0. la rencontre

Ce soir, j'ai décidé d'être cet ami chiant en soirée, celui qui ne veut pas s'amuser, et qui ne sait même pas pourquoi. Cela pour qui, pendant deux bonnes heures, ses amis n'ont par arrêté de trimer, ils ont essayé de le faire rire, de le motiver, de le soûler même, mais rien n'y a fait, il a continué de bouder. Alors ils ont fini par abandonner et maintenant, ils le laissent moisir dans un coin du salon pendant qu'il fait semblant de jouer les DJs de la soirée, alors qu'en fait il a juste mis une playlist déjà toute faite. Oui, ce soir, ce mec, c'est moi.

Il n'y a pas de raison précise. Ou peut-être le fait que le mec chez qui je suis et qui fête son anniversaire n'est pas vraiment mon ami. On est tous dans la même équipe de volley du lycée, mais franchement, ce mec est une plaie. Cependant, étant donné qu'il est le capitaine de l'équipe, je n'ai pas pu refuser l'invitation. Mais l'alcool a un goût étrange, les gens sont tous fous alliés, la décoration laisse à désirer, il fait trop noir et la musique est mauvaise. Bon d'accord, pour le dernier point, je n'ai qu'à faire un effort, mais le pire, c'est que j'ai l'impression que cette musique convient à la bande de dégénérés qui remue des fesses sur la piste de danse.

Je pianote distrairement sur mon téléphone, faisant semblant de taper un très très très long message, histoire de m'assurer que personne ne vienne me déranger, lorsque je vois le capitaine de l'équipe tenter l'ascension de la poutre qui traverse tout le salon. Je dois avouer que ce mec, ou plutôt ses parents, possèdent une super barraque. En dehors de Paris, toute de briques et de poutres apparentes. Elle fait très ferme campagnarde, et c'est un luxe qu'il est difficile de se payer aussi proche de Paris.

Si vous voulez mon avis, ce mec est totalement fêlé. Le voilà qui se prend pour un grand singe, en frappant ses pectoraux à renfort de grands cris d'animaux, parce que oui, il a fini par réussir à y grimper, sur cette satané poutre, qui se trouve quand même à deux mètres au dessus du sol. Bon, c'est ce côté un peu sans peur qui nous vaut toutes nos victoires, c'est vrai, et donc, c'est pour lui montrer ma reconnaissance que je ne suis pas encore parti.

Je remarque alors un garçon, un peu éloigné de la foule qui acclame notre capitaine. Il le regarde avec un air un peu honteux, comme s'il était gêné pour lui. Et il y a de quoi, puisqu'Anton Monty ne s'arrête pas là, il enlève son t-shirt qu'il fait tournoyer autour de sa tête plusieurs fois avant de le lancer, je vous le donne dans le mille, en pleine tête de ce garçon. Tous les regards et acclamations se tournent vers lui, et il pique un énorme fard. Je ne peux m'empêcher de sourire, tout en pensant fortement, le pauvre. Ça se voit clairement qu'il n'aime pas être au centre de l'attention, et pourtant, une bonne dizaine de groupies viennent de se jeter sur lui pour lui arracher des mains le t-shirt.

Anton descend soudainement de la poutre et s'approche du garçon, éloignant ses groupies, il passe son bras autour de son épaule et lui dit quelque chose à l'oreille. Le garçon part immédiatement d'un grand rire, et Anton sourit comme s'il se sentait rassuré. C'est bien la première fois que je le vois comme ça. Anton Monty est réputé pour son manque d'empathie envers tout ce qui l'entoure, alors le voir faire attention à ce garçon le change de ses habitudes. Je vois alors le regard d'Anton se diriger vers moi, et par réflexe, je détourne les yeux. Faites qu'il ne vienne pas me voir. Faites qu'il ne vienne pas me voir.

Trop tard.

Anton se plante soudainement devant moi, avant de me claquer sa main dans mon dos, ce à quoi je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas faire une grimace. "Hé DJ Solly !" s'exclame-t-il, m'envoyant son haleine puant l'alcool en plein visage. Je me redresse et lui affiche mon plus beau faux sourire. Je remarque le garçon avec qui il était qui se tient derrière lui, en retrait. "Salut, Anton !" répondis-je simplement, n'ayant pas envie de m'étaler. Anton croise les bras sur sa poitrine d'une façon très théâtrale. "Solly, j'te présente Eden, c'est mon ami d'enfance." dit Anton en donnant un coup de menton vers son pote. Ledit Eden penche la tête légèrement sur le côté et me fait un petit sourire timide. Je me demande comment ce garçon a-t-il fait pour supporter Anton depuis aussi longtemps.

"Il voudrait bien passer quelques musiques, si ça te dérange pas. Tu reprendras le flambeau après, t'inquiète pas !" continue Anton, avec ce ton qu'il emploie assez souvent et que je déteste particulièrement. Celui où il te fait croire qu'il te demande la permission alors qu'en réalité, pas du tout. Je hoche la tête, après tout, je m'en fous bien d'avoir à gérer cette satané musique. "Pas de problème." dis-je pour la forme, alors qu'Anton lève ses deux pouces en signe d'approbation. Il part chercher une chaise plus loin qu'il traîne jusqu'à la table de fortune où a été installé le Pc. Anton dit de nouveau quelque chose à l'oreille du garçon qui hoche la tête avec un grand sourire. Puis Anton disparaît dans la foule.

J'observe le garçon du coin de l'œil, alors que j'ai de nouveau sorti mon téléphone devant moi. Il a des cheveux bruns ébouriffés lui tombant devant les yeux, mais cela ne m'empêche pas de distinguer leur couleur azur. C'est comme une mer paisible et intense. Le garçon, se sentant sûrement observé, lève les yeux vers moi, mais dès qu'il croise mon regard, son attention retourne sur l'ordinateur. Je crois qu'il est réellement très timide. Je reporte mon attention sur mon téléphone, mais je me sens un peu bête d'écrire des lettres au pif, du coup, je m'efforce d'écrire un message qui raconte réellement quelque chose. Et alors, les premières notes de la chanson Falling, du groupe HAIM résonnent. "Enfin de la bonne musique..." souffle discrètement Eden, à côté de moi, mais c'est tout de même parvenu jusqu'à mes oreilles, alors je lui lance un regard. Il pique immédiatement un far en baissant les yeux. "Enfin, je voulais pas dire que..." commence-t-il, mal à l'aise, mais je le coupe d'un geste de la main. "Tu as raison, j'ai passé de la merde, mais à vrai dire, jouer les DJs c'est pas vraiment mon délire... Enfin, j'adore cette chanson..." dis-je en lui souriant doucement, et je suis content qu'il relève la tête à temps pour voir que je lui souris. Il me sourit à son tour, étirant ses lèvres doucement, ce qui forme une petite fossette au coin de sa joue droite. "Pourquoi tu es là, du coup ? Enfin, tout seul, à gérer la musique ?" demande-t-il d'une petite voix, ayant apparemment peur de poser une telle question. Je range mon téléphone en haussant les épaules, contrairement à ce que j'aurais pu penser, ça ne déplairait pas de discuter avec ce garçon. "J'ai pas la tête à m'amuser... Enfin, y'a pas de raison spéciale mais j'ai juste... Pas envie." expliqué-je en croisant les bras sur mon buste, les yeux rivés sur cette foule qui se déhanche enfin sur de la bonne musique.

Le garçon hoche doucement la tête, comme s'il comprenait ce que je voulais dire. Plus je l'observe, et plus il me paraît intriguant, comme s'il y avait quelque chose à creuser sous cet air timide. "Tu veux boire quelque chose ? Il faut que je me dégourdisse les jambes, ça fait une éternité que je suis assis là..." lui demandé-je en me levant. Le garçon paraît surpris, et il hausse simplement les épaules, l'air de dire 'pourquoi pas'. Alors je traverse la foule pour aller jusqu'à la cuisine. En chemin, je me rends compte que je ne lui ai pas demandé ce qu'il voulait boire. Veut-il une boisson alcoolisée ou non ? Je ne sais même pas pourquoi je m'inquiète pour un détail comme celui-là. J'aurais qu'à lui prendre la même chose que moi, ça fera juste genre le mec il a pas trop réfléchi. Ce que je ne suis clairement pas en train de faire, au final. Une fois dans la cuisine, je me retrouve devant une armée de bouteilles différentes, et là, toute mon intention de me la jouer mec cool qui ne s'est pas pris la tête s'envole royalement. Je finis par m'embêter à faire un cocktail d'alcool qui me prend bien quinze bonnes minutes, en mélangeant alcool, jus de fruit, sirop de grenadine, et trouver le bon équilibre en alcool et sucre, et je suis parti.

Je l'aperçois, sa silhouette fine assise à la table du DJ, les yeux rivés sur la foule, sans vraiment la voir. Il a les lèvres pincées et ses mains jointes posées devant lui. Je traverse donc la foule en sens inverse, faisant attention de ne pas me faire bousculer, pour ne pas renverser les verres. Lorsqu'il m'aperçoit, je vois s'esquisser un sourire qui lui transperce le visage, mais qu'il cache assez vite en se mordant la lèvre inférieure. Il y a, quelque part au fond de moi, quelque chose qui commence à brûler. Je m'assois près de lui et je lui tends un verre. "T'en fais une tête !" dis-je en rigolant, alors qu'il me remercie poliment. "Je... Je pensais que tu n'allais pas revenir..." dit-il avec un ton moqueur, mais je crois bien qu'il se moque de lui-même, et non pas de moi. "Eh bah non, je suis là." répondis-je doucement, les yeux rivés sur lui, alors qu'il garde le regard baissé. Avait-il réellement peur que je ne le laisse là tout seul ? "Je savais pas ce que tu voulais, alors je t'ai fait une sorte de cocktail !" lui expliqué-je en lui montrant le verre. Il fronce alors les sourcils, et, très timidement, il pose le verre sur la table, à côté de l'ordinateur. "Euh... Je suis désolé, mais je ne bois pas d'alcool." dit-il tout bas, presque mal à l'aise. Merde. Je savais que j'aurais dû lui demander. Je me sens soudainement comme un parfait idiot, et je me rends compte que je suis déçu de moi, et que j'aurais voulu lui faire plaisir. "C'est pas grave, je vais le boire pour toi !" et, joignant le geste à la parole, j'attrape son verre que je bois d'une traite, je fais une grimace, parce que c'est hyper sucré, mais j'enchaîne tout de même avec le mien.

Eden m'observe avec un drôle d'air, mais soudain, il sourit de nouveau. "Quelle descente !" s'exclame-t-il, presque joyeux. Je hausse les épaules. "Mes parents sont vignerons, alors l'alcool, ça me connaît." dis-je bêtement, l'air nonchalant. C'est vrai, mes parents sont vignobles, ou plutôt, ils s'occupent d'un important réseau de vignes, mais en réalité, ce ne sont que des hommes d'affaires. Et en attendant, ils m'ont envoyé en pensionnat à Paris. Ce qu'ils aiment, c'est l'argent, je l'ai compris il y a déjà plusieurs années, et je ne me plains pas, ils ont tendance à me payer presque tout ce que je veux. "Tu sais, c'est marrant, mais ma sœur, à une lettre prêt, vos prénoms sont identiques." me dit-il, l'air un peu amusé. Je me tourne vers lui, perplexe, et je vois les traits de son visage se figer, comme s'il regrettait ce qu'il avait dit. "Ah bon ? Elle s'appelle comment ?" demandé-je rapidement d'un ton enjoué, juste pour le rendre plus à l'aise. "Joly." répond-t-il avec un petit sourire. Ses yeux pétillent étrangement, comme si le simple fait d'évoquer sa sœur le rendait heureux. Je prends conscience que je sirote plus qu'il ne le faudrait mon verre, et que je l'ai même déjà fini. J'étais trop distrait, absorbé par l'intensité pastel de ses yeux bleus. J'avale alors ma salive, l'alcool pétillant toujours dans ma gorge, et une puissante bouffée de chaleur me submergeant soudainement. Mais je ne sais pas si cette chaleur est dû à l'alcool ou à autre chose.

"Est-ce que ça va ?" me demande Eden, d'une voix légèrement inquiète. Je passe une main dans mes cheveux, je me sens légèrement nauséeux. Je crois que j'ai bu trop vite. "T'es tout pâle !" continue Eden en se penchant légèrement vers moi. Je me sens à la fois très léger, mais aussi très lourd, limite comme si mon corps était happé par le sol. Merde, c'est pas le moment d'être malade. Eden se lève et m'attrape alors par le bras. "On va prendre l'air, viens." me dit-il en me soulevant. Ok, je ne suis plus du tout léger. Eden me traîne, même si j'essaye de me tenir debout du mieux que je peux. Je vois deux de mes potes m'observer, mais comme ils sont en bonne compagnie, il ne leur vient pas à l'idée de venir me porter secours. Et c'est mieux comme ça. Étrangement, je n'ai pas envie qu'ils approchent Eden.

Eden me paraît si posé, si calme, par rapport aux gens que je fréquente d'habitude. Je suis né avec une cuillère en argent dans la bouche et je n'ai fréquenté que des gens du même rang que moi. J'étudie dans un des lycées privés de Paris, mes parents sont sponsors de l'équipe de Volley, je vis dans un grand appartement tout seul. Bref, je mène une vie de gosse de riche, et je ne m'en suis jamais plaint, parce que j'ai toujours vécu baigné là-dedans. Eden, il est différent. Voilà pourquoi je l'ai remarqué parmi cette foule. Il n'est pas comme Anton non plus d'ailleurs, je me demande encore comment ils peuvent être amis. Il n'a rien à voir avec tous ces lycéens, présents dans cette pièce, qui ont les poches pleines de billets que Papa et Maman leur donnent sans compter. Il ne semble pas avide que de se droguer, se bourrer la gueule et baiser le premier venu. Il a l'air plus authentique. Voilà, j'ai mis le doigt dessus. Les tâches, dans le décors, c'est nous, c'est pas lui.

Lorsqu'Eden fait crisser la porte de la baie vitrée, je fais une grimace, mais dès que la brise fraiche de l'extérieur vibre contre mes joues, je me sens légèrement mieux. Je m'attends à ce qu'Eden s'arrête, là, sur la terrasse, juste à côté de la maison. Mais non, il s'enfonce, avec moi accroché à son bras, dans le fond du jardin. J'ai un premier réflexe purement débile qui me traverse l'esprit, me demandant s'il m'emmène au fond du jardin pour me violer, jusqu'à ce que j'ai un autre réflexe encore plus idiot, voir même étrange, qui est de me dire que ça ne me dérangerait pas. Je n'ai jamais été avec un garçon, je n'y ai même jamais pensé. Et là, si j'avais à être devant le fait accompli, je me dis juste que ça ne me gênerait pas. Pas avec Eden. Je secoue la tête, j'ai soudainement envie de me donner des claques. Je ne connais qu'à peine ce mec. Bon, c'est vrai, j'ai déjà embrassé des filles en soirées en ayant échanger encore moins de paroles avec elles, mais bon... Puis, peut-être n'est-il pas du tout intéressé par les hommes ? Franchement, je ne pense pas que ce soit mon cas. Peut-être, juste lui. Oh, merde merde merde, mon esprit déraille.

Je distingue alors dans la pénombre une balançoire, ou plutôt, une simple planche en bois, reliée avec deux cordes à l'une des épaisses branches de je ne sais quel espèce d'arbre se trouvant devant moi. Eden semble connaître les lieux comme sa poche, signe que lui et Anton sont réellement proches. Son ami d'enfance, hein ? Je ne connais pas assez bien Anton pour savoir d'où il vient, mais je crois que ses parents ont fait fortune dans le textile ou un truc dans le genre. Bref, mon cerveau n'est pas assez opérationnel pour que je m'en souvienne. Je crois qu'en plus je n'ai pas mangé avant de venir à la soirée, du coup, je comprends mieux pourquoi l'alcool est monté aussi vite. Eden me fait m'asseoir sur la balançoire, mais je me demande si c'est réellement une bonne idée, et si le fait qu'elle ne soit pas stable ne me donne pas envie de vomir. J'ai entendu un craquement en m'asseyant dessus, alors j'ai écarquillé les yeux, de peur de tout casser et que la branche ne me tombe sur la tête. Mais rien ne s'est passé, à l'exception d'un sourire magnifique se peignant sur le visage d'Eden. Il me paraît plus à l'aise à l'extérieur, loin de cette foule de gens qui ne lui ressemblent pas. "Anton et toi, vous vous connaissez depuis longtemps ?" demandé-je en essayant de me maintenir en équilibre sur la balançoire. Olala, ce n'est vraiment pas une bonne idée. Eden me regarde avec un petit air amusé sur le visage, et alors, il s'accroupit devant moi, posant les mains sur les deux cordes, de chaque côté de mon visage, et ça m'immobilise instantanément.

"Oui. On s'est connu quand il habitait encore en Belgique." me répond-t-il simplement, observant un point au dessus de mon oreille droite, je me demande bien quoi. Je décide de lâcher les cordes auxquelles je m'agrippais désespérément pour me maintenir en équilibre, profitant plutôt d'Eden, le laissant tenir les rennes. Et je le dévisage, presque perdu. "Tu... Tu es belge ?" demandé-je comme un idiot, ce qui, de nouveau, étire les lèvres d'Eden dans un petit sourire. Il a un beau sourire, avec deux petites fossettes sur le côté, mais son plus beau sourire, c'est quand il est amusé, comme maintenant. Il se contente de hocher la tête pour me répondre. Je crois que je suis plus choqué que je ne devrais l'être, mais je comprends que je ne reverrai sûrement jamais ce mec de ma vie. Je ne l'ai jamais vu aux côtés d'Anton, même à un match, où le blond aime briller devant la société et invite toujours une tonne de gens pour l'encourager. Mais Eden n'a jamais été là. Je l'aurais remarqué si ça avait été le cas, comme je l'ai remarqué aujourd'hui. Il est venu exprès de Belgique pour l'anniversaire de son ami d'enfance, et il repartira sûrement demain, ou dans quelques jours.

Eden garde les yeux fixés sur moi. Je n'arrive pas du tout à deviner à quoi il pense, là, dans la pénombre. Autant tout à l'heure, il me paraissait timide, voir très mal à l'aise, autant là, il est encore différent. Je me rends compte qu'il y a de l'électricité dans l'air. Est-ce réellement nous qui faisons ça ? Ou simplement moi ? Pourquoi ce mec et pas un autre ? Je n'ai jamais été attiré par un garçon, ça ne me choque pas, c'est vrai, mais ça ne me rend pas fou pour autant. Avec Eden, ça me paraît juste naturel. Nous restons encore quelques minutes à nous regarder, en silence. Puis, Eden penche doucement sa tête sur le côté. "Tu as repris des couleurs." me dit-il simplement. Oui, je crois que je me sens mieux, ou alors, c'est le simple fait de soutenir ce regard, en silence, pendant de longues minutes qui a fait monter le sang dans mes joues. Je lui souris doucement en guise de réponse, j'ai la gorge nouée, j'ai peur de dire une bêtise. Le silence se réinstalle, Eden détourne les yeux quelques secondes, puis revient vers moi, avant de nouveau fixer son regard sur un point invisible près de mon oreille. Je vois ses joues rosir, et je retrouve le Eden timide que j'ai rencontré il y a quoi, une heure ?

"T'es gay ?" me sort-il de but en blanc, mais la voix presque tremblante, comme si poser cette question lui était pénible. "Non." c'est la seule réponse que je trouve, les mots sont sortis tout seuls, ils ont fusé, alors que mon cœur a cessé de fonctionner. J'avale me salive alors que ses yeux se posent timidement sur moi avant de se détourner. "Toi ?" demandé-je à mon tour, la voix déraillant légèrement. Les yeux d'Eden se posent de nouveau sur moi, surpris, ils ne se détournent pas. Je vois dans son regard qu'il hésite, mais il finit par dire dans un souffle, les lèvres tremblantes : "Je crois... Parce que j'ai vraiment envie que tu m'embrasses."

Les mots semblent rester suspendus à ses lèvres alors que je sens une chaleur partir de mon bas-ventre et parcourir mon corps en entier. J'ai l'impression d'avoir dix ans de moins, alors que j'avais un béguin pour ma maitresse et qu'après que mes amis m'aient forcé à lui avouer mes sentiments pour elle, elle avait déposé un baiser furtif sur ma joue avant de me décoiffer avec un sourire. J'avais tout oublié autour de moi, les moqueries de mes camarades, le rejet que je venais de me prendre en pleine tête (quoi de plus normal, elle avait presque vingt-cinq ans de plus que moi), et il ne restait que le simple bonheur de n'avoir pas été invisible, d'avoir été écouté et d'avoir été embrassé (même si ce n'était que sur la joue, en même temps, j'avais cinq ans...). A ce moment, j'ai commencé à penser qu'il ne fallait jamais rien regretter dans la vie et profiter. Je compte bien profiter aujourd'hui.

Eden a toujours les mains posées sur la corde des deux côtes de mon visage, mais moi, j'ai les mains libres maintenant, je les garde agrippées à mes genoux, et pourtant, je peux déjà sentir à quel point elles sont moites. Je me penche alors doucement en avant, le visage d'Eden n'est qu'à quelques centimètres du mien. En réalité, je me demande ce que je suis en train de faire, mais les pulsations de mon cœur qui résonnent à mes oreilles m'empêchent de me concentrer sur cette question. Mes lèvres finissent par effleurer celles d'Eden, elles sont douces et semblent mouler avec les miennes. Sauf que, ça me prend d'un coup, dès que ses lèvres touchent les miennes, dès que je sens son souffle s'écraser contre le mien, je ne me contrôle plus, j'attrape son visage entre mes mains  et attire un peu plus encore son visage vers moi.

Eden paraît surpris, dans un premier temps, j'ai fermé les yeux, je ne vois pas son visage, mais je sens sa mâchoire se crisper sous mes doigts. Cependant, il finit par me rendre mon baiser, plus sauvagement même que moi je ne l'ai embrassé jusqu'ici. Je sens mon désir brûler dans mes veines, et son désir à lui contre ma peau. Je ne me souviens pas un jour avoir désiré quelqu'un autant qu'à ce moment, et ça donne des ailes à mon cœur. Sans détacher ses lèvres des miennes, Eden se redresse, tout en passant ses bras dans mon cou, collant son corps frêle contre le mien, et le voilà même qui monte à califourchon sur mes genoux. J'entends de nouveau la balançoire craquer, mais ce n'est qu'un bruit de fond à mes oreilles bourdonnantes, et je ne peux m'empêcher de grogner en prolongeant un peu plus le baiser. Mon cou est penché vers l'arrière alors que je ne peux défaire mes lèvres des siennes, maintenant installé sur mes genoux, le visage d'Eden est plus haut que le mien. Lui penche sa tête vers moi alors que ses doigts s'agrippent dans mes cheveux. Mes mains quittent ses joues pour descendre dans son dos. Eden est maigre, je peux sentir ses os sous mes doigts, ou plutôt, on va dire qu'il n'a pas la moindre trace de graisse dans le corps, seulement du muscle. Ses lèvres s'ouvrent légèrement, et c'est comme une invitation, j'y glisse ma langue, tout doucement, tout comme ce premier baiser, comme un effleurement, comme si j'avais peur.

Parce que j'ai peur, c'est vrai. Peur de ce que je ressens sur le moment. Aussi idiot que cela puisse paraître, j'ai peur parce qu'il est un garçon. J'ai peur de mon cœur qui bat follement dans ma poitrine. J'ai peur de mes mains qui ne demandent qu'à explorer la moindre partie de son corps. J'ai peur qu'il sente mon érection contre lui. Mais malgré tout, je ne peux pas empêcher cette fièvre de monter en moi. Pourquoi lui ? Je ne sais pas, mais franchement, la question n'a pas d'importance.

De forts ricanements nous parviennent, et, surpris, j'ouvre les yeux. Eden se fige contre moi, et ses lèvres se détachent des miennes. Presque instantanément, nous nous éloignions l'un de l'autre, si vite qu'Eden perd l'équilibre et tombe à la renverse. Paniqué à la fois que quelqu'un nous ait surpris, et aussi qu'Eden se soit fait mal, je me laisse tomber de la balançoire, à genoux face à lui. Je jette un regard aux alentours, cherchant à discerner d'où proviennent les rires. "Ça va ?" demandé-je précipitamment à Eden, sans même le regarder, les yeux fixés vers la maison qui apporte une faible lueur sur les alentours. Eden ne me répond pas mais s'assoit plus confortablement, les sourcils froncés et les yeux baissés. J'ai le cœur battant, les mains toujours moites, les lèvres emplies d'un désir non-assouvi et le cerveau au bord de l'implosion.

Les rires se rapprochent de nous, mais je me sens comme un idiot qui a été clouté sur place, incapable de bouger. Et à mon grand étonnement, voilà qu'une tête blonde apparait alors dans notre champ de vision. Je crois que j'aurais préféré tomber sur tout le monde à part lui. Anton braque alors le flash de son téléphone vers nous, et Eden et moi papillonnons des yeux, éblouis. "Putain, Eden, je t'ai cherché partout !" s'exclame Anton, apparemment très mécontent. Eden bredouille quelque chose de complètement incompréhensible, qui, dans mon cerveau, ne pourrait paraître plus suspect. Et gagné d'un instinct de fuite particulièrement aiguë à ce moment, je me contente de me lever, d'épousseter mon jean et de fourrer les mains dans mes poches. "Sympa la balançoire. Allez, faut que je m'enfile un verre !" chantonné-je piteusement, imitant une sorte de voix guillerette de seconde zone, ce à quoi Anton répond par une grande accolade qui manque de me faire piquer du nez. "Vas-y mon gars, fais-toi plaisir ! Va dans la cuisine, toutes les nanas ont élu domicile là-bas, y'a pas moyen que tu trouves pas chaussures à ton pied !" me conseille poliment Anton, apparemment particulièrement au courant de mon orientation sexuelle, comme si ça ne pouvait pas du tout lui venir à l'idée que j'ai un autre penchant. Je me risque un regard pour Eden qui, toujours assis par terre, garde les yeux fixés sur ses chaussures.

Contournant Anton en rentrant ma tête dans mes épaules, je remarque qu'il n'est pas venu tout seul. Un garçon, à peu près dans nos âges, voir un peu plus vieux, se tient derrière Anton, les mains fourrés dans les poches de sa veste en cuire. A cause de la pénombre, je ne distingue cependant pas les traits de son visage. Je m'éloigne alors en secouant la tête, comme pour essayer d'effacer toutes traces de ce baiser sur mes lèvres. Dans mon dos, j'entends Anton dire, d'une voix particulièrement fière : "Tu te souviens, Eden, que je voulais absolument te présenter Danny ? Eh bien, le voilà !" Je n'ai aucune idée de qui est ce Danny, il ne fait pas parti de l'équipe de Volley, et je ne me souviens pas de quelqu'un répondant au nom de Danny dans le cercle d'amis d'Anton. Alors pourquoi vouloir absolument que les deux se rencontrent ? A quelques mètres de la maison, je me risque à jeter un regard par dessus mon épaule, mais je ne vois rien dans la pénombre. Voilà sûrement la dernière image d'Eden que je vais garder avec moi, assis dans l'herbe fraiche de la nuit, les yeux rivés sur le sol comme s'il venait de se faire rejeter. Parce que c'est bien ce que j'ai fait, non ?

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