25. mentir
A la base, je pensais repasser par chez moi avant de retrouver Jonas, mais ce passage par les quais avec Eden a contrecarré mes plans et je pars directement pour rejoindre Jonas à La Lunette. Je vais y être un peu en avance, à mon avis il n'y est pas encore arrivé, mais ça ne m'inquiète pas plus que ça. En temps normal, j'aurais fait en sorte de faire quinze détours pour arriver un peu en retard, et ne pas avoir à l'attendre, tout seul assis à une table. Mais aujourd'hui, je m'en fiche, j'ai la tête ailleurs.
Je garde mon téléphone dans ma main et attends avec impatience qu'Eden m'envoie la preuve qu'il est rentré chez lui. Seulement, je sais aussi très bien que je ne l'ai quitté il n'y a qu'une dizaine de minutes, et qu'entre le temps qu'il finisse sa gaufre, prenne le métro, traverse la place de la bastille et arrive chez Anton, il lui faudra bien plus de temps qu'une petite dizaine de minutes.
Je passe la porte du bar, et comme je m'y attends, Jonas n'est pas là. Il est encore tôt, alors il n'y a pas beaucoup de monde et je me trouve une place facilement, dans le fond de la salle. Je pose mon téléphone sur la table, et je prends conscience qu'attendre un simple texto avec autant d'anxiété, ce n'est pas normal. Je prends ma tête entre mes mains et tire à la racine de mes cheveux.
J'ai autant envie de recevoir son message que cela me fait paniquer, et soyons honnête, je ne sais plus du tout où j'en suis. Quand je repense que c'est la deuxième fois seulement qu'on se revoit après avoir décidé de faire la paix, et à chaque fois, on se tient la main... Sauf que mon cerveau refuse de me dire si c'est normal ou non. Les filles, quand elles ont des amies filles, il leur arrive bien de se tenir par la main, aussi. J'ai déjà vu Shelly le faire des dizaine de fois avec ses potes du lycée. C'est la même chose pour moi et Eden, non ? Pourquoi deux mecs n'auraient pas le droit de partager leur amitié de cette façon ? C'est vrai, je n'ai rien fait de mal.
Je pousse un profond soupire, qui vient du cœur, croyez-moi, et je retourne l'écran de mon téléphone pour le mettre face à la table. Ça ne change pas grand chose, mais j'ai l'impression que je me concentre moins dessus de cette façon. Je me persuade que je ne fais rien de mal pendant les dix minutes où j'attends Jonas, et ça fonctionne plutôt bien, puisque lorsque Jonas passe la porte du bar, je me sens plus léger.
Jonas traverse le bar comme un robot, il me regarde pas, pourtant, il sait quand même déjà où je me trouve. Il s'assoit sur la banquette à côté de moi en me souriant de toutes ses dents.
- Salut, mon Solly !
J'ai l'impression qu'il est vraiment content de me voir, parce qu'il me sort son regard où il est facile d'imaginer des centaines de petits cœurs brillants dedans. C'est un regard qu'il garde normalement pour les filles. Il passe un bar autour de mes épaules et y exerce dessus une légère pression.
- J'ai l'impression que ça fait une éternité qu'on s'est pas vu.
- Deux semaines, je réponds dans un sourire.
Jonas hoche la tête avec ce qui ressemble à un air nostalgique sur le visage. Il tend la main pour attraper la carte des cocktails, même s'il la connaît par cœur. Il a l'air plutôt en forme, rien à voir avec le Jonas dont j'ai eu à faire après sa première soirée avec Lys. A cette époque, il avait déjà fait une bourde, et il était devenu une épave. Maintenant, ce qu'il faut savoir, c'est s'il fait semblant ou non.
Machinalement, je pose ma main sur mon téléphone, comme pour vérifier de bien le sentir vibrer si jamais c'est le cas, et je me donne des claques intérieurement. Mais je ne peux m'empêcher d'imaginer Eden tout seul, sur les quais, à attendre je ne sais quoi, et ça me fait mal au cœur. Quelque chose cloche avec lui. Je ne sais pas exactement quoi, parce qu'il est tellement différent quand il est avec moi. Je ne sais pas à quoi c'est dû, mais ça me fait du bien. Le problème, c'est que je n'oublie pas qu'il a sûrement des addictions aux drogues, voir même à l'alcool, et que je l'ai déjà vu faire des crises d'angoisse ou je ne sais quoi. Est-ce qu'il en fait souvent quand je ne suis pas avec lui ? Après tout, on est loin d'être collé l'un à l'autre vingt quatre heures du vingt quatre. Est-ce que c'est vers Danny qu'il se tourne dans ces moments là ?
- Alors, comment ça va ? me demande Jonas, les yeux toujours rivés sur la carte.
- Bien, et toi ?
Je ne suis pas vraiment concentré sur Jonas, et c'est vraiment dégueulasse de ma part. Mais tout comme cette fois où j'étais au cinéma avec Shelly, je suis omnibulé par mon téléphone.
- Ça va, mes examens du premier trimestre sont terminés, je me sens libre, dit-il en se tournant vers moi.
Jonas étend son bras sur la banquette dans notre dos et me regarde avec son naturel air enjoué. J'en profite pour l'observer. Sa barbe de quelques jours est plutôt bien taillée, ses yeux brillent, même dans l'obscurité, et il porte une de ses chemises à carreaux. En clair, il est normal. Pas la moindre trace de remord, ou de colère. Pas la moindre trace de ce qu'il s'est passé entre lui et Lys.
Le barman arrive à notre table et nous commandons deux mojitos, à la fraise pour moi, et à la menthe pour Jonas. Il pousse un soupire détendu en s'enfonçant un peu plus dans la banquette.
- Je pense que j'ai assuré !
Il me faut un petit temps pour me souvenir de quoi il parle. Les examens, bien sûr. En même temps, Jonas a toujours été plutôt bon en ce qui concerne les études.
- J'espère aussi, enfin, en ce qui me concerne, pour toi, je ne me fais pas de soucis... soufflé-je.
Nos verres arrivent et Jonas s'empresse d'en boire une gorgée, un sourire béat sur les lèvres. Comment peut-il faire comme si de rien n'était ? Jonas m'a toujours raconté sa vie en détail. On ne peut pas dire qu'on a jamais eu de secrets l'un pour l'autre étant donné que je ne lui ai jamais parlé d'Eden, mais je pensais, égoïstement, que ce ne serait le cas pour lui. Peut-être que c'est parce que je suis aussi concerné, étant donné que Lys est mon amie.
- Comment ça s'est terminé, la soirée, il y a deux semaines ?
Jonas plisse les yeux alors qu'il réduit en charpie un morceau de menthe au fond de son verre.
- Tu parles de l'anniversaire de ce mec, là, Eden ?
Je bois une petite gorgée de mon mojito et passe ma langue sur mes lèvres pour en récupérer le sucre.
- Ouais.
-C'est vrai, tiens, mais t'étais où ? On t'a cherché, sur la fin, mais impossible de te trouver, tu répondais pas à ton tel...
Je remarque tout de suite qu'il a dit « on », ce qui faitq u'il inclut Lys. Au moins, il ne fait pas comme si elle n'avait jamais existé. Je sais que je me lance sur un terrain dangereux, étant donné que je ne compte pas briser ma promesse et parler directement de ce qu'il s'est passé à Jonas – mais si c'est lui qui m'en parle, on est d'accord, ça ne compte pas – et en plus de ça, je vais devoir me justifier.
- J'étais crevé et bourré, alors je suis rentré.
Jonas m'observe, les sourcils froncés. Moi qui suis un piètre menteur, je m'améliore. Mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne chose.
- Pourtant, t'as loupé de sacrés trucs, dit Jonas avec un sourire taquin.
Bon, il a l'air de me croire.
- Ah ouais, comme toi ?
- Anton a fait un strip-tease, mais bon, ça, tu es habitué...
Je ne peux m'empêcher d'avoir un immense sourire qui étire mes lèvres. Oui, ça ne m'étonne même pas, il finissait toujours par se mettre à poils à chaque fin de soirée. Apparemment, les habitudes ont la vie dure.
- Il y a aussi eu une bagarre !
- Encore ? plaisanté-je, me souvenant que la dernière fois, c'était moi qui m'étais battu.
Jonas hoche vivement la tête tout en buvant une nouvelle gorgée de son verre.
- Joly, tu sais, la sœur d'Eden...
Je hoche la tête d'un air distrait, alors que oui, bien sûr que je sais qui est Joly...
- Elle a pécho un mec, et Eden a pété un câble, littéralement ! Anton, qui venait de faire son strip-tease, c'est retrouvé à essayer de calmer tout le monde en caleçon, bref, j'étais plié de rire ! Après ça, j'ai vu Anton et Joly s'engueuler sur le balcon, et Eden et son mec ont disparu, bon, à mon avis, ils ont pratiqué le sexe post-dispute, si tu vois ce que je veux dire, eux-aussi se sont pris la tête juste après la bagarre.
Jonas fait une petite grimace en écarquillant les yeux, comme s'il prenait soudain conscience de quelque chose.
- En fait, tout le monde s'est pris la tête à cette soirée, plaisante-t-il.
Beaucoup trop d'informations se retrouvent à monter jusqu'à mon cerveau, et je fais mine de boire une très longue gorgée de mon cocktail pour prendre le temps de tout assimiler. Il s'en est passé des choses, après que je sois parti, et personne ne m'a parlé de rien. Anton m'a tout avoué par rapport à Joly, sans vraiment me dire ce qu'il s'était passé, mais maintenant, je crois comprendre pourquoi il m'a dit qu'elle lui menait la vie dure depuis qu'il l'a repoussée.
Après vient la partie sur Eden. Tout ça s'est passé après le passage dans la salle de bain, et après qu'on se soit embrassé. Donc, il est allé couché avec Danny. Ok, Jonas n'en sait probablement pas plus que moi, et ils ont peut-être simplement pu aller se coucher. Mon cœur se serre alors que l'alcool me monte à la tête et que je suis obligé de tousser légèrement, ayant à moitié avaler de travers.
C'est le moment que choisit mon téléphone pour émettre un petit bip. Un frisson parcourt mon échine dorsale alors que mon regard se rive sur l'objet du délit, à quelques centimètres de moi. J'ai une terrible impression de déjà-vu et je me mords l'intérieur de la joue.
- Bon après, je suppose que c'est comme ça à toutes les soirées, rajoute Jonas d'un air distrait.
Il a le regard fixé sur le plafond, et j'en profite pour attraper mon téléphone. Je prends une grande inspiration, et je déverrouille mon écran. Je sens une bouffée de chaleur partir de mon ventre pour monter jusqu'à mon visage lorsque je vois le nom d'Eden s'afficher en petites lettres sur mon écran. J'ouvre son message d'un doigt tremblant, et un sourire idiot s'affiche automatiquement sur mon visage.
Il m'a envoyé une photo de lui dans sa chambre, il cache son visage en ramenant avec sa main son t-shirt sur son visage, et seuls ses cheveux dépassent en quelques mèches éparses. Je vois clairement derrière lui son lit défait, ses chaussures éparpillées un peu partout, sa veste posée sur une chaise et son sac balancé dans un coin. En dessous de la photo, il a écrit « suis bien rentré, chef ». Mon cœur se gonfle d'un coup et j'ai presque envie de serrer mon téléphone contre moi comme un doudou.
Putain, je deviens marteau.
Fébrile, je me décide quand même à taper une réponse. Mais qu'est-ce que je suis censé lui dire ? Allez, Solly, ne réfléchie pas, dis juste ce qui te passes par la tête...
Non, tu ne peux pas lui demander pourquoi il s'est disputé avec Danny... Trouve autre chose.
Moi : Tant mieux. Tu vas faire quoi maintenant ?
Je repose mon téléphone face contre la table, et je me tourne vers Jonas qui était en train de me raconter que ses parents ont décidé de quand même inviter leur vilaine tante éloignée qui passe son temps, pendant le réveillon de Noël, à critiquer la cuisine.
- Et toi, tu vas faire quoi ?
Je hausse une épaule sans enthousiasme.
- Repas chez Anton, avec ses parents et les miens... marmonné-je.
Jonas ouvre grand les yeux. Bien sûr, j'oublie en toute connaissance de cause de mentionner la présence d'Eden.
- Quoi, tu vas revoir tes parents ?
Il a l'air surpris, et je me rends compte que je ne lui en ai pas parlé. J'en ai parlé rapidement avec Shelly et Eden, mais j'ai complètement oublié de le dire à Jonas. Pourtant, je lui ai toujours tout dit en ce qui concerne mes parents.
- Ça sent le plan foireux, non ? dis-je dans une grimace.
Jonas fait une petite moue, apparemment, il est aussi inquiet que moi. Seulement, je n'ai pas le temps de répondre que je reçois un nouveau texto. Cette fois, je n'y réfléchie pas à deux fois avant d'attraper mon téléphone, de le déverrouiller, et d'afficher mes messages. Eden m'a envoyé une nouvelle photo. Il est assis dans le canapé et je ne vois que ses jambes étendues devant lui, les pieds posés sur la table basse. Il y a un saladier rempli de chips posé sur ses cuisses, et sur l'écran de télévision, je vois un visage en sang.
Eden : Je m'entraîne pour notre marathon de l'horreur ;)
Un nouveau sourire bête se plaque sur mon visage et je réponds sans hésiter.
Moi : Tricheur...
Sa réponse arrive dans la seconde, mais je suis déçu, elle n'est pas accompagnée d'une photo.
Eden : C'est pas moi qui dois prouver que je sais tenir plus de deux minutes devant un film d'horreur !
- A qui tu écris comme ça ? Madame Plan-Plan ?
Je sursaute alors que je sens l'épaule de Jonas cogner contre la mienne et qu'il attrape mon téléphone, me l'arrachant des mains. Tous les tissus de mon corps se tendent d'un coup et je sens mon visage perdre de ses couleurs. Aucun doute, je viens de faire un mini AVC.
Je suis incapable de faire un geste alors que je vois que Jonas a un sourire, toujours moqueur, sur les lèvres, tout en faisant défiler légèrement vers le haut le fil des messages. Il ne s'arrête qu'à la première photo d'Eden, heureusement, et je vois son sourire s'effacer légèrement, sous l'incrédulité. Son regard parcourt l'écran tout entier et s'arrête sur le prénom d'Eden.
- Tu... Tu parles par texto avec Eden ? demande-t-il, surpris.
Jonas se tourne vers moi et me rend mon téléphone, avec ce qui ressemble à de l'appréhension. Il est calme, il ne me bombarde pas de questions, mais je vois dans son regard qu'il est prêt à analyser le moindre de mes gestes. J'essaye de me rappeler ce qu'il sait sur Eden, et ce qu'il doit penser de notre relation. Aux dernières nouvelles, pour lui, je me suis battu avec le copain d'Eden, je l'ai aidé à ramener sa sœur chez elle, et j'ai été remercié en étant invité à son anniversaire. Heureusement, j'ai bien vu qu'il n'a pas remonté assez haut dans la discussion pour voir qu'on avait rendez-vous la semaine dernière.
- Euh... Oui... Il est sympa, bégayé-je.
Pourquoi je ne sais pas mieux mentir dans un moment comme ça ? Déjà, c'est la pire excuse du siècle, et l'hésitation dans ma voix ne joue pas en ma faveur. Peut-être que je pourrais en parler à Jonas, mais pour lui dire quoi ? Je ne lui ai jamais rien dit sur Eden, j'ai toujours eu trop peur de réaction, et ce n'est pas aujourd'hui que j'arriverai à le faire. Son regard changerait et c'est la dernière chose que je veux, perdre mon meilleur ami.
Un pli se forme sur le front de Jonas avant qu'il ne hausse les épaules d'un air désinvolte.
- C'est vrai que quand il est pas trop bourré, ça passe.
Je hoche vivement la tête, en détournant le regard. J'essaye de me concentrer sur toute la forme que je peux puiser en moi pour ne pas rougir, mais je me sens soulagé que Jonas n'y ait rien vu de plus. Jonas fait tourner son verre sur lui-même, tout en me jetant des regards en coin. Je ne suis peut-être pas sorti d'affaires, finalement...
- Tu sais, s'il y a quelque chose que tu veux me dire, je serai toujours là pour t'écouter.
Je le dévisage, surpris. Il a parlé sur un ton peu assuré, et je n'arrive pas à savoir s'il se doute de quelque chose et qu'il veut me l'entendre dire, ou s'il me dit juste ça pour la forme.
- Toi aussi, dis-je dans un souffle.
Jonas hausse les sourcils et détourne le regard. Ses yeux se fixent sur son verre, et je le vois serrer les doigts autour de celui-ci.
- Nop, rien à dire de mon côté, marmonne-t-il.
- Pareil pour moi, je réponds d'une voix blanche.
On est deux gros menteurs, et je crois qu'on a été aussi transparent l'un que l'autre. Et le pire, c'est qu'on en a tous les deux consciences.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top