On me pose par terre avec violence et je bascule à nouveau dans la neige.
Devant moi, la reine époussette sa longue cape d'hiver en s'approchant. Mes amis émergent de tas de neige autour de nous, hébétés et grelottants.
- Je t'amène les élus de la prophétie, soit un peu plus respectueux, gronde la reine, visiblement en colère.
Sire D'Armenture ?
Je me décide enfin à me retourner pour voir à quoi ressemble le nouveau venu.
Alors là, je m'étais attendue à tout, sauf à ça.
La mine sombre, le regard dur, un elfe toise sa reine avec un dédain non dissimulé. Impossible de détourner le regard : je n'ai jamais vu une créature aussi attirante et repoussante à la fois! C'est comme si tout son être avait été conçu pour être parfait, sans qu'un seul trait de son visage ne soit de travers : il a une mine renfermée, oui, mais il dégage un aura de puissance et d'assurance si fort que sa beauté physique ne peut que ressortir encore plus éclatante. Dans la pénombre et d'où je me tiens, il paraît immense et seuls ses yeux sont vraiment visibles.
Enveloppé dans une longue cape aussi sombre que lui, l'elfe darde un regard brûlant sur Fleur Lhor, qui lui rend sans être perturbée le moins du monde.
- Élus, je vous présente votre entraîneur...commence-t-elle à nous expliquer.
L'intéressé lui lance un regard appuyé et elle se racle la gorge. Derrière lui, un tunnel éclaire la neige. C'est donc de là qu'il est sorti...
- Pardon, votre professeur, se reprend la reine. Il vous expliquera certains détails.
Lui, notre professeur ?
- Eux, les élus? Rétorque l'elfe, en écho à mes pensées. Ne me faites pas rire. C'est un tas d'adolescents chétifs, mais certainement pas les héritiers des Grandes Maisons. Vous me décevez, Fleur.
Mon regard croise celui de Maye-Lie, et j'y devine la même question que celle que je me pose. Des Maisons? Comme des familles nobles?
"D'après les mages du conseil, les élus seraient les rescapés du génocide de l'an 306", avait dit le Gardien Des Secrets... la classe! On est des aristocrates!
- De quel droit vous nous traitez d'adolescents chétifs ? Lance soudain Athénaïs pendant que je me relève.
- On n'est pas chétifs, en plus! Renchérit Maye qui sert Le Disciple et Le Messager contre elle (les pauvres boules de poils sont frigorifiés).
L'expression hautaine de Sire D'Armenture s'efface lorsque son regard se pose sur la jeune fille. Un éclair de surprise passe devant ses yeux, avant de disparaître aussi vite qu'il est apparu. Ils se connaissent? J'interroge Zack silencieusement, mais il a l'air aussi surpris que moi. Planté à côté de sa sœur, il observe en silence, tendu, comme nous tous.
- Dans mon antre, ordonne soudain l'elfe à la reine.
Il doit vraiment être puissant pour parler comme ça à la reine d'un royaume aussi grand, je songe en me dirigeant vers le tunnel.
Nous suivons tous Sire D'Armenture, n'ayant pas d'autres alternatives. À l'intérieur de la galerie souterraine, les murs sont recouverts d'une écriture qui ressemble à des hiéroglyphes, mais elle paraît trop fine, trop fluide pour en être. Et ce n'est visiblement pas des arabesques non plus, car aucun mouvement ne les anime...
- C'est de l'elfique, lâche notre hôte en me dépassant.
Je cligne des yeux, surprise, mais je n'ai pas le temps de lui poser davantage de questions: il prend la tête du groupe. C'est au tour d'Athénaïs de me rejoindre.
- Ça va? Me demande-t-elle, à ma grande stupéfaction.
- Hum, oui, et toi?
- Tant mieux, répond la rockeuse. ...quoi?
- Rien! C'est juste...étonnant que tu t'inquiètes pour moi...
- Tu es de la même teinte que la neige, rétorque-t-elle. Même moi je m'inquiète.
- Toi aussi tu as la peau claire...
- Moi c'est normal, j'ai une peau de blonde. Toi tu es...
Elle regarde mes cheveux châtains et turquoises en fronçant les sourcils.
- Toi, tu n'es pas blonde, conclut-elle finalement.
- Ça va, ne t'en fais pas, je souris. Il fait froid, c'est tout.
Athénaïs acquiesce, puis nous nous taisons: nous sommes bloqués devant une porte, dont le bois est couvert de symboles elfiques. Comme les murs.
- Bon, ben on n'a plus qu'à rentrer au palais, déclare Zack en nous rattrapant avec Maye-Lie.
- Attendez, murmure Le Disciple en frémissant des moustaches.
Sire D'Armenture, planté devant nous comme un grand corbeau noir, se met à toucher les lettres dans un ordre stricte pendant qu'on attend, intrigué. D'abord, rien ne se passe, puis la porte émet un grincement avant de s'ouvrir lentement.
- Trop fort! S'écrie Maye-Lie, des étoiles plein les yeux.
À présent, devant nous, une grande vallée baignée de lune, à l'herbe tendre et aux arbres verts, s'étend entre deux flancs de montagne. Moi qui m'attendais à arriver dans un bunker humide et froid!
- Incroyable! S'exclame Zack. Le temps s'est figé, ici?
- On ne voyait pas cette vallée depuis la montagne, s'étonne Athénaïs.
- C'est une manie, chez vous, de passer de l'hiver à l'été sans transition ? Je renchérie.
Sire D'Armenture ne prend pas la peine de répondre, il se contente de descendre vers un bâtiment en terre, perché sur l'une des collines.
- Vous êtes dans la Vallée Oubliée, murmure Fleur Lhor en nous incitant à le suivre. Elle est dans une sorte de bulle temporelle, bloquée à une époque bien antérieure à la nôtre. Venez, nous vous expliquerons tout ça au chaud.
Je ne me fais pas prier pour obéir...
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