- Realis mundi, placet.

À sa demande, la fumée qui danse dans la sphère de voyance se dissipe, révélant une infime partie du Monde Réel. Elle se penche sur l'objet, attentive au moindre mouvement à l'intérieur.

Sur Terre, les arbres tremblent et le vent, impitoyable en cet fin de Décembre, s'acharne contre les branches dénudées. Au dehors, les feuilles tourbillonnent sur le sol d'une cour vide tandis que la cloche retentit dans le collège. Quelques instants plus tard, une foule d'élèves sort en trombe des bâtiments et se rue vers la sortie.

Mais ce qui l'intéresse, c'est la jeune fille qui est adossée contre le mur du collège. Calme, posée, l'adolescente a l'air d'attendre quelqu'un... Elle est curieuse de savoir qui c'est.

Elle se penche donc un peu plus sur la sphère, les yeux rivés sur la porte que fixe la jeune fille. Un élève en sort encapuchonné, et rejoint celle qu'elle observe en rasant les murs. L'observatrice ne peut pas voir le visage du nouvel arrivant, mais elle est presque sûre que c'est le deuxième élu.

En observant bien, elle remarque que des flocons de neige commencent à tomber au moment où les deux adolescents sortent du collège. Non, ça ne peut pas être une coïncidence...

- Maman ?

La femme sursaute et se retourne vivement. Une jeune fille...non, une fée l'observe d'un air curieux et secoue ses ailes en signe d'amusement.

- Pardon, je ne voulais pas te faire peur, dit-elle d'un ton chaleureux.

Ses cheveux couleur de flamme chatoient dans le fin rayon de soleil qui s'échappe de la lucarne, tout là-haut. Quant à ses taches de rousseur, elle font ressortir l'étincelle qui brille dans le fond de ses yeux bleus.

- Ce n'est rien, répond sa mère en soupirant.

Quand elle se tourne à nouveau vers lasphère, l'image des collégiens a disparu et une fumée verte claire la remplace. Re-soupire.

- Surveillais-tu le Monde Réel ? demande la nouvelle venue en s'approchant.

- Comme tu as pu le voir, oui.

Sa mère se lève et remet la sphère sur son étagère. Jouant avec son reflet, la boule lui renvoie une image déformée mais conserve les traits inquiets de son visage. La femme plisse les yeux : ses propres ailes sont pleines de poussière. Elle les secoue hâtivement, de peur d'être vu dans cet état ; une personne de son rang ne doit jamais se salir. D'ailleurs, elle ne devrait même pas être ici.

Elle se tourne enfin vers sa fille, dont le regard interrogateur scrute le sien, bleu également.

- Tu as besoin de moi ? S'enquiert la femme.

- Pas exactement, commence son interlocutrice, hésitante. Je voulais te parler de mon entraînement...

Sa mère marque un temps d'arrêt. Puis son sourire s'efface, et ses sourcils se froncent.

- Nous en avons déjà parlé, Selena. Il est hors de question que tu te serves d'une arme.

Le regard de l'adolescente se durcit etelle tourne les talons.

- Un jour, reine ou pas, tu n'auras plus d'autre choix que de m'y autoriser, prophétise-t-elle.

Elle ne dit rien de plus, mais la femme sait bien à quoi elle fait allusion.

Elle soupire en regardant la petite rousse sortir gracieusement de la salle des Entre-pots. Elle ferait une guerrière redoutable, mais une princesse n'est pas autoriséeà se battre. C'est du moins ce que la reine lui rétorque quand elle insiste pour apprendre à se défendre, mais au fond d'elle, elle sait bien que ce n'est pas sa seule raison de lui dire non.

La fée attrape machinalement son médaillon, doré et scellé, en regardant la jeune fille claquer la porte. Puis son attention se porte sur une tache à peine visible entre les croisillons de la lucarne. Tache apparue dans le ciel il ya quelques jours déjà.

Le pays d'Akumu se rapproche, et bientôt, il sera temps d'aller chercher les élus. Bien que Maximus pense qu'ils ne sont pas prêts, la question ne se posera plus quand il faudra faire danser les armes.

La reine se faufile soudain hors de la salle, arpente les couloirs de son palais et sort sur les créneaux pour observer d'un œil maternelle son royaume, paisiblement endormi dans les bras de l'hiver.

Il dépend désormais d'une prophétie et de ses élus...

Espérons qu'ils soient à la hauteur.