tandis qu'Anton chantonne comme se rien n'était en sortant de la salle de bain. Eden est étrangement le plus rapide à aller dans sa chambre après m'avoir souhaité une bonne nuit, et je me retrouve seul, dans le salon, à ne pas oser éteindre la lumière. Je ne vois pas du tout comment je vais réussir à m'endormir. Pile au moment où les images du film, quand la femme se fait traîner en dehors du lit par une force invisible, me reviennent en tête, plusieurs cognements sourds résonnent dans la cloison. Oh non, c'est pas vrai, c'est comme ce que m'avait montré Eden dans la salle de bain.

Je saute presque dans le lit qui émet un grincement, et me cache sous la couette comme un enfant de cinq ans qui a peur du monstre sous le lit. J'ai le cœur qui tambourine à mes tympans, la gorge sèche et les mains tremblantes. Les yeux grands ouverts, mon cœur s'arrête lorsque la lumière s'éteint. Non, je ne veux pas mourir, pensé-je fortement en fermant les yeux, comme si ça allait faire fuir les vilains esprits qui rôdent autour de moi. Une énorme masse me saute soudainement dessus, et je hurle, la bouche contre le matelas, ce qui étouffe mon cri.

- Tu as perdu, murmure une voix rieuse près de moi.

Je balance brusquement la couette sur le côté, ne pouvant de toute façon plus respirer dessus, et je fais un mouvement sur le côté, envoyant balader ce corps qui était assis sur moi. Eden roule sur le côté, mort de rire.

- C'est pas drôle, dis-je d'une voix blanche.

Eden se tient les côtes tout en battant des pieds dans tous les sens. Et tout ce que je trouve à faire, c'est me pincer fortement les lèvres, et de m'allonger en lui tournant le dos, les bras serrés contre moi.

Oui.

Je boude.

Je sens du mouvement dans mon dos alors qu'Eden me secoue par les épaules, mais que je ne dis rien, le visage fermé, la mine renfrognée.

- Hé, ho, monsieur fait du boudin ? ricane Eden en essayant de me chatouiller.

Mais je résiste en me mordant l'intérieur de la joue. Les mouvements dans mon dos cessent, et je perçois la respiration d'Eden au travers de la mienne. Il se passe un petit moment sans bruit, quand finalement, j'entends le froissement des draps et que la couette est remise sur mon corps, jusqu'à mes épaules. Je sens finalement Eden se faufiler contre moi, son bras passe sur ma taille, et il me rapproche de lu id'un coup sec qui me coupe le souffle. Je sens son nez jouer avec les cheveux derrière mon oreille, et il embrasse délicatement la peau de mon cou. Une de ses jambes se faufile entre les miennes, les déliant avec douceur et son bassin se colle dans le bas de mon dos.

- Tu as été très courageux ce soir, susurre-t-il à mon oreille avec malice.

- Arrête de me parler comme si j'étais un enfant de cinq ans, grogné-je avec un humeur.

Je l'entends avoir un rire étouffé dans ma nuque, alors je me renfrogne encore plus. J'essaye de me libérer de son emprise, mais il me ramène à lui avec une force que je ne lui aurais jamais soupçonnée. Sa main descend un peu plus le long de ma taille avant de se poser à plat sur mon ventre, alors qu'elle était venue s'immiscer entre mes bras croisés, et lorsqu'elle s'arrête près de mon nombril, je n'ose plus respirer. Eden dépose un léger baiser dans mes cheveux, avant de pousser un soupire d'aise.

- Tu peux dormir tranquille, je vais veiller sur toi, murmure-t-il d'une voix endormie.

J'entends déjà sa respiration ralentir, et ses battements de cœur dans mon dos se font de plus en plus calmes. Tu parles, il va encore s'endormir avant moi. Je me mords la lèvre et, clignant plusieurs fois des yeux, je finis par desserrer mes bras croisés sur ma poitrine. C'est étrange, mais la main d'Eden sur mon ventre semble avoir une incidence sur ma respiration. Je la sens se soulever lorsque j'inspire, et descendre lorsque j'expire. Et en me concentrant là-dessus, le sommeil me gagne plus rapidement que je ne l'aurais cru.

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