Stamford
- Bien, l'incident est clos, déclare Sire D'Armenture. Reprenez vos cahiers et prenez des notes.
- Attendez, je l'interromps. Que va-t-il arriver au garde ?
- Ce n'est pas de votre ressort. Intéressons-nous plutôt à cette créature, déclare le professeur en montrant Luna. La fille d'Iris.
Essayant de me concentrer, je me penche sur l'affiche avec les autres. La bulle blanche, Crome, Akumu, tout se mélange dans ma tête comme une farandole interminable d'idées floues. Cependant, nous n'avons jamais le temps de nous poser de questions... je commence à penser que Sire D'Armenture fait exprès pour endormir notre vigilance.
Le voilà qui déroule une autre affiche, où un démon femelle arbore les symboles de la royauté avec un sourire angoissant.
- Iris, devine Maye-Lie en humant l'image.
- En effet, confirme notre professeur en posant les posters sur la table. Mémorisez bien leurs visages, il faut que vous sachiez les reconnaître.
- Pourquoi, on a des chances de les croiser, ici ? Interroge Zack en levant un sourcils.
- Des chances ? Non, des risques, grince Sire D'Armenture. Et si jamais vous les voyez, utilisez ceci.
Il nous donne un pendentif à chacun, au bout duquel une pierre bleue brille doucement.
- J'aime pas les colliers, grogne Athénaïs pendant que nous les enfilons.
- Ce ne sont pas des bijoux. Ces colliers portent des pierres ensorcelées, explique Le Messager, tranquillement installé au bord de la table. Celles-ci vous permettent de vous rendre invisibles, par exemple.
- Cool ! S'exclame Zack, les yeux pétillants. Vous en auriez qui font apparaître de la nourriture ?
- Non, s'agace notre professeur. En revanche, j'en possède capable de vous ôter la parole, je vous conseille donc de garder vos inepties pour vous.
- Ça brûle un peu, je chuchote en évitant tout contact entre la pierre et ma peau.
Mais Sire D'Armenture ne m'a pas entendu, occupé à menacer Zack du regard. Lui baisse la tête, penaud ; Le Messager secoue discrètement la tête d'un air désapprobateur.
- Bien, je vais pouvoir vous exposer plus clairement notre problème, déclare Sire D'Armenture en sortant de la pièce.
Curieux, nous le suivons du regard avant qu'il ne disparaisse derrière un mur. Il revient peu de temps après, une sphère similaire à celles qu'on a vu au palais dans les mains.
- Approchez-vous, dit-il en la posant au milieu de la table.
Je me penche vers l'objet, les yeux dans la fumée grise qui danse en son centre. Les lambeaux de brumes s'écartent alors doucement, nous aspirent sans prévenir à l'intérieur de la sphère et nous emportent dans un décor hivernal peu accueillant.
Nous atterrissons lourdement dans une ville enneigée et plongée dans la nuit, un peu secoués. Mais ce n'est pas une nuit calme d'hiver, c'est une nuit sans lune et sans étoiles. Zack se crispe aussitôt, les cheveux en bataille, tandis que Maye-Lie se rapproche de lui pour le réconforter.
Sire D'Armenture, lui, atterrit un peu plus loin, sa longue tunique faisant voler les flocons autour de lui.
- Où sommes-nous ? Demande Maye, la main posée sur l'épaule de son frère.
- Sur Terre, en Amérique, déclare Le Messager en roulant près de nous.
Au-dessus de nos têtes, un objet se balance doucement dans la brise, mais il fait trop sombre pour distinguer ce que c'est. Maye-Lie, pourtant, suit mon regard et déclare :
- « The George of Stamford », lit-elle en plissant les yeux. On est dans l'état de New-York.
- Tu as vu ça où ? S'étonne Athénaïs.
- Sur le panneau au-dessus de nous, lâche Sire D'Armenture avant que Maye-Lie ne puisse répondre. Les Flayerteen sont nyctalopes. Avancez en silence et restez dans mes pas.
On en découvre tous les jours !
Sur ce, il se dirige vers l'échelle de secours d'un bâtiment de fonction et y monte, nous obligeant à le suivre pour ne pas nous perdre. Pas le temps de se poser des questions : notre maître file comme le vent. Il nous emmène jusque sur les toits, où nous peinons à garder l'équilibre : le vent a forci et nous cingle désormais le visage. Le Messager, lui, s'est réfugié sur l'épaule de Maye-Lie, car il est trop petit sur suivre nos grandes enjambées. Le givre sur les tuiles manquent plusieurs fois de nous faire glisser.
- Dites, Messager, j'entends Maye chuchoter au cochon-d'inde. Est-ce que les Flayerteen sont des êtres humains améliorés, à Oniris ?
- Pas tout à fait, lui explique le rongeur. Vous découvrirez vos origines bien assez tôt, n'ayez aucune crainte.
Je ne suis pas le reste de la conversation, et préfère me tourner vers Zack pour lui demander si lui aussi avait vu le panneau. Mais le garçon a les yeux braqués sur Sire D'Armenture. Sa tignasse blanche a l'air d'avoir doublée de volume...
- On ne va pas rester longtemps, je tente de le rassurer en observant rapidement le ciel. Et puis, la lune ne doit pas être loin.
- Je sais, lâche-t-il simplement.
J'hésite, puis me mets à sa hauteur en essayant de ne pas perdre l'équilibre. Le givre rend les tuiles extrêmement glissantes et mes pieds sont déjà glacés par la morsure du froid.
- Est-ce que tu avais vu le panneau, toi aussi ? Je demande timidement.
Il tourne les yeux vers moi.
- Oui, mais j'aurai été incapable de déchiffrer ce qu'il y a écrit dessus, répond-t-il finalement en haussant les épaules.
- Dites les commères, ça vous dérangerait d'avancer plus vite ? râle Athénaïs derrière nous. On va perdre D'Armenture de vue !
- Oh, ça va, toi ! Gronde Zack en retroussant les lèvres. Ne viens pas me taper sur les nerfs !
Ils s'arrêtent tous les deux et se toisent avec haine. Je suis presque certaine que mon ami grogne, mais le son qui sort de sa gorge est tout sauf humain.
- Du calme, j'interviens en tirant doucement le garçon par la manche. On va vraiment perdre les autres si on s'arrête en chemin.
Athénaïs contourne Zack sans le quitter des yeux, puis passe devant moi en relevant le menton.
- C'est un vampire, ton pote, déclare-t-elle en s'éloignant.
Je ne relève pas sa remarque, préoccupée par l'angoisse de l'adolescent, et me retourne pour lui sourire. Mais en le voyant, je sursaute et retient un cri : ses yeux sont rouges, comme à leur habitude, mais ils sont aussi en fente, et ça c'est nouveau.
Le souvenir du regard de Maye-Lie, lorsque nous étions allés la chercher au collège, me revient comme un fragment de lumière : ses pupilles rétractées, son nez frémissant lorsqu'elle sentait un regard inconnu nous observer en silence. Mais le souvenir s'évanouit presque aussitôt. Je me remets en route, Zack sur les talons, un peu tendue.
- Ne l'écoute pas, je lui lance d'une voix peu assurée. Athénaïs est juste un peu stressée, comme nous tous. Il va quand même falloir songer à arrêter de vous chamailler, tous les deux.
Il hausse les épaules, puis me dépasse à son tour.
- Si elle cherche les ennuis, elle va les trouver, gronde Zack d'une voix plus grave que d'habitude avant de me semer.
Quelques minutes plus tard, nous sommes tous perchés sur un toit au-dessus d'un pâté de maison. Sire D'Armenture est dressé sur une cheminée, Le Messager sur l'épaule et le regard planté dans une fenêtre en face de nous.
- Qu'est-ce qu'on attend ? Je demande en m'asseyant à côté d'Athénaïs.
Elle me fait signe qu'elle n'en sait rien et scrute Zack avec méfiance, pendant qu'il s'accroupit à côté de sa sœur, avant de me tirer un peu pour nous éloigner d'eux.
- Je ne plaisante pas quand je dis que c'est un vampire, marmonne la blondinette en fixant le garçon. Tu devrais prendre tes distances.
Je souris et pose ma main sur son épaule, les yeux sur mon ami Albinos :
- Tu sais Naïs, c'est vraiment gentil de t'inquiéter, mais ça fait trois ans que je connais Zack, et il ne m'a jamais fait de mal. D'ailleurs, Maye pourra te dire la même chose...
- Silence, cingle Sire D'Armenture du haut de son perchoir. Les voilà.
Intrigués, on se penche par-dessus la gouttière et fixons la fenêtre d'en face. Une ombre s'y faufile, laissant dans son sillage des arabesques plus noires que la nuit. Athénaïs plisse les yeux tandis que je recule un peu, effrayée.
Du coin de l'œil, je remarque soudain que la pierre de la cape du Messager s'est illuminée. Avant que je ne puisse lui demander ce qu'il fait, une lumière aveuglante efface soudain les toits, la neige et le froid. Ne reste qu'une immense prairie où vole des milliers de papillons. Il nous a projeté dans un rêve. Je regarde autour de nous, tendue : Sire D'Armenture a disparu.
- On a déjà vu ça, grogne Athénaïs en fronçant le nez à l'adresse du Messager. Le rêve va se transformer en cauchemar, il va y avoir un monstre, et on va sortir de la boule. Vous perdez votre temps.
- Veuillez patienter, répond simplement le cochon-d'inde (il joint ses pattes dans son dos et observe patiemment le paysage printanier). Voyez, le rêve commence a être contaminé.
Le feu répond à son affirmation en soufflant sur la prairie un vent chargé de cendres, qui chasse au loin les papillons. Crispée, j'écoute attentivement Le Messager pour faire abstraction des flammes. C'est un rêve, je me répète en boucle pour me rassurer. Un simple rêve. Pourtant la chaleur est bien présente et à quelques pas de là, Zack recule d'un bond, touché par un éclat de braise qui brûle sa peau fragile. Maye-Lie montre les dents, le nez retroussé en un rictus étrange. Je retiens un gémissement lorsque le feu devient carrément un mur infranchissable. L'air devient étouffant.
- La personne à qui appartient le songe est là-bas, déclare Le Messager, pas le moins du monde gêné, en montrant une jeune fille, recroquevillée à quelques mètres de nous. Ce qui a causé le cauchemar est un Akumeur, une sorte de monstre, créé par un démon, qui prend l'apparence de la plus grande peur de l'être dont il vole le rêve. L'Akumeur va s'emparer de la victime et le transformer à son tour en serviteur d'Iris.
- Et cette personne a peur du feu, je comprends en terminant ma phrase par une quinte de toux.
- La reine ne nous avait pas expliqué ça comme ça, grince Athénaïs en reculant face aux flammes.
Un nuage en surgit soudain, doté de deux yeux incandescents et d'une bouche hérissées de pics de cendre. Il passe devant nous à toute vitesse, m'arrachant un cri de peur, puis avale la pauvre enfant qui hurle de terreur. Maye-Lie fait un bond en avant pour l'aider mais Le Messager la retient fermement par le plis de son pantalon.
- Nous ne pouvons pas l'aider, lâche-t-il froidement.
Alors que l'adolescente s'apprête à protester, le cauchemar disparaît et la sphère nous aspire hors de la fumée, jusqu'à ce qu'on retourne dans la salle de travail d'où nous sommes venus. L'odeur du feu s'estompe doucement, mais la peur me colle toujours à la peau. Toujours pas de Sire D'Armenture en vue. Est-il resté prisonnier des flammes ?
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