Je roule sur cette route déserte depuis déjà quelques minutes et je n'arrive pas à m'enlever cette image de la tête. Je revis chaque instant, chaque détail de cette scène. Ses beaux yeux verts émeraude me fixent encore et transpercent mon âme. Comment ai-je pu en arriver là ?

Putain ! Je frappe un grand coup sec sur le volant, faisant rugir le klaxon et sursauter mon corps. Ce bruit vient rompre le silence qui règne dans l'habitacle de ma voiture. Comme par réflexe, je tourne la tête, de droite à gauche, pour regarder autour de moi, mais rien ne bouge. Marseille est calme ce soir, aucune âme vivante à l'horizon, juste une interminable nuit.
J'appuie sur la pédale d'accélérateur de mon Aston Martin, ce qui me plaque contre le siège. J'accueille avec plaisir cette sensation de vitesse qui s'infiltre dans mes veines et cette adrénaline qui augmente mon rythme cardiaque. Mais, malgré cet effet, je ne peux stopper le match de tennis qu'opère mes pensées.

Tout se bouscule dans ma tête. Je ne sais pas comment j'ai fait pour en arriver là. Comment ma vie a pu déraper à ce point en seulement quelques mois ?

Depuis cette terrible nouvelle, je voulais tout faire pour m'en sortir, pour qu'elle s'en sorte mais je suis allé trop loin. Je l'ai perdue. Même après cette épreuve, je n'ai pas pu m'arrêter dans mon élan, et ils ne m'auraient pas laissé faire de toute façon. Je devais aller au bout de cette histoire. Pour moi, pour elle, pour nous.

J'essuie rageusement la larme qui s'échappe de mes yeux. Je ne veux plus souffrir, je veux que ce trou dans mon cœur finisse de s'agrandir. Mais ce que je veux importe peu apparemment. J'ai tout juste trente et un ans et ma vie est un véritable chaos.

Je commence doucement à ralentir mon bolide lorsque le choc se produit. Un impact violent qui me fait perdre quelques secondes le contrôle du véhicule. Mon Aston fait quelques tours sur elle-même. Lorsque j'arrive à immobiliser la voiture, je desserre mes doigts qui se sont crispés autour du volant et je lâche un long soupir de soulagement.

Merde !

Qu'est-ce qui vient de se passer ? Je relève la tête et je vois dans l'éclairage de mes phares une forme blanche étendue par terre. Un animal ? Je plisse les yeux pour accentuer ma vision. Non ! Je sors précipitamment de la voiture et je cours jusqu'à mon obstacle.

Je stoppe net ma course quand je me rends compte que ce n'est pas un animal que je viens de percuter.

Une belle chevelure rousse, bouclée, est étalée sur l'asphalte. Cette couleur me frappe au cœur, cette même teinte a rythmé la pire soirée de ma vie. Le destin m'en veut !

Je m'agenouille près de cette jeune femme et je parcours son corps de mes yeux pour voir l'étendu des dégâts que cet impact a causé. Sa robe blanche en dentelle est maculée de sang, de terre et de boue, ses collants noirs sont déchirés et seulement son pied droit porte une chaussure.

Je sens une petite main venir frôler la mienne. Ce simple geste réveille des sensations que je croyais enfouies bien plus profondément. Ce doux contact me procure des frissons. Je sers alors cette main dans la mienne et en profite pour prendre son pouls, il est faible.

Malgré ce terrible accident, j'arrive à garder mon calme. Mes réflexes d'infirmier prennent le dessus et j'analyse déjà la gravité des blessures.

Je porte enfin mon attention sur son visage. Impossible ! La dernière chose que je vois, avant qu'elle ne les ferme, c'est la couleur de ses yeux. Ces yeux ! Jamais je ne pourrais oublier ce vert qui me fixait, me suppliait de l'aider, de les aider, de les sauver. Ce vert qui m'a regardé fuir, les laissant seuls face à leur funeste destin. Ce vert qui ne sait pas que j'ai finalement fait demi-tour pour essayer de les sauver. Ce vert qui me regarde encore une fois et qui me demande à nouveau de l'aide.

Cette fois je ne fuirai pas, cette fois je ferai face et cette fois je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour l'aider.