~ Pour la vie ~


Une seule seconde, une toute petite, minuscule, infime seconde ...

D'abord le choc, inattendu, brutal, interminable.
Puis le bruit du métal qui se froisse, à l'avant, sur le côté, au-dessus de nos tête, encore ce même côté, le verre explosant autour de nous, pour finalement accompagner le mouvement frénétique de nos têtes, suivant chaque heurt sans fin dans l'espoir d'échapper aux mouvements incessant du véhicule, par l'ouverture qu'il venait de laisser, jusqu'à ce que viennent enfin le silence.

Le silence ... Si sourd, et  si apaisant après ce tumulte dont jamais nous n'aurions cru qu'il s'achèverait. Tel un cocon qui n'appelait qu'à nous envelopper un peu plus encore, jusqu'à étouffer nos souffrances, accompagnée par cette douce lumière nous appelant vers une délicate chaleur, quand tout semblait pourtant si froid en nous ...

Une seconde, c'est le temps qu'il aura suffit pour qu'une soirée d'effervescence se transforme en un sombre cauchemar.


Je les entendais encore, ces cris m'imposant de ne pas fermer les yeux, et sur mon épaule, je pouvais toujours sentir cette pression ferme et pourtant si délicate, unique lien me raccrochant à la vie, quand toute mon âme n'aspirait qu'à s'échapper de ce corps cuisant d'une douleur indéfinissable.

"Ne fermez pas vos yeux, restez avec moi."

Chaque nuit, je te revoyais, là, devant ce regard que l'on m'empêchait fermement de détourner, ton visage noyé sous cet amas de globule rouge s'échappant de tes plaies, tes lèvres riant un instant auparavant, muées en un éternel rictus bleuté, les paupières closes d'un sommeil qui n'en finira jamais.

"N'abandonnez pas, les pompiers arrivent."

Cette voix ... Mon cerveau semblait l'avoir imprimée, alors même que je ne me souvenais pas l'avoir seulement véritablement entendue sur le moment, s'accrochant à elle comme à une bouée de sauvetage, que je ne désirais pourtant en aucun cas saisir. Une sirène assourdissante, des éclats de lumière bleue ... Il était déjà trop tard. Le goût de fer sur ma langue, palpitante au rythme d'un cœur encore éprouvé par le récent pic d'adrénaline, battant inutilement, simplement par un réflexe irrépressible. Pourquoi s'entêterait-il à faire tant d'effort, si ce n'était plus pour toi ...


Cette question ne cessait de me tarauder, depuis ce jour de pluie maudit, qui m'avait prit ma plus belle moitié. Toi. Axel. Tant de mois s'étaient écoulés depuis ce stupide accident, suivant l'euphorie d'un instant que nous partagions ensemble, notre dernier instant, oubliant alors toute notion de la vitesse à laquelle nous avalions chaque kilomètre vers la destination "surprise" que tu avais finit par me convaincre d'emprunter.

Toi, le globe-trotter rêveur, qui n'aura finalement jamais été plus loin que le village voisin ...

 J'aurais dû être avec toi, j'aurais dû rester près de toi, si au moins j'avais eu l'audace de te dire que ce cœur qui s'obstine à s'agiter sous ma poitrine, ne battait en réalité que pour toi. Et aujourd'hui, pourquoi ?

Tu n'es plus là, et pourtant, il bat. Sans la moindre étincelle, sans plus jamais connaître le moindre sursaut dans ce rythme si platement égal. La monotonie d'une vie qui aurait perdu sa lumière. Tu étais mon étincelle, celui qui vivait de rêves et d'espoirs, alors que je n'aspirais qu'au confort et à la sécurité d'un lieu que j'avais toujours connu. Tu rêvais d'autres horizons, et j'étais profondément ancrée dans cette ville qui nous avait vus grandir.

Et maintenant ?

Maintenant tu es parti pour un voyage sans retour, une destination inconnue où je ne peux même pas espérer te rejoindre. Et cette ville ... Ce lieu que j'aimais tant, celui-là même qui me poussait à me retenir de t'avouer tout l'amour que je te portais, par hésitation, par peur de voir mes plans se transformer, anticipant un éventuel regret lorsqu'inéluctablement, tu aurais fini par quitter cette ville, me quitter moi, et qui sera finalement parvenu à moi de la plus cruelle des manières. Cet endroit qui m'avait persuadé d'une certaine forme d'ataraxie était subitement devenue le centre de mes tourments.

Je te voyais, partout, tout le temps. Chaque ruelle me rappelait nos balades, chaque recoins, nos cachettes après les milles bêtises que nous avions accompli ensemble, hilares, chaque muret nos interminables de conversations, allant parfois jusqu'à des heures irraisonnées dans la nuit, nous attirant les remontrances de nos parents. Tout me ramenait à toi, un son, une odeur, une fleur. Et je n'en pouvais plus.


Alors, c'est sur le perron de ma porte, valise à la main que moi, Charlie, unique survivante de cette soirée tragique, avait fini par prendre la décision la plus radicale de ma vie. Moi, si prudente, si raisonnable. Tu vois, Axel, toi qui me l'avait tant reproché, j'avais fini par ouvrir les yeux, et voir ce monde comme s'ils avaient été les tiens.

Alors je suis d'accord avec toi, tout du moins, je pense que c'est exactement ce que tu m'aurais dit à cet instant : cela ressemble plutôt à une fuite ... Mais comment pourrais-je continuer à me terrer ici, maintenant que je savais que plus jamais tu ne me reviendrais ...?

J'ai donc parcouru quelques villes, timidement, rien de bien transcendant tu vois. Mais j'avais besoin de m'accoutumer à ce nouveau mode de vie que tu m'avais insufflé. Mille fois j'ai souhaité faire demi-tour, revenir sur mes pas, retrouver cette maison qui m'avait abritée tout au long de ma vie. Mais chaque fois, ton image me revenait, me faisant oublier mes angoisses, pour mieux m'encourager à aller voir ce que tu n'auras jamais eu le temps de regarder par toi-même.

Il y eut d'abord la plage, son sable chaud, ses vagues apaisantes, puis des châteaux, des étendues de vignobles à perte de vue, les montagnes, la neige, et puis enfin, ce panneau, pas plus grand que n'importe quel autre, mais dont je ne reconnaissais que vaguement le sens. J'avais atteint la frontière, inconsciemment, à pied, en train, et parfois même, luttant contre le traumatisme que tes derniers instants m'avaient laissé, en voiture, levant mon pouce tremblant quand mes chevilles ne pouvaient plus me porter, dans l'espoir qu'un conducteur prudent me permettrait d'avaler plus facilement les kilomètres. Quelles étaient les chances que cela m'arrive encore ? Cette question me hantait, tandis que je m'accrochais à la poignée du véhicule, écoutant à peine la conversation que cherchait mon bienfaiteur à entretenir avec moi, dans l'espoir de rendre ce moment moins gênant.

Et c'est ainsi que je me retrouvais à des centaines de kilomètres de chez moi, face à ce panneau indiquant la première étape du nouveau périple que je m'étais fixé. Le premier pays dont tu m'avais parlé. J'y découvris des cathédrales, des monuments plus anciens encore que tous ceux que j'avais déjà croisé, des cultures insoupçonnées et si riches ! Si tu voyais comme tout est différent ici, Axel ! Qu'est-ce que j'aurais voulu partager cela avec toi ...

Et je ne m'arrêtais pas là, arpentant sans objectif précis toujours plus de kilomètres, toujours plus de pays, traversant parfois les mers, ou encore de grandes étendues de sable, qui souvent, pouvaient me faire regretter cette entreprise insensée que je m'étais imposée plus ou moins consciemment. Peu à peu, j'avais fini par me convaincre que tu n'étais peut-être pas si loin, lorsque désespérée et complètement déshydratée, je tombais enfin sur une ville, ou ne serait-ce qu'une oasis. J'étais persuadée que de là où tu vivais désormais, tu voyais toi aussi ces pyramides et ces longs fleuves esquissant ces dessins improbables dans une région pourtant si aride. J'avais aussi lu que de l'espace, il était possible de voir cette grande muraille en Chine. Etais-tu parmi ces étoiles ?

L'Asie, l'Océanie, l'Amérique ... Pas un seul continent n'avait échappé à mon besoin effréné de voir ce monde pour toi. Nous aurons tant de choses à nous dire, lorsque le moment viendra ! Comment pourrais-je alors te remercier, toi, qui dans cet injuste malheur, m'avait permis de découvrir toutes ces merveilles que je m'étais obstinée à ignorer ?


Comment pourrais-je te remercier maintenant que je me retrouvais dans notre village, immobile devant cette pierre que tu ne quitterais plus, une petite main nichée au creux de la mienne. Tu vois, Axel. J'en ai vu des trésors, grâce à toi. Et c'est le plus beau d'entre eux que j'ai rapporté de mes voyages. J'aurais voulu qu'il te connaisse, lui aussi. Que tu lui racontes toutes ces histoires que tu me contais autrefois avec cette étincelle dans tes yeux, sur ce monde aux possibilités  infinies. Mais il n'a que moi, moi et tous ces souvenirs de toi, que j'ai transformé en d'autres histoires, pour lui, esquissant ces sourires qui me rappellent tant les tiens.

Axel ... Le temps est passé, et ma vie a pris un tout nouveau sens, mais jamais, oh grand jamais, je ne pourrais t'oublier. Où que je sois, je n'ai de cesse de penser à toi. Ce que tu me manques ... Mais, encore une fois grâce à toi, j'ai l'opportunité de rebondir, et découvrir un nouveau pan insoupçonné de ma vie. Tous nos souvenirs, tout ce que nous avons partagé demeure au plus profond de mon cœur, et, un jour, ce sera à mon tour de te raconter tous nos plus beaux récits. 


~


Fin.


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