Le hangar de la peur

Septembre 2015

Les gyrophares et les sirènes de l'ambulance m'ouvrent la route qui mène à l'hôpital. Deux heures du matin sont indiquées sur mon tableau de bord. Je ne cesse de m'inquiéter pour cette femme, allongée sur un brancard, en insuffisance respiratoire, très certainement avec plusieurs côtes cassées et un traumatisme crânien. J'aurai voulu venir avec elle dans l'ambulance, mais je connais le règlement. J'ai dû me résoudre à lâcher sa main et à la regarder s'éloigner de moi.

Je n'arrive toujours pas à réaliser ce qu'il vient de se passer. Je pensais que ma soirée ne pouvait pas être pire mais j'ai dû me tromper. Moi qui ne pensais pas revoir un jour cette femme qui m'avait tant troublé, la voilà qui débarque de nulle part et qui finie sous le pare choc de ma voiture. Quand je vous dis que le destin est contre moi !

Comment est-il possible que cette femme ait réussi à s'échapper ? Où est la petite fille qui était avec elle ? L'ont-ils tué elle aussi ? Pourquoi ont-ils baissé leur garde pour permettre à cette jeune femme de fuir ? Est-ce fait exprès ? Est-ce un test ?

Toutes ces questions résonnent en moi sans trouver de réponse. J'avais eu moi-même quelques difficultés à quitter ce hangar, sous les yeux des trois autres hommes présents dans cette grande pièce.

Il y avait celui qui venait d'abattre le mari et qui affichait un sourire satisfait sur son visage. Celui qui tenait en joug les filles, et qui s'amusait à leur faire peur de temps à autre. Enfin, il y avait celui qui gardait la porte, ses gros bras musclés croisés sur sa poitrine, le regard fixé sur un point invisible sur le mur en face de lui.

Après le coup de feu, la lourde chute du corps et les hurlements qui avaient suivi, j'avais prétexté un besoin d'aller aux toilettes. Je savais ce qui devait m'attendre par la suite. Une arme m'était réservée pour tuer la femme. Ça devait être mon test final. Mais j'en étais incapable. Mon cœur était au bord de ma gorge, près à s'échapper et à courir, toutes artères dehors, pour ne pas avoir à faire cela. Je n'avais, désormais, plus aucune raison de vouloir rester avec eux et je ne voulais pas avoir le sang de cette femme sur les mains.

Une fois le hangar derrière moi, je m'arrêtais soudain. Je n'étais pas quelqu'un de lâche. Je n'étais pas comme ça. Comment puis-je abandonner une femme et sa fille ? Je devais trouver une solution pour les sortir de là.

Je fis demi-tour et allais me placer près d'une fenêtre pour observer la scène. La femme et sa fille étaient toujours prostrées dans un coin, totalement pétrifiées à cause de l'arme braquée sur elles. La femme fixait le corps sans vie de son mari. Elle serrait très fort sa fille contre elle et je pouvais imaginer aisément qu'elle cherchait à la rassurer.

Des mots pouvaient-ils effacer cette vision d'horreur? Des mots pouvaient-ils atténuer la souffrance que cette famille vivait ? Je ne le pense pas. Et s'ils existaient personne ne me les avaient murmuré.

Je me rapprochais encore de la fenêtre mais mes pieds se prirent dans quelque chose de dur. Je trébuchais mais retrouvais rapidement mon équilibre. Je jurais silencieusement en me baissant pour ramasser l'objet. La barre en métal, froide et dure venait de trouver un autre rôle que celui de me briser les orteils.

L'homme près de la porte, celui sur mon passage, serait mon plus gros problème pour accéder à cette arme. Cette barre métallique me servirait pour l'assommer. Une fois l'arme en main je pourrais menacer les deux autres hommes et s'il le fallait je leur tirerais dessus. Autant je n'étais pas capable de tuer cette femme et sa fille autant ces hommes oui. Ils ont fait suffisamment de mal pour mériter leur sentence.

Je m'approchais encore de la fenêtre et me mis accroupi pour mieux observer. C'était sans compter sur mon mauvais karma. Malheureusement j'avais mal évalué la distance et la barre vint taper contre le rebord de la fenêtre provoquant un bruit de résonance.

Merde !

L'homme près de la fenêtre se retourna et nos regards se croisèrent. Une seconde. Ce fût le temps qu'il lui a fallu pour réagir et sortir de la pièce pour venir à ma rencontre. Je n'avais plus le choix.

Je me mis à courir en espérant que mes années de courses à pieds joueraient en ma faveur cette fois-ci. J'entendis ses pas se rapprocher de plus en plus de moi et d'un seul coup je fus au sol.

Je vis l'homme se ruer sur moi et m'asséner un coup dans la mâchoire. Je grogna mais me ressaisis aussitôt. Il fallait que je me batte. Toute la rage, la colère et la tristesse qui se trouvaient en moi depuis des mois se réunirent pour former la meilleure des équipes de combat. En quelques coups, je mis à terre mon adversaire.

Titubant, j'ai réussi à reprendre ma course, mais j'entendis ses menaces faire écho dans les bois :

«  Nous te retrouverons John. Tu peux fuir où tu veux, tu ne nous échapperas pas. White's un jour, White's toujours ».

Les jointures de mes doigts sont bleues à force de serrer le volant. Je fixe toujours l'ambulance qui roule à vive allure devant moi et mon esprit dérive de nouveau vers elle. Sa chevelure de feu et ses yeux couleur émeraude inondent mes pensées.

Cette femme, dont le regard a transpercé mon âme, a dû sentir que j'étais, moi aussi, terrorisé. Je ne pouvais pas le cacher, reculé au fond du hangar, je baissais les yeux et refusais d'assister à tout ce drame. Dans cette grande pièce sombre, sale et froide, la peur et l'adrénaline se mélangeaient. Je m'obstinais à fixer le sol, recouvert de petites brindilles de pailles. Je sentais néanmoins son regard posé sur moi, et lorsque je me risquais à la regarder, elle m'hypnotisait littéralement. Je me détestais de ressentir ce genre de sentiments en pareille situation. J'avais ainsi l'impression de rompre mon serment de fidélité.

Ils m'ont contraint à être présent, à participer à toute cette horreur. Je n'étais pas en position de refuser. J'avais déjà tout perdu, mais je devais tenir ma promesse et rester en vie, ne pas abandonner. Son image flottait autour de moi.

J'avais observé cette famille qui n'avait rien demandé à personne, elle était juste là au mauvais endroit au mauvais moment. Le mari se tenant jusqu'au bout près de sa femme et de sa fille, les protégeant au péril de sa vie. Ce bruit, que j'entendais pour la première fois, résonnera à tout jamais en moi et cette vision de corps, tombant telle une statue chavirant de son piédestal, sera figée éternellement dans mon esprit.

Je freine d'un seul coup, manquant de percuter l'ambulance. Elle s'est arrêtée subitement, en plein milieu de la route. Ce n'est pas bon. Il doit se passer quelque chose à l'intérieur. La femme a dû faire un arrêt cardiaque et ils doivent essayer de la ranimer. Son pouls était très faible au moment où les secours sont arrivés. J'avais fait les premiers gestes de secours jusqu'à ce qu'ils prennent le relais, mais sa survie était en jeu.

Le choc avait été brutal. Elle avait dû mal à garder les yeux ouverts et ne prononçait que des élucubrations. Jusqu'au moment où, très distinctement, j'ai entendu ce qu'elle me disait. Elle avait retrouvé dans sa dernière ligne droite, la force nécessaire pour me serrer la main, fixer son regard au mien, et articuler très clairement :

« Sauvez Eden »

Sauvez Eden. J'entends encore ces mots sortir de ses lèvres pulpeuses, bien qu'ensanglantées . Eden. Sa fille. Elle s'est donc enfuie sans sa fille ? Non, je me refuse à y croire. Aucune mère ne laisserait son enfant aux mains de brigands comme les White's. À moins qu'ils ne jouent encore. Je les imagine très bien, l'obligeant à courir et à fuir, menaçant la petite Eden d'une arme sur la tempe.

Cette petite fille aux cheveux aussi roux que sa maman, a un visage d'ange. Elle me fait penser à Rebelle dans les classiques de Disney d' Aaron. Elle doit d'ailleurs avoir le même âge que lui, c'est à dire environ quatre ans.

Toute cette histoire a commencé il y a un an, avec une promesse. Promesse que je n'ai pas su tenir. Promesse que je n'ai pas pu tenir.

Aujourd'hui je me fais une nouvelle promesse. Sauvez Eden !


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top