Elle se sentait

Elle était perdue. Son âme divaguait à travers le temps, sans jamais vraiment se fixer, à part de la réalité. Elle n'était jamais présente, ici et maintenant. Oh, bien sûr, les autres la voyait. Ils l'écoutaient, riaient avec elle, l'aimaient aussi. Mais jamais, elle, ne se sentait vraiment en vie. Qu'était-ce être en vie au fond ? Une journée de plus, des tâches à accomplir. Robotiquement.

Elle avait sombré dans un endroit ténébreux de son cerveau. Elle était belle, dans sa noirceur, réfléchie aussi, très, trop. Elle courait dans le dédale de ses pensées, n'arrivant jamais à les fixer, à les arrêter.

Elle se sentait complètement vide. Elle était là sans l'être.
Des journées entières passées à respirer. Inspire. Expire. Inspire. Faire ses devoirs. Sourire. Jouer avec ses frères et sœurs. Être gentille avec sa mère. Réconforter ses amies. S'aimer. S'aimer ?
L'amour... Était-ce réel ? Y avait-il quelque chose qui en nous était attiré par une autre personne ? Est-ce que ce n'était pas juste un joli mot pour cacher une attraction physique dont on avait honte, car primitive ? Une suite de réactions chimiques. De simples atomes.

Dans ce cas-là, comment expliquer l'amour propre ? L'amour fraternel ? L'amitié ? L'homosexualité ou l'asexualité ? Non, non ça ne pouvait décidément pas être ça.

Alors, s'il était si facile d'aimer... Pourquoi se sentait-elle aussi seule ? Aussi vide ? Pourquoi ne ressentait-elle rien, elle qui, pourtant, aimait ? C'était injuste. Trop injuste.

Pourquoi son âme avait-elle changé ? Pourquoi ne pouvait-elle être libre, heureuse, confiante, comme toutes ces autres filles ? Pourquoi se sentait-elle si... Différente ? En marge.
Anormale.

La plupart du temps, quand les gens lui disaient qu'elle était exceptionnelle, extraordinaire, ils disaient cela avec gentillesse et admiration. Ils la comparaîent à une martienne, un cerveau sur-humain, en pensant la complimenter. Et parfois, cela lui faisait plaisir.
Jusqu'à ce que le sentiment de rejet et d'exclusion ne revienne.
Jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus voir son visage dans le miroir.

Elle n'était pas particulièrement triste. Ni en colère. Ni blessée. Juste... vide.

Elle se mettait alors à se poser des questions. Au départ, c'était une simple crise existentielle : les martiens existaient-ils ? Et Dieu ?

Les trous noirs n'émettaient-ils vraiment aucune lumière hormis un rayonnement gama ? Que ressentait-on au milieu d'un trou noir, alors que le temps s'allonge, que les dimensions se mélangent, que notre corps s'applatit jusqu'à devenir plus mince qu'une feuille de papier ? Pouvait-on y voir le passé, dans cet endroit hors du temps ? Le futur ?
Le temps était-il malléable ? L'univers avait-il été créé à partir de rien, à l'aide d'une force supérieure, ou était-il le résultat de l'effondrement d'un univers précédent, qui pendant un temps infime, s'était compacté au point de devenir un trou noir, qui avait fini par exploser en relâchant toutes les molécules absorbées auparavant ?

Comment les humains avaient-ils été créés ? Qu'est-ce que la Terre ? Comment pouvait-on, au bout de plusieurs milliers d'années d'existance humaine, n'avoir pas eu connaissance d'un autre signe de vie extra-terrestre ? Les humains avaient-ils été créés sur la Terre, ou étaient-ils eux même des extra-terrestres importés par des espèces bien plus développées il y a des milliers d'années ?

Le problème arrivait quand cela tournait à l'introspection. Elle se rendait alors compte de cet immense rien qui l'emplissait constamment, et malgré son courage, la jeune fille se sentait alors seule et énervée. Contre elle-même, contre son cœur qui ne marchait pas, contre son cerveau si différent, contre le monde entier de ne pas la comprendre, d'aller toujours trop lentement, sans se poser de questions et prêter attention à ce qui comptait vraiment, en se contentant du maintenant et en oubliant les pourquoi et comment ?

La longue suite de questions que tous les autres trouvaient inutiles reprenait alors dans son esprit, et toute la réalité lui paraissait vaine.

Y avait-il un but à la vie ? Un destin ? Si oui à quoi servait de faire un quelconque effort ? Si un événement était son destin, il arriverait peu importe ses actions... À quoi servait donc de vivre ? De travailler ? D'apprendre à connaître de nouvelles personnes ? De souffrir ?

Qu'était-ce que l'âme ? Comment pouvait-elle regarder ce corps dans un miroir et dire "Je suis"? Le corps et l'âme étaient-ils dissociables ? La réincarnation existait-elle ? Son âme était-elle une sorte de spectre à l'intérieur de son enveloppe charnelle ? Était-elle prisonnière le temps d'une vie et libre pendant la mort, ou est-ce que la vie était la seule et unique chance pour son âme de s'exprimer ?

Qu'était-ce que la mort ? Un grand vide ? Un paradis ? Un enfer ? Une nuit éternelle ? Si c'était cela, elle aurait ainsi le temps de rattraper ses heures de sommeil...

La réalité était-elle réelle ? Ou étions nous dans une simulation comme dans Matrix ? Ou dans un rêve...

Les émotions existaient-elles réellement ? Pouvait-on réellement ressentir quelque chose ? Influer là dessus ?

Son esprit divaguait, brumeux, et elle avait l'impression qu'il tournait trop vite pour que le monde suive son rythme. Pour que les autres la comprennent. Elle se savait anormale. Elle se savait profondément tourmentée, son cœur tel un abîme sombre et froid. Elle avait besoin qu'on lui dise que c'était normal. Que quelqu'un la comprenne. N'importe qui. Un autre être humain.

Au moment où elle s'aperçut qu'elle l'avait trouvé, son esprit se calma un petit peu. Elle leva la tête vers son miroir, dans le noir de sa chambre, et sourit. Une étoile venait d'entrer dans le néant, et remplissait un peu le vide qui lui servait d'âme.

Elle pouvait être sûre que cette étoile illuminerait et enflammerait son néant sombre et froid plus longtemps qu'elle n'en aurait besoin.

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