Chapitre 31




Toujours dans l'abîme, Klaus passa les portes de l'établissement accompagné de la directrice sans cesse en train de repenser aux paroles de Meredyce. Il l'avait laissé seule dans l'espoir qu'elle recouvre la raison avant de se rendre compte que c'était lui qui perdait la sienne.

- Nous sommes si ravis de vous revoir monsieur Kreighton, déclara la directrice avec un sourire radieux.

Klaus esquissa un faible sourire de circonstance et tenta de se reprendre. Il fallait qu'il mette ses états d'âmes de côtés pour se concentrer uniquement sur Tara.

- Comment va-t-elle ? Demanda-t-il lorsqu'elle s'arrêta au seuil de la porte.

Le sourire de la directrice retomba. Il lut un peu d'espoir briller dans son regard mais pas suffisamment pour apaiser ses craintes.

- Tara évolue à son rythme, expliqua-t-elle d'une voix douce ; Cela dépend des jours, je ne perds pas espoir.

Klaus inclina silencieusement sa tête. Elle s'éclipsa avec un triste sourire et il poussa la porte entrouverte. Tara était assise en taille sur son lit, les yeux rivés dans le vide, serrant contre son ventre un oreiller. Cette vision poignante lui brisa le cœur. La culpabilité le rongeait. Tara resterait à jamais la petite fille qui lui prenait la main en lui faisant promettre de ne jamais la laisser tomber. Et il l'avait abandonné...

Personne ne pourrait soigner cette haine qu'il ressentait envers lui-même. Malgré les appels téléphoniques qu'il lui avait passé pendant sa détention, en cinq ans, Tara avait changé. Elle était devenue une belle jeune femme...seulement son regard vide lui rappelait sans cesse ce qu'elle avait vécu.

- Bonjour cara mia...

Ses yeux cernés rencontrèrent les siens. Klaus demeura interdit, au bord des larmes.

- Klaus...tu es là...souffla la jeune Tara en esquissa un sourire tremblant.

Il parcourut la pièce clinique pour venir l'enlacer. Elle sanglota contre lui, partagée entre joie et tristesse.

- Je suis si contente de te voir, tu m'as tellement manqué.

- Toi aussi ma belle, murmura-t-il en s'écartant pour l'admirer ; Tu as tellement changé Tara...

La jeune femme le dévisageait les yeux brillants.

- Toi aussi Klaus c'est à peine si je te reconnais.

- Cinq ans ont passé Tara, je regrette tellement de t'avoir abandonné si longtemps.

Elle lui sourit tendrement.

- Ce n'est pas de ta faute.

- Si ça l'est, insista-t-il en plaquant un baiser sur le sommet de sa tête ; j'aurais dû être là.

Tara se leva du lit, les mains tortillées.

- Le principal ce que tu sois sorti de prison et que tu ailles bien.

- Et toi ? Comment vas-tu ?

Elle baissa les yeux sur son bracelet d'admission.

- Comme une patiente, répondit-elle d'une voix inaudible.

Klaus enfonça ses mains dans ses poches en exhalant un soupir. Comme un automate, elle s'approcha de la table blanche pour reprendre son activité qui ressemblait à un puzzle.

- Madame Allen m'a dit que ça n'allait pas fort.

Silencieuse, elle cherchait les pièces qui correspondaient au dessin sur la boîte. Klaus avait l'habitude de ce silence inquiétant. Tara se renfermait dans celui-ci pour se protéger. Jamais personne ne pourrait comprendre la douleur physique et psychologique qui la retenaient prisonnière depuis des années. Même lui n'osait imaginer ce qu'elle avait pu vivre dans cette ruelle de Rome. Comment l'aider ? Comment pouvait-il lui rendre son sourire ?

- J'essaye de m'ouvrir au monde mais je n'y parvient pas, dit-elle enfin les yeux perdus sur son puzzle.

Klaus saisit la perche qu'elle venait de lui tendre pour parvenir à en savoir plus.

- Pourquoi Tara ? De quoi as-tu peur ?

- Qu'il surgisse de nulle part pour recommencer, répondit-elle si vite qu'il se figea.

- Mon ange je l'ai tué, tu te souviens ?

Pas de réponse.

- Je l'ai tué, répéta Klaus en s'approchant d'elle ; Il ne peut plus te faire du mal Tara. Plus personne ne te fera du mal je te le promet.

Elle remonta ses yeux azur dans les siens puis les rabaissa aussitôt. Ses mains tremblaient, sa bouche semblait complètement sèche. Klaus lui prit la main délicatement pour attirer son attention.

- Voilà plus de sept ans que tu es enfermée ici Tara, pourquoi ne viens-tu pas de balader avec moi, proposa-t-il doucement.

Ses yeux si clairs n'exprimaient plus rien. On aurait dit un fantôme. Impuissant, il attendait qu'elle lui réponse quelque chose, n'importe quoi.

- Qui est-ce ? Demanda-t-elle alors en récupérant sa main pour emboîter une pièce du puzzle dans une autre.

Klaus fronça des sourcils.

- Qui est quoi ?

- La femme à l'origine de cette expression sur ton visage.

Dans la pause qu'avait marqué Tara, Klaus se laissa choir contre le dossier de la chaise.

- Cette expression m'est inconnue, reprit-elle en détachant son regard du puzzle ; Qui est-ce ? Est-ce que je la connais de vue ?

Klaus étira une grimace. Bien-sûr elle parlait des nombreuses femmes qu'elle avait vu en photo sur des torchons de magazines qu'il haïssait profondément.

- C'est un ange dans une vie vouée aux ténèbres.

Tara ébaucha un sourire mystérieux.

- Tu vas le regretter...chuchota-t-elle doucement, les yeux brillants.

Incrédule, Klaus la contempla silencieusement.

- Qu'est-ce que je vais regretter ?

- Si tu la laisses partir tu vas le regretter.

Les paroles de Tara l'empêcha subitement de respirer. Il était venu pour elle ! Pas pour l'entendre dire qu'il allait détruire sa vie !

Précipitamment, il se leva pour se poster devant la minuscule fenêtre.

- Elle n'aspire pas aux mêmes désirs que moi, lâcha-t-il en serrant les mâchoires.

- Bienvenue dans notre monde Klaus, murmura la  jeune Tara en détruisant son puzzle pour le recommencer.

Cette vision le brisa de l'intérieur, mais il se garda de la commenter et se tourna vers la fenêtre.

- Elle aspire à une vie heureuse, reprit-elle en se levant pour le rejoindre ; Et toi tu passes ton temps à te punir. Cela te perdra Klaus.

Furieux qu'elle puisse avoir raison, Klaus se contenta de poser sa paume de main sur sa nuque et la ramener à lui. Elle se laissa faire sans protester. Dans ses bras, Tara était comme un bâton de bois sur le point de se briser.

- Un jour tu te réveillera tout seul, ajouta-t-elle en rejetant sa tête en arrière pour le regarder droit dans les yeux ; Elle semble différente, ne la laisse pas s'enfuir Klaus.

Après avoir niché son visage contre son torse, Tara retourna comme une âme en peine s'asseoir pour reprendre son puzzle. Tristement, il lui proposa son aide qu'elle refusa. Il ne croyait pas au miracle mais il en avait bien besoin d'un là tout de suite. Meredyce s'imposa dans son esprit, seule dans la salle de bains.

Il s'était comporté comme imbécile.

Une heure plus tard, désespéré par son silence, Klaus versa une larme pour ensuite l'essuyer rageusement et planta un baiser sur le sommet de sa tête.

- Ton silence me tues cara mia, murmura-t-il en s'écartant pour tenter de capter un regard.

- Il me tue aussi, rétorqua-t-elle en brisant son puzzle pour le refaire.

- Je t'aime Tara, je reviendrais très vite...

Il quitta à contrecœur sa chambre en la laissant seule, perdue dans ses gestes répétés, priant pour elle. Priant pour qu'un miracle se produise.

Sur le chemin du retour, Klaus voguait entre deux rives. Les quelques mots que Tara avait bien voulu lui adresser étaient pour le mettre en garde. Tara avait raison. Son passé allait l'engloutir entièrement s'il ne réagissait pas tout de suite. Meredyce n'avait pas à subir les fantômes de son passé et encore moins subir la vision cruelle qu'il avait de la vie. D'ordinaire, une femme qui lui tenait ce genre de propos avec un sourire en coin était mise à la porte la seconde suivante sans aucun regret. Aujourd'hui c'est lui qui allait devoir ramper pour obtenir son pardon.

Lorsqu'il entra dans la villa avec un bouquet de roses, il la trouva endormie sur le lit. Il se figea, hanté par la vision de Tara qui se reflétait à présent sur Meredyce. À force de vouloir battoir des remparts autour de lui, Klaus n'avait pas réalisé à quel point sa vie n'avait été qu'un cauchemar sans fin. Pas étonnant qu'elle recherche désespérément le bonheur, songea-t-il en se dégoûtant de lui-même. Celle belle créature savait mieux que quiconque comment le percer à jour. Tara avait raison...s'il n'essayait pas de s'ouvrir à elle, Meredyce irait chercher la vie dont elle rêvait ailleurs.

Et lui, deviendrait un pauvre bougre, seul avec lui-même.

Il posa un genoux sur le lit pour poser ses lèvres sur son front. Elle ouvrit les yeux pour les arrimer au sien.

- Je suis désolé querida, murmura-t-il en s'écartant pour la laisser se redresser ; J'ai été odieux avec toi, je comprendrais que tu veuilles partir.

- Alors pourquoi parles-tu avec agressivité ? Demanda-t-elle d'une voix enrouée.

Il lâcha un chapelet de jurons.

- Parce que je ne sais pas comment réagir autrement, je ne suis qu'un vieux bougre.

- Moi aussi j'ai mal agi, dit-elle en ramenant ses genoux contre elle ; Ça va faire à peine une semaine et j'ai réagi comme si nous étions ensemble depuis huit ans.

Elle secoua de la tête.

- Si nous devons continuer quelque chose ensemble je ne veux plus revivre ça, poursuivit-elle d'une voix tremblante.

- Revivre quoi ?

- Toi qui part en trombe, moi à la fenêtre, j'ai crû que tu avais eu un accident comme mon père.

- Oh Meredyce, souffla-t-il d'une voix rauque en lui prenant le visage ; Je suis désolé...je... bon dieu c'est la première fois que je m'excuse.

Meredyce n'eut pas la force de sourire à sa remarque. Trop de questions demeuraient encore sans réponses. Mais elle refusait catégoriquement de tout gâcher maintenant. Elle laisserait l'avenir la guider à présent.

- Et ça aussi c'est tout nouveau pour moi, rajouta Klaus en lui tendant le bouquet de fleurs.

Elle lui prit d'une main tremblante en le remerciant. Il venait d'obtenir son pardon mais rien n'était acquis pour autant. Les blessures de son passé pouvaient à tout instant rouvrir la brèche de ses accès de colère.

- Si c'est le premier bouquet de fleurs qui a l'honneur d'avoir été touché par l'impitoyable monsieur Kreighton alors il mérite d'être mit dans un vase tout de suite, lança-t-elle en lui souriant l'air enjôleur.

S'il n'était pas en pleine réflexion sur lui-même, Klaus aurait peut-être réagi. Au lieu de ça, il la laissa partir avec le bouquet, résistant aux pulsions qui l'irradiaient dangereusement

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