Chapitre 6 - Partie 1 - Renouveau
« Elioth, demain, je m'occupe de ta stagiaire. Les jours d'après, tu la reprends en main et tu fais un effort avec elle, d'accord ?
— J'ai l'impression que tu me présentes cela comme un grand acte de générosité de ta part, nota Elioth le front plissé.
— C'est le cas ! Tu es censé t'occuper de ta stagiaire pendant deux semaines complètes, sans mon aide !
— Rappelle-moi qui a sollicité mon aide pour résoudre un autre problème auquel je suis tout à fait étranger. »
Le visage d'Alysea rougit légèrement et elle admit avec un certain embarras :
« Certes, j'avais un peu oublié...
— Tu n'as décidément pas changé depuis le jour où je t'ai retrouvée : toujours aussi irresponsable et rêveuse, petite sœur. »
***
JOUR 3
En me rendant au petit-déjeuner ce matin, ce ne fut pas M. Adelson qui m'accueillit mais sa collègue qui organisait l'événement.
« Mlle Rowann ? m'étonnai-je.
— Bonjour Evyna. Appelez-moi Alysea, je vous prie. Nul besoin de davantage de formalités entre nous. Si cela ne vous dérange pas, je vous guiderai aujourd'hui. Elioth a d'autres choses à s'occuper et je vous transmets ses plus sincères excuses pour son absence.
— D'accord... approuvai-je, ne sachant si cette nouvelle pouvait offrir de meilleures perspectives pour la journée – de toute façon, je doutais de pouvoir apprécier une seule journée de ces deux semaines –.
— Voulez-vous bien m'accompagner ? J'ai commandé un petit-déjeuner qui devrait vous plaire. Œufs sur le plat avec du bacon et du pain perdu. Sans oublier du thé glacé en boisson. »
Je fus toute surprise par cette déclaration : comment savait-elle qu'il s'agissait là de mon petit-déjeuner favori ?
« J'ai demandé à votre amie, Sophy, ce qui vous ferait le plus plaisir, rajouta l'idole, comme si elle avait lu dans mes pensées.
— Oh... merci, c'est très attentionné de votre part.
— C'est tout à fait normal, Evyna. J'ai remarqué que vous aviez un peu de mal à vous sentir à l'aise et je veux faire en sorte de changer cette première impression. Mon objectif est que vous repartiez tous d'ici avec un souvenir joyeux et impérissable. »
Elle esquissa un sourire qui me semblait presque sincère, si bien que je sentis presque la honte m'envahir ; certes, je n'appréciais pas ce voyage, mais je devrais au moins prétendre le contraire, par simple politesse. Je ne pouvais tout de même nier les efforts d'organisation qui étaient réalisés pour que nous soyons entièrement immergés dans ce monde... Pourtant, à chaque fois que j'avais voulu faire un effort pour me montrer enjouée, M. Adelson n'avait guère changé son attitude froide et odieuse...
Je chassai ces pensées : aujourd'hui était différent. Mlle Rowann, ou plutôt Alysea puisqu'elle m'avait demandé de l'appeler ainsi, allait me guider dans Idolaland et elle se montrait beaucoup plus sympathique. Je devais faire des efforts de mon côté également.
Après le petit-déjeuner qui se révéla encore meilleur que ceux que je me préparais parfois le dimanche, Alysea me présenta le planning de la journée et je m'efforçai d'afficher un sourire – de courtoisie bien entendu, car ces prévisions ne me réjouissaient guère – :
« Ce matin, shopping avec Vero et votre amie Sophy ! Et nous ferons des séances photo cette après-midi pour conserver un souvenir impérissable des tenues choisies ce matin ! »
Alysea débordait d'un enthousiasme à faire peur, si bien que je regrettais presque l'impassibilité de M. Adelson... Mais d'un autre côté, faire du shopping et participer à des séances photo avec lui était une pensée encore plus désagréable et je me forçai à répondre avec un minimum de motivation :
« D'accord, merci. »
Certes, ma réponse était nullissime, mais je n'avais rien trouvé de mieux qui ne fut pas entièrement hypocrite. Alysea n'en tint en revanche pas compte et elle m'invita à rejoindre Sophy et Mlle Aswin. Comme les jours précédents, celles-ci étaient en pleine conversation animée et ce fut à peine si elles s'interrompirent lorsque nous arrivâmes.
Quand elles s'aperçurent de notre présence, nous quittâmes toutes les quatre l'agence, et Sophy bavarda pendant presque toute la visite du centre-ville avec Alysea et Mlle Aswin. Quant à moi, je restai silencieuse, me contentant d'observer les fastueux bâtiments qui étaient pour la plupart d'entre eux des grands magasins de marques de luxe. La première – et unique – boutique que nous visitâmes fut Évasion, magasin de vêtements et plus particulièrement de robes dispendieuses qui ne me faisaient pas du tout envie – à l'inverse de Sophy –.
Nous passâmes presque trois heures dans cette boutique ; Alysea et Veronica – l'idole de Sophy avait d'ailleurs insisté pour que je l'appelle par son prénom, prétextant qu'elle n'était pas assez vieille pour que je lui témoigne autant de respect – nous incitaient à essayer toutes les robes qui nous plaisaient – ou non –. Bref, Sophy était aux anges et je me sentais terriblement mal-à-l'aise ; j'avais toujours détesté faire du shopping, préférant acheter tous mes vêtements en ligne, et voilà qu'on m'incitait à essayer des robes toutes aussi chères les unes que les autres... Sans compter que deux vendeuses étaient venues nous rejoindre pour nous conseiller – comme si la pression d'Alysea et Veronica n'était pas suffisante –...
Quand vint enfin l'heure de quitter le magasin, Alysea nous demanda quelles robes nous voulions acheter... Ma réponse fut fort concise : aucune. Mais mon choix ne fut pas vraiment accepté par Sophy qui s'exclama :
« Non, Evy, tu ne peux répondre ça ! Regarde toutes les jolies robes, comment ne veux-tu pas toutes les acheter ? Regarde, celle-ci, elle est tellement belle et elle t'allait super bien ! »
Elle désignait une longue robe vert émeraude sans manches, à la ceinture en strass, qui s'inscrivait parfaitement dans le style princesse de films. Bref, le genre de robes que j'abhorrais le plus étant donné leur manque de praticité, mais que Sophy adorait. Déjà qu'elle m'avait forcée à l'essayer – et que j'avais accepté simplement pour qu'elle cessât ses jérémiades –...
« Non, Sophy, je n'aime pas beaucoup ce genre de robes, réfutai-je calmement. D'ailleurs, je n'ai pas envie d'acheter de robes, je n'en ai pas besoin.
— Tu ne peux pas dire ça ! On a toujours besoin de renouveler sa garde-robe, surtout quand elle est aussi vide que la tienne ! Tu n'as même pas de tenue de soirée, Evy ! »
Peut-être était-ce parce que je n'allais jamais aux soirées...
« Evy, s'il-te-plaît, achète-la.
— Non, Sophy, je ne changerai pas d'avis.
— Alors je te l'achète.
— Non ! protestai-je en la foudroyant du regard. Te rappelles-tu ce que j'ai dit au début de ce stage, Sophy ?
— Oui, je sais, je dois me montrer raisonnable, sinon je vais être criblée de dettes... râla Sophy en observant le tas de robes qu'elle voulait acheter – à savoir plus des trois quarts de celles qu'elle avait essayées. Tu vas me dire que je n'ai même pas le droit d'acheter tout ça, hein ?
— C'est bien de t'en rendre compte par toi-même, Sophy, » répliquai-je simplement, ce qui me valut un regard noir de la part de ma meilleure amie.
Pourtant, elle suivit malgré tout mes conseils, et elle ne sélectionna plus qu'une seule robe : une rose à paillettes, chargée de froufrous, qui faisait encore plus princesse que toutes les autres qu'elle possédait déjà.
Nous parvînmes enfin à sortir du magasin, Sophy avait déjà retrouvé sa bonne humeur – la présence d'Alysea et Veronica aidant – et nous nous rendîmes au restaurant pour le déjeuner. Dire que nous avions perdu une matinée à faire du shopping inutile...
Mais l'après-midi n'allait pas être beaucoup plus productive. Alysea nous proposa deux choix d'activités, malgré ce qu'elle m'avait annoncé ce matin : séance maquillage ou séance photo. Ma réponse – silencieuse – fut bien évidemment aucune des deux tandis que Sophy s'exclamait qu'elle voulait participer aux deux – le contraire aurait été surprenant venant d'elle. Veronica proposa alors, à mon grand désarroi, de commencer par une courte séance de maquillage avant de nous rendre chez le photographe...
Nous arrivâmes au salon de beauté et je restai en retrait, bien décidée à ne pas être maquillée ; je n'avais jamais compris l'obsession des filles pour le maquillage... Pourquoi se mettre des produits chimiques néfastes pour notre peau sur la figure ? Pour paraître plus belle pendant quelques années, avant que la vieillesse n'arrive plus vite à cause de la dose de toxicité emmagasinée ? Cela me semblait être une raison absurde. Sans compter le temps perdu à se tartiner le visage et l'argent dépensé pour ces futilités...
Sophy et Veronica s'étaient déjà installées et commentaient vivement le catalogue des sessions proposées, et Alysea se tourna vers moi et s'enquit :
« Vous venez, Evyna ?
— Non, merci, déclinai-je poliment, me doutant cependant que cela ne serait pas suffisant pour convaincre l'idole de me laisser tranquille. Je préfère ne pas me maquiller.
— Ne pas se maquiller ?! s'exclama Alysea en écarquillant grand ses yeux noirs entourés de fard de la même couleur. Comment pouvez-vous refuser ?
— Je n'ai simplement pas envie de me maquiller. »
« Et vous n'avez vraiment pas envie de m'entendre argumenter là-dessus, » complétai-je silencieusement. Pourtant Alysea persista :
« Pourquoi donc ?
— Car je considère que c'est inutile.
— Je ne partage pas votre avis. Maquillées, nous brillons encore plus. »
Mais je n'avais pas envie d'être un sapin de Noël ambulant.
« Mais d'ailleurs, enchaîna Alysea, vous vous mettez déjà du mascara, alors pourquoi pas passer à l'étape légèrement supérieure ? »
Je mettais du quoi ?! Je clignai des yeux, abasourdie par ce qu'elle venait de m'annoncer, et Alysea reprit, les sourcils froncés :
« Vos cils sont naturellement longs, noirs et épais ?
— Euh... oui...
— Vous en avez de la chance ! » s'extasia Alysea en esquissant un sourire qui semblait à la fois sincère et envieux.
De la chance... ? Je n'étais pas sûre de partager la même conception de chance qu'elle. Ou plutôt, j'étais sûre de ne pas la partager.
« Imaginez, vous serez encore plus rayonnante en vous maquillant ; vous avez un très bon potentiel ! »
On m'avait toujours dit que j'avais un très bon potentiel pour faire des études scientifiques, sûrement pas pour briller sous l'effet d'une tartine de maquillage. Sentant que la diva devenait un peu trop frénétique, je m'empressai de déclarer :
« Non, merci, Alysea. Je préfère rester ainsi.
— Je ne vous comprends pas. »
Pourquoi était-il aussi compliqué de s'expliquer ? Une longue argumentation commença alors et je perdis une bonne heure à parler avec elle, si bien que Sophy, sous les conseils de Veronica, avait presque fini son maquillage quand je parvins enfin à avoir le dernier mot sur Alysea – ou plutôt, elle me laissa décider ce que je voulais pour moi-même.
Nous quittâmes alors la boutique de l'esthéticienne pour rejoindre le studio où avaient lieu tous les défilés de mode d'Idolaland. Sur le chemin, le téléphone d'Alysea se mit à sonner – l'une de ses chansons faisant office de sonnerie – et l'idole murmura, surprise :
« Je croyais que je l'avais mis en mode silencieux ce matin... Désolée... »
Elle porta son portable à son oreille, avant de s'éloigner quelque peu de nous. Elle revint seulement une vingtaine de secondes plus tard, et je remarquai immédiatement que son visage avait perdu sa bonne humeur habituelle, au profit d'un certain tracas. Je n'étais pas la seule à l'avoir remarquée car Veronica s'enquit :
« Tout va bien, Allie ?
— Euh... oui, oui ! Juste un appel comme plein d'autres. Désolée pour l'interruption ! Allons-y ! »
Elle avait retrouvé son entrain, et cela sembla suffire à Veronica. En revanche, je n'étais pas du tout convaincue par sa réponse et je me demandais bien ce qui pouvait l'avoir autant affectée... Enfin, pourquoi me préoccupais-je de cela ?! C'était sûrement un problème d'idole, rien qui ne pouvait m'importer...
Nous finîmes par arriver au studio, où le photographe, un homme d'une quarantaine d'années, nous accueillit chaleureusement, avec tout autant d'hypocrisie que les autres personnes de ce monde, et nous assura que les photos qu'il allait faire seraient superbes. Alysea et Veronica insistèrent également pour être sur les prises, ce qui ravit bien évidemment Sophy.
« Des photos souvenirs avec Vero et Allie... ! s'extasia Sophy, un grand sourire dessiné sur ses lèvres roses pailletées. Tu y crois, Evy ? »
J'aurais surtout préféré ne pas y croire. Mais c'était bel et bien la réalité et je manquais cruellement d'idées pour éviter ces prises... Cette séance se révéla sans grande surprise être un calvaire car le photographe était toujours insatisfait, nous demandant de sourire moins ou davantage, de regarder par ici ou par là. Et quand la pose de Sophy lui convenait, c'était mon attitude qui ne lui plaisait pas, et réciproquement – même s'il fallait avouer que j'étais souvent l'élément problème, 96.296% du temps pour être précise, avec une légère erreur d'arrondi –, et nous devions recommencer... Comment avoir un sourire non forcé au bout de la cinquante-quatrième prise – sachant que je n'arrivais déjà pas à sourire naturellement sur la première prise – ? Je l'ignorais, mais Alysea et Veronica ne semblaient avoir aucun problème pour y parvenir. Guère surprenant, après tout, elles s'entraînaient à faire bonne figure devant leurs fans depuis longtemps...
Lorsque nous sortîmes du studio de photographie avec les photos souvenirs, il était presque vingt heures, si bien que nous nous rendîmes directement au restaurant. Je remarquai que M. Adelson était absent, comme ce midi, et ce constat me soulagea : au moins, je n'aurais pas à supporter son regard critique et hautain pendant le dîner... Certes, il ne m'avait jamais adressé la parole pendant les repas, mais je sentais qu'il me jugeait au moindre mouvement, ce que je détestais particulièrement...
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