Septembre 2015

L'ambulance se gare enfin sur le parking du Centre Hospitalier Régional de Marseille. C'est dans cet hôpital qu'Elia, Jay et moi avons fait nos études. Trois années à partager notre temps entre l'IFSI (Institut de Formation en Soins Infirmiers) de la Croix Rouge et les différents stages. Trois années où nous n'avons pas arrêté d'étudier pour être tous les trois admis ici,au CHR de Marseille. Nous avons réussi notre objectif, et j'espère que Jay est de garde cette nuit. Infirmier urgentiste, je veux que ce soit lui qui soit sur ce dossier.

Cela fait maintenant quatre ans que je bosse au service gériatrique, où l'on traite toutes les pathologies de la personne âgée. J'ai toujours aimé cette spécialisation. M'occuper de personnes âgées qui ne comprennent pas toujours ce qui leur arrive, et qui sont souvent seules. J'aime les rassurer et être là pour elles. Bien souvent je me fais draguer par les petites mamies et je rentre dans leur jeu pour leur plus grand plaisir. Cela peut également nous arriver de nous occuper des grands paralysés et des comas de longue date. C'est un service difficile car bien souvent mes patients ne s'en sortent pas,mais j'ai appris à relativiser.

Je sors en vitesse de ma voiture, que j'ai garé sur mon emplacement réservé, et je cours rejoindre les ambulanciers qui rentrent dans l'hôpital. Des médecins accourent déjà à leur rencontre et j'entends l'ambulancier présenter la patiente.

- Emy James, vingt neuf ans, victime d'un accident de la route. Traumatisme crânien, multiples fractures et côtes cassées. Elle a fait un arrêt cardiaque pendant le trajet, nous avons dû la choquer à trois reprises pour la faire revenir.

Emy James. Ce prénom résonne en moi. Emy. Il lui va à la perfection. Comment ont-ils su son identité ? J'arrive enfin au niveau du brancard et porte mon attention sur cette femme, sur Emy.Elle a été intubé et un petit ballon, pour lui insuffler de l'oxygène, y est relié. Un sac noir à bandoulière est posé à côté d'elle. Je ne l'avais pas remarqué sur le lieu de l'accident.J'aurai dû vérifier mais j'étais trop concentré sur ses blessures.

- Voici le conducteur, annonce l'ambulancier, et la police est en chemin.

- John ?

Jay !Merci mon dieu. Je ne suis pas très croyant mais si Dieu pouvait me venir en aide pour une fois, je lui en serais très reconnaissant. Il me doit bien ça après tout. Je vois mon meilleur ami arriver en courant, ne comprenant rien à la situation.

- John, que s'est-il passé ? dit-il essoufflé. Tu vas bien ?

- Moi oui, mais occupe-toi d'elle s'il te plaît. Reste avec elle, je t'expliquerai ensuite. Je dois attendre l'arrivée de la police.

- Tu es sûr que ça va toi ? Laisse-moi t'examiner !

- Oui, ça va Jay, je n'ai rien.

- Laisse-moi quand même vérifier ! Qu'est-ce qui est arrivé ? Qui est cette fille ?

- Putain Jay, je viens de te dire de t'occuper d'elle, merde !

- OK, OK. On se calme mec. Je me mets sur le dossier. Je reviens te voir quand tu seras calmé.

- Merci, lui répondis-je plus calmement.

Jay n'a pas eu souvent l'occasion de me voir énervé. Il peut compter sur les doigts d'une main les fois où je me suis emporté. Bien souvent cela a un rapport avec les gens qui comptent pour moi.

Ce soir, je suis fatigué. Fatigué de ma soirée de cauchemar.J'aimerai pouvoir me réveiller et me dire que tout cela n'est jamais arrivé. J'aimerai pouvoir emprunter la DeLorean de Doc et MartyMcFly, et revenir un an en arrière, quand ma vie avait encore un sens.

Je prends une dernière fois la main d'Emy dans les miennes et exerce une faible pression dessus. J'observe encore la beauté de son visage, malgré les contusions et l'intubation, mais je m'en veux immédiatement de la regarder ainsi. Je ne peux pas, je ne dois pas. Je me penche à son oreille pour lui murmurer :

« Je vais tout faire pour la retrouver »

Les portes de l'ascenseur s'ouvrent enfin et toute l'équipe médicale y entre. Malgré toute l'incompréhension qui se lit sur son visage, Jay me presse l'épaule d'une façon qui se veut rassurante et pénètre à son tour dans la cage métallique. Une fois les portes fermées je reste quelques minutes figé, ne me rendant pas compte de l'agitation autour de moi.

Marseille ne dort jamais et cet hôpital encore moins.

Deux agents de police arrivent quelques instants plus tard et viennent à ma rencontre quand les ambulanciers me montrent du doigt. Putain, je vais devoir gérer au mieux la situation pour qu'ils ne se rendent compte de rien. Je n'ai pas besoin de ça. Les mains dans les poches, je les laisse s'approcher de moi.

- Bonsoir, agent Fabre et voici l'agent Maurel. Puis-je avoir vos papiers s'il vous plaît ?

Je sors mon porte feuille de mon jean et leur tends ma pièce d'identité. Je les suis ensuite dans une salle d'examen inoccupée pour répondre à leurs questions. J'essaye de ne pas montrer mon anxiété, ils auraient trop de choses à découvrir sur moi. Mon rythme cardiaque est dans tous ses états mais j'arrive à le contrôler, enfin je crois.

Je décline mon identité, je n'en vois pas l'intérêt puisqu'ils ont mon état civil sous les yeux, mais j'obtempère. Ils me font souffler dans un éthylotest qui s'avère négatif et demandent à ce que l'on me fasse une prise de sang pour relever des traces de substances illicites. Bonne chance les gars, à part la fumette en première année, je n'ai jamais touché à cette saloperie de drogue.

Alice arrive pour me faire cette prise de sang et me lance un regard compatissant tout en enfonçant son aiguille dans la veine de mon bras droit. Alice est douce et adorable avec tout le personnel de cet hôpital, tout le monde l'adore. Même Jay n'a pas voulu coucher avec elle de peur de perdre son droit aux délicieux muffins qu'elle apporte chaque soir de garde. Quant à moi, je lui serais éternellement reconnaissant pour tout ce qu'elle a fait pour nous.

Les agents Fabre et Maurel continuent leur interrogatoire et j'essaye de ne pas m'embrouiller dans mes réponses. Il n'y aucun témoin qui peut attester de ma version de toute façon. Et puis je ne faisais rien de mal que de conduire à ce moment là, non ?

- Que faisiez-vous sur cette route à une heure pareille Mr Reed ?

- Je n'arrivais pas à dormir alors j'ai pris ma voiture pour aller prendre un peu l'air. Ce n'est pas un crime à ce que je sache ?

-  Doucement mon garçon, nous essayons juste de comprendre ce qui est arrivé. Comment s'est passé l'accident ?

- Je roulais, je l'admets un peu plus vite que la réglementation ne l'autorise, et cette jeune femme a débarqué de nulle part. Je ne l'ai pas vu. Je ne sais pas. Je ne ...

Sans que je puisse les en empêcher des larmes se mettent à couler le long de mes joues. Je n'en peux plus. Je suis épuisé de toute cette situation. Je m'en veux terriblement. Je ne me pardonnerai jamais d'avoir assisté à cette tuerie, mais surtout j'ai peur qu'Elia ne me pardonne jamais. La seule façon pour moi de me racheter est de tout faire pour aider Emy. L'aider à s'en sortir et l'aider à retrouver Eden.