22. texto
Je sais, alors que je suis assis dans cette salle de cinéma, tout en tenant la main de ma petite-amie entre mes doigts, je sais que je ne devrais pas me focaliser sur le fait qu'on est vendredi et que je n'ai pas de nouvelles d'Eden pour dimanche. Je sais aussi que je suis un parfait idiot, que moi-aussi j'ai son numéro et qu'il me suffit de lui envoyer un message. Mais non, j'ai trop peur. Trop peur qu'il me dise qu'il n'a plus envie qu'on se voit. Trop peur qu'il ne me réponde jamais. Trop peur de passer pour celui qui lui court après. Je ne veux surtout pas qu'il se méprenne, qu'il pense que j'essaye encore de le coller uniquement pour me faire pardonner. Ou pire, qu'il pense que j'ai envie qu'il se passe quelque chose entre nous.
Je veux juste le connaître un peu plus. Savoir comment il fonctionne, être capable de dire ce qu'il apprécie dans la vie, ce qui le rend heureux, ce qu'il déteste ou ce qui lui fait peur. Je veux déceler la peine derrière la mer agitée de ses yeux et savoir comment l'apaiser.
Je ne l'ai pas beaucoup vu cette semaine. Deux de nos cours en amphithéâtre en commun ont été annulés parce que le professeur était absent, et je le croise rarement en dehors de ces cours. Surtout s'il ne vient pas souvent, comme l'a laissé sous-entendre Anton la fois où j'ai dormi chez lui avec Jonas. En parlant de Jonas, silence radio. Je reste encore sur le cul de ce qu'il a dit à Lys, et si elle fait maintenant comme si de rien n'était, j'ai encore du mal à avaler la pilule en ce qui concerne mon meilleur ami.
Le film a commencé depuis ce qui ma paraît une éternité, mais je n'en peux déjà plus. C'est typiquement le genre de film que Jonas regarde en cachette sous sa couette, c'est à dire une comédie romantique. Je ne vais pas dire que je déteste ce genre de film, ça ne me dérange pas, en temps normal, d'en regarder. Mais là, je ne suis pas dedans. Pas du tout. De toute façon, dès que le générique de début a commencé, mon cerveau s'est déconnecté.
Shelly a monopolisé la conversation alors qu'on s'est retrouvé devant le cinéma juste avant le film, et ça m'a permis de ne pas penser au fait que demain, on est samedi, et après-demain dimanche – jusqu'ici, c'est logique – mais je ne sais pas si Eden veut toujours qu'on se voit ou non. Après tout, il peut avoir changé d'avis. Il peut y avoir des dizaine de raisons qui l'ont fait changer d'avis. Puis on ne va pas dire qu'il donne l'impression d'être très stable en ce moment. Ça ne serait pas étonnant qu'il ait changé d'avis, en fin de compte.
Mais... Et s'il veut y aller, et qu'il m'attend, et que je ne viens pas ? Mais si j'y vais et que lui ne vient pas, c'est moi qui aurait l'air con. Puis de toute façon, je sais même pas où c'est.
Peut-être que je me suis trompé en lui donnant mon numéro de téléphone... Non, il m'a appelé avec le sien.
Peut-être qu'il y a un problème avec mon téléphone, ou mon réseau ? Non, j'ai déjà éteint et rallumé mon téléphone au moins une bonne dizaine de fois, je me suis envoyé des messages à moi-même trois fois et ça a toujours fonctionné. J'ai vérifier tous les jours que le mode avion ne s'était pas activé par erreur. Pourtant, j'ai encore envie de tout revérifier, même en pleine séance de film. Mon portable dans ma poche semble me brûler la peau, même au travers de mon jean.
Je suis en train d'avoir des sueurs froides à cause de cette histoire, et alors que Shelly se retourne vers moi pour m'interroger du regard, je ne peux même pas jouer l'excuse de la scène sentimentale trop forte, puisque le personnage principal de ce film est seulement en train de bronzer sur le bord d'une piscine. Pas de quoi me mettre dans un état pareil et me pousser au bord de la ventilation.
Je sens le pouce de Shelly passer doucement sur le dos de ma main tandis qu'elle paraît totalement absorbée par le film sous ses yeux. Moi, je n'y comprends absolument rien. La plupart des gens sont en train de pleurer autour de nous alors que le personnage fait la fiesta autour de sa satané piscine.
Mon portable vibre dans ma poche et tout mon corps entier se tend. Mon cœur bat fort dans ma poitrine, et je n'ose plus bouger. Des alarmes se sont allumées dans toute ma tête et l'écran de cinéma ne ressemble plus qu'à un amas de couleurs très floues.
Soyons franc, il n'y a pas grand monde qui pourrait m'écrire. Peut-être que c'est lui ? Enfin ? Ça ne risque pas d'être Jonas, ses cours ont repris, il doit avoir la tête dans ses notes, et puis il fait le mort depuis la semaine dernière, alors il lui faudrait plus qu'un vendredi soir pour se réveiller. Ça ne peut pas être Lys étant donné qu'elle sait que je suis avec Shelly, et vu la crise de jalousie que cette dernière m'a faite la dernière fois en rencontrant Lys, elle sait qu'elle doit éviter de me contacter quand je suis avec ma copine. Ou alors c'est Anton. Mais qu'est-ce qu'il me voudrait ?
Mon esprit n'arrive pas à se concentrer sur autre chose que ce texto que je viens de recevoir, et je commence à me tortiller sur mon siège pour évacuer la tension négative que je ressens dans tout mon corps. Je ne fais même plus semblant de m'intéresser au film, de toute façon, je ne comprends rien à l'histoire et je n'arrive même pas à distinguer ce qui se passe à l'écran.
Ça dure quinze minutes comme ça, puis je n'en peux plus. Mon portable m'appelle et je me retrouve comme un drogué qui campe devant sa came et si je ne bouge pas, je vais perdre la raison. Je souffle rapidement à Shelly que je dois aller aux toilettes, mais elle est tellement dans le film que c'est à peine si elle me fait signe qu'elle m'entend. Je me penche en avant et marche comme un idiot, à moitié accroupi, afin de m'extirper de ma rangée de sièges sans gêner personne, et je cours presque jusqu'en dehors de la salle. Aucun doute que les gens doivent penser soit a) que je vais me vomir dessus b) que je vais me pisser dessus c) que je vais me chier dessus. Dans tous les cas, peu importe, pour la première fois depuis longtemps, je m'en fous royalement. Tout ce que je veux, c'est connaître l'expéditeur de ce texto.
Je pousse les portes battantes de la salle et souffle un grand coup. J'étais en apnée depuis que j'ai reçu ce texto ou quoi ?!
Je fourre ma main dans ma poche et essaye d'attraper mon téléphone du mieux que je peux. Me voilà avec les mains moites et la couture de mon jean qui empêche mon téléphone de sortir de sa poche ! C'est pas possible. Je grogne tout en prenant conscience qu'il y a des gens qui attendent devant les différentes portes des autres salles autour de moi, et je décide de me diriger vers les toilettes. Comme un mec qui a terriblement quelque chose à se reprocher, je me cache derrière une porte de chiottes...
Je parviens enfin à extirper mon téléphone de ma poche, et voyant mon reflet dans l'écran noir, je décide de prendre le temps de me calmer. De toute façon, je ne suis pas vraiment sûr de vouloir regarder, en fait... D'accord, j'attends ce texto depuis le moment où il a pris mon numéro de téléphone, et j'ai l'impression de redevenir un gamin de deux ans à qui on offre des bonbons, mais il est temps que je reprenne mes esprits. Je m'assois, comme un con, sur la cuvette des toilettes, et je joins mes mains devant moi, le téléphone au milieu.
Je ferme les yeux en inspirant longuement, puis je laisse tout cet air ressortir plus doucement encore. Qu'est-ce que je fais si ce n'est pas lui ? Et pourquoi est-ce que j'ai encore plus peur de lire ce texto à l'idée que ce soit lui ?
Mon pied commence à taper un rythme frénétique sur le carrelage sale des toilettes du vieux cinéma où on est venu ce soir, et je peux presque entendre le tic-tac de l'horloge qui tourne, et qui va bientôt me rappeler que le temps que je mets pour revenir dans la salle va paraître suspect. Et quand je commence à taper sur le sol avec mes deux pieds en même temps, je me dis que j'ai une paire de couilles, et qu'elle n'est pas censée être là juste pour faire joli.
Je déverrouille l'écran de mon téléphone, et appuie directement sur le petit icône des messages. Là s'affichent les différents prénoms des dernières personnes à qui j'ai envoyé un texto, et quand je vois celui en rouge, indiquant ce fameux nouveau message, j'ai l'impression de me faire aspirer par les toilettes sur lesquelles je suis assis.
Maman.
Je ne sais pas ce qui me bloque le plus à ce moment précis. Le fait que ce ne soit pas Eden qui m'ait écrit, ou que ce soit ma mère. La déception se mélange à l'appréhension et la surprise, et le résultat n'est vraiment pas beau à voir. J'ouvre le message de ma mère et je tremble tellement de la main qui tient mon téléphone qui je finis par le poser sur mes genoux. Je passe mes deux mains dans mes cheveux alors que j'ai bien du mal à lire le texte en noir sur fond blanc.
Maman : Bonjour. La mère d'Anton m'a appelée ce matin. J'ai donc appris que tu côtoies de nouveau son fils. Cela fait bien longtemps que nous n'avons pas vu les Monty, et nous montons donc dîner avec eux et leur fils pour le soir de Noël. Nous, ton père et moi, aimerions beaucoup que tu te joignes à nous. Le repas aura lieu chez ton ami, il habite près de notre hôtel préféré, comme tu le sais. Ce sera plus pratique. A bientôt.
Je pourrais jouer les surpris, et me dire : c'est tout ? Mais non. Pas de « comment vas-tu ? », « j'ai hâte de te revoir ». Rien qui ne fasse allusion au fait que j'ai quitté le cocon familial il y a plus de cinq mois, en disant que je refuse leur argent et leur style de vie. Pourquoi veulent-ils me revoir ? Et surtout dans ces conditions ? Aucun de mes deux parents n'a essayé de me retenir quand je leur ai dit que je partais. Pas un seul n'a proposé de m'aider financièrement alors qu'ils puent le fric à plein nez. C'est comme si j'étais un de leur employé qui partait à la retraite et j'ai eu le droit à un maigre hochement de tête quand j'ai quitté la maison familiale Bordelaise.
Je ne sais même pas quoi répondre. Je ne suis même pas sûr que j'ai à donner de réponse. Je ne sais même pas ce que je compte faire. Les parents d'Anton n'habitent plus à Paris, mais ils ne sont pas si loin que ça. Pourquoi ils ne font pas le dîner chez eux ? Pourquoi le faire chez Anton ? Ça ne m'étonnerait pas que ma mère ait fait pression parce qu'elle veut absolument aller dans cet hôtel hors de prix du centre de Paris. Celui où une nuit là-bas équivaut à un mois de salaire pour moi. C'est sa petite drogue à elle, se pavaner dans ce genre d'endroit.
Je déglutis bruyamment tout en reprenant mon téléphone et en le rangeant dans la poche de mon jean. Passer Noël avec eux serait, sans aucun doute, un supplice. Et je plains d'avance Anton qui va devoir les supporter. Mais je suppose qu'il jouera le jeu, et qu'en plus, il sera bon à ça. Mais, qu'est-ce que vont faire Eden et Joly ? Peut-être qu'ils vont rentrer voir leur famille en Belgique...
Je me lève, encore perturbé d'avoir eu ce message de ma mère. Ça me rappelle à quel point les choses ont changé. Ça me rappelle qu'à une époque, je n'avais pas besoin de me battre pour avoir quoi que ce soit. Mais pour quoi me suis-je battu depuis ? J'étais déjà avec Shelly, Jonas ne m'a pas abandonné, Lys et Anton se sont immiscés dans ma vie. J'ai décroché un boulot au premier entretien, j'ai eu cette chambre en résidence grâce à ma bourse.
Avec un élan déterminé insoupçonné jusqu'ici, je sors, une nouvelle fois, mon téléphone de ma poche, et j'envoie un texto à Eden sans plus me laisser le temps de réfléchir. Je lui dis juste « toujours OK pour dimanche ? ». Puis je referme mon téléphone, non pas avec fierté, parce que je me sens encore plus anxieux d'attendre sa réponse, mais au moins, je n'aurais pas à avoir honte d'une quelconque lâcheté. Je retourne à la salle, et je rejoins ma place. Shelly n'a pas bougé, et alors que je m'assois près d'elle, elle reprend ma main dans la sienne avec douceur. Elle se penche vers moi et m'explique ce que j'ai manqué, même si je n'y comprends toujours rien.
Je me contente, pendant tout le reste du film, de passer mon pouce sur le dos de sa main. Et je me concentre tellement sur ce geste que j'arrive à oublier, jusqu'à ce que nous sortions de la salle, qu'une heure s'est passée et que je n'ai toujours pas de réponse de la part d'Eden.
- Alors, comment tu as trouvé le film ?
Shelly a toujours sa main dans la mienne, et elle me tient le bras en même temps, son corps collé au mien. Nous marchons en direction du métro alors qu'il fait complètement nuit à l'extérieur, et que les rues se remplissent de jeunes qui s'apprêtent à faire la fête.
- Pas mal.
Je n'ai aucune idée de quoi ça parlait, mais sinon, tout va bien. Shelly pose sa tête sur mon épaule, alors qu'on se dirige toujours vers le métro, et franchement, je me dis que ce n'est vraiment pas pratique. Mais je ne dis rien. Parce qu'elle est tout simplement adorable. Je ne sais pas vraiment où j'ai été ces dernières semaines, mais si moi, je peux avoir des défauts, Shelly en a tout à fait le droit elle-aussi. Et cette semaine, tout est redevenu comme avant. Pas d'engueulades débiles, pas de reproches, pas vingt cinq messages par heure. Juste nous, quelques coups de fil, des textos pour parler de nos journées, et ses grands sourires quand elle croise mon regard. Comment ais-je pu oser me plaindre d'elle alors qu'elle m'a soutenu lorsque j'ai coupé les ponts avec mes parents, sans jamais me reprocher quoi que ce soit ? Elle m'a laissé choisir et m'a simplement soutenu tandis que tout le monde, presque, me laissait tomber.
Je dépose un baiser sur sa tempe alors que nous descendons dans le métro.
Je devrais la soutenir aussi, au lieu de ça, ces derniers jours, je n'ai pensé qu'à moi. Et dans le fond, je me sens beaucoup mieux de savoir que tout va bien de nouveau entre nous. Si je continue comme ça et entretiens ce calme entre nous, je sais que tout se passera bien. Nous nous entendons tellement bien que ce serait bête de tout gâcher. Avec mon caractère de merde, je ne retrouverai jamais quelqu'un capable de me soutenir comme elle l'a fait, les yeux fermés.
Nous attendons sur le quai tandis qu'elle me parle du film, et que je la laisse faire. Shelly adore débattre des films après les avoir visionnés, et elle n'a pas forcément besoin de moi pour ça. Elle a juste besoin d'extérioriser, surtout quand le film l'a touché, et on dirait que c'est le cas aujourd'hui. Un métro arrive et nous montons à l'intérieur. A cette heure-ci, c'est plutôt tranquille, mais nous devons tomber dans une rame où les gens partent en soirée, parce qu'il n'y a pas de place de libre. Alors je me contente d'aller m'accouder à la porte en face, et Shelly se blottit tout de suite contre moi. Elle a l'air fatiguée, elle était en examens toute la semaine, et elle a sans doute besoin de rattraper des heures de sommeil.
Ses bras entourent ma taille alors que je pose mon menton sur le haut de sa tête et que je la serre un peu plus contre moi. Je me rends compte que je suis bien dans ses bras, et que ça a toujours été le cas. C'est agréable et rassurant de savoir qu'on a quelqu'un à qui faire pleinement confiance.
Je sens mon téléphone vibrer dans ma poche, mais je me sens tellement bien que je suis curieux de voir que ça ne créer aucune réaction chez moi. C'est même décontracté que je l'extirpe de ma poche et, Shelly toujours dans mes bras, j'amène mon téléphone au niveau de mon visage. Shelly a la tête cachée contre mon torse, et je vois qu'elle garde les yeux fermés. Je déverrouille l'écran de mon téléphone, et là, mon cœur cesse de battre.
Eden : Bien sûr !!!
Mon téléphone vibre une nouvelle fois entre mes mains, ce qui me fait sursauter.
Eden : RDV à 19h, gare de Lyon.
J'avale ma salive alors que je sens la tête de Shelly bouger contre mon buste et qu'elle lève les yeux vers moi. Elle fronce les sourcils, et alors que je verrouille, par réflexe, mon téléphone, l'écran me renvoi mon reflet. J'ai les joues si rouges qu'on dirait que je me suis pris le coup de soleil du siècle.
- Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiète Shelly.
- Euh... Bah... hésité-je maladroitement. Ma mère veut qu'on dîne ensemble, avec mon père, pour Noël...
- Quoi ? C'est bizarre, non ? dit Shelly en faisant une grimace.
Je hausse les épaules avec désinvolture, tout en rangeant mon téléphone dans la poche de ma veste.
Depuis quand est-ce que je suis devenu un aussi bon menteur ?
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