20. amoureux

J'ai merdé. J'ai terriblement merdé. Et je m'en veux. Et le pire, c'est que je ne sais pas vraiment à quel endroit j'ai merdé. Enfin, non, j'ai merdé à tellement de niveaux différents que la question est plutôt : pour quel merdier je me sens le plus mal ? Avoir lâché Lys et Jonas ? Avoir trompé Shelly ? Ne pas l'avoir rappelée, même le lendemain ? Avoir embrassé Eden ? Ou l'avoir encore une fois royalement planté ? Je suis sûr à cents pourcents que toutes ces personnes m'en veulent, mais je ne sais pas à qui décerner la palme de celui qui m'en veut le plus entre Shelly et Eden.

J'ai éteint mon téléphone une grande partie de ma journée, mais en début de soirée, je décide de le rallumer. J'ignore les messages de Shelly, parce que j'ai clairement pas les couilles de lui faire face maintenant, et je réponds rapidement à Jonas que tout va bien, mais que j'étais trop bourré hier soir et que j'ai préféré rentrer chez moi. Sur le coup, je suis un peu surpris de ne pas voir de textos de Lys, pas que ça me dérange qu'elle ne s'inquiète pas pour moi, mais j'ai pris l'habitude d'échanger avec elle tous les jours. Peut-être qu'elle a été trop crevée pour m'envoyer un message. Cependant, avant que je ne me décide à lui en envoyer un moi-même, mon téléphone vibre une nouvelle fois pour m'annoncer l'arrivée d'un nouveau texto, et son expéditeur me fait un peu tiquer.

Anton.

Qu'est-ce qu'il me veut ?

Allongé sur mon lit, un bras passé derrière ma tête lourde comme une pastèque, je plisse les yeux et lis son message. Même après une journée à rien faire dans mon lit, je n'ai pas l'impression d'avoir décuvé. Mon estomac est à l'envers et le goût d'alcool dans ma bouche ne veut pas disparaître. Ça m'apprendra à trop boire. Combien de fois je vais devoir me faire prendre à ce jeu pour comprendre ? Finit l'alcool. FINI !

Anton : Tu as oublié ta veste chez moi, et y'a ton portefeuilles dedans, tu peux passer quand tu veux ;) à plus mon champion.

Hein ? Je me penche et fouille dans les poches de mon pantalon de la veille que j'ai laissé sur le sol. Pas de trace de mon portefeuilles. Et pas de trace de ma veste, effectivement. Mais quel idiot. Je me rallonge dans mon lit en passant mes mains dans mes cheveux. Même eux semblent poisseux et imbibés d'alcool. Pourquoi, avec la quantité d'alcool que j'ai bu hier soir, je ne suis pas capable de ne pas me souvenir de ma soirée ? Pourquoi faut-il que chaque étape importante de la merde dans laquelle je me suis fichu me reste en tête ? Ça se trouve, je pense me souvenir de tout, mais non, il y a d'autres détails que j'ai oublié... J'espère pas, parce que c'est déjà tellement le fiasco que je peux commander mon cercueil si jamais j'ai fait d'autres conneries.

J'ai embrassé Eden.

Non, cerveau, n'y pense pas, ne me repasse pas les images.

Trop tard.

Je cache mon visage derrière mes mains, comme si ça pouvait effacer ce moment de la surface de la planète. Sauf que dans le silence de ma chambre, mon cœur bat la chamade et mes joues sont chaudes comme un volcan en plein éruption. Et je bande.

Magnifique !

C'est l'heure parfaite pour une bonne douche froide.

Je me lève d'un bond, comme si mon lit était en fait un cactus géant, et en passant devant mon petit frigo, mon ventre décide de gargouiller. Depuis quand j'ai faim après une cuite monumentale ? Je l'ouvre, et, surprise, il est totalement vide. Pas grave, je n'ai qu'à aller faire quelques courses rapidement après ma douche froide. Il n'est que dix neuf heures, alors la supérette au coin de la rue doit encore être ouverte.

Mais non, je n'ai pas mon portefeuilles.

J'ai envie de me donner des claques. Là, en caleçon, debout devant mon frigo, je me fais vraiment pitié, et en plus de ça, mon ventre crie famine, et bien sûr, j'ai toujours une trique d'enfer. Solly, t'es un mec génial. Je te félicite pour ta façon de gérer ta vie avec brio. Je me pince les joues pour reprendre mes esprits alors que je me demande si je n'ai pas encore quelques grammes d'alcool dans le sang, et j'attrape ma serviette et mon gel douche pour aller me jeter sous ce filet d'eau froide.

Je ne tiens bien sûr pas deux secondes sous l'eau gelée de ma résidence, mais je me rends rapidement compte que je n'ai pas le choix. Il semblerait que le ballon d'eau chaude du bâtiment soit vide. Merveilleux, cette journée fait décidément partie de mon top dix des journées merdiques. Bon, au moins, je ne suis plus au garde à vous. Personne n'a envie de l'être à ce degrés de température, et c'est tout grelottant que je retourne dans ma chambre.

Mon ventre est littéralement en train d'imploser, et je fouille désespérément dans mes placards à la recherche de la moindre miette que je pourrais ingurgiter. Mais force est de constater qu'à part un ketchup récupéré au MacDo, il n'y a rien. D'ailleurs, penser au MacDo rend les choses encore pires.

Pourquoi vous me faîtes ça ?

Peu importe qui vous êtes, pourquoi vous vous acharnez sur moi ?

J'attrape mon téléphone, et hésite. Jonas n'a pas répondu, je suppose qu'il est en train de dormir. De toute façon, les lendemains de soirée, il est jamais vraiment enclin à la discussion. C'est toujours silence radio du côté de Lys, et je ne parle pas des nouveaux messages qui me sont déjà arrivés de Shelly. Mais honnêtement, j'ai déjà le ventre vide, la tête qui va exploser, alors je ne vois pas comment je peux faire face à Shelly tout en sachant ce que j'ai fait hier soir.

Moi : Salut. Je peux passer maintenant ?

J'ai les joues brûlantes et les doigts tremblants tandis que j'attends une réponse d'Anton. Je ne sais même pas d'où me vient le culot de ne serait-ce m'imaginer aller là-bas. Eden doit être prêt à m'étriper étant donné que j'ai encore pris mes jambes à mon cou la seconde après l'avoir embrassé, mais mes pensées embrouillées sont en train de me souffler que je préfère encore aller là-bas plutôt que me morfondre ici. Je suis vraiment un salaud jusqu'au bout.

Non. Je peux ne pas être un connard fini. Je peux m'excuser auprès d'Eden et faire comme si de rien n'était avec Shelly. Je peux surmonter la colère d'Eden, tout comme celle de Shelly, et me faire pardonner auprès de ma copine comme je l'ai toujours fait jusqu'ici. Je peux expliquer à Eden que c'était une erreur et que je ne veux pas quitter ma copine, et que de tout façon, il a son copain aussi. Mais oui, tiens. Il y a Danny. Comment Eden a-t-il pu me demander de l'embrasser tout en sachant qu'il y avait Danny dans la pièce d'à côté ? Je peux peut-être jouer sur ce tableau et le menacer de tout balancer s'il décide de m'en vouloir ? Oui, je peux acheter son pardon. Mais pourquoi est-ce que j'ai besoin de son pardon, déjà ?

Je passe une main sur mon visage. Je n'ai décidément pas toute ma tête aujourd'hui.

Mon portable vibre dans ma main, et je suis à la limite de faire tomber mon téléphone tellement mes mains sont moites et glissantes.

Anton : Oui, pas de soucis, je suis tout seul ce soir ;)

Une vague de déception déferle dans tout mon être alors que je me laisse tomber sur mon lit derrière moi. Anton est tout seul chez lui. Eden ne sera pas là. Tant mieux, non ? Je ferme les yeux un long moment tandis que je fais le vide dans mon esprit. Après avoir longuement expiré tout l'air dans mes poumons, je m'habille rapidement avec les premiers trucs qui me passent sous la main, puis je sors de chez moi.

Tout le long du trajet, je ne cesse de me ronger les ongles. Mais c'est avec un peu d'enthousiasme que je sonne chez Anton et monte jusqu'à chez lui. Il m'ouvre, et je suis assez content de voir qu'il a l'air dans le même état que moi, c'est à dire habillé et coiffé comme un sac, avec des cernes qui font trois mètres de long et une haleine de chacal.

- Comment ça va ? demande-t-il nonchalamment en se dirigeant vers le salon.

Je suis surpris que ce soit aussi propre. Tout est nickel, et à part la tronche d'Anton, il serait impossible de deviner qu'il y a eu une soirée ici hier soir. Mais en même temps, ça ne m'étonnerait pas qu'Anton ait une femme de ménage. Ma veste est négligemment posée sur la table haute de la cuisine, mais je n'y touche pas.

- Bof, dis-je en haussant les épaules. Et toi ?

Anton s'affale dans le canapé et baille sans même chercher à se cacher. Il me fait un signe de tête pour me dire de m'asseoir, et je m'exécute. Honnêtement, je suis crevé et rester debout plus de deux secondes me paraît beaucoup trop difficile.

- J'ai envie de vomir, mais tout va bien sinon.

Machinalement, mon regard se dirige vers le couloir où se trouvent les chambres, mais il est vide et silencieux. Anton, qui a suivi mon regard, passe une main dans ses cheveux.

- Joly et Eden sont partis regarder les étoiles, dit-il dans un petit sourire. C'est leur rituel pour son anniversaire.

Je suis surpris qu'Anton décide de me parler d'Eden et Joly, et comme je ne sais pas quoi répondre, je me contente de hausser timidement la tête. Je ne peux cependant pas m'empêcher de les imaginer tous les deux dans l'herbe à regarder un ciel étoilé. Mais l'image a bien du mal à venir jusqu'à moi, parce qu'étant donné que les seules fois où je les ai vu se parler, ils se hurlaient dessus, j'ai bien du mal à croire qu'ils arrivent à s'asseoir l'un à côté de l'autre sans s'arracher la tête.

- Je pensais pas qu'ils continueraient une fois partis de chez eux mais apparemment, les habitudes ont la vie dure...

J'ai l'impression qu'Anton se parle plus à lui-même, mais je décide d'en profiter.

- Avant... Ils habitaient en Belgique ? hésité-je d'une petite voix.

Anton se tourne vers moi et tend les jambes devant lui pour poser les pieds sur la table basse. Il souffle longuement en fixant son regard devant lui.

- Ouais. Eden et moi, on se connaît depuis la petite section, on a été dans la même classe jusqu'à la sixième...

La nostalgie dans les paroles d'Anton est bien présente, et je me demande pourquoi il a l'air de regretter cette époque si, finalement, Eden habite chez lui et qu'ils ont gardé leur amitié intacte jusqu'ici.

- Mais je pense que j'ai fait une connerie, marmonne-t-il en faisait une petite grimace.

Il lève la tête vers moi avant d'effacer son moment de faiblesse derrière un rire de façade.

- Désolé, c'est juste que je peux pas en parler à Eden, parce que ça le concerne et je suis pas du genre à parler des trucs vraiment perso aux autres.

Je hoche la tête en pinçant les lèvres, puis je m'assois un peu plus dans le canapé.

- Bah vas-y, balance, si t'as envie.

Anton me scrute un long moment avant de se gratter le coin du nez.

- J'ai blessé Joly, soupire Anton.

Il détourne les yeux pour regarder par la fenêtre, avant de les fermer et de poser sa tête sur le rebord du canapé, dans son dos. Je fronce les sourcils. Qu'est-ce que ça veut dire, il a blessé Joly ? Il lui a fait du mal, physiquement ?

- Je comprends pas trop, soufflé-je timidement.

Anton, les yeux toujours fermés, sourit.

- Elle m'a dit qu'elle était amoureuse de moi et j'ai dû la repousser. C'est ce soir-là que vous l'avez trouvée, Jonas et toi.

Mes yeux s'ouvrent en grand alors que les pièces du puzzle se remettent peu à peu en place.

- Et tu as peur qu'Eden t'en veuille pour ça ?

Anton sourit de nouveau, cette fois un peu plus, mais son sourire est piquant, et lorsqu'il ouvre les yeux et se tourne vers moi, il a l'air plutôt triste.

- Oh non. C'est le contraire. Il m'en aurait voulu si je lui avais dit la vérité.

Il renifle distraitement, tout en se mordant la lèvre.

- Si je lui avais dit que... Que je l'aime aussi.

Cette fois, ma mâchoire risque grandement de se décrocher et mes yeux sont sortis de leurs orbites. Merde, Anton est amoureux. Anton a un cœur et ce cœur est amoureux.

- Tu as du mal à y croire, hein ? ricane-t-il.

Je fais un petit signe de la main pour lui dire non alors que tout mon visage trahit que c'est plutôt un gros oui. Anton. Ce Anton qui n'a jamais eu de copines plus de deux semaines. Qui s'est vanté de sortir avec toutes les filles du lycée.

- Et ça a toujours été comme ça. J'suis amoureux d'elle depuis si longtemps que je suis même pas sûr qu'elle, elle se souvienne de cette époque. Mais Eden, sa sœur, c'est... La deuxième moitié de sa vie, tu vois ? Eden, il a donné son cœur qu'à deux personnes, aux deux femmes de sa vie, mais c'est trop la merde pour lui en ce moment, et je peux pas lui faire ça.

Il marque une pause, tandis que j'essaye d'intégrer toutes les informations que je suis en train d'apprendre.

- Et puis, j'pensais pas qu'elle serait aussi amoureuse de moi ! s'exclame Anton plus pour lui-même.

Il ricane dans son coin avant de se tourner finalement vers moi.

- Tu penses vraiment qu'il t'en voudrait si tu sors avec elle ? je ne peux m'empêcher de demander.

- Je le connais, il arrivera pas à y faire face maintenant. Tu sais, Eden, il panique facilement. Il aura peur que ça gâche notre amitié, il aura peur que je lui fasse du mal, ou qu'elle finisse par m'en faire, parce que les femmes de cette famille, je peux te dire que c'est des vraies crève-cœur !

Un sourire fière illumine le visage d'Anton, comme si ça l'amusait de parler de la famille d'Eden de cette façon, mais pourtant, la tristesse que je lis dans ses yeux est bien là.

- Bref, je préfère le laisser tranquille pour l'instant. Mais Joly devient invivable, elle me fait vivre un enfer ! râle Anton en s'étalant sur le canapé.

Il passe ses bras derrière sa tête, et fait une petite moue, apparemment perdu dans ses pensées. C'est vrai que si on fait bien attention au comportement qu'a Eden envers sa sœur, ce n'est pas difficile de penser qu'il ait du mal à gérer une amourette entre Joly et Anton. Mais je ne pense pas qu'Anton soit un si mauvais garçon, et s'il aime Joly depuis la maternelle, il n'a pas forcément envie de la faire souffrir. Mais Anton a l'air de vouloir protéger Eden comme s'il était faible. Et je repense aux crises qu'il a déjà faites devant moi, au fait qu'il boive plus de raison, qu'il n'habite plus chez lui. Tant de détails dans sa vie qui prouvent que peut-être, oui, il ne va pas bien. Je ne sais pas pourquoi, mais il y a un grand trou dans la vie d'Eden que je n'arrive pas à combler. Et malheureusement, je suis mal placé pour exiger des réponses.

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