Prologue


Château de Landéan, février 1054

Depuis le matin le château résonnait des cris de douleur et de désespoir. Tout avait commencé la veille lorsqu'un messager était venu apporter la terrible nouvelle. Ermessinde de Landéan avait déroulé avec fébrilité le parchemin que le soldat du duc de Normandie lui avait remis. Le sourire aux lèvres elle s'attendait à lire des mots écrits de la main de son mari, le seigneur de Landéan. Elle espérait qu'il lui annonçait son retour prochain et l'assurait de sa présence auprès d'elle pour la naissance de leur troisième enfant. Le moment de la délivrance approchait, et elle avait hâte que son époux revienne au logis car il ne restait plus qu'une lunaison avant que le moment tant attendu n'arrive enfin.

La maisonnée se préparait à l'événement avec fébrilité, l'héritier du seigneur de Landéan en particulier ne cessait de tourner autour de sa mère. Bien que cela ne soit sans doute pas très pieux, il priait tous les soirs pour que sa mère mette au monde un garçon. Il rêvait d'avoir un petit frère avec qui jouer. À presque dix ans, il s'ennuyait ferme au domaine. Les quelques chevaliers de son père qui étaient pourvus d'une famille n'avait pas de fils de son âge et il lui était interdit d'aller s'amuser avec les fils des paysans. Il regardait souvent avec envie les garçons du village s'ébattre dans les champs. Même s'il adorait sa petite soeur, il ne pouvait pas jouer avec elle. Âgée d'à peine trois ans et de constitution fragile, la fillette était toujours dans les jupes de sa nourrice et n'était pas apte à être une compagne de jeux pour un garçon aussi turbulent que lui.

Lorsque le messager était arrivé, Thibaud l'avait entendu dire qu'il revenait de Mortemer où une grande bataille avait eu lieu quelques jours auparavant. Excité à l'idée d'entendre des récits de bataille, il l'avait suivi et avait attendu avec impatience que sa mère lise le parchemin, se dandinant d'un pied sur l'autre. Malheureusement son enthousiasme était retombé d'un coup lorsqu'il avait vu le visage de sa mère se décomposer sous ses yeux avant de brusquement lâcher le parchemin. Avec un cri de désespoir elle était tombée à genoux sur les jonchées qui recouvraient le sol de la salle commune puis s'était mise à sangloter, se balançant d'avant en arrière, les bras serrés autour de son ventre rebondi. Les espoirs d'Ermessinde de Landéan avaient été ravagés à l'instant où ses yeux s'étaient posés sur les pleins et déliés encrés, Elle n'avait pas reconnu la plume de son époux. Une main inconnue avait tracé quelques lignes lapidaires qui lui lacérèrent le coeur dès qu'elle en comprit le sens. Son bien-aimé Alrik n'était plus. Le chevalier avait été gravement blessé lors de la bataille de Mortemer et il avait succombé à ses blessures. Il était tombé au combat en accomplissant son devoir envers son suzerain Guillaume de Normandie.

L'affreuse nouvelle avait porté un coup fatal à la châtelaine. Quelques heures après avoir appris la mort de son mari, elle fut prise par de terribles douleurs, le travail commençait. Bien trop tôt. Les contractions se succédèrent toute la nuit mais sans grand résultat. Plus le temps passait et plus la souffrance devenait insupportable et plus le danger augmentait. Terrifiée à l'idée de donner naissance à un enfant mort-né, Ermessinde mit toutes ses forces dans l'accouchement. Elle lutta pour le mettre au monde souffrant le martyr, mais en vain. En début d'après-midi les matrones appelées à son chevet durent se rendre à l'évidence, l'enfant était bloqué dans le ventre de sa mère et il était impossible de le faire descendre. Ni la mère ni l'enfant ne survivrait. Ermessinde n'avait même plus la force d'hurler sa douleur. Petit à petit, elle sentit son corps s'engourdir, devenir insensible à la douleur. On fit appeler le prêtre pour qu'il l'entende en confession puis, sentant sa fin proche, elle voulut parler à son fils. Sa servante n'eut qu'à ouvrir la porte pour faire entrer l'enfant.

Thibaud avait monté la garde derrière la porte de la chambre de sa mère toute la journée. Il avait été réveillé au milieu de la nuit par des cris. Plaintifs tout d'abord puis de plus en plus forts. Il s'était alors glissé hors de la nursery et s'était assis sur les marches de l'escalier à quelques pas de la chambre de sa mère. Les cris avaient continué, s'amplifiant au fur et à mesure que le jour s'immisçait à travers les fenêtres étroites de la tour. Ne supportant plus les hurlements de sa mère, le petit garçon avait plaqué ses mains sur ses oreilles et enfoui son visage dans ses genoux. Il était resté prostré là toute la journée, refusant de s'éloigner de sa mère et de son lit de souffrance. Malgré son jeune âge il avait compris que la situation était dramatique. Il avait passé des heures à prier, supplier le Ciel de sauver sa mère et le bébé.

Dès qu'il entra dans la chambre, il marcha droit vers l'imposant lit. Il ne vit pas les visages affligés des matrones qui s'écartèrent sur son passage et ne prêta pas davantage attention au prêtre qui lui étreignit l'épaule en lui murmurant quelques mots. Les yeux fixés sur le visage livide de sa mère, il la rejoignit en sentant un grand froid l'envahir. Nul n'était besoin de parler, il comprit en voyant la large tache de sang qui imbibait la chemise de nuit et le lit de la dame de Landéan. Malgré tous ses efforts, il ne put retenir sa détresse et c'est le visage mouillé de larmes qu'il baisa la joue de sa mère. À son contact, elle ouvrit péniblement les yeux et le fixa de ses yeux troubles. Malgré sa faiblesse elle réussit à lever la main vers le visage de son fils pour essuyer ses larmes. La voix brisée d'avoir trop crié, elle murmura avec tendresse :

— Mon pauvre chéri... Ne pleure pas mon grand, ça va aller.

— Papa... papa et maintenant... vous, sanglota le petit garçon.

— Ton père a trépassé au service de son suzerain, il s'est bien battu, tu peux être fier de lui.

— Restez ! Je vous en supplie, maman, ne nous abandonnez pas !

— Je m'en vais le rejoindre. Je suis désolée de vous laisser seuls. Tellement désolée mon chéri.

— J'ai besoin de vous, cria Thibaud. Clarie a besoin de vous ! Ne nous laissez pas !

— Je n'ai plus la force de lutter, mon chéri. Pardonne-moi.

Thibaud se jeta contre sa mère pour l'étreindre de toute la force de ses bras maigrelets. Le visage enfoui dans la poitrine maternelle, il balbutia d'une voix étouffée :

— Qu'allons-nous de... devenir sans... sans vous ?

— Le père Ditmar va prévenir ton oncle Amaury et ta tante Adelise. Ils s'occuperont de vous.

Ermessinde puisa dans ses dernières forces pour caresser les cheveux blonds de son fils et lui prodiguer ses dernières recommandations :

— J'ai confiance en toi. Ton père a toujours été fier de ton courage et ta volonté. Je suis sûre que tu feras un excellent chevalier fort et loyal. Tu es grand maintenant et je sais que je peux compter sur toi. Je te confie Clarie, mon chéri. Veille sur elle, elle n'a plus que toi. Une fille est sans défense dans un monde comme le nôtre, surtout quand elle est orpheline. Clarie est si petite et si fragile. Prends bien soin d'elle. Promets-le moi !

Thibaud se redressa, essuya d'un mouvement rageur ses larmes avec sa manche et promit en reniflant :

— Je... je vous le promets maman. Je promets de veiller sur... sur elle et de la... protéger contre tous... tous les dangers.

Dans un ultime sursaut, Ermessinde de Landéan redressa légèrement le buste pour agripper la main de son fils qu'elle serra avec une force inattendue.

— Promets moi de lui choisir un bon époux, qui saura la chérir et la protéger comme tu le feras toi-même jusqu'à ce qu'elle ait l'âge de fonder sa propre famille.

— Je vous... je vous créant.

Avec un soupir de soulagement, elle laissa sa tête retomber sur l'oreiller.

— Merci mon fils. Je peux partir en paix. Dis à ta soeur que je l'aime et que je lui demande pardon de vous laisser.

— Dites lui, vous...

— Elle est trop petite, elle ne comprendrait pas. Et... je n'ai plus...le temps.

— Maman ?

— Je t'aime... mon grand. Je... t'aime... Thibaud.

Le petit garçon sentit la poigne de sa mère devenir subitement molle et il vit ses paupières se fermer alors qu'elle prononçait son prénom.

— Maman ? Maman ! Mamaaaaan !!!

Il sut l'instant exact où la vie la quitta. Il recueillit son dernier souffle sur sa joue lorsqu'il lui donna un ultime baiser.

Dès qu'Ermessinde de Landéan eut rendu son dernier soupir, les matrones firent sortir précipitamment le petit garçon pour tenter de sauver le bébé si cela était encore possible. Alors que le petit Thibaut pleurait son désespoir derrière la porte, la sage-femme ouvrit le ventre de la parturiente pour en sortir le bébé avec l'espoir qu'il soit encore en vie. Elle extirpa le minuscule petit garçon avec difficulté mais renonça à le fesser quand elle vit le cordon qui l'étranglait. Une larme glissa sur la joue ridée de la vieille femme quand elle posa le petit corps sans vie sur la poitrine de la dame de Landéan. Avec un sanglot réprimé elle lui donna l'ondoiement autorisé par l'église et empêcher ainsi son âme d'errer dans les limbes puis elle referma les bras de la défunte sur l'enfant mort-né.

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Bon clairement je dois être maso parce que je sens que ce post va déclencher une avalanche de demandes... Alors je préviens de suite que ce prologue va rester à l'état de chapitre unique pendant trèèèèèèèèès longtemps. 

Je vous vois venir... Oui il s'agit bien d'un prologue pour un futur spin off de Combat d'Amour, MAIS j'en ai un autre en tête aussi, voire plusieurs. J'ai les grandes lignes des scénarii en tête, le seul problème c'est que je n'ai actuellement pas le temps de commencer l'écriture, il me faut d'abord terminer au moins deux des 3 histoires que j'ai en cours d'écriture. 

Je pose donc ce chapitre ici pour vous dire que j'ai bien entendu vos demandes (enfin quelques unes du moins) et que j'ai l'intention de faire un ou deux spin off. En revanche ce n'est pas pour tout de suite donc inutile de demander la suite. Cette histoire restera en pause jusqu'à l'édition de Mach2 courant 2020 et ce prologue n'est là que pour prendre date du début. La couverture est provisoire, le résumé est provisoire... bref c'est à se demander si l'auteur n'est pas provisoire aussi LOL. 

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