17. première dispute

Lorsque la sonnerie de mon réveil retentit, un somptueux petit air doux et agréable - ACDC Highway to hell -, j'émerge comme on sort sa tête de l'eau après au mauvais plongeon. On ne peut pas dire que j'ai mal dormi étant donné que ce canapé-lit est aussi doux qu'un matelas de plumes, mais mon esprit n'est clairement pas reposé. Les rêves bizarres se sont enchainés les uns aux autres, soit on m'étouffait dans une baignoire, soit on me pendait par la cheville, bref, rien de très réjouissant. Mais comme d'habitude, malgré une nuit agitée et un réveil que j'ai envie de tabasser, je sors du lit en deux secondes chrono. Sauf qu'une fois debout, je suis nez à nez avec deux petits yeux endormis qui me scrutent.

Anton est assis à la table haute de sa cuisine américaine, les fesses posées sur un tabouret haut, et le menton littéralement dans son bol de céréales, comme si lever sa cuillère jusqu'à sa bouche était un trop grand défis. Je fronce les sourcils tout en retenant un bâillement.

- T'es motivé le matin toi, marmonne-t-il, la bouche pleine.

- Et toi, ça fait combien de temps que t'es là à nous regarder dormir ? demandé-je, légèrement suspicieux.

Anton hausse les épaules et amène une nouvelle cuillère pleine à craquer de céréales dans sa bouche. J'entends Jonas remuer dans mon dos et commencer à grogner. Comme d'habitude, les deux ne sont pas si différents que ça, aucun n'est du matin. Heureusement pour Jonas, il n'a pas cours le vendredi matin, mais étant donné à quel point les journées du reste de sa semaine sont chargées, je comprends qu'un peu de répit soit nécessaire. Pour ma part, il faut que je sois à ma FAC dans une heure et demie.

Anton agite la paquet de céréales dans ma direction et j'avance jusqu'à la table. Je ne sais pas trop quoi faire, mais Anton me devance et se lève pour me sortir un bol et une cuillère, me demandant si je veux boire quelque chose au passage. Mais honnêtement, je ne suis pas sûr de pouvoir avaler quoi que ce soit. C'est la première fois que nous nous retrouvons au calme, Anton et moi. La dernière fois, c'était en soirée, et même si je n'ai rien eu à lui reprocher, nous n'avons pas eu de grandes discussions. Dire que je suis mal à l'aise est un euphémisme.

Alors qu'Anton se laisse de nouveau tomber sans aucune grâce sur son tabouret, je me hisse sur le mien du mieux que je peux, et je me sers en céréales. Si j'en mets qu'une seule dans mon bol, est-ce que ça va faire bizarre ? Parce que je pense que c'est la quantité exact que mon corps tolérerait d'ingurgiter maintenant. Je ne sais pas pourquoi j'ai l'estomac noué, mais quelque chose, ce matin, m'alourdit énormément. En réalité, je sais très bien que ce n'est pas la première fois que je ressens ça, ça fait presque une semaine que j'ai l'impression que cette sensation ne me quitte pas. Mais ce matin, c'est encore pire. Et quand je me surprends à regarder pour la cinquième fois en direction du couloir, dans un espace temps de trente secondes, je commence légèrement à avoir la bouche sèche et une boule dans le ventre.

Après un énième grognement digne d'un animal sortant d'hibernation, Jonas s'extirpe du lit et se dirige vers les toilettes en trainant des pieds.

- Euh... Les autres dorment encore ?

Anton hausse un sourcil dans ma direction alors que je le pensais prêt à s'endormir et se noyer dans son bol. Il se redresse légèrement en se grattant le bras, marquant sa peau blanche de griffures rouges.

- Joly est partie pour le lycée, tu l'as sûrement pas entendu parce qu'elle se lève et part directement. Elle est prête en deux secondes chrono, je ne sais pas comment elle fait... commence Anton d'un air que je n'arrive pas à reconnaître.

On dirait qu'il est comme... Concerné. Comme s'il y avait un élément qui me manquait dans l'équation. Mais son regard redevient rapidement éteint et fatigué.

- Et Eden... Il va sûrement dormir encore... Très longtemps... dit-il en hochant la tête.

Je plisse les yeux tout en amenant, à contre-coeur, une cuillère jusqu'à ma bouche. Là, je n'ai clairement pas envie de manger, que ce soit une céréale à la fois ou plus.

- Mais... Il n'a pas cours ?

Ce n'est clairement pas le moment de dire que j'ai mémorisé son emploi du temps, bien sûr malgré-moi, parce que j'ai une bonne mémoire seulement quand ça m'arrange. Mais je sais qu'il est censé avoir cours à la même heure que moi aujourd'hui. C'est nos cours de TD, donc nous sommes par groupes. C'est la seule journée où nous n'avons pas un cours en amphithéâtre, et donc, toute la licence ensemble. Anton se tourne vers moi et affiche un petit sourire qui n'a rien d'amusé.

- Eden ne va pas vraiment en cours... Si tu vois ce que je veux dire.

Cette fois, je ne peux pas m'empêcher de laisser voir toute ma perplexité. D'accord, je ne croise pas Eden toutes les heures à la FAC, mais nous avons un cours minimum par jour où nous sommes tous ensemble, excepté le vendredi, et je me suis toujours débrouillé pour voir sa tignasse brune. Je ne l'ai pas espionné, ni maté pendant tous les cours (impossible de toute façon, je me place en bas de l'amphithéâtre et lui toujours en haut), mais je peux confirmer sa présence. Sauf que là, Anton a l'air assez sûr de lui quand il dit qu'Eden sèche les cours.

Décidément, j'en aurais appris beaucoup sur lui, en l'espace d'une nuit, sauf que les questions sont toujours belle et bien présentes, et je n'ai aucun moyen de les poser. Je ne veux pas avoir l'air suspect en soumettant Anton à un interrogatoire, et qu'est-ce que je ferais s'il allait dire à Eden que je lui ai posé des questions ! Non, de toute façon, ce ne sont pas mes affaires. C'est vrai, je ne vais pas m'emmêler. Point final.

Jonas débarque au moment même où je suis en train de me mordre l'intérieur de la joue pour ne pas imploser, sans même que je ne sache qui à appuyer sur le bouton du détonateur, et la conversation bat son plein. Jonas et Anton commencent alors à se raconter leurs vies comme s'ils se connaissaient depuis des années mais qu'ils s'étaient perdu de vu, et ce qui ressemblait à un petit-déjeuner de condamné se transforme en débat sur la crédibilité des hommes qui font des ourlets à leurs pantalons.

(..)

Toute la journée, j'ai ruminé contre moi-même, et je n'ai pas été le seul. En ce qui me concerne, je peux encore me contenir, même si les regrets et les injures ont fusé. En ce qui concerne cette autre personne qui m'en veut sûrement, je n'ai pas eu une seule nouvelle. Oui, Shelly m'ignore. Hier soir, je lui ai envoyé un sms bourré d'excuses solennelles et d'explications rationnelles du type "je m'en veux trop, dsl, je suis en train de jouer les super-héros, je te raconterai, bébé yé té kiff". Ce à quoi j'ai eu le droit comme réponse "ok". Quand une fille répond "ok", c'est la traduction pour "je vais t'étriper". Bon, soyons clair, c'est la première fois que Shelly me donne une telle réponse, j'ai plutôt été habitué à ce qu'elle me pardonne tout sans se poser réellement de questions. D'ailleurs, pourquoi pour ce soir décide-t-elle d'être énervée plus que pour une autre fois ?

D'accord, c'est la première fois que je lui pose un lapin.

Du coup, je n'arrive pas à savoir si c'est si grave que ça. Je veux dire, je n'ai jamais eu à me faire pardonner de quoi que ce soit. Contrairement à ce que m'a expliqué Jonas, Shelly n'est pas du genre à bouder pour un rien. Elle ne m'en a jamais voulu pour quoi que ce soit. Moi non plus d'ailleurs. Nous avons une relation très seine. Jusqu'ici. Parce que je me retrouve dans une impasse.

Je lui ai envoyé un sms d'excuse presque toutes les heures, au début toujours avec humour, parce que j'ai pensé qu'elle me faisait marcher, mais quand, arrivé en fin d'après-midi, elle n'a toujours pas répondu à aucun de mes sms, j'ai vraiment commencé à paniquer. Lys l'a d'ailleurs très bien vu, parce qu'elle a arrêté de me sermonner sur mon manque de concentration et m'a demandé ce qu'il se passait. Le seul problème, c'est que je ne sais pas par où commencer. Est-ce que c'est grave si je lui dis que Jonas et moi avons ramené la sœur d'Eden chez elle ? Elle va sûrement se poser des questions, tout comme moi, et qui me dit que je ne vais pas en dire un peu trop ?

Je détourne les yeux de l'ordinateur sur lequel nous travaillons depuis plus d'une heure afin de mettre en place un power point du tonnerre, et je me pince l'arrête du nez. Les lumières en néon de la vieille bibliothèque de notre université me vrillent encore plus les yeux. J'ai une migraine qui pointe le bout de son nez, mais c'est toujours comme ça lorsque je reste trop devant les écrans et que je suis fatigué. A moins que ce ne soit autre chose. Franchement, je suis paumé. Shelly est ma première vraie petite-amie, ça fait deux ans que nous sommes ensemble, mais nous ne nous sommes jamais disputé, et bah c'était bien agréable. J'avais l'impression de vivre le parfait amour entre deux amis. Et là, je me retrouve comme un gamin qui s'est fait gronder et qui cherche à se faire pardonner. Et le pire, c'est qu'elle ne m'a pas encore vraiment disputé. Je me demande si ce n'est pas pire. Si elle m'avait engueulé en bonne et due forme, je me serais excusé maintes et maintes fois, et je suis sûr que nous ne serions pas dans cette impasse silencieuse.

- Tu as essayé de l'appeler ?

Je jette un regard à Lys et passe mes deux mains sur mon visage. Comment lui dire que j'ai peur de l'appeler ? Je sais que j'ai fait une erreur. Enfin, je ne vois pas en quoi ramener Joly chez elle était une erreur. Dit comme ça, ce n'en est pas une. Passer un certain laps de temps dans une baignoire avec un garçon non plus d'ailleurs. Enfin, dit comme ça, si. Mais on a rien fait dans cette baignoire. On était habillé, en parfaite possession de nos esprits, on a pas pris un bain, quoi. Rien que de repenser au regard d'Eden sur moi, j'ai des frissons qui me parcourent le corps tout entier. Et me dire que pour une fois, il n'y a avait pas la moindre haine dans ses paroles ou dans ses yeux, ça me réchauffe encore plus. Mais à part ça, il ne s'est rien passé.

D'accord, ne pas aller chez Shelly était une erreur, mais nous occuper de Joly n'en était pas une. Faire la paix avec Eden non plus, même si je ne sais pas si on a fait la paix ou s'il y a juste eu un petit moment de calme entre nous. Mon erreur est juste de ne pas avoir décidé de marcher pendant presque une heure et demie pour aller chez Shelly. Mais elle peut comprendre, non ? Je serais arrivé vers trois heures du matin chez elle.

- Elle est simplement blessée, elle voulait passer un moment avec toi, et ça fait longtemps que vous ne vous êtes pas vus, elle a sûrement besoin de se sentir désirée...

Je regarde Lys au travers de mes mains sur mon visage.

- Tu es sûr que tu ne t'es pas trompée d'orientation ? Il n'est pas trop tard pour commencer une licence en psychologie, raillé-je malgré moi.

Lys s'esclaffe, ce qui lui vaut quelques regards désapprobateurs de personnes autour de nous.

- Et toi, surtout, n'essaye même pas, tu es terriblement mauvais pour lire les gens !

Je lui jette un regard fatigué avant d'attraper mon crayon et de commencer à le faire tourner autour de mes doigts. Je sens le regard de Lys sur moi alors qu'elle attache ses cheveux dans une queue de cheval un peu floue. Je ne peux m'empêcher d'avoir un petit sourire en coin.

- Tu n'es pas si bonne que ça, il y a quelqu'un sur qui tu t'es trompée... laissé-je entendre en haussant les sourcils d'un air moqueur.

Lys me jette un regard perplexe tout en pianotant quelques trucs sur son ordinateur, ce qui nous amène sur une page d'images concernant notre exposé et que nous pourrions utiliser pour notre power point.

- Si tu parles de Jonas, je reste sur mes positions.

Mince, elle est vraiment forte. Je fais mine d'être surpris, mais il est clair qu'elle n'y croit pas.

- Je ne vois pas du tout de quoi tu parles...

Lys lève les yeux au ciel. Elle sait qu'elle a raison et que je parlais de Jonas, mais je vois bien que le sujet est fermé. Elle ne compte pas changer d'avis. Et je pense qu'il n'y a que Jonas qui peut lui prouver qu'elle a tord. On a pas eu l'occasion d'en reparler, avec Jonas. Je crois qu'il se doute déjà de ce que Lys pense de lui, et il n'a pas besoin de me l'entendre le lui répéter. J'espère que la prochaine fois qu'ils seront tous les deux, Jonas va lui prouver qu'il peut être différent. Enfin, s'il arrive à faire la part de ce qu'il ressent aussi, parce que je ne suis pas sûr ce que ce soit très clair, même pour lui.

- Appelle-là, si ça te stresse autant... râle Lys en écrivant comme une folle sur son clavier.

Je jette un regard à ce qu'elle est en train de faire, les légendes des photos. La tête par dessus son épaule, elle finit par m'attraper vigoureusement le poignet, et je remarque que j'étais en train de me ronger le peu d'ongle qu'il me reste. Elle me lance alors un regard équivoque, mais au même moment, mon téléphone vibre et le prénom de Shelly apparaît, suivi d'un message. J'expire alors un long et profond souffle, que je devais garder enfermé dans mes poumons depuis bien longtemps, mais mes épaules se contractent, signe que je ne suis pas encore soulagé. Voyant que je n'attrape pas mon téléphone pour lire mon message, Lys me dévisage alors méchamment, et, comme si j'avais été punie par ma mère, je m'empare de mon téléphone en quatrième vitesse.

- Qu'est-ce qu'elle dit ?

- De passer chez elle dans une heure... Elle a précisé : "il faut qu'on parle"... C'est pas mauvais signe quand vous dîtes ça, vous les filles ?

Lys croise les bras sur sa poitrine et me fixe avec lassitude.

- C'est tout autant mauvais signe quand c'est vous, les hommes, qui le dîtes.

Je marmonne quelques bribes inintelligibles tout en m'affalant dans ma chaise et en regardant l'heure.

- Si je veux être chez elle dans une heure, il faut pas que je tarde...

Lys hausse les épaules et ferme son ordinateur d'un geste sec. Mon dieu, comment fait-elle pour ne pas le casser ? Puis elle étire fortement ses bras en l'air en baillant.

- On a bien avancé, on se voit dimanche pour finir, de toute façon ?

Je hoche la tête tout en me levant et en attrapant ma veste.

- Viens là, me dit-elle en tendant les bras vers moi. Ça va aller, ok ?

Je me penche vers elle et ses bras entourent ma nuque. Elle me plante un de ses terribles baisers bruyants sur la joue, mais un sourire m'échappe, et je me rends compte que j'aime ce geste. Je crois qu'on peut dire que nous sommes de véritables amis. Je ne vois pas ma vie sans elle, à la FAC. Au début, je pensais que Lys finirait par aller voir d'autres personnes, plus intéressantes que moi, mais non. Elle est restée. Et je crois qu'elle me préfère réellement aux autres. Elle me presse un peu plus fort contre elle alors que je lui réponds que oui, et elle me fait promettre de l'appeler, elle ou Jonas, si jamais les choses ne vont pas comme je veux.

Mais ça veut dire quoi, comme je veux ? J'y ai pensé pendant tout le trajet en métro. Ok, pas la peine de mentir, je suis terrifié à l'idée de rompre avec Shelly, même si je doute fort que ce soit ce qui va nous arriver. Pas pour un seul lapin en deux ans. Mais, forcément, avec cette première dispute, ou plutôt ces premiers reproches que je vais me prendre en pleine poire, je me suis forcément posé la question, et si les choses n'allaient pas ? Tout a toujours très bien fonctionné entre nous, et je sais qu'en couple, il est normal de devoir avoir à faire face à pas mal de batailles et de disputes. Mais si vraiment, un jour, nous n'y arrivons plus, pourquoi est-ce que je panique à cette idée ? Je m'imagine alors tout seul, enfermé dans mon appartement, sans contact avec l'extérieur.

Mais être avec Shelly, ce n'est pas censé être avec elle simplement pour combler ma solitude. Je ne veux pas la faire souffrir. Mais si c'est elle qui ne veut plus de moi ? Je ne peux pas laisser une telle chose arriver.

Lorsque je toque à son appartement, j'ai les mains moites et la peur au ventre. Voilà, j'ai finalement réussi à me retourner le cerveau, comme d'habitude. Cela faisait bien longtemps que je ne m'étais pas mis à stresser pour rien. Depuis la rentrée, qui a été l'une de mes plus grosses sources de stresse récemment. Même avec Eden, j'ai fini par me calmer. Je me suis tellement acharné sur l'un de mes ongles que j'ai fini par m'ouvrir la chair et que j'ai enroulé un mouchoir tout autour de mon doigt parce que je saignais, comme un pauvre idiot, dans un métro plein à craquer.

Shelly ouvre finalement sa porte, elle est habillée d'un large t-shirt blanc sur un jean noir, et ses cheveux détachés retombent en de grandes boucles blondes sur ses épaules. Tout ce que j'arrive à me dire sur le coup, c'est que je suis chanceux d'avoir une fille aussi jolie qu'elle à mes côtés, et que je ne mérite peut-être pas sa gentillesse. Du moins, pas en ce moment.

Elle a l'air fatiguée, mais son visage ne montre pas qu'elle a envie de me tuer. Elle se pousse sur le côté pour me lancer entrer, et je me rends compte que je suis en apnée depuis au moins cinq bonnes minutes. Je rentre ma tête dans mes épaules tout en entrant dans son appartement. Comme d'habitude, tout est sa place, et son ordinateur est allumé sur un épisode de la série Poldark, qu'elle suit avec attention, parce qu'elle a toujours adoré tout ce qui parle de l'Angleterre du dix-neuvième siècle.

Je suis dans un tel état d'anxiété que je n'ose même pas poser mon sac de cours, ni enlever ma veste. Sait-on jamais si elle compte seulement m'engueuler et me remettre dehors juste après.

- Ça va ?

Ok, comme entrée en matière, on peut dire que je crains un max. Je ne suis décidément pas doué pour communiquer, ni pour analyser quelqu'un non plus, comme l'a dit Lys. Shelly croise ses bras sur sa poitrine et s'avance vers le canapé où elle s'y installe en coinçant ses jambes sous elle. Elle me lance un petit regard fatigué avant de me faire signe de m'asseoir à côté d'elle. Je suis d'abord tenté de lui obéir comme un robot, mais je me rappelle que m'asseoir avec mon sac ne serait pas très pratique, alors je le pose dans un coin et ôte ma veste.

Lorsque je m'assois sur le canapé près d'elle, elle jette un regard à mon pansement improvisé, et un petit sourire éclaire son visage.

- Bon, allez, explique-moi ce que tu as fait hier soir... dit-elle en perdant son sourire.

- On a bu un verre avec Jonas, et on est tombé sur...

Hum, là, ça commence à se compliquer.

- Sur la sœur de quelqu'un qu'on connaît, elle avait bu et on a préféré la ramener chez elle, elle est mineur.

- Chez elle ? Chez Anton ?

Peut-être que j'aurais dû mentir. Le problème, c'est que je suis vraiment très mauvais. Tout ce que je peux faire, c'est ne pas dire toute la vérité. Je vois le visage de Shelly s'assombrir de secondes en secondes alors que mes mains deviennent moites et que mon cerveau réfléchit à cents à l'heure. Soudain, je repense à toutes ces fois où Jonas me disait que Shelly et moi étions plan-plan, que nous ne nous disputions jamais, que nous pensions toujours la même chose, comme si nous étions toujours sur la même longueur d'onde. Mais c'est faux. On ne l'a pas toujours été. Sauf que ces fois là, j'ai préféré ne rien dire. Je voulais lui faire plaisir. Je ne voulais pas qu'elle pense que je discute ses décisions, ou ses choix, ou ses goûts.

Et là, aujourd'hui, elle discute mes décisions, tout en sachant que celles-ci sont justes. Je pousse un long soupir avant de me redresser et de regarder Shelly dans les yeux, au lieu de ce mouchoir immonde et plein de sang qui m'entoure le doigt.

- Écoute-moi jusqu'au bout et tu vas voir que ce n'est rien de si dramatique que ça... m'entendis-je dire, les dents serrées. Cette fille habite chez Anton, oui, c'est la vérité, je n'ai pas demandé pourquoi parce que je n'ai pas voulu m'immiscer dans sa vie. On l'a ramené, mais il n'y avait plus de métro et Anton nous a proposé de dormir chez lui. Tu sais très bien que je n'ai pas l'argent pour me payer un taxi qui me fera traverser tout Paris, et je n'allais pas débarquer à trois heures du matin chez toi et te réveiller en pleine nuit.

Je reprends mon souffle après cette tirade, à croire que je n'ai jamais autant dit de mots d'affilé de ma vie. Shelly me dévisage, elle-aussi surprise de me voir lui tenir tête. D'ailleurs, elle ouvre la bouche, mais ne sait clairement pas quoi dire. Elle finit par baisser la tête et soupirer.

- Je suis désolée, c'est juste qu'on a pas pu se voir ces derniers jours, et je t'ai attendu et...

- Je sais, je suis désolé...

Je m'approche d'elle et passe un bras autour de ses épaules pour la serrer contre moi. Finalement, notre première dispute a été une réussite, non ? Même si elle me laisse un goût amer dans la bouche.

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