Chapitre 4 - Partie 4 - Lassitude

Bref, une après-midi terriblement longue à déchiffrer du solfège, tenter de jouer ces pauvres notes avec un rythme pas trop ridicule, tout en entendant hurler les violons de Sophy et Mlle Aswin – à croire que je ne pouvais pas supporter le violon, qu'il fût bien joué ou non –. La délivrance n'arriva qu'au moment où M. Adelson enleva son casque et se releva. Une lueur de dégoût passa sur son visage maquillé – j'ignorais si elle m'était adressée ou s'il abhorrait vraiment autant le son du violon – et j'éteignis immédiatement mon piano. Je rangeai le petit ouvrage que j'avais emprunté et mon mentor ne fit pas le moindre commentaire – c'était à peine qu'il me regardait et cela n'était pas pour me déplaire –. Nous quittâmes le conservatoire et il déclara simplement :

« Le dîner est à vingt heures et sera tenu dans le même restaurant que ce midi. »

***

Sur ces paroles laconiques, il prit congé de moi et je constatai que j'avais une petite demi-heure pour moi-même avant le rendez-vous du dîner. Autant en profiter pour appeler Allan dès maintenant : je lui avais tout de même promis de lui faire un petit coucou chaque soir. Après avoir regagné ma chambre, je l'appelai et j'entendis rapidement sa voix à l'autre bout du fil :

« Evy, c'est toi ?

— Coucou Allan. Comment allez-vous ?

— Tout va bien pour Anissa et moi. La grande question, c'est surtout comment, toi, tu vas ?

— Bien.

— Réponse fort concise, Evy, si tu veux mon avis. Alors, petite sœur, ces deux premières journées ? Comment se sont-elles passées ?

— Elles sont passées, répliquai-je simplement.

— Je sens d'ici l'enthousiasme dans ta voix, Evy. Allons, il y a forcément quelque chose que tu as aimé...

— Les repas sont très bons, notai-je.

— Bien évité, Evy. Non, plus sérieusement, que faites-vous ? Tu danses, tu chantes, tu joues ?

— Nous nous sommes chacun vu attribuer une idole qui nous supervise pour ces deux semaines.

— Supervise, petite sœur, tu crois que c'est vraiment le bon terme ?

— Non, peut-être pas, admis-je sans pour autant en chercher un autre. Bref, tu as compris le principe.

— Et qui est ton superviseur puisque tu persistes à l'appeler ainsi ?

— Monsieur Elioth Adelson. Il...

— Elioth Adelson ?! répéta Allan. Mais attends, ce n'est pas n'importe qui tout de même !

— Tu le connais ?

— Bien sûr, enfin, non, pas personnellement, contrairement à toi maintenant, rajouta Allan avec amusement, avant de reprendre : Il est très célèbre, Evy. Je suis prêt à parier que beaucoup de stagiaires sont jaloux de toi. Ou plutôt devrais-je dire jalouses.

— Sophy l'était au début, approuvai-je, me rappelant parfaitement les cris frénétiques de Sophy – et ceux des autres stagiaires féminines d'ailleurs – juste avant que le stagiaire de M. Adelson ne soit révélé.

— Guère surprenant venant d'elle. D'ailleurs, qui est son idole ?

— Veronica Aswin.

— Ah oui, j'en ai entendu parler : d'après les médias, c'est une star montante. Et également la chanteuse de Faille, si mes souvenirs sont bons...

— Quels genres de médias consultes-tu, Allan ? répliquai-je, étonnée par sa connaissance. Tu m'inquiètes...

— C'est surtout toi qui m'inquiètes, Evy. Tu es tellement déconnectée d'une partie du monde... Franchement, je ne peux m'empêcher de penser que ce voyage est une très bonne chose pour toi... Je me féliciterais même pour avoir conseillé à Sophy de t'y emmener.

— Quoi ?! m'exclamai-je, ne pouvant croire ce que mon frère venait de déclarer. Attends, c'est toi qui as dit à Sophy de m'emmener là-bas ?!

— Il se peut... Bref, raconte-moi ce que tu as fait.

— Je ne te laisserai plus parler avec Sophy, je crois... marmonnai-je, avant de le sermonner sèchement : Tu te rends compte que tu es en partie responsable de ses problèmes financiers ?!

— J'ignorais le prix du stage, Evy... Et j'étais bien loin de m'imaginer qu'elle hypothèquerait sa maison pour que vous puissiez y aller...

— C'est l'excuse la plus minable que j'aie jamais entendue, Allan.

— Je sais, je n'ai pas grand-chose pour me défendre. Cela dit, Evy, tu as dévié de ma question d'origine.

— Je pense qu'il y a plus important à traiter !

— Evy, ma question...

— Non ! Je vis un cauchemar par ta faute, et cela sera bientôt le cas pour Sophy ! Allan, tu...

— Evy, arrête de crier dans le téléphone, mes oreilles vont finir par saigner... »

Je faillis lui rétorquer que je n'en avais rien à faire, mais je parvins à me contenir. Mon frère ne méritait pas de se prendre de plein fouet toute la rancune que j'avais accumulée en cette désagréable journée ; tout n'était pas sa faute...

« Alors ma question ? »

J'eus envie de feindre l'avoir oubliée, mais ce n'était pas très crédible venant de moi, si bien que je marmonnai sans trop savoir par où commencer :

« Eh bien... Bon, le premier soir n'était pas trop mal à une exception près...

— Waouh, un compliment de ta part, Evy !

— Écoute-moi au lieu de raconter n'importe quoi. Alysea Rowann a donné tout d'abord un spectacle, reprise de sa chanson Éveil.

— Et tu as aimé cette chanson ?! s'étonna mon frère, avant de s'exclamer avec amusement : Mais rendez-moi ma petite sœur !

— Arrête de faire l'idiot, Allan... soupirai-je. Non, je n'apprécie toujours pas ce genre de chanson... mais je reconnais tout le travail fourni pour arriver à un tel état de perfection et je ne peux qu'en être admirative.

— Tu ne changeras jamais, Evy... Bref, quoi d'autre après le spectacle d'Alysea ?

— Les vingt autres idoles ont organisé chacune un spectacle avec leur stagiaire.

— Vous aviez déjà eu le temps de répéter ? s'étonna Allan.

— Non, c'était la surprise et l'improvisation pour nous.

— Tu as dû aimer... Quel était ton spectacle ?

— Cherche Éclair sur Youtube, la vidéo y est déjà. Malheureusement.

— Vraiment ? Ma petite sœur devient populaire dans le monde de l'art, je n'arrive pas à y croire !

— C'était dans le contrat, tout simplement. Contrat dont Sophy a bien sûr omis de me faire part. D'ailleurs, je ne suis même pas sûre qu'elle-même l'ait lu... Quoi qu'il en soit, tous les spectacles auxquels nous participerons seront filmés avec la possibilité d'être publiés.

— Intéressant... Alors, tu dis Éclair... »

Un silence se fit et mon frère finit par reprendre :

« Je l'ai trouvée, je vais la regarder. Anissa, tu viens voir Tati Evy danser ? »

J'entendis un piaillement à l'autre bout de la ligne et malgré mon embarras, j'attendis quelques minutes, entendant la chanson de M. Adelson en arrière fond.

« Eh bien, si j'avais su plus tôt que ma chère petite sœur était aussi talentueuse en danse ! Papa et Maman n'en reviendraient pas... »

Mon regard se voila à cette mention ; je me doutais que mon frère regrettait déjà de l'avoir prononcée, et je finis par répondre après un instant d'hésitation :

« Arrête un peu, j'étais médiocre, je le sais très bien. J'ai juste ruiné la performance de M. Adelson.

— Tu as regardé la vidéo, Evy ?

— Non, l'humiliation n'a pas besoin d'être plus grande qu'elle ne l'est déjà.

— L'humiliation ? Evy, sincèrement, je trouve que tu étais très bien.

— Tu as été toujours trop gentil avec moi.

— Quelqu'un t'a fait des reproches ?

— Non, mais ils sont payés pour nous dire que nous ferions de formidables idoles : je ne me leurre pas, je sais très bien que je n'ai aucun talent et que, pire, je suis terriblement médiocre.

— Tati Evy ! entendis-je s'exclamer alors à cet instant. Regarde ! Je danse comme toi ! »

Un léger silence s'écoula et j'entendis Allan déclarer :

« C'était très gracieux, Anissa. Evy, imagine ta propre performance quand tu commençais la danse et c'était à peu près ça. Mais avec un grand sourire et plein d'entrain. »

J'étouffai un rire face à la remarque de mon frère, me rappelant, mi-amusée, mi-amère, les cours de danse que nos parents nous avaient forcé à prendre étant petits. Je m'étais révélée particulièrement nulle en cette discipline – et rien n'avait changé bien évidemment – mais nos parents avaient insisté pour que nous continuions ces leçons aussi longtemps que possible... Sûrement avait-ce alimenté mon dégoût pour toute forme d'art, la danse notamment...

« Mais par contre, cela n'a plus rien à voir avec la formidable danseuse que j'ai vue dans la vidéo, glissa mon frère.

— C'est surtout grâce à M. Adelson qui embellissait la scène, compensant ma médiocre présence, répliquai-je sèchement, avant de clore pour de bon, du moins je l'espérais, cette conversation : Bref, voilà tout.

— Vraiment, ce n'était qu'hier soir, si je ne m'abuse, Evy... Qu'as-tu fait aujourd'hui ?

— Ne lâcheras-tu pas le morceau ?

— Tant que je ne saurais pas tout, non. Désolé, petite sœur, la vie ne peut pas toujours te sourire. »

Je poussai un soupir avant de me résigner à lui raconter ma journée, qui, bien que peu ordinaire, ne m'avait guère enchantée.

« Jouer à Sing, Dance and Play just like Idols do! avec vos célébrités ! Sophy devait vraiment être aux anges ! s'exclama avec amusement mon frère. Mais j'imagine tout aussi bien ton manque d'enthousiasme... déjà que tu n'es jamais partante pour faire une petite partie en famille, alors avec des célébrités...

— Tu n'es pas obligé d'être aussi désagréable, coupai-je. Même si tu n'es pas si loin de la vérité.

— Pas si loin ? releva mon frère, sur un ton taquin.

— D'accord tu as raison, grommelai-je.

— Toujours, Evy. Je commence à te connaître à force. Tout comme je sais qu'il est temps pour moi de raccrocher. Je sens que la tension monte à l'autre bout du fil. Profite-bien de ta soirée, essaye d'être un minimum enthousiaste et tu verras que le temps passe plus vite avec un peu de bonne volonté. »

Certes, il n'avait pas tort : mais je m'abstins de le souligner.

« Bonne journée, Allan. À demain. »

Je coupai la communication sans lui laisser le temps d'ajouter quelque chose. Un peu de bonne volonté... et puis quoi encore ? Maintenant que je savais que c'était lui qui avait conseillé à Sophy de m'emmener ici, je n'avais plus la moindre envie de l'écouter. Il était entièrement responsable de mon calvaire, encore plus que Sophy.

Je laissai tomber mon téléphone sur mon lit – un petit bruit d'eau retentit –, avant de m'affaler à mon tour – je crus entendre un torrent d'eau se déverser cette fois et je maudis ma stupidité –. Cette conversation m'avait coupée toute envie de faire quelque chose – non pas que je fusse très motivée auparavant –. Ma propre attitude de flemme me dégoûtait moi-même, mais je ne parvins à trouver la motivation pour la contrer...

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