13. descente aux enfers
- Viens danseeer avec moi ! pleurniche Lys en me tirant littéralement sur le bras.
De nouveau, je fais une moue d'enfant en commençant à me tortiller dans tous les sens. J'ai beau lui répéter que je n'aime pas ça, elle ne veut pas me lâcher. J'ai encore assez de lucidité pour ne pas avoir envie d'aller me ridiculiser sur la piste de danse, et j'en suis bien heureux. Pour tout dire, je me surprends moi-même, étant donné que je ne sais pas vraiment combien de verres j'ai bu, ni même leur contenance. Dans un sens, j'aime beaucoup boire, parce que cela me permet de laisser un peu derrière moi mon côté coincé, mais en même temps, j'ai plus de mal à me contrôler et à faire attention à ne pas déraper. C'est paradoxal, mais le problème, c'est qu'une fois que j'ai commencé à boire, je ne peux pas m'arrêter.
Lys a la détente facile, ce qui a grandement impressionné Jonas. C'est un très gros buveur, et rare sont les filles qui arrivent à suivre son rythme, ça vaut aussi pour les mecs. Sauf que là, ils ont établi un jeu, qui est que quand l'un des deux boit, l'autre boit aussi. Pour l'instant, ils sont donc totalement à égalité. C'est marrant parce que du coup, quand l'un part d'un côté de la pièce, l'autre le suit immédiatement des yeux pour voir s'il boit, et donc si lui-même doit boire en retour. De ce fait, ils ne se lâchent pas des yeux, en fait. Moi, ça me fait rire, parce que j'ai été élu arbitre, et donc je dois les surveiller aussi. Et surtout, je dois les freiner si je vois que ça va trop loin. Il est clair qu'ils ont tous les deux un esprit très compétitif, et j'ai bien peur qu'ils ne soient pas capable d'appuyer sur le bouton stop si ça dérape. Il ne faudrait pas que l'un d'eux tombe en coma éthylique juste pour ça.
A côté de ça, tout se passe très bien jusqu'ici. Je n'ai aperçu Eden que deux fois, au fin fond de la salle, près de la fenêtre, en train d'enchaîner cigarettes sur cigarettes, Danny à ses côtés. Et vas-y que je souffle ma fumée dans ta bouche, bref, dans mon esprit embrumé alcoolisé, j'ai rapidement détourné les yeux. Faux, je les ai fixé pendant au moins quinze bonnes minutes avant de décider de m'enfiler un nouveau verre. J'ai croisé plusieurs fois sa sœur, qui m'ignore totalement. Quoi de plus normal, elle ne me connait pas. Anton est venu plusieurs fois s'assurer que tout se passait bien, mais je l'ai vu disparaître avec une fille y'a plusieurs dizaine de minutes. Bref, tout se passe bien.
Jonas, en bon joueur, revient avec deux verres, et il en tend un à Lys en lui faisant un clin d'œil provocateur. Lys l'observe, les lèvres plissées et les sourcils froncés, avant de me jeter un regard noir. D'un coup, elle tend un doigt vers Jonas.
- Toi. Sur la piste de danse. Maintenant.
Jonas, surpris, reste coincé avec son verre sur le bord des lèvres. Lys vide son verre d'un trait, un Jonas, paniqué, sur les talons, puis elle l'attrape par le bras et le traîne littéralement vers le cercle de personnes qui se déhanchent au milieu du salon. Lys se retourne tout en me fusillant du regard et en me faisant un doigt d'honneur. Je vois également ses lèvres bouger pour mimer un joli "rabat-joie", avant de disparaitre au milieu des gens. Froissé, je lève la tête haute avant de faire demi-tour. J'ai pas envie de danser, c'est mon choix et puis c'est tout. Gonflant les joues comme un enfant de sept ans à qui on a refusé de lui acheter des bonbons, je me dirige vers la cuisine, histoire de me trouver un rafraichissement.
Cependant, une main sur mon épaule m'arrête, et, surpris, je me retourne, sans me préparer le moins du monde à ce qui va se passer. Mon corps entier se fige lorsque je reconnais le visage de la personne qui me fait face, deux chiens de garde à ses côtés. Je suis tellement bloqué que son prénom ne me revient pas tout de suite.
- Solly, putain, mec, je t'avais pas reconnu ! s'exclame Hugues (le voilà son prénom !) en me reluquant de la tête aux pieds. C'est quoi ces fringues ? La nouvelle marque des pauvres ?
Aïe, ça pique. Heureusement qu'à cause de l'alcool, les informations ont du mal à monter jusqu'à mon cerveau, sinon je crois bien que je me serais déjà écroulé sur le sol en millions de petits morceaux. Voilà tout ce que j'ai fui. Hugues est le portrait craché de tous ces gamins hypocrites que j'ai refusé de côtoyer une minute de plus dans ma vie. Et dire que j'étais comme lui, il y a à peine six mois. Les trois garçons sont identiques, à l'exception de leurs couleurs de cheveux, et de la grosseur de leurs visages. Mais sinon, chacun y va de son petit polo de marque, de son jean repassé et de sa paire de chaussures de ville à trois cents euros la semelle. Les plus beaux fils à papa de la soirée. Les revoir, c'est comme me revoir six mois en arrière, quand j'ai commencé à refuser de participer à tous ces galas à deux balles où le simple but est de s'exposer en disant "c'est moi qui ai le plus gros porte-feuille", quand j'ai expliqué à tout le monde que l'année prochaine, je voulais vivre par mes propres moyens, quand j'ai vendu tout ce que je possédais de marque pour me faire des économies. Merde, ce passé est en train de me cracher à la gueule.
- Toi, t'as pas changé d'un pouce, je m'entends répondre d'un ton bancale.
Les deux nigauds derrière Hugues ricanent, mais je sens ma vue se voiler. Mes mains tremblent tout en ne formant plus que deux poings, et je ne peux m'empêcher de chercher Jonas dans la foule. Je suis tellement faible qu'il me faut un pilier, là, maintenant, tout de suite. Je l'aperçois en train de danser comme un robot face à Lys, qui, pas le moins du monde impressionnée, ondule gracieusement au rythme de la musique. Je me rends compte à quel point mon comportement pourrait les agacer. Et si, quand ils me traitent de coincé, c'est parce qu'ils en ont marre de moi ? Que diraient-ils si je les appelais en pleurnichant pour qu'ils me sauvent des griffes d'Hugues, et de ces Crabbe et Goyle qui le collent comme deux toutous ?
- Eh bah, les coutumes de la rue n'ont plus aucun secret pour toi, on dirait, voilà que tu parles comme une racaille !
Hugues me regarde comme si je n'étais rien d'autre qu'une merde sur son chemin. Ses parents et les miens ne se sont jamais entendus, et la guerre entre nos deux familles était puérile mais bien réelle. Les jalousies allaient bon train, et les rivalités aussi. Je n'ose imaginer ce que les parents de Hugues ont pensé quand je suis parti de chez moi faire ma vie ailleurs de cette cage d'orée. Sûrement ont-ils fait une fête en l'honneur de mon déshéritage. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, et il est littéralement en train de me vomir à la gueule, signe que je vais craquer et sûrement me mettre à chialer. Je ne suis pas de taille à faire face à un mec comme ça, j'essaye de trouver quelque chose à lui répondre, mais mes lèvres sont scellées. Devant mon silence, ils finissent par rigoler de plus belle et s'en aller en prenant soin, chacun leur tour, de me bousculer l'épaule.
Voilà comment ma descente aux enfers a commencé.
Tandis que j'avale la dernière gorgée amère de ma bière, Jonas me tombe littéralement dessus, s'allongeant sur mon dos, me plantant son menton dans l'omoplate.
- Au final, je m'amuse bien ! me crie-t-il à l'oreille, ce qui m'arrache une grimace.
- Putain, mais va crier plus loin... je lui assène, pas vraiment d'humeur.
Il se recule et me fait face alors que je suis carrément avachi sur le plan de travail de la cuisine, déjà en train de me servir un nouveau verre. D'ailleurs, c'est à peine si j'arrive à viser l'intérieur du verre, mais il faut dire qu'il est pas si large que ça. La taille de ma paume, tout au plus, et il arrête pas de vibrer.
- Hé, monsieur grognon, calmos !
- C'est quoi le problème, encore ? Si je suis pas coincé, je suis grognon, c'est ça ? je marmonne en rejetant la main qu'il pose sur mon épaule.
Cette fois, Jonas me dévisage avec insistance. J'essaye de me rappeler la cause qui fait que je me retrouve dans cet état, mais je ne m'en rappelle pas tellement. A vrai dire, je ne sais pas vraiment depuis combien de temps je suis collé à ce plan de travail, au milieu de la cuisine, tout seul, et à descendre la première bouteille qui me vient à la main.
- Laisse-moi tranquille, finis-je par dire.
Je ne le regarde pas, et c'est mieux comme ça. C'est vrai, il est toujours là à me dire que je suis coincé, mais il s'en fiche de savoir que ça me vexe ? Il pense que c'est comme ça que je vais réagir ? Je lui tourne le dos, signe que je n'ai plus envie de voir sa tête. Il sait pas ce que c'est, lui, de vivre avec la peur d'être un moins que rien et de craindre de ne jamais être accepté à sa juste valeur. Alors oui, je suis coincé, mais je fais des efforts. Pourquoi les autres ne pourraient pas m'aimer comme je suis ? Pourquoi ils ne pourraient pas aimer le gentil petit coincé de Solly qui se coupe en quatre pour faire plaisir à tout le monde ? Jonas n'a pas le quart de mes inquiétudes et de mes problèmes. Il est terriblement beau et attire tout le monde comme un aimant, il pourrait dire les pires horreurs que les gens lui mangeraient encore dans la main, tout simplement parce qu'il sait naturellement comment s'adresser aux gens. Moi, si je reste naturel, personne ne prend la peine de venir me parler. Je ne suis pas assez digne d'intérêt.
Après avoir bu une nouvelle gorgée de mon verre, je me rends compte que celle-ci passe très mal et va directement se poser au fin fond de mon estomac. Je la vois d'ici me narguer en me disant qu'elle est la gorgée de trop. Poussant un soupir exaspéré, je me retourne en titubant, pas du tout surpris de voir que Jonas n'est plus là, et je me dirige naturellement vers un endroit peu fréquenté de l'appartement. Les sourcils froncés et la bouche pâteuse, je me sens d'humeur à hurler dans un coussin. Arrivé dans le couloir, je ne sais déjà plus ce que je fais là. Au fond de moi, je ne veux pas partir parce que déjà, il n'y a plus de métro et je n'ai nulle part où aller, et aussi parce que ça voudrait dire laisser Jonas. Même si j'ai les idées noires et une envie certaine de le tuer, mon inconscient bien enfoui m'empêche de partir en laissant les choses telles qu'elles sont.
- Solly, ça va ?
Je lève les yeux et croise le regard d'Anton, qui sort de ce qui ressemble à la salle de bain. Sa mine inquiète me rappelle celle qu'il avait eu un soir pour Eden, et tout de suite, ça me réchauffe le cœur. Est-ce qu'il me place au même niveau qu'Eden sur son échelle de l'amitié ?
- Je me sens pas très bien, dis-je dans un souffle, tout en amenant ma main à mon crâne bouillant.
Anton, ses cheveux blonds en pagaille, et ses yeux bleus pétillants m'observe de la tête aux pieds.
- Y'a ma chambre, au bout à droite, va te reposer, si tu veux.
Je le remercie d'un simple hochement de tête, alors qu'il me pose une main rassurante sur mon épaule, me faisant promettre de hurler si jamais quelque chose ne va pas. Bien sûr, son intention me touche, mais je doute qu'il arrive à m'entendre hurler tellement la musique est forte et résonne dans tout l'appartement. Toujours titubant, tenant à peine debout, j'avance à tâtons dans le couloir plongé dans l'obscurité. Arrivé au bout, j'ai un doute. Sa chambre est à droite, ou à gauche ?
Pas vraiment conscient, et sans me poser plus de questions, j'ouvre la chambre de gauche. Celle-ci est encore plus sombre que le couloir, je ne vois vraiment rien. J'entends encore la musique battre à mon oreille alors que je ferme la porte derrière moi. Je longe le mur, et par chance, mes tibias viennent cogner ce qui ressemble sans aucun doute à un lit. Sans plus réfléchir, je m'allonge tout en poussant un profond soupir de frustration, de peine et d'énervement. Oui, tout ça mélangé. Je ferme les yeux, me disant que tout ira mieux quand j'aurai retrouvé toute ma tête. Là, sur le moment, je n'ai pas vraiment envie de m'excuser auprès de Jonas, mais je suis sûr qu'une fois réveillé, ce sera la première chose que je ferai.
J'ai à peine le temps de me détendre que je sens du mouvement à côté de moi, dans le lit, et que dans la même seconde, je suis littéralement éjecté de celui-ci.
- Putain de merde ! s'écrie une voix.
Je roule sur le côté, manquant de me prendre le sol en pleine tronche. Quelques centimètres de plus sur la droite, et pour sûr que je me pétais le nez. Complètement déboussolé, je ne me relève pas tout de suite, les yeux toujours fermés. Je grogne tout en me soulevant légèrement, histoire d'arrêter d'écraser mon bras sous mon poids.
- C'est quoi ce bordel, t'es qui ? s'énerve la voix.
Je grogne de nouveau. Il semblerait que je me sois trompé de chambre. Ou alors Anton a oublié de me prévenir qu'elle était déjà en partie occupée.
- C'est ma chambre ici, qui que tu sois, dégage !
- Ah, ma tête... Qu'est-ce que vous avez tous à me crier dessus, aujourd'hui ?! marmonné-je en tentant de me remettre debout.
- Oh non, pas toi...
Bah ça fait plaisir comme accueil. Après, j'oublie peut-être que je viens de débarquer dans la chambre de quelqu'un, sans prévenir, et que j'ai voulu squatter son lit. Bon, en même temps, je suis bourré, moi, j'ai pas vraiment conscience des choses. Soudainement, la lumière est allumée, et même au travers de mes paupières, elle me fait mal aux yeux. Toujours allongé sur le sol, je cache mes yeux avec mes mains. Une douleur lancinante me prend soudainement dans les côtes, puis une autre, et je comprends qu'on est en train de me donner des coups de pieds.
- Hé doucement ! Ça a jamais tué personne de montrer un peu de respect !
- Solly, dégage.
Merde, cette personne connaît mon nom. Je grogne en poussant sur mes bras pour soulever mon buste. Ce que je suis lourd ! Pourtant, je ne suis ni du genre gras de bide, ni du genre musclé non plus. Une fois à genoux sur le sol, je m'aide du lit pour me remettre debout, mais, titubant immédiatement, je me retrouve les fesses sur le matelas. Là, je lève les yeux, et je reconnais mon interlocuteur. Je le dévisage, une expression neutre sur le visage. Je ne suis même pas surpris. Je devais être un tueur en série dans une autre vie pour avoir un si mauvais karma.
- Bonsoir.
Putain ce que je suis con.
- J'ai dit ça parce que je suis bourré, m'empressé-je de dire.
Eden porte un sweat large, tirant avec ses doigts sur ses manches frénétiquement. Tout à l'heure, je me souviens très bien qu'il ne le portait pas. Il avait un large débardeur bleu ciel sur les épaules, qui faisant grandement ressortir ses yeux, d'ailleurs. Peut-être que ce sweat, c'est son pyjama. Je rigole comme un idiot rien qu'à cette pensée. Mais son bas est toujours son jean noir moulant qui lui fait des fesses d'enfer, et il a encore ses chaussures aux pieds. Il devait avoir froid. Dans cette chaleur ? Trop drôle. Tiens, ça me fait encore plus rire. Il a froid. Je connais quelqu'un qui pourrait le réchauffer. Je parle bien sûr de Danny.
- Ça, j'avais remarqué. Tu veux bien partir, maintenant ?
- Pourquoi, t'es en train de faire des cochonneries ? dis-je avec un nouveau sourire idiot.
- Merde, t'es carrément plus chiant bourré !
- Quoi, tu veux dire que je suis coincé, sinon, c'est ça ? craché-je, perdant immédiatement mon sourire.
Je vois le regard sombre d'Eden m'observer un petit moment, puis il finit par hausser les épaules. Super, tout le monde me croit coincé. Bah, c'est que ça doit être la vérité. Je passe une main sur mon visage. Je ne trouve plus rien de drôle, sur le moment. J'ai un étau qui se referme autour de mon crâne, signe que le lendemain risque d'être un calvaire, mais pire encore, la migraine n'est sûrement pas ce que je vais regretter le plus.
- Va-t-en, Solly, finit par souffler Eden en reculant.
Très bien, c'est le signal de départ. Je vois même pas pourquoi je suis resté plus longtemps. Je me sens pas bien ici non plus. Je me demande où est-ce que je vais pouvoir trouver un coin sur cette planète où je ne me sens pas de trop. Alors que je me lève, Eden s'empresse de faire le tour de lit. Je l'observe du coin de l'œil tout en me dirigeant vers la porte de la chambre. Soudain, je le vois ranger un petit objet qui brille dans son tiroir avec empressement. Là, je pourrais me foutre des claques. Pour de vrai.
- Tu faisais quoi ? demandé-je, cette fois, d'une voix plus assurée.
Eden se tourne vers moi, surpris de me voir regarder dans sa direction. Immédiatement, il tire de nouveau sur les manches de son sweat et se poste contre la commode, cachant le tiroir de ses jambes.
- Rien, répond-t-il en me défiant du regard.
C'est la première fois que nous nous retrouvons seuls depuis la rentrée, et qu'il est plus ou moins dans un bon état. Je veux dire, il est debout et il n'est pas en train de faire une crise. Ok, on ne peut pas dire la même chose pour moi, mais il n'empêche que ça me fait quelque chose. Là, dans cette pièce, il n'y a que nos deux âmes et nos deux cœurs qui battent. Ça me fait tellement étrange d'être face à cette silhouette qui me parait étrangère et de me dire que mes mains ont déjà touché cette peau et que mes lèvres ont goûté ces lèvres. Je remarque pour la première fois à quel point il est maigre, ses jambes sont terriblement fines, tout comme ses bras, et chaque os de son corps ressort pour faire vibrer le mien. C'est comme la peau et les os de sa clavicule qui m'ont obsédé une fois, sauf que là, c'est tout son corps qui rend fou le mien.
- Tu te drogues ? j'insiste, le regard vissé sur lui.
- Non, répond-t-il de nouveau sur le même ton.
- Alors tu faisais quoi ?
- C'est pas tes affaires.
- J'en ai rien à foutre que ce soit pas mes affaires ! je m'écrie soudainement, le faisant sursauter, et me surprenant moi-même.
Eden, les manches tirées de son sweat jusqu'au bout de ses doigts, recule jusqu'à se cogner contre sa commode, ses yeux bleus sombres me dévisageant. Je vois son souffle faire monter et descendre sa cage thoracique, et ses lèvres tremblent légèrement.
- J'ai pas besoin de toi ! me crie-t-il alors, avec la même détermination mélangée de haine et d'intensité bancale dont j'ai fait preuve quelques secondes plus tôt.
Son regard, bouillonnant d'une lueur de provocation et de haine, semble m'ordonner très clairement de sortir de sa chambre, mais pourtant, je ne bouge pas. Sans comprendre pourquoi, je vois que ses yeux brillent de plus en plus à la lumière de la pièce qui nous entoure.
- Tu crois que j'ai pas vu ton petit jeu, hein ? Pourquoi t'es toujours à me coller, comme ça ? commence-t-il, sa voix légèrement tremblante. Tu veux te racheter, tu te sens coupable, c'est ça ?!
Il marque une pause, ses mains s'étant libérées des manches du pull pour monter à son visage. Mais aussitôt, il les ramène vers lui et les bloque dans son dos. Pour ma part, je me contente d'encaisser, pas vraiment sûr de vouloir comprendre ce qu'il en train d'insinuer.
- Y'a eu qu'une seule fois où j'ai eu besoin de toi, et tu t'es barré comme un putain de lâche !! me crache-t-il au visage.
Il fait un pas vers moi de colère, mais se recule tout aussi tôt. Il n'a pas l'air d'avoir peur de m'approcher, mais il a plutôt peur que je découvre ce qu'il était en train de faire. A vrai dire, je n'en ai plus rien à faire de ce qu'il trafiquait, de ses putains de manches qu'il garde tirées sur ses mains et de ce qu'il a planqué dans son tiroir. Je m'en fous parce qu'on vient de prendre mon cœur, qu'on l'a posé tout doucement sur des braises pour ensuite lui rouler dessus avec un camion.
- Je t'ai dit que j'étais pas gay ! je me défends, incapable de trouver quoi que ce soit d'autre à dire.
Je revis ce moment, il y a deux ans. Je revis ce baiser que nous avons partagé, l'arrivée d'Anton et de Danny, et moi qui ai fui. Je ne voulais pas me retrouver à parler de ce moment, et voilà que nous sommes en plein dedans. Et il me le reproche. Moi qui ne voulais pas penser au fait qu'en effet, je n'avais rien assumé et m'étais enfui comme si j'avais fait la pire erreur de ma vie. Et là, maintenant que je suis face à ce moment, je fuis de nouveau, je me trouve une excuse. Je suis pitoyable.
- Moi aussi je te l'ai dit, et regarde, je le suis ! Je suis gay, homosexuel, je suis une pédale, une tapette, un PD, j'aime me faire prendre, voilà ce que je suis et j'assume !
Eden a le souffle court, mais ses yeux me foudroient littéralement d'une haine qui m'échappe. M'en veut-il à ce point ? Je suis complètement perdu, et pire encore, j'ai mal.
- Déjà, à cette époque, t'étais rien d'autre que ce coincé omnibulé par le regard des autres. T'as pas changé.
C'est comme si on venait de m'injecter un poison directement dans les veines. Je le sens se répandre dans mon corps tout entier, il se déverse avec haine pour tout détruire sur son passage.
- Je t'emmerde, Eden ! hurlé-je en tournant les talons.
Je n'arrive pas à croire qu'il vient de me dire une telle chose. Ça fait plus mal de sa bouche que de n'importe qui d'autre. Je me sens blessé et surtout misérable. Un poids appuie sur mon estomac et ma vue est floutée par la peine. J'ai maintenant la preuve qu'il me déteste, et le pire, c'est que cela ne devrait rien me faire mais qu'au contraire, ça me déchire de toute part. J'ouvre la porte de sa chambre à la volée, les yeux baissés, et une terrible envie de prendre mes jambes à mon cou, peu importe que je n'ai nulle part où aller. De nouveau je ressens au plus profond de moi cette envie irrépressible de chasser ma peine en utilisant Shelly, et je me maudis d'avoir de telles pensées.
Alors que je sors de la chambre d'Eden, mon corps est arrêté net par celui de quelqu'un d'autre. Je lève les yeux et croise le regard de Danny. C'est pas possible, la terre m'en veut pour quelque chose !
- Qu'est-ce que tu foutais là-dedans, toi ?
- Rien, je réponds avec hargne.
Danny me dévisage avec insistance.
- J't'ai pas dit d'arrêter de le coller ?
Putain, ce n'est pas le moment. Sans réfléchir, et pris par une rage folle, et insoupçonnée, je choppe Danny par le col de sa chemise et je le repousse brusquement, l'envoyant cogner dans le mur d'en face.
- Lâche-moi, pauvre con ! je lui assène en lui jetant un regard noir.
Merde, je suis fier de moi, pourtant, je suis quasiment sûr à quatre-vingt dix pourcents que ce n'est pas le moment. Au moment où une ombre apparaît derrière moi, sûrement Eden, Danny fond sur moi et m'assène un joli coup de poing dans la mâchoire. Sa force plus l'alcool - enfin surtout sa force, m'envoient valser sur le côté. Je me redresse, la main posée sur ma joue qui me fait un mal de chien. Un goût métallique se répand dans ma bouche et me fait hoqueter. Je crois que je me suis mordu à m'en faire saigner en encaissant le choc. Et sur le coup, je continue dans ma folie et me jetant sur Danny, le poussant brutalement une nouvelle fois. Je suis en train de me battre avec quelqu'un...
Oh
mon
dieu.
Danny n'est malheureusement pas un mauvais adversaire, et son coup de pied en plein dans le ventre m'achève bien vite. Je me retrouve le cul sur le sol, et le souffle coupé. Mais avant, j'ai tout de même réussi à donner un coup de je ne sais de quoi, dans le nez de Danny, qui déverse son sang sur le parquet. Eden s'approche de lui, choqué, tout en me jetant un regard noir. Il observe le nez de Danny et le rassure rapidement en lui expliquant qu'il n'est pas cassé.
Merde.
Deux silhouettes arrivent alors derrière Danny, et celles-ci se dirigent immédiatement vers moi. En voyant mon état, mon t-shirt déchiré et mon hématome sur la joue, Jonas voit rouge immédiatement. Il se tourne d'un coup vers Danny, les dents serrées et l'air furibond.
- C'est lui qu'a commencé ! s'exclame alors Danny en regardant Anton.
Ce dernier est d'ailleurs en train de retenir Jonas qui est à la limite du pétage de câble. Une foule s'agglutine à l'entrée du couloir pour être témoin de la scène et j'aperçois alors les cheveux défaits et emmêlés de Lys. Elle se précipite vers moi et m'aide à me remettre debout.
- Menteur ! s'énerve Jonas en fusillant Danny du regard. Solly ferait jamais un truc pareil !
Anton se tourne alors vers Danny, puis je le vois jeter un regard interrogateur à Eden. Un dialogue silencieux semble avoir lieu entre eux, mais ils sont les seuls à en comprendre le sens. Anton secoue alors vivement la tête, puis se tourne vers Danny.
- En temps normal, je t'aime bien mec, mais là, t'as déconné. Sors de chez moi.
Le ton d'Anton est sans appel. Danny s'essuie alors vulgairement le nez avec son bras avant de jeter un regard dédaigneux à Anton, puis à moi. Aussi surprenant soit-il, il pose simplement sa main sur l'épaule d'Eden pour y exercer une petite pression, et sort sans rien ajouter. Eden ne le suit pas, il se contente de souffler longuement et de retourner dans sa chambre sans un mot. Merde, Anton m'a défendu, mais le pire, c'est que si je me souviens bien, c'est vraiment moi qui ai commencé la bagarre... Anton s'approche de moi et me donne une petite claque sur la joue, heureusement, celle qui a échappé à la bataille.
- T'es plein de ressource, Solly, tu m'impressionnes !
Puis il repart comme il est arrivé. Lys se tient près de moi, son bras passé autour du mien, me tenant fermement. Le contact de sa peau me rassure, me sentant soudainement entouré. Jonas, qui a fourré les mains dans les poches de son pantalon, me jette un petit regard timide, avant de donner un coup de pied dans un caillou imaginaire.
- J'suis désolé.
- Non, c'est moi... renchéris-je en baissant les yeux.
- Non, c'est moi, j'ai pas vu que t'allais pas bien et je me suis comporté comme un gros con...
- C'est moi qui ai joué les gros cons...
- Putain, fermez-la, les pleurnichards ! s'énerve alors Lys en levant les yeux au ciel.
Jonas et moi nous regardons, légèrement honteux de notre comportement. Il me tend la main, et je la lui sers. Mais il m'attire alors soudainement vers lui en me blottissant contre son corps. Pour me repousser tout aussi brusquement.
- J'arrive pas à croire que tu te sois battu ! s'exclame-t-il, hilare.
Moi non plus...
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